LA P Ê C H E C R E V E T T I È R E D A N S L...
LA P Ê C H E C R E V E T T I È R E D A N S L ’ E S T U A I R E
D E L A C A S A M A N C E E N 1984
L. ii. RESTE "! et :CI. ODINETL ('1
A V E R T I S S E M E N T
Il est souvent fait grief aux chercheurs de déployer peu d'efforts pour
communiquer leurs résultats aux responsables politiques, administratifs et
économiques.
En fait les chercheurs sont soucieux de faire con&trcleurs travaux
mai:? ils savent combien il est difficile de dégager des lois, notamment
dans les domaines de la biologie et de l'écologie où les phénomènes sont
extrêmement complexes. Aussi sont-ils très prudents et cherchent-ils 2
accumuler les preuves avant de publier leurs résultats et surtout avant de
les diffuser aux utilisateurs potentiels.
Mais alors bien souvent ces résultats arrivent trop tard pour être
utilement exploités par les décideurs qui, pressés par l'événement, doivent
agir avec rapidité.
Un moyen de résoudre en partie le dilemme sûreté-rapidité des diagnr-s-
tics consiste à communiquer, à côté d'articles de fond solidement étayés,
des notes d'information où les faits sont analysés et interprétés rapide-
ment et l'évolution de la situation à ëct\\6ance de quelques mois estimee.
Ces notes, si elles ne présentent pas les garanties d'un travail 1ongue;iient
polic6 , ont du moins l'avantage de fournir aux décideurs l'avis du
scientifique en temps réel.
C'est à cette deuxième catégorie de documents que se réfère le présent
travail.
I N T R O D U C T I O N
La pêche crevettière artisanale est un élément fondamental de l'économie
casamânçaise. Or la pêcherie subit actuellement de plein fouet les conséquen-
ces de la sécheresse qui sévit depuis une quinzaine d'année au Sahel et dont
seule l'agriculture avait eu à pâtir jusqu'ici.
Pour apprécier les relations de cause à effet existant entre le climat
et les captures de crevettes il est nécessaire de dire quelques mots de la
biologie et de l'écologie de ces dernières.
Les crevettes se reproduisent en mer, dans la région du Cap Roxo et des
Iles Bissagos. Les postlarves, mesurant environ 1 cm, sont entrainées par les
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-
(1) Biolof;istes des pêches de 1'ORSTOM en fonction au CRODT/ISRA.
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2
courants de marée dans les estuaires de la région, notamment dans celui de la
Casamance. Ces crevettes restent dans les estuaires, où elles grandissent
rapidement, tant que les conditions environnementales leur conviennent. Un
des paramètres auxquels elles sont le plus sensibles est la salinité qui ne
doit être ni trop faible, ni trop forte.
Dans l’estuaire la salinité est bien entendu conditionnée par la plu-
viométrie.
Lorsque cette dernière était forte - 1500 mm en moyenne au niveau
de Ziguinchor - la salinité dans l’estuaire était relativement basse et les
crevettes, dès qu’elles atteignaient une dizaine de centimètres, retournaient
vers la mer. A partir des années 70 le déficit pluviométrique s’est accompa-
gné d’une augmentation de salinité et les crevettes, trouvant dans l’estuaire
une salinité proche de l’eau de mer, y restaient beaucoup plus longtemps
qu’auparavant ce qui était naturellement bénéfique pour les pêcheurs casaman-
çais. Aussi, pendant une douzaine d’années, entre 1968 et 1981, moins il
pleuvait et plus les captures dans l’estuaire étaient abondantes.
Mais depuis 1982 la salinité est devenue tellement élevée que les cre-
vettes tendent à retourner vers la mer à une petite taille.
Nous allons présenter ici les résultats les plus récents obtenus par le
CRODT et essayer de prévoir ce que pourrait être la pêche d’ici la fin de
l’année 1984.
1 .
