L'AVENIR DES PECHES DANS LES PAYS EN VOIE DE...
L'AVENIR DES PECHES DANS LES PAYS
EN VOIE DE DEVELOPPEMENT
ET LA COOPERATION NORD-SUD
PAR
ALAIN FONTENEAU
RAPPORT INTERNE
No 23

Communication de Monsieur Alain FONTENEAU, invité
du Club de Dakar à l'exposition Océanexpo 80 -
(Bordeaux Mars SO)
L'AVENIR DES PECHES DANS LES PAYS
EN VOIE DE DEVELOPPEMENT
ET LA COOPERATION NORD SUD
Par
ALAIN FONTENEAU (1)
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INTRODUCTION
L'examen de la tendance des prises mondiales de poissons révèle
que celles-ci, #après avoir manifesté un fort taux d'accroissement de 1950
à 1970, période pendant laquelle elles sont passées de 22 à 67 millions de
tonnes, ne manifestent plus qu'un faible taux d'accroissement depuis 1977
(fig.]). Pendant la même période les moyens.mis en oeuvre pour la capture
du poisson se sont accrus et modernisés considérablement.
Quelle est la signification de ce fléchissement ?
Quel est l'avenir des pêches spécialement pour les pays en voie
de développement et, de quoi dépend cet avenir ? Ce sera le sujet de notre
exposé.
1") ELEMENTS DE BASE A LA DYNAMIQUE DES STOCKS EXPLOITES :
Pour bien comprendre ce que peut être l'avenir de la péche, il est
nécessaire de se rappeler les règles de base de la dynamique des stocks ex-
ploités :
Les figures 2 et 3 aideront à la compréhension du problème :
La figure 2 traduit l'évolution des prises en fonction de l'effort
de pêche. L'effort de pêche est constitué par l'ensemble des flottilles de
pêche ; il correspond économiquement aux "coûts" investis pour obtenir un ga in
qui sera la prise.
La figure 3 traduit pour la même pêcherie l'évolution du rendement
d'un bateau moyen en fonction du même effort de pêche (même pecherie).
(1) Chercheur ORSTOM affecté au Centre de Recherches Océanographiques de
DAKAR-THIAROYE - Institut Sénégalais de Recherches Agronomiques (ISRA)
DAKAR-SENEGAL.

Le rendement correspondra aux gains par jour de mer, donc à la rentabilité
de la pêcherie au niveau du producteur industriel.
On pourra identifier sur ces courbes trois situatians classiques
de l’halieutique :
Pêcherie A
.------m--w
: La pêcherie exploite un stock quasiment vierge 3 un bas niveau
d’effort. La prise de la pêcherie est faible mais la rentabilité est maxima-
le ; toutefois,
la rentabilité peut n’être que faible ou nulle, par exemple
pour les stocks de “bécasses” du Maroc dont les ressources sont très impor-
tantes, sans être exploitables de façon rentable à l’heure actuelle.
En général cette si.tuation est fugitive.
Pêcherie B
a - - - - - - -
: La prise est à un niveau proche du maximum de productivité du
stock. Les rendements des bateaux sont inférieurs environ de moitié aux ren-
dements initiaux de la pêcherie A.
La rentabilité devient le plus souvent faible ou nulle. Un certain
danger d’extinction accidentelle du stock commence à apparaître si des condi-
tions exceptionnelles modifient le milieu, ou si les naissances sont peu im-
portantes une année.
Pêcherie C :
---s----w-
L’accroissement de l’effort de pêche de B à C ;i pour conséquen-
ce paradoxale de diminuer la prise, ainsi bien entendu que les rendements.
Sauf exception (céphalopodes des côtes Maroc SL;négaL) l’exploitation se fait
à perte. Le risque d’effrondrement total du stock devient alors très sérieux.
Ce scénario décrit en fait la surexploitation (ou overfishing) d’un stock.
Toute politique des pêches devra donc être basée sur la connaissance de l’é-
tat du stock et de la pêcherie : A, B, ou C ?
Force est de constater que le plus souvent les pêcheries, si elles
ne sont pas aménagées, passent successivement dans les états A et B pour ter-
miner dans la situation critique C.
Quel peut être le futur des pêches dans les pays en voiede développe-
ment ? Deux scénarios pour les pêches de l’an 2 000 seront développés pour
passer en revue les futurs possibles. Le premier sera un scénario “optimiste”
dans lequel la prise de responsabilité des ressources par les pays riverains
et une exemplaire coopération Nord Sud permettront de gérer rationnellement
ces ressources.

