LA P Ê C H E C R E V E T T I È R E D A N...

LA P Ê C H E C R E V E T T I È R E D A N S L ’ E S T U A I R E
D E L A C A S A M A N C E E N 1985
Louis LE RESTE ( 1)
I N T R O D U C T I O N
Comme d'autres secteurs de l'activité, la pêcherie de crevettes de
l'estuaire de la Casamance subit actuellement les effets de la sécheresse.
Le présent document, comme celui que nous avions publiés l'année
dernière à la même époque (Le Reste et Odinetz, 1984) (2) fait le point en
cette fin de saison sèche et essaye de prévoir ce que pourrait être la pê-
che d'ici la fin de l'année 1985.
Pour apprécier les relations de cause à effet existant entre le climat
et les captures de crevettes il n'est peut-être pas inutile de rappeler en
quelques mots la biologie et l'écologie de ces dernières.
Les crevettes se reproduisent en mer, dans la région du Cap Roxo et
des Iles Bissagos. Les postlarves, mesurant environ 1 cm, sont entraînées
par les courants de marée dans les estuaires de la région, notamment dans
celui de la Casamance. Ces crevettes restent dans les estuaires, où elles
grandissent rapidement, tant que les conditions environnementales leur con-
viennent. Un des paramètres auxquels elle s sont le plus sensibles est la
salinité qui ne doit être ni trop basse ni trop élevée.
Dans l'estuaire la salinité est bien entendu conditionnée par la plu-
viométrie. Lorsque cette dernière était importante la salinité dans l"estu-
aire était relativement basse et les crevettes, dès qu'elles atteignaient
une dizaine de centimètres, retournaient vers la mer. A partir des années
1970 le déficit pluviométrique s'est accompagné d'une augmentation de sali-
nité et les crevettes, trouvant dans l'estuaire une salinité proche de l'eau
de mer, y restaient plus longtemps qu'auparavant ce qui était naturellement
bénéfique pour les pêcheurs casamançais. Aussi, pendant une douzaine d’années,
(1) Biologiste des pêches de 1'ORSTOM en fonction au CRODT/ISRA.
(2) Ce document avait été présenté et commenté notamment au Gouverneur de la
Casamance, à l’Inspecteur des pêches de Ziguinchor et aux directeurs des usi-
nes SEFCA, AMERGER et SOSECHAL.

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-2-
entre 1968 et 1981, moins il pleuvait et plus les captures dans l'estuaire
étaient abondantes.
Mais depuis 1982 la salinité est devenue tellement élevée que les cre-
vettes tendent à retourner vers la mer à une petite taille. Nous sommes
ainsi dans une situation inverse de la priicédente où moins il pleut et moins
les captures sont abondantes.
1 .
S I T U A T I O N D E
L A
lb’ E C: H E Ii 1 E
E N
M A I
1 9 8 5
Les 7 et 8 mai nous avons réalisé des pêches expérimentales entre la
Pointe Saint Georges et Diattakounda (fig.
1). En même temps nous avons me-
suré la salinité à ces stations. Les valeurs de la salinité sont présentées
dans le tableau 1, les mensurations des crevettes dans le tableau 2. Dans
les deux cas nous présentons également les valeurs observées l'année der-
nière à la même époque.
Tableau 1.- Salinité au mois de mai, en 1984 et 1985.
STATION
MAI 1984 (*)
MAI 1985
S%,
S%,
-
-
Pointe Saint Georges
43
43
Ziguinchor
5.2
48
Tambakoumba
61
56
Goudomp
69
61
Diattakounda
7'7
73
(*)d'après PAGES, communication personnelle.
Tableau 2.- Mensuration des crevettes (longueur caphalothctracique) en
mai 1984 et en mai 1985.
--
--
MAI 1984
MAI l! 85
STATION
nb.crevettes lc (mm)
nb crevettes 1~ (mm)
mesurées
mesurées
-
-
-
-
- -_1_
Pointe Saint Georges
676
19
153
19,4
Ziguinchor
102
19,7
129
22,3
Tambakoumba
257
16,5
:I 70
17,8
Goudomp
38
15,8
91
15,5
Diattakounda
Absences de
crevettes
5
14,4
-
--1_v