S I T U A T I O N
E N V I R O N N E M E N T A L E
EN
N O V E M B R E
1 9 8 3
Nous reprendrons ici les termes d’une note que nous avions diffusée en
novembre 1983.
La mission effectuée en Casamance par le CRODT du 3 au 5 novembre 1983
a permis de mettre en évidence une situation environnementale extrêmement
grave, à savoir une augmentation catastrophique de la salinité.
Nous avons noté en surface, dans au moins un mètre d’eau (mesures au
réfractomètre) :
- Pointe Saint Georges
: 37 %o
- Zi guincher
44 20
- Tambakoumba
49 20
- Goudomp
52 %o
- Diattakounda
54 %,
Ainsi, pour la première fois deDuis que des mesures de salinitC sontrealisées
en Casamance (une vingtaine d’années) (fig. 2) et probablement pour la première
fois depuis le début du siècle si on se réfère aux données pluviométriques,
un double fait est constaté en fin de saison des pluies :
- Une salinité supérieure à celle de l’eau de mer ( z 35 X0> en tous
points de la Casamance.
7 Un gradient de salinité croissant de l’aval vers l’amont.
C’est une situation qui, jusqu’à présent, ne s’était rencontrée qu’en
saison sèche. La salinité va maintenant continuer à augmenter jusqu’à la fin
de ?.a saison sèche (fin juin - début juillet). Jusqu’à quelles valeurs ?
Si on se .réfère aux augmentations observées entre la fin de 1.a saison
des pluies de 1982 et la fin de saison sèche de 1983, la réponse est très
inquiétante. Les augmentations étaient croissantes de l’aval vers l’amont
et se situaient entre 9 ZO à la Pointe Saint Georges et 31 ZO à Diattakounda.
Ce qui nous donnerait donc pour juin 1984 des valeurs se situant entre 46 %,
à la Pointe Saint Georges et 85 %, à Diattakounda. Il s’agit là de valeurs
extrêmes mais la salinité, de toute manière, sera exceptionnellement élevée.

3
Il est certain que ces augmentations de salinité auront des répercus-
sions sur la faune : fuite vers la mer de certaines espèces, ralentissement
de la croissance et augmentation de la mortalité naturelle pour d‘autres.
Pour les crevettes, il est très probable que les six premiers mois de 1984
les résultats seront médiocres en quantité (diminution du tonnage) et en
qualite (diminution de la taille).
2 .
S I T U A T I O N D E
L A
P E C H E R I E
E N
A V R I L
9 8 4
Nos craintes de novembre 1983 n'étaient
que trop fondées puisque,
deviant la médiocrité des captures en quantité et en qualité, les deux usines
qui traitaient la crevette à Ziguinchor ont fermé en février. Une partie des
pêcheurs continuent malgré tout leur activité, les crevettes étant vendues à
bas prix à Zinuinchor et à quelques mareyeurs qui commercialisent le produit
à Dakar.
Entre le 8 et le 13 avril nous avons réalisé des pêches expérimentales
2 la Pointe Saint Georges. Ziguinchor.
Tambakoumba, Goudomp et Diattakounda.
NotIt+ avons mesuré la longueur céphalothoracique des crevettes pêchées. Les
résultats pour les cinq localités sont portés sur la figure 3 et dans le
tableau 1.
Tableau l.- Longueur céphalothoracique moyenne à différentes stations.
Nbre de crevettes
Longueur
Nombre de
pe"chées et mesurée cépha)mkboracique
crevettes/kg
Pointe St. George
676
19
150
Ziguinchor
701
19,l
150
Tambakoumba
838
16,4
227
Goudomp
227
15,3
334
Diattakounda
35
13,l
500
Sur la figure 4 nous avons porté la taille moyenne des crevettes pê-
chées en fin de saison humide (trait interrompu) et en fin de saison sèche
(trait plein) aux cinq localités en 1982, 1983 et 1984.