Le deuxième scénario montrera les dangers principaux susceptibles
de ruiner les espoirs des pays en voie de développement en matière de pêche.
2) VERS LA GESTION RATIONNELLE :
L’instauration des zones économiques exclusives entraîne désormais
une responsabilité nouvelle des pays riverains, celle de gérer les ressources
nu mieux de l’intérêt des populations, tout en préservant ces ressources pour
les générations futures.
Dans notre scénario optimiste les pays du “Nord” investissent dans
Les pays du Sud pour y créer un outil de production (flottilles, ports, frigo)
moderne, tout en étant adapté aux traditions de pêche, et efficace. Les équi-
pages des pays riverains sont progressivement formés aux nouveaux outils de
production.
Une étroite coopération se fait au niveau scientifique :
Tous les pays riverains et étrangers, remettent des statistiques de
pêche précises, base de la gestion des stocks. Des chercheurs en halieutique du
Sud sont encadrés et progressivement formés à la discipline complexe de la ges-
tion des stocks.. La recherche, dotée de chercheurs compétents, est ainsi effi-
cace.
Le financement de la recherche est assuré par la redistribution d’un
certain pourcentage des bénéfices issus de la pêche , par exemple du montant des
licences de pêche des bateaux étrangers.
Des ententes régionales de pays riverains se créent en fonction de
l’identité des stocks existants et de leurs migrations, déterminees par les
scientifiques. Elles adoptent des politiques communes d’exploitation.
Les contrôles à la mer, très coûteux le plus souvent, et nécessitant
des technologies sophistiquées, sont aussi menés en étroite coopération Nord
sud. Ii e, si.:l’!. optimisés de façon à permettre une dissuasion efficace au moindre
coût.
Ces conditions permettent d’exploiter chaque ressource à un niveau
optimum :
- en contrôlant l’effort de pêche exercé sur les stocks actuellement
surexploités, ce qui augmente la prise et la rentabilité de l’exploitation , et
réduit ou supprime le danger d’extinction des stocks : passage de C à B
- en prospectant et en exploitant de nouvelles ressources : Passage
A à B.

Dans ce scénario, la prise totale des pays en voie de développe-
ment s’accroît beaucoup et les gains globaux tirés de la pêche sont consi-
dérables.
3) VERS LA GESTION ANARCHIQUE DES RESSOURCES HALIEUTIQUES
Deux types de situations peuvent se présenter :
- celles conduisant à la sous exploitation
d’une ressource :
Un certain nombre de pays du Sud peuvent être tentés de s’isoler to-
talement dans leurs frontières et de refuser toute coopération, sans être capa-
ble, financièrement et techniquement, d’exploiter leurs ressources. Le capital
“poisson” est certes préservé pour le futur, mais il reste improductif pour les
générations présentes.
- Celles conduisant à la surexploitation ou même à la disparition des
ressources : cette situation résulte directement d’un effort de pêche excessif,
souvent associé à la capture de trop jeunes individus. Cela ruine les pêcheries
locales, alors que les flottilles industrielles repartent exploiter d’autres
stocks ;’ cette surexploitation peut réduire largement, parfois totalement et
irréversiblement, les potentiels locaux de captures.
Cette situation catastrophique, tant sur le plan économique que bio-
logique, pourra résulter de divers facteurs “classiques”, agissant isolément ou
conjointement. Les causes les plus fréquentes de ces désastres sont :
- le manque de statistiques de pêche : Si les pays du Nord, ou bien
ceux du Sud, refusent, ou ne sont pas techniquement à même de tenir des statis-
tiques de pêche détaillées, toute gestion des stocks est impossible.
- le manque d’expertise scientifique et économique permettant de dé-
terminer les stratégies rationnelles d’exploitation : actuellement seuls les
pays du Nord possèdent cette expertise. La formation de jeunes chercheurs du
Sud dans cette difficile discipline est une tâche de longue haleine nécessitant
une étroite coopération scientifique, sans laquelle la gestion rationnelle des
ressources est impossible.
En outre, la recherche halieutique est une discipline coûteuse que
de nombreux pays en voie de développement auront du mal à financer à un niveau
suffisant pour qu’elle puisse être efficace.

