LES CONDITIONS HISTORIQUES DU DEVELOPPEMENT DE LA...
LES CONDITIONS HISTORIQUES DU DEVELOPPEMENT
DE LA PECHE EN CASAMANCE
Mariteuw Chyzre DIAW(l)
.
(Ii Sociologue de l'ISRA, Antenne CRODT/Yiguinchor, BP. 2241 - Dakar
(Sénéqal) .

1 3 8
R E S U M E
De toutes les grandes
ethnies qui peuplent la Casa-
mance, a partir du début du second millénaire, les j'&.&~
sont les seuls à développer des activités etune technolo-
gie de pêche précoloniale. Ceux-ci restent toutefois à
l'écart de la pêche maritime.Le développement de l'écono-
mie de traite favorise, à partir de la fin du lge siècle,
la venue de pêcheurs professionnels tebu, vtgatinku et get-
ndariens originaires de la côte nord du Sénégal,
qui in-
troduisent
en estuaire
des modèles technologiques nou-
veaux tels que l'épervier et le filet dormant:.
Ces modi-
fications sont renforcées par l'arrivée depêcheurs somono
qui,
à partir des années 30, introduisent la version ma-
lienne du filet dérivant, félé-félé.
L'après-guerre et les années 50 marquent une nouvelle
série de transformations dans les conditions de la pêche,
avec le développement actif mais bref d'une
économie du
poisson fumé et la venue de pêcheurs ~?~k!u..i% puis WUdO-
Waldo originaires de la vallée du Fleuve. Ceux-ci jouent
un rôle décisif dans la diffusion d'un nouveau modèle de
félé-félé et de la senne de plage en estuaire ainsi que
dans l'expansion fantastique de la pêche crevettière fai-
sant suite à l'implantation d'usines de traitement
de ce
produit.
Cette période marque également le developpement d'une
pêche maritime saisonnière animée par les pêcheurs get-
ndariens et Gbu,
._ _.
A B S T R A C T
Of a11 the major ethnie entities which make up
the
Casamance social fiber
since the beginning of the second
millenary, the jooZa are the only oneswho developped pre-
colonial fishing activities and a corresponding technolo-
gym From the end of the 19th Century on, a number
of
changes in
the technological and general conditions of
fishing start taking shape.Coming from Senegal's Northern
toast, Zébu, nyominka and get-ndar fishermen introducenew
fishing
techniques
such as cast-netting and gillnet et-
ting. In the 193O's, somono fishermen from Mali introduce
their version of the félé-félé drift net.
The post war era ant the 1950's mark a furthering and
a deepening of such changes.They are the time when a Ca-
samance-based smoked-fish industry flourishes briefly in
the region and when tukulër and waalo-waalo fishermenfrom
the region bringing with them a new mode1 of
félé-félé
and the beach Seine. Later, following the
implantation
of shrimp plants in Ziguinchor, tukul,&r fishermen become

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the most
active
elements in the extraordinary expansion
of the shrimp
economy .
On the maritime front, the post-war era is also the
time when seasonal fishing activities start being
deve-
lopped by get-ndar and Zébu fishermen.
I N T R O D U C T I O N
L’extrême hétérogénéité ethnique du tissu social casamançais constitue
une des données essentielles de la structuration sociologique du secteur de
la pêche en Casamance. La configuration technologique de celui-ci, son déve-
loppement inégal à travers la région, les “pattern” migratoires dont l’in-
fluence sur les débarquements est probable, la typologie des campements et
des villages de pêche ainsi que toute une série d’autres phénomènes, ne sau-
raient en effet être compris sans référence aux spécialisations ethniques
qui elles mêmes, sont un produit de l‘histoire.
En se fondant sur la mise en place du peuplement casamançais contemporain,
et sur les grandes mutations technologiques et économiques qui ont donné à la
pêche son visage actuel, trois grandes périodes historiques peuvent être dis-
tinguées dans le développement de la pêche :
1) la période précoloniale; antérieure à l’arrivée des premiers pêcheurs
professionnels septentrionaux et orientaux.
2) La période de l’avant-guerre (2ème guerre mondiale) qui voit l’intro-
duction en estuaire de pêcheurs professionnels Lebu, Niominku et Get-Ndariens.
3) La période de l’après-guerre qui correspond au développement de la
pêche à la senne, de l’économie crevettière, de la pêche en mer à laquelle est
également liée la motorisation.