Pour s'en tenir à la saison sèch?on constate qu'en 1982 la taille des
crevettes augmentait de l'aval vers 1 amont ; en 1983 il n'y avait pas de
tendance nette ; en 1984, comme on vient de le voir, la taille diminue de
l'aval vers liamont. Entre 1982 et 1984 il y a donc eu un bouleversement
complet dans la répartition de taille des crevettes. Si elle n'a pas beau-
coup varié à la Pointe Saint Georges et à Ziguinchoro> l'augmentation de
la salinité est limitée du fait de l'influence modératrice de la mer, elle
a en revanche très nettement diminué en amont de Ziguinchor, phénomène en
rapport direct avec la sursalure, d'autant plus grande qu'on s'enfonce da-
vantage dans l'estuaire.

Bien que le nombre de pêches ait été réduit (4 à 6 pêcheurs par loca-
lité) le petit nombre de crevettes pêchées à Goudomp et surtout Di-attakounda
n’est probablement pas accidentel et doit refléter la rareté des crevettes
en amont de Tambakoumba. (tab. 1).
En conclusion, si en avril 1984 la situation est à peu près normale
dan:; la zone d,e Ziguinchor 02 les crevettes ne sont jamais très grosses,
elle s’est très sérieusement dégradée par rapport aux années précedentes à
partir de Tambakoumba : diminution très sensible de la taille des crevettes
et probablement aussi de leur abondance.
3
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1 9 8 4
3.1. FIN DE LA SAISON SECHE (mai à fin juin)
!,es auteurs qui ont étudié la question mentionnent une augmentation de
la taille des Icrevettes pêchées en Casamance d’avril-mai à juillet-août (DE
BONDY, 1968 ; LHOMME, 1979 ; LE RESTE, 1982). Mais cette année, avec une sa-
linité qui est partout supérieure à 50 %, il est exclu que la croissance
soit normale et nous ne pensons pas que la taille des crevettes puisse
augmenter sensiblement avant juillet e
3.2. PERIODE JUILLET-DECEMBRE
Les captures dépendront de la salinité elle même liée à la pluviométrie
lors de la prochaine saison humide. Nous envisagerons donc les conséquences
sur les captures de différentes hypothèses pluviométriques.
3.2.1. Captures et salinité pendant 1 ‘hivernage
-
Nous considérerons la période comprise entre 1968 et 1983 pour recher-
cher la corrélation pouvant exister entre captures et salinité. En effet,
avant 1968 les captures dépendaient largement de l’effort de pêche. A partir
de cette date variations de captures et d’effort sont devenues indépendantes
alors qu’une bonne corrélation était trouvée entre captures et variations
du milieu (LE RESTE, 1981 , 1983).
Les captures sont connues par les fiches d’achat des usines pour les
crevettes traitées à Ziguinchor et par les relevés de la DOPM pour celles
qui sont expédiées sur Dakar.
La Salinit:é de la Cnsamance peut être caractérisée par celle observée
à Ziguinchor en novembre, c’est-à-dire juste après les dernières pluies.
Malheureusement: les salini tés, pour les seize années qui nous intéressent,
sont très incomplètes. Aussi avons nous utilisé, pour estimer la salinité,
la relation trouvée par LE RESTE (1983) entre salinité et pluviosité sur le
bassin versant de la Casamance.
Les captures en fonction de la salinité à Ziguinchor en novembre sont
portées sur la figure 5. Il apparait que jusqu’à une certaine valeur de
salinité,
les captures augmentent quand la salinité augmente mais qu’au
delà les captures diminuent si la salinité continue à augmenter. Nous avons
calculé le système de droites s’ajustant au mieux aux deux groupes de points.
Les deux droites se coupent en un point correspondant à une salinité
d e 31,13 %O. (*)
(*) Les calc111 s ont été effectués nar F. LALOE à l’aide du nrogramme
CXNSTAT.

Tableau 2.- Captures escomptées en fonction de différentes valeurs de pluviométrie.