- La complexité du problème scientifique : l’instabilité des stocks
en particulier, problème mal connu des scientifiques qui se traduit par l’ef-
frondrement brutal d’une ressource, résulte semble-t-il de la variabilité du
milieu et de la variabilité inhérente au milieu vivant.
Les interactions entre espèces exploitées simultanément dans un même
milieu restent en outre largement imprévisibles.
Il en résulte que toute stratégie d’exploitation présente une incer-
titude et un risque qui restera très longtemps difficile à chiffrer, même dans
les pays développés disposant d’un fort potentiel de recherche halieutique.
- Le manque de moyens pour contrôler les mesures de gestion : ce con-
trôle est en général complexe à organiser et coûteux. Il peut ainsi coûter beau-
coup plus cher que la pêche ne rapportera au pays ! Par contre la puissance de
pêche des flottilles industrielles modernes est telle, qu’elles sont capables
d’exterminer une ressource si leur activité n’est pas contrôlée.
- L’absence de politique de pêche au niveau national : elle conduit
le plus souvent à la domination des intérêts particuliers et à un court terme
(ceux du producteur par exemple), qui sont très souvent antagonistes des inté-
rêts collectifs et à long terme. Par exemple un producteur pourra très bien
avoir intérêt à prélever le maximum de poissons sur un stock quitte à le sur-
exploiter dangereusement, afin d’amortir rapidement son capital et d’en tirer
des bénéfices importants.
L’intérêt collectif sera d’assurer une exploitation équilibrée et prolongée
de la ressource.
- L’absence d’ententes régionales en matière de pêche : elle peut
conduire à la surexploitation ou à l’extermination d’un stock migrateur , par
exemple quand les juvéniles sont concentrés et surexploités dans la zone éco-
nomique d’un seul pays.
Les stocks migrateurs sont les plus fréquents : qu’il s’agisse de
migrations transocéaniques de thons ou de migrations côtières des sardines les
poissons ign0ren.t tout des frontières humaines. La recherche scientifique devra
donc déterminer les migrations des stocks, et les accords de pêche régionaux
s’établir en fonction de ces résultats.
Dans tous ces cas de pêcheries anarchiques, les prises régressent,
les bénéfices sont nuls pour la collectivité ; parfois même les pêcheries

devront être subventionnées par l’état pour continuer leur activité et main-
tenir un minimum d’approvisionnement sur les marchés. Cette pénurie a en outre
pour conséquence d’entraîner une flambée des prix de vente, désastreuse pour le
consommateur et pour les économies nationales.
C O N C L U S I O N
Le scénario optimiste, basé sur une étroite coopération interrégio-
nale nord et sud, semble de toute évidence être l’objectif à rechercher Yalheu-
reusement c’est le chemin le plus difficile à parcourir. En effet le scénario
optimiste est un véritable mécanisme d’horlogerie dont aucune pièce ne devra
Etre défaillante. Ainsi, chacun des pièges évoqués dansle scénario pessimiste
peut suffire à sa désastreuse réalisation.
Cette gestion rationnelle des ressources halieutiques, indispensa-
ble au développement harmonieux des pays en voie de développement, est un défi
adressé aux responsables politiques de la fin du 20 ème siècle, qu’ils appar-
tiennent aux pays développés ou à ceux en voie développement.
Seule une politique des pêches sans laxisme, en étroite coopération
Nord-Sud ;2 tous les niveaux, politique, industriel et scientifique, pourra per-
mettre de relever avec succès ce défi.

22
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1955
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A n n é e s
F i g u r e - 1 : fW3lution des pri sc;‘s ntondi.aLes
de 1950 à 1977.

Prise = g a i n s
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E f f o r t d e p ê c h e = c o û t s
Figure - 2 : II\\~~1lrit i o n de l a p r i s e e n fonction il(~ 1 ‘i?fÏort de pêcht’
pour un stock donné.
Rendement = Rentabilité
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E f f o r t = c o û t s
Figure - 3 : E v o l u t i o n d e s r e n d e m e n t s en ionct ion ~ILS 1'
pêc*he p o u r u n s t o c k d o n n é .

Probabilité d’effondrement
d u s t o c k
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
E f f o r t d e p ê c h e
F i g u r e - 4 : E v o l u t i o n d e l a probabil.ité tl’effron-
drement d’un stock c>n fonction de
l ’ e f f o r t d e p ê c h e exerc& s u r l e s t o c k .