1
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LA PECHE EN CASAMANCE AVANT LA FIN DU 19ème SIECLE
La lumière n’a pas encore été faite sur la nature des populations pré-
baynunk qui sont à l’origine des collines de coquillages dont la prgsence
atteste du fait qu’il existait au premier millénaire certaines formes d’ex-
ploitation des ressources halieutiques casamançaises. Toujours est-il que
durant tout le second millénaire , pratiquement jusqu’à l’orée du 20e siècle,
cette exploitation reste faible et limitée aux eaux intérieures de la Basse
Casamance. Des quatre “grandes ethnies fondatrices”, les joola sont en effet
les seuls, durant cette période, à pratiquer la pêche de façon significative,
Les Baynunk qui sont généralement considérés par les sources écrites et
les traditions orales comme les premiers habitants de la région, occulpent
pourtant à cette époque la quasi totalité de la Casamance estuarienne, du
Fuladu actuel au Sungrugru et au Buluf, des rives de la Gambie à cellesdu
Cacheu,
Ils ne sont cependant
mentionnés nulle part comme ayant développé une
technologie et des activités de pêche (DIAW, 1985 : 59-63). Peuple de marchands,
les Baynunk s’attachent plutôt,à partir de leur installation dans la région
(au 12ème siècle au plus tard), à mettre en place un réseau étendu de commerce
de longue distance qui connecte la diaspora marchande Baynunk et qui constitue
Le fondement de leur empire jusqu’à la disparition de celui-ci au 18ème
siècle (BROOKS, n.d., MARK, 1985).

1 4 0
Tout comme les Baynunk;
les groupes Mandinguc et i3alant qui pénétrent
en Moyenne Casamance autour du 14ème et du 15ème siècle respectivement (DIAW,
1985 : 74-76) restent à l’écart des activités halieuéiques dans lesquelles
ils ne s’intégrent de façon significative que tardivement, dans la deuxième
moitié du siècle présent.
La pénétration BaZant qui prend sa source dans la zone s’étendant entre
le Rio Cacheu et le Géba-corubal en Guinée Bissau, s’est effectuéeen Casa-
mance dans le sens de l’orientation des marigots qui irriguent le Balanta-
kunda, puis le long du cours de l’estuaire casamançais. Ce schéma d’implan-
tation le long de l’estuaire et des marigots est globalement le même en ce
qui concerne les mandingue.
Jusqu’au
mili.eu des années 60 et malgré
le témoignage de GRWEL (1907 : 123) qui fait. état brièvement de la pratique
de la pêche par certaines populations mandingue de Moyenne Casamance, il
n’est enregistré dans cette région “aucune forme notable ou originale d’ex-
ploitation des eaux de la Casamance et du Soungrougrou qui ont pourtant les
apparences de véritables viviers à poisson. ,Vanding et BaZant, originaires
de régions où la pêche est une activité réservée à des groupes spécialisés
(par exemple Bozo et Somono de la vallée du Niger)1 ne s’intéressent pas à
la pêche et n’ont aucune compétence dans ce domaine. Les seules prises que
nous avons vu faire par de jeunes BaZant, sont celles de poissons flêchés à
l’arc à partir d’arbres surplombant la rivière!” ( PELISSIER, 1966 : 619).
Sur le terrain, comme dans les riches traditions orales manding,on ne
trouve en effet aucune témoignage, aucune technique qui aurait pu indiquer
une implication de ces populati;ns dans la pêche avant le 20e siècle. ‘De
surcroît,
toutes les informations recueillies auprès des paysans pêcheurs
bkuzding et BaZant de Moyenne Casamance montrent que ceux-ci ont en général
appris à pêcher sur place ou au cours de migrations en Casamance qui ne
remontent pas au-delà du siècle présent.
2 . PECHE ET TECHNOLOGIE DE LA PECHE EN MILLEU JOOLA PRECOLONIAL
Une croyance tenace persiste à présenter les jooita de Basse Casamance
comme des non-pêcheurs. Cette croyance n’est pas historiquement fondée,
comme l’atteste la profusion extraordinaire d’engins et de techniques de
pêche jooZa et leur adaptation à un milieu estuarien soumis aux balance-
ments de marées.
