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ORIGINE CRODT : 28.10.85
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C O N F L I T D E KA;AR
A N A L Y S E D U C R O D T
1. CONTEXTE DE LA PECHE A KAYAR
Le village de Kayar est un des points de débarquement les plus impor-
tants de la pêche artisanale sénégalaise.
La pêche est pratiquée principalement en saison froide, de drscembre
à mai, et essentiellement par deux communautés : les kayarois établis à
demeure et les Saint-Louisiens ou guet,-ndariens qui ne migrent à Kayar que

pour la saison de pêche. Les recensements effectués par le CRODT en mai 1983
indiquaient la présence de 579 pirogues dont 395 (soit 68 %> appartenaient
à des Saint-Louisiens. Les débarquements totaux annuels avoisinent les
17 000 tonnes.
Les espèces qui sont capturées dans cette zone sont constituées en
moyenne de 80 % de pélagiques (sardinelle, chinchard, tassergal, thonine)
et de 20 % de démersa~ux (mérous, dentex, pageot, pagres, requins).

Les engins de pêche les plus fréquemment utilisés sont :
- les sennes tournantes, qui capturent l'essentiel des espèces péla-
giques ; leur nombre s'est fortement accru ces dernières années, mais il
convient de noter que sur la cinquantaine présente, 10 seulement appartien-
nent à des kayarois.
- les lignes à main : cette pêche vise l'exploitation, aussi bien
des espèces démersales essentiellement par les kayarois (sur les fonds
durs) que pélagiques (chinchards - tassergal) par les Saint-Louisiens.
- les filets dormants de fond : jusqu'en 1984, seules 4 à 5 unités
de pêche saint-touisiennes utilisaient en accord avec la réglementation
des zones de pêche ce type d'engin (maillage de 80 - 100 mm) pour la
capture des requins, capitaines et courbines.



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2. LE CONFLIT : CAUSES LIEES A LA RESSOURCE ET SON E:XPLOITATION
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2.1. Pêche des soles en 1985
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Les captures de soles ont toujours &té anecdotiques à Kayar. Or, il
s'est trouvé que cette année des pirogues - sennes saint-louisiennes reve-
nant bredouilles du Nord ont donné quelques coups au jugé sur les petits
fonds et ont ramené une certaine quantité de soles.

La présence de cette ressource a alors incité les Saint-Louisiens à
faire remonter de la côte sud leur filet dormant à sole et à se faire équiper
gratuitement en matériel de pêche par certaines usines dakaroises. C'est
ainsi qu'en mai 1985, le CRODT a noté une cinquantaine de sortiesjjour

"fïlet dormant" et pour la plupart au sud de la bouée.
Les rendements moyens par sortie d'une journée étaient d'environ
110 kg. Les filets étaient posés sur les fonds sableux ou sablo-vaseux cô-
tiers (environ 10 m> au nord de Kayar. D'après les études menées au CRODT,
.1es soles ou Cynoglossus sont inféodées à ces milieux et sont présentes sur
les fonds de 40 à 50 mètres entre Kayar et Ndiago : elles f,ont l'objet
d'une exploitation en saison froide par les, chalutiers. Pen$dant la saison
de transition (mai-juin) on observe des migrations de reproduction à la
côte, ce qui explique la présence de gros individus adultes sur les fonds
@tiers de 10 - f5 mètres. La seule forme di‘"exploitation possible est
alors le filet dormant.

2.2. Problème de concurrence entre engins de pêche
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---.-C.-w C-L-
Les trois types d'engins présents à Kayar entrent de plus en plus
en concurrence directe.
A-ïnsi,les lignes à main (kayarois) entrent en concurrence avec :
T) les sennes tournantes (80 % Saint-Louisiennes). pour la capture
des tassergals et chfnchards.
2) les filets dormants de fond (Saint-Louisiens). Ce phénomène est
récent. Ainsi, en mai 85, des filets dormants ont été relevtis au lieu
dit Keurouss, zone rocheuse privilégiée pour la pêche à ligne.

11 n'existe théoriquement pas d.e concurrencae directe entre ligne
à main et filet dormant à sole puisque ces derniers sont posés sur des
fonds sableux ou sab'lo-vaseux. Mais 7es kayarois ,s*en sont plaint comme
d'une entrave à la navigation. Ainsi après le 5 juin, date de l'inter-


vention des autorités locales pour résoudre le problème, les Saint-Louisiens
ont continué de poser leurs filets aux mêmes endroits en prenant soin de
ne plus mettre les bouées qui permettaient aux Kayarois de repérer les
engins et de les détruire. Les Saint-Louisiens arrivaient alors à loca-

liser leur filet en prenant des repères à la côte et les relevaient en
se servant d'une gaule pour ratisser le fond. Ce processus aurait pu se
perpétuer peut être sans heurt si, malheureusement, le moteur d'une
pirogue kayaroise ne s'etait pris dans un filet Saint-Louisien dont les
amarres au fond avaient probablement cédé. Cet incident a alors déclenché
les bagarres du 19 - 20 juillet.