- 3 -.
On constate que la salinité est sensiblement moins élevée en 1985 qu'en
1984, ce qui est dû à la bonne pluviométrie de la dernière saison humide.
La répartition en taille des crevettes le long de la Casamance, illus-
trée sur la figure 2, a la même allure en 1985 qu'en 1984. La taille augmen-
te depuis la Pointe Saint Georges jusqu'à Ziguinchor puis diminue ensuite
progressivement vers l'amont. A toutes les stations, sauf Goudomp, les
.
.
crevettes sont un peu plus grosses cette année ; la situation, quoique mau-
vaise, est donc moins grave qu'en 1984.
Dans le tableau 3 nous avons présenté les rendements par mouillage et
la répartition des prises par catégorie aux cinq sites, en mai 1985.
Tableau 3.- Rendement par mouillage et calibre des crevettes pêchées
en mai 1985.
PAR CATEGORI
STATION
4
3
60 à lOO/kg 40 à 60/kg
Pte St George:
2,175
53
30
14
4
Ziguinchor
0,930
21
39
35
5
Tambakoumba
1,825
71
24
5
Goudomp
0,568
92
3
5
Diattakounda
0,006
100
Nos observations font apparaître des rendements en poids assez bons
jusqu'à Tambakoumba et mauvais plus en amont. La qualité des crevettes pê-
chées suit en gros l'évolution des rendements
: passable à assez bonne à la
Pointe Saint Georges et Ziguinchor elle devient de plus en plus mauvaise
vers l'amont.
2 .
P E R S P E C T I V E S
P O U R L A
P E R I O D E
2.1. PERIODE JUIN-JUILLET
La salinité sera encore élevée pendant ces deux mois et il n'y a donc
pas d'amélioration à attendre en ce qui concerne les captures de crevettes,
aussi bien en quantité qu'en qualité.
2.2. PERIODE AOUT-DECEMBRE
Les *relations entre pluviométrie et salinité ainsi qu'entre salinité
et captures ont été étudi&sdans de préceidents documents (Le Reste, 1983 ;
Le Reste et Odinetz, 1984). Nous les avons utilisées pour calculer la sali-
nité minimale qui devrait être observée à Ziguinchor, en fin de saison des
pluies, ainsi que le tonnage de crevettes qui devrait être pêché entre août
et décembre, en fonction de différentes hypothèses concernant le volume
d'eau qui pourrait tomber sur le bassin versant de la Casamance.

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-4-
De manière à rendre plus concret notre propos nous avons calculé égale-
ment la pluviométrie à Ziguinchor pour les différentes 'nypothèses de pluvio-
métrie sur l'ensemble du bassin versant.
L'ensemble des résultats sont présentés dans le tableau 4.
Pour un volume de pluie de 28,7 km3 sur :Le bassin versant (environ 153C
mm à Ziguinchor) qui correspond à la plus forte pluvîomistrie des dix dernié-
res années, les captures seraient d'environ 460 tonnes.
Elles culmineraient vers 700 tonnes pour un volume de pluie de 23 km3
(environ 1200 mm à Ziguinchor).
Elles diminueraient ensuite pour n'atteindre que 340 tonnes pour un vo-
lume de pluie de 15,3 km3 sur le bassin (environ 730 mm à Ziguinchor) qui
correspond à la plus faible pluviométrie des dix dernières années.
Ces résultats sont illustrés sur la figure 3.
Quant à la qualité des crevettes pêchées,
elle ira de pair avec le ton-
nage pêché ; elle sera d'autant plus belle que le tonnage sera plus élevé
(en fait c'est le tonnage qui dépend de la qualité de la crevette). Vers
octobre-novembre on retrouvera vrai semblablement un gradient de taille prc-
che de celui observé en octobre 1984, la taille augmentant de la Pointe
Saint-Georges à Diattakounda (figure 2).
3 .
R E G L E M E N T A T I O N
La pêche n'est autorisée qu'entre Ziguinchor et Goudomp ; ceci, en
grande partie, pour empêcher la capture de crevettes trop petites. A la lu-
mière de ce qui vient d'être dit on se rend compte que si elle est assez bien
adaptée à une situation moyenne (globalement, c'est effectivement entre
Ziguinchor et Goudomp que sont trouvées les plus grosses, crevettes) la régie-
:mentation peut apparaître à une période donnée comme aberrante
Ainsi, par exemple, à la fin de l'annge derniiare - et la situation se
renouvellera probablement cette année - les plus grosses crevettes étaient
localisées à Diattakounda, c'est-à-dire en zone interdite. A l'inverse, en
cette fin de saison sèche, c'est, en dehors de Ziguinchor, à la Pointe Saint
Georges, donc e'ncore en zone interdite, que sont trouvées les crevettes les
plus intéressantes.
On peut comprendre alors le désarroi des pêcheurs. A priori, ils sont
tout-à-fait d'accord avec l'administration pour pêcher les plus grosses
crevettes et épargner les petites puisque les premières sont vendues beau-
coup plus cher. Or, pêchant en avril-juillet à la Pointe Saint Georges et
en septembre-décembre à Diattakounda où les crevettes sont parmi les plus
grosses, ils risqueront de voir leur production et leur matériel saisis !
Que faire pour pallier ces situations aberrantes ?
Il semble peu faisable de modifier la réglementation au gré des fluc-
tuations environnementales et des modifications de distrîbution de la popu-
lation de crevettes qui s'ensuivent. Peut-être la solution consisterait-
elle, tout en maintenant la réglementation actuelle, à faire preuve de to-
lérance contre les contrevenants lorsqu'ils opèrent dans une zone où les
crevettes sont au moins aussi grosses que dans la zone olU la p?!che est auto-
risée. Cela permettrait d'exploiter au maximum le stock estuarien.