Jusqu’à la fin du 19ème siècle, les populations jooLa, qui ne s’aventu-
rent cependant pas en mer, sont les seules à exploiter les eaux casamançai-
ses de façon significative. Elles le font dans le cadre d’une économie domes-
tique marquée par le choix productif fondamental de la civilisation ;ooZa
pour la riziculture, et étroitement dépendant, de ce fait, du calendrier
rizicole et des techniques de mise en valeur des rizières. Il existe au moins
une quinzaine d’engins et de techniques de pêche utilisés traditionnellement
par les pêcheurs joola et qui peuvent être classés en six types : les nasses,
1. En réalité les BaZant ainsi que la fraction Kc&unk& et Mayink& du peuple-
ment mandingue, ne viennent pas de la vallée du Niger, mais de la Guinée-
Bissau. Contrairement au Mande historique (le Tilibo) dans lequel les pêcheurs
Somono forment une caste spécialisée qui participe à l’organisation économi-
que de l’appareil d’Etat, on ne retrouve aucune caste de pêcheur dans le
Kaabu d’où sont venus les premiers migrants rnmdingur~~ en Casamance.

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les bassins, les filets, les engins de jet, les paniers et accessoires et les
palissades et barrages - pièges. Ces engins ont déjà été décrits (DIA~, 1985 :
81-87) et leurs caractéristiques peuvent etre brièvement résumées ici :
- Les nasses, parmi lesquelles on peut distinguer trois types
: l e esif,
le kaZakan et le fukuren sont une technologie qui peut être utilisée dans
les petits marigots mais qui est surtout associée 2 l’exploitation des bassins
piscicoles dans le cadre de pêches individuelles ou collectives. D’un usage
beaucoup moins répandu aujourd’hui, les nasses sont en général associées à
l’exploitation des viviers à poisson (kanala).
- Les kanala (fig. 1) sont des périmètres défrichés, protégés par des
digues mais non cultivés et dont l’une des fonctions est de protéger les rizi-
ères de la pénétration des eaux salées, Les kanala sont fermés pendant toute
une période de l’année à l’aide de drains et de bouchons en rôniers, afin de
pièger les poissons dont la pêche (jarawl est faite à l’aide de nasses (fuku-
ren) en particulier (CORMIER, 1985).
- Les paniers : il en existe plusieurs types souvent utilisés dans la
pêche au barrage ou à la palissade. Le erorin et le jatox par exemple pour
vider l’eau des rivière ou des mares retenue par un petit barrage, ou encore
le kati,to utilisé dans la pêche à la palissade (fig. 1).
- L e s f i l e t s : on peut y inclure le “kanëbum”, constitué d’un cercle de
bois léger auquel est fixé un filet formant panier. Le même instrument, mais
plus petit et pourvu d’une manche, constitue l’épuisette joola. Le funëbm
est un autre filet fait de petifes mailles en fibres de baobab et formant une
poche fixée à deux bâtons. Le futeng enfin, est un filet circulaire se fermant
à l’aide d’une corde enfilée sur le pourtour de l’engin. Cette pêche se prati-
que à l’aide d’un appât (fig. 2).
- La pêche au harpon (déboitable ou non, fujomb et fucwn) et à l’arc
sont des techniques au principe actif qui ont dû être utilisées très tôt par
les joola et qui ont aujourd’hui disparu. Le harpon jooZa pouvait prendre la
forme d’un trident, d’un harpon à cinq dents ou d’une lance de pêche à pointe
déboitable (fig. 2).
- Les barrages et les palissades piège (fig. 3): généralement connus sous
la dénomination de kaya, terme dont l’origine semble totalement artificielle,
ce groupe est constitué de deux types distincts :
- le barrage, japang est un piège amovible qui est relevé toutes les 24
à 36 heures. Il est supporté par des piquets (suZZoy) en forme de V à l’ex-
trêmité duquel se trouve la chambre de capture.
se .-~fyWyy Par. contre’ est un enclos semi-ouvert où le poisson vient
a 1 interleur de chambres de capture dont le nombre est variable.
A la différence du japang,le fungaam est un piège fixe permanent ou semi-
permanent fondé sur l’appropriation du plan d’eau occupé, selon un système
de tenure unique en Casamance. Ces plans d’eau appartiennent à des terroirs
précis, mais l’appropriation est individualisée par la pose de l’engin et est
. . .
transmissible par héritage. Il est la seule forme de pêche sur laquelle est
projetée la réalité foncière de la société joola : “le fungaam est une
rizière”. Caractérisés par leur survivance remarquable jusque dans cette fin
du 20ème siècle, le Fungawn et le Japang sont ‘tous deux fondés sur l’utilisa-
tion des balancements de marée et donnent lieu à des migrations sur une grande
partie de l’estuaire.