SUR LE BASSIN DE LA CASAMANCE EN 1984 (km3)
A ZIGUINCHOR (mm)
ZIGUINCHOR (X,)
ESCOMPTEES
123 = maximum
28
27
26
25
24
23
22
1 130
36
561 162
21
1 070
37
512 830
20
1 010
39
464 498
19
950
41
416 193
18
890
43
367 833
17
829
44
319 501
16
769
46
271 196
15,313293 = minimum
728
47
237 998

Si S SO, < 31,13
on a C =- 53 564 + 24 306,2
S
si s %o ;>
31,13
on a
C = 1 572 288 - 27 921,6 S
C étant le montant des captures en kg et S la salinité.
Cette loi explique 58,15 % de la variante.
3.2.2. Captures durant la période juillet-décembre 1984
-
Nous avons supposé que la quantité d’eau qui tombera sur le hassin ver-
sanr pendant la prochaine saison des pluies se situera dans la fourchette
des quantités maximale et minimale tombées ces dix dernières années.
Quantité maximale = 28,672 123 km3 en 1975
Quantité minimale = 15,313 293 km3 en 1980.
La quantité moyenne tombée durant ces dix dernières années étant de
21,29 198 km3.
Dans le tableau 2 nous avons présenté, pour dif fErentes hypothèses
pluviomf?triques, la salinité moyenne qui serait observée à Ziguinchor en
novembre et les captures calculées à 1’ aide des équations ci-dessus.
De manière à rendre plus concret notre propos nous avons par ailleurs
calculé l’équation qui relie la pluviométrie à Ziguinchor (Pz en mm) à la
cpwntiti; d’eau tombée sur le bassin versant de la Casamance (V en km3).
Pz =
- 194,72 + 60,23 V
Le tonnage maximum que l’on puisse escompter serait donc de 700 tonnes
pour une pluviométrie de 1 310 mm à Zi.guincher.
Si la pluviométrie est supérieure les captures seront plus faibles et
n’atteindront plus que 580 tonnes pour une pluviométrie de 1530 mm. Si la
pluviométrie est inférieure à 1310 mm les captures diminueront également;
ell.es ne seronl plus que de 240 tonnes pour une pluviométrie de 730 mm. En
fait on se trouverait alors dans une situation jamais observée et il n’est
pas certain que l’équation soit encore valable.
Si on se rapporte à la pluviométrie moyenne des dix dernières années
sur le bassin versant, et qui correspond à une pluviométrie moyenne de
1090 mm à Ziguinchor, les captures s’éièveraient à environ 530 tonnes .
Nous avons raisonné comme si les lois unissant salinité à pluviométrie,
captures à salinité expliquaient toute la variante. Ce n’est évidemment pas
le cas.Si la première en explique environ 85 4, la seconde, nous l’avons vu,
n’en explique que 58 % ; bien que ceci soit assez satisfaisant pour un phé-
nom2Sne écologique, une part non néali,qeable de la variante reste malgré tout
inexpliquée.
Ces prévisions sont basées par ailleurs sur l’hypothèse que le niveau
des captures ne dépendra pas de celui de l’effort de pêche ce qui suppose
un effort assez élevé, au moins égal
à celui déployé par 700 pêcheurs.
C O N C L U S I O N
Si la pluviosité est supérieure à environ 1100 mm à Ziguinchor, les
captures seront assez bonnes puisque supérieures à 530 tonnes; elles
seraient même bonnes - de l’ordre de 700 tonnes - dans le cas particulier
d’une pluviométrie proche de 1 300 mmm. Elles seraient en revanche mauvaises
si la pluviométrie à Ziguinchor devait être inférieure à 1 100 mm.
bonneQiioiqu’ il en soit, l’année 1984 aura été une mauvaise année car même
> la deuxième saison de pêche ne pourra compenser, loin s’en faut, les
résultats d&sastrzux de la première.

B I B L I O G R A P H I E
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25
Fig. 3.- Diagrammes de fréquences de taille en avril 1984.

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