-5-
B I B L I O G R A P H I E
LE RESTE (L.), 1983.- Etude des variations annuelles de la production de
crevettes dans l'estuaire de la Casamance (Sénégal). Dot. Scient.
Cent. Rech. Océanogr. Dakar-Thiaroye, 88 : 1-18.
LE RESTE (L.) et ODINETZ (O.), 1984.- La pêche crevettière dans l’estuaire
de la Casamance en 1984.
Arch. Cent. Rech. Océanogr. Dakar-Thiaroye,
129 : 11 p.

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-6-
Tableau 4.- Captures escomptées ent;e août et décembre en fonction de
différentes valeurs de pluviométrie sur le 'bassin versant.
. . =.
SALINITE A ZL-
HYPOTHESES DE VOLUME
PLUVIOSITE COR
CAPTURES ESCOM-
D'EATJ TOMBANT SUR LE BAS-
RESPONDANTE A
GUINCHOR(S%o)
PTEES ENTRE
!
AOUT ET DECE+ I
SIN VERSANT (km3)
ZIGUINCHOR(mm)
BRE (TONNES)
I
A
"
28,67
1 532
21 1
457
28
1 492
22,2
486
27
1 431
23,9
527
2 6
1 371
25,6
569
25
1 311
27,3
610
!
2 4
1 2.51
2:9,x
65.4
23
1 190
30,8
695
22
1 130
32,6
662
!
t
21
1 070
34,3
615
2 0
1 010
3 6
567
19
950
37,B
517
1
18
890
39,5
469
t
17
829
41,2
422
:
16
769
4 3
372
15,31
728
44,1

D i a t t a k o u n d a
P: Limites autorisées de la pbch8ri.e
Fig. 1. L'estuaire de la Casamance,
Ta i lie moyenne
Taille moyenne
L C (mm)
LC (mm)
3 0
M A I
*-* tsa4
3 0
O C T O B R E
1 9 8 4
o---.-a 1986.
2s
25
2 0
-
-
15
10
I
10
I
l
I
I
I
I
l
I
I
Pte St Geof gas
tambskaumba
Diattakounda
Pte $Georges
Tambakoumba
Diattacounda
Ziguinchor
Goudomp
Ziguinchor
Goodomp
Fig.2, Tail'ie moyenne des crevettesi longueur céphalothoraciquej le long de l'estuaire.

Prises ( tonnes )
600
500
400
300
2003
100,
vol,umy
d’yau s u r l e b a s s l n ( km3 f
0
1
1
1
I
I
1
1
1
1
1
T
29
28 2 7 26 25 24 23
2 2 2 1
20
1 9
18
17 16
15
I
8
1
I
1
1
I
1
1
1500
1400
1300
1200
1100
1000
900
800
700
Pluvlomêtrle correspondante
approximative a Zlguinchor [ mm )
Fig.3. Captures prévisibles pour la période août-décembre 1935
en fonction de la pluviométrie.