Il est difficile de dater l’apparition respective des différents types de
pêche ,joola et de déterminer ceux qui ont pu avoir été amenés en Casamance
lors de la pénétration de ce groupe dans la région et ceux qui auraient pû
avoir été créés et développés sur place. Leur similitude avec les engins que
1’ on trouve
au Salum, dans le Golfe de Guinée (DIAW, 1985 b) et jusqu’en

- Le “ESiF”.
- --..--
LES NASSES
b o i s d e man-
- Le “funum
- ..-_-
BOLON
Terre ,nlcin
I-T ci .
l . -

14 3
- Un "Futeng", refermé (Elana)
!C
haroon débatablc
FIG. L.- Technologica (!ts 1~ p6ctle ,311 nlilieu joola

- ~II t y p e d e japang.
Chambre de captures
p é c h e u r
chambre
~,,~~z,am “ s t a n d a r d ”

1 4 5
Afrique Centrale, au Zaïre, est toutefois frappante. Il est en tout cas certain
qu’au moment de leur implantation sur la rive sud de la Casamance, les joola
et parmi eux ceux des villages de mangrove avaient déjà l’expérience de la plu-
part de ces types de pêche dont on trouve les rér>liques fidèles en Guinée-Bissau.
Des villages de mangrove comme Batingeer et Elubalir par exemple, sont du même
type qti’un village comme kbanen Guinée Bissau. Dans de tels villages, les
principe du barrage sont appliqués à l’irttérieur même des concessions, placées
sur des espaces relativement surélevés et entourées de S@ang(l) et que l’on
ferme à marée basse.
Pendant toute la période antérieure 8 la fin du 19ème siècle, les joola
sont ainsi les seuls à développer une technologie de pêche en Casamance. Par
leurs migrations dans la région, ils contribuent vraisemblablement à étendre
l’aire de pratique de la pêche à la plus grande partie de la Basse Casamance
et même en Moyenne Casamance où on trouve aujourd’hui de rares Plots de familles
JooZa-Ban,jaZ qui y ont apporté la technologie du barrage par exemple (Buno,
Jafaar-Duma . ..). Lorsqu’ils traversent le fleuve pour s’installer dans le Buluf
(Conk-Essil, Mlomp.. . .), au 17e siècle probablement (DIAW, 1985 ; MARK, 1985)
la plupart des groupes de migrants sont poussés par la pression foncière mais
aussi par
le besoin de zones de pêche favorables. Cette préoccupation n’est
pas totalement absente des mouvements migratoires qui se feront à la suite
vers l’ouest (Karon) et vers l’est en direction du Sungrugru.
La pratique de la pêche à cette époque pré-marchande, pré-coloniale, est
insérée dans le cadre des rappgrts de production domestiques. Les rapports
d’échange sont fondés sur le troc , pratiqué encore longtemps après le début du
20ème siècle, et le poisson est échangé contre du riz, du sel ou des animaux
domes tiques,
Durant toute cette période, les joo&:, uniquement dotés de leurs pirogues
busanu, restent confinés dans l’économie estuarienne et ne développent pas
d’expérience maritime. La pêche en mer ne fait son apparition qu’au 20e siècle,
période de bouleversement
et de mutations profondes dans l’économie halieutique,
qui voit également le développement d’une exploitation de plus en plus intense
des ressources de l’estuaire sous l’impulsion de pêcheurs allogènes venant du
Nord et de l’Est.
3 . LA FIN DU 19e SIECLE ET L'AVANT GUERRE :
UNE ERE DE BOULEVERSEMENT
Le 19e siècle marque un tournant décisif dans l’économie de la société
casamançaise et crée les conditions des bouleversements qui vont affecter le
secteur de la pêche.
(1) S@-mg = pluriel de épang. Le épang est la pièce constitutive élémentaire
d’un barrage qui est constitué d’une série de sipang (voir fig. 1).

1 4 6
A cette période, la Casamance entre déjà de façon significative dans
l’économie de traite. La première maison de commerce s’y installe en 1860.
Seju et Kolda, d’où partent des chalands remplis d’arachide ainsi que Ziguin-
char où les maisons de commerce ont leurs comptoirs principaux, voient leur
population augmenter. Le développement de la monnaie va de pair avec le dé-
veloppement des marchés q En 1908, plus de 260 compagnies vivent de l’exporta-
tion du caoutchouc et de l’arachide et diffusent au sein de la population
les produits d’origine européenne (tissus, poudre, armes, tabac, sucre, riz,
alcool . ..). Tandis qu’en Basse Casamance, l’impôt se paie encore en nature
(boeufs, riz, mil, caoutchouc) en 1906, en Moyenne Casamance les populations
tiennent déjà à être payées en espèce (ROCHE, 1974 : 436, 438).
Drainés par ces pôles de “croissance” qui sont aussi des zones de transit
vers le bassin arachidier et le Cap-Vert, véritables centres de gravite de
l’économie coloniale, des populations migrantes en nombre toujours croissant
convergent en Casamance.
Attirée par les possibilités offertes par le petit. commerce et le désé-
quilibre marché du travail/besoins en main d’oeuvre, une immigration Pt?l
part du Futa Jalon pour la Moyenne Casamance, Quittant les districtscôtiers
à forte densité de population situés entre la frontière et la région de Bissau,
des populations Manjtzk pénétrent au Balantakuncla “sur les traces des colonnes
françaises pour pratiquer la saignée des lianes de caoNutchouc” et refluent
ensuite vers Ziguinchor, à la disparition de cette économie en 1910 (RELIS-
SIER, 1966, 610 - 614). Ils s’orientent plus tard vers le Buje, le Balmadu,
le Jasin où ils créent des îlots de peuplement. Généralement associée à
l’immigration Manjak
à cause de leur parenté linguistique et culturelle,
des ï%nkan, dont l’immigration est à la fois plus tard.ive et moins massive,
quittent la Guinée Bissau pour les environs de Ziguinchor.
Enfin, une immigration Balant: et surtout Mandingue, de “2e génération”
prenant ses origines au Kaabu et au Wooy en Guinée-Bissau, se dirige vers la
Moyenne Casamance où elle modifie profondément les rapports démographiques
en renforç.ant notamment le peuplement mandinguc? ancien.
Distinctes des précédentes par leur origine, plusieurs vagues migratoires
prenant leurs sources au Mord de la Gambie, parti.cipen.t également aux change-
ments amorcés pendant le 19e siècle. Ces migrations ont pris trois formes
principales :
- ,Dès le milieu du 19e siècle, des populat.i.ons tioZof originaires de Saint-
Louis, viennent à bord des bateaux français OU ils sont engagés comme laptots
ou manoeuvres, Ces populations s’installent d’abord en Basse Casamance (Kara-
ban, Elinkin,,.) avant de progresser vers la Moyenne Casamance(l).
- A peu près à la même époque, des familles du Bawol et du Siin viennent
en petit nombre s’installer en Moyenne Casamance. A Mangakunda par exemple,
ils sont les premiers à s’installer à côté des premiers occupants Baynzdnnk.
- Enfin, des pêcheurs migrants professionnels (Nyominka, Lebu, Get-ndariens,
puis Waalo-Waalo et Tukulër) commencent dès la fin du 19e siècle à effectuer
des campagnes de pêche saisonnières dans la région et apportent avec eux les
éléments de la révolution technologique qui va modifier radicalement la physio-
nomie de la pêche en Casamance.
(1) Dès 1850, HECQUART rapportequ’un captif de Saint-Louis y installe un
comptoir de traite d’arachide et y construit une goellette de 50 tonneaux
pour le transport de commerce.

E
L
a
FIG.4.- La Casamance au 19ème siècle
GUIWEE
BISSAU
IYIG. 5.
1~s principales ethnies casamancaises au 20ème siècle

1 4 8
Les mutations technologiques avant la IIe guerre
,_..~---
Les pêcheurs maritimes lebu, Nyominka, Get-Ndarieas sont les premiers à
venir en Basse comme en Moyenne Casamance
pour y introduire des techniques
nouvelles d'exploitation du milieu halieutique.
Dans les années 1880 au plus tard, la présence de pêcheurs Lt?bu est
attestée dans le Buluf où ils sont les premiers à. y initier les populations
locales au maniement de l'épervier, Avec les pêcheurs joolu, ils sont,au début
du siècle, les principaux fournisseurs du marché de Ziguinchor et des villages
riverains de Basse Casamance (GRWEL, 1907 : 123) e Des saisonniers Get-Ndariens
sont peut-être déjà présents en Casamance à cette époque, mais leur influence
sur les mutations technologiques qui se dessinent n'est pas nette.
A partir du début du 20e siècle, les pêcheurs J+wiYzka, qui commencent à
développer des migrations de longue distance,
font à leur tour apparition en
Basse Casamance estuarienne. Leur influence est alors décisive dans le déve-
loppement de la technique de l'épervier, dans le Buluf en particulier.
En Xoyenne Cas amante , encore plus qu’en Basse Casamance, le développement
de la pêche au début du siècle est également tributaire de l’influence de ces
migrants.
Les pêcheurs Get-Ndariens et Nyominka, préparés par le caractère dual de
l’économie halieutique (maritime et fluviale ; maritime et estuarienne) de
leurs régions d'origine, jouent un rôle prépondérant dans ce développement.
Comme en Basse Casamance, les flyominka introduisent l’épervier qui ne
précède pas cependant de beaucoup l'apparition d'autres engins de pêche. Dès
la première guerre en effet, les Get-Ndariens introduisent le filet dormant
à capitaines dans les villages limitrophes du Balantakunda où ils viennent
en campagne de pêche. Ces migrations restent significatives pendant une ving-
taine d'années jusqu'à la 2e guerre mondiale, période à partir de laquelle
les Get-Ndariens se retirent de la pêche estuarienne casamançaise. Ils sont
à cette époque présents en Guinée, où ils sont les fournisseurs quasi-exclusifs
du marché de Conakry et vont même jusqu'en Sierra Léone.
Dans les années 30, le filet maillant (J%Z&J?éZé malien) qui est vraisem-
blablement le premier filet dérivant à être utilisé en Casamance, est intro-
duit par des pêcheurs venant, cette fois, de l’Est : les pêcheurs somono dont
le rôle est particulièrement actif à cette époque. Les Somo?w réalisent l'es-
sentiel de leurs migrations entre 1930 et 1950 et se sédentarisent dans les
villages de Moyenne, et même de Basse Casamance (Bode), où ils forment de
petites unités familiales distinctes.
4 . LE BOND DE L'APRES-GUERRE ET LE D:EVELOPPEMENT
DE L'ECONOMIE MARCHANDE
La période d'bprès-guerre marque l'accélération des transformations
sociales, économiques et technologiques dans la pêche en Moyenne Casamance qui
est le point focal des mutations qui s’opèrent dans la région. Il marque
également les débuts d’une p$che maritime saisonnière animée par les pêcheurs
Get-Ndariens et Lebzi.
La fin des années 40 et le début des années 50 correspondent à l’appari-
tion des pêcheurs de la vallée du Fleuve Sénégal (Tuku1ër puis wcrah-waalo) en
Casamance. Ces deux vagues migratrices coïncident avec le développement, 2
partir de 1948, d'une industrie florissante de transformation et de commercia-
lisation du poisson fumé, orientée vers la Guinée.

149
Basée entre Fanda, à l’Est de Ziguinchor, et Niafor dans le Balantakunda,
cette industrie va susciter des activités intenses de pêche et d’échange,
jusqu’à la fermeture de la frontière sénégalo-guinéenne en 1958. Elle encou-
rage le développement de l’immigration de pêche, mais aussi l’insertion de
nouvelles catégories sociales (transformateurs Susu et commerçants P&!Z,
MaZinke et JuZo ou Jaxanke dans une économie estuarienne en expansion).
La disparition de l’industrie du poisson fumé n’entraîne cependant pas
un arrêt de l’immigration HaaZ-puZaczr(l) en Casamance, car elle n’en etait
pas la cause immédiate. Les premiers migrants tukuZ&, en effet, viennent
d’abord en Casamance pour s’y procurer des pirogues faites d’espèces abon-
dantes en Casamance comme le caïlcédrat. Ayant effectué le voyage à pied, ils
restent sur place deux à trois saisons avant de retourner au Futa avec des
économies ainsi qu’au moins une pirogue transportée par bateau jusqu’a
Dakar, par train de Dakar à Saint-Louis où celle-ci est mise à l’eau pour
rentrer au village.
Comme les premiers pêcheurs waalo-waaZo, le premier type de pêche prati-
qué par les pêcheurs subaZbe(2) en Casamance est la pêche au harpon utilisé
pour chasser le crocodile (recherché pour sa peau) et le lamantin (dont la
chair est prisée).
Cependant, c’est par la diffusion active des modèles de filets dé,rivants
de surface en usage dans la vallée du fleuve, que les SubaZbe vont marquer
de façon décisive la physionomie de la pêche estuarienne. Les félé-félé à
trachyno te, à ethmalose, à mule& et à tilapie sont ainsi introduits dans le
Balantakunda et même le Buluf où ils sont présents, à Conk-Esil et a Tenduk,
dès 1953.
La diffusion de ce modèle de féZé-féZé coïncide avec le développement
d’un autre type de pêche, la pêche à la senne de plage. Malgré l’antériorité
Vgominku dans l’estuaire et la spécialisation de ceux-ci dans la pêche à la
serine) c’est aux pêcheurs woZof originaires de Gaya et de Jawaar dans le
waalo (Bas Fleuve Sénégal), que revient incontestablement la paternite de la
diffusion de ce type de pêche en Moyenne Casamance. Les premiers pêcheurs de
senne WaZo-waalo viennent en Casamance en 1951 et s’installent d’abord sur
les rives du Sungrugru. Ils sont progressivement rejoints par d’autres pê-
cheurs waalo-z(naalo et l’aire d’activité s’étend rapidement. Avec les pêcheurs
tukutër, ils contribuent à faire de Gudomp, qui au sortir de la.IIe guerre
est encore un centre de pêche insignifiant, le premier centre de pêche de la
région avec Ziguinchor. En 1960, Gudomp, ‘qui est un point important de l’éco-
nomie de traite depuis longtemps, est un gros village où l’on trouve près de
60 concessions de pêcheurs et où la “petite pêche” a lieu toute l’année dans
un rayon de 2 à 3 km, La motorisation y fait ses débuts et sert de base au
déplacement sur près de 40 à 50 km des pêcheurs professionnels qui vont vers
Adéan ou le Sungrugru. En 1962, l’école de pêche Emile Badiane est créée à
Gudomp .
Jusqu’en 1976, la pêche à la serine est saisonnière pour l’essentiel.
Fabriqués à partir de bobines sola (lin o’u coton) les filets ont en effet
tendance à pourrir en hivernage et doivent être alors remises. Ceci oblige les
pêcheurs de sennes à se reconvertir au télé-féZé en hivernage ou à aller re-
joindre les unités waalo-waaZo de la Petite Côte.
( P ) “HaaZ F-uZaar” : Synonyme de tukuZ& - pl. = Huai? pulaareex
(2) SubaZbe : Caste des pêcheurs Huai?-Pulaar - Sg. = cuba20

150
Avec la généralisation tardive du fil de nylon introduit entre 1971 et
1973, la pêche à la senne devient techniquement possible tout le long de
l’année et une nette tendance à la sédentarisation des waa?.o-waalo se déve-
loppe.
A ce moment, un facteur nouveau a,depuis 16 ans déjà, modifié les con-
ditions globales de la pêche. En eftet, l’expansion rapide de la pêche crevet-
tière à partir de 1960 est une source de grands bouleversements. Avant cette
époque seule une pêche “primitive” au Killi
ou Laaw Xuus est pratiquée
occasionnellement tandis que le pot de 500 g de crevettes est vendu à 15 ou
20 francs aux acheteurs européens. A partir de l’installation entre 1950 et
1961 de trois sociétés européennes, l’économie crevett:ière prend rapidement
le pas sur toutes les autres formes de production halieutique. Les pêcheurs
Subaiibs se reconvertissent massivement à la pêche crevettière tandis que
s’organisent des réseaux actifs dont les objectifs sont d’encourager une
immigration toujours plus importante et d’organiser les structures d’accueil
des groupes familiaux venant du Futa. Le nouveau secteur s’organise autour
d’un complexe mettant en jeu usiniers, “ramasseurs” et: pêcheurs. Les rapports
domestiques qui régissent la sphère de production directe sont articulés et
subordonnés aux rapports marchands qui lient celle-ci à la production des
us ines. Les intermédiaires tukulër passent progressivement d’un rôle de mare-
yeurs à un rôle de “ramasseurs” et de “chefs de balance” et les usines pré-
fèrent traiter avec eux. Ces ramasseurs sont ceux qui organisent le rabattage
jusqu’au Futa, VAN CHI BONNARDEL (1970) et DE JONGE (1980) ont abondamment
décrit ce système et les rapports conflictuels regissant les relations entre
ces trois groupes d’intérêt (voir aussi DIAW, 1985).
A partir de 1978, les “ramasseurs” qui, malgré leur position privilégiée,ne
se sont jamais constitués une assise financière autonome, sont supplantés
par la création de la SEFCA dont le rôle est de réguler la commercialisation
dans le secteur.
Ziguinchor, qui passe d’un petit bourg Baynunk de 800 habitants au début
du siècle à 32.000 habitants en 1960 et 70.000 habitants en 1975, est le
centre de gravité de la pêche crevettière et de la pêche tout court. Par ail-
leurs, l’extension de la zone légale de pêche crevettière à Gudomp en 1979
entraîne le déclin de ce village en tant que centre de pêche au poisson et sa
transformation en tant que centre de pêche crevettière.
Lieu principal de pénétration des rapports de production capitalistes
dans la pêche, l’économie crevettière est ainsi un facteur puissant de destruc-
turation et de restructuration de la pêche. Elle attire un nombre croissant
de pêcheurs de poissons et accentue les conflits entre pêcheurs... L’évolution
récente des conditions environnementales en Casamance montre sa vulnérabilité.
L’hivernage catastrophique de 1983, la chute brutale de la production et la
fermeture temporaire des usines l’année suivante, entraîne la dislocation de
familles entières qui vont “tenter leur chance” ailleurs, notamment en Gambie,
en Guinée-Bissau et aussi en France, au Gabon, en Côte d’ivoire. Une pluvio-
mètrie plus favorable depuis 84 a certes entraîné une reprise, mais les incer-
titudes qui règnent encore peuvent être lourdes de conséquence pour les commu-
nautés dont l’économie repose sur ce type de pêche.

C O N C L U S I O N
De la "lecture" du processus historique d'émergence des formes de pêche
actuelles en Casamance, il est possible de tirer plusieurs enseignements de
portée générale.
11 ressort en particulier que le développement de la pêche est indisso-
ciable de la mise en place des formations sociales de la région ainsi que des
stratégies productives que celles-ci ont élaborées.
Dans ce processus, les pêcheurs-paysans jooZa de Basse Casamance, mais
surtout les pêcheurs professionnels originaires du Sénégal tekrurien et du
tilibo dans le Mande historique, jouent un rôle déterminant.
Dans le cadre du développement d'une économie de marché, marquée par
l'apparition d'unités industrielles de type capitaliste et de.produits
manufacturés importés, ces derniers sont à la base de l'avênement d'une petite
production marchande en expansion, de la diffusion de modèles teahnologiques
nouveaux, de la motorisation et du développement de la pêche en mer.
L'estuaire, encore largement sous-développé au début du siècle est
désormais un lieu où la compétition pour la ressource met en rapport des
technologies variées, des communautés diverses et des populations de plus en
plus nombreuses. Le schéma d'émergence et de cristallisation des enjeux fon-
damentaux de notre époque est définitivement établi.
.
B I B L I O G R A P H I E
BROOKS (G.E.), n.d.- Western Africa to 1960 A.D. A provisional historical
schema based on climate periode. In Diana University, USA, 171 p,
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DIAW (M,C,), 1985.- Formes d'exploitation du milieu, communautés humaines
et rapports de production. Première approche dans l'étude des systèmes
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Cayor à la Casamance. Imprimerie Fabrègue, St Yrieix, France.
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1920). Université de Lille II, Lille.
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Basse Casamance :: la crevette de Ziguinchor. Bull-Ifan, Série B, 321 (3) :
-
-
819-844.
D I S C U S S I O N
FOSST : Quelles ont été les différentes modifications apportées par la motcr-
risation ?
SAMBA : La motorisation a permis l'accès à des zones éloignées et a favori-
sé les mouvements migratoires des pecheurs. Il faut noter que la motori-
sation est faible en estuaire,
C. DIAW : La motorisation a été à l'origine de l'extension de l'aire de pê-
che, mais pour analyser son poids en termes réels il faudrait l'intégrer
à l'analyse des unités de pêche car il y a beaucoup de facteurs qui font
que la motorisation n'est pas nécessairement synonyme de rentabilité
pour l'unité de pêche.
SAMBA : En fonction des discussions précédentes sur l'évolution de la faune
en Casamance et avec la présence constatée de trachinotes dans certaines
régions de la Casamance, il serait très intéressant pour les études ul-
térieures de resituer l'usage des engins de pêche dans le contexte his-
torique.
NDIAYE : Y a-t-il une tendance des pêcheurs
à abandonner les bolons pour
la pêche en mer en raison de la péjoration des conditions environnemen-
tales précédemment soulignée ?
C. DIAW : Il ne s'agit pas d'un phénomène général mais il y a des cas ponc-
tuels : pêcheurs socé à Kafountine, pêcheurs de Thionk-Essil. Les projets
de développement tendent à encourager cette tendance.