2.3. Problèmes soulevés par la pêche aux filets dormants
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Les conflits occasionnés par les filets dormants n'intéressent
pas seulement Kayar mais, au contraire sont fréquents sur l'ensemble du
littoral sénégalais. Les pêcheurs utilisant les lignes et les sennes
Lournantes estiment qu'ils représentent une gène pour la navigation,
quand il n'y a pas de problème de concurrence d'exploitation.
L'effet destructeur des filets dormants, avancé par certains pêcheurs,
paraît en revanche moins fondé.
Ainsi, certains soutiennent que :
1) "le poisson maillé émet des cris de détresse qui font fuir les
autres". Nos propres observations en plongée montrent au contraire qu'un
poisson blessé, et certainement par les sons qu'il émet, attire ses con-

génères (il existe en mer un cannibalisme féroce). D'autre part, la litte-
rature dans ce domaine n'indique pas ce type de phénomène répulsif.

2) "le poisson maillé en se décomposant émet une odeur qui fait fuir
fes autres". Cette affirmation est en contradiction avec ce qui est; prati-
qué dans toutes les mers du globe à savoir que rien n'est meilleur pour
attirer le poisson que.... du poisson en décomposition.

En revanche, un prob‘lème causé par des filets dormants (qu'ils soient
d'ailleurs de fond ou de surface) est bien réel, bien qu'il n'ait pas
été soulevé par les pêcheurs. Ce problème tient à la nature du matériau
utilisé : le nylon.

Cette matière est imputrescible et pour peu que les amarres des
filets cèdent, ceux-ci se mettent a dériver et peuvent ainsi continuer à
"pêcher" pendant des années et représenter un réel danger pour la navigation

,
et la ressource. Ce phénomène est bien connu dans les mers nordiques et
certains pays ont ainsi été amenés à réglementer ce type de p&he.

Mais, dans le cas précis du Sénégal, il ne faut pas perdre de vue
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qu'un certain nombre d'espèces (Scianidae côtier requins, machoirons,
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soles, langoustes, yet, thiekem . . . etc) ne peuvent être capturées que
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par des filets dormants.
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3. iLE CONFLIT : CAUSES ETHNO-SOCIOLOGIQUES
Après une série d'enquêtes auprès des différentes parties concer-
nées (Administration locale, communautés Kayaroise et Saint-Louisienne)
l'équipe du CRODT chargée des investigations est parwnue aux conclusions

suivantes :
- Premièrement et quelles qu'en soient les raisons profondes avouées
ou non avouées, les difficultés de cohabitation à Kayar entre autochtones
ét Guet-Ndariens à l'occasion de la campagne annuelle de péche remontent
à plusieurs décennies (1953 pour le moins, divers documents en témoignent).

- Deuxièmement, après diverses consultations et étude des différents
rapports disponibles sur la question, il n'apparait pas de manière évidente
et indiscutable malgré certaines déclarations en1 ce sens que le conflit
actuel soit exclusivement lié à 'l'usage des filets dormants par les pêcheurs
d'origine Saint-Louisienne même s'il est exact que ce fait constitue indé-
niablement un important facteur de déclenchement et de pérénnîsation des

hostilités.
11 semble en effet que certains éléments sous-jacents et pas toujours
exprimés aient également contribué à une dégradation progressive des rap-
ports entre les deux communautés, bien qu'ils procèdent davantage de querel-

les sociales de voisinage ou des questions strictement personnelles telles
que susceptibilités froissées, luttes intestines pour la détention du pou-
voir ou autre, voire même de l‘action d'éventuels agitateurs trouvant un

quelconque intérêt dan s le développement de ces rapports conflictuels.
11 est par ailleurs sociologiquement reconnu qu'au delà d'un certain
taux d'immigratïon dans une communauté, celle-ci reagit par 'des réflexes
collectifs tendant à préserver son identité villageoise et ethnique,
réflexes qui peuvent déboucher à terme sur des manifestations d'agressivi-

té verbale ou physique.

On peut à cet égard se demander si dans le cas d'espèce un des
noeuds véritables du conflit ne réside pas dans une telle attitude
d'auto-défense de la communauté Kayaroise face à la proportion croissante
de Saint-Louisiens qui non seulement font campagne mais tendent même sou-

vent à s'installer définitivement à Kayar, où ils prennent femme et fon-
dent un foyer, mais aussi apportent avec eux leurs particularismes sociaux
et culturels qui peuvent parfois heurter les coutumes locales.

- Troisièmement, et il s'agit là d'un fait capital, les positions
respectives de chacune des parties semblent fermement établies et solide-
ment ancrées depuis plusieurs dizaines d'années, ce qui justifie amplement
l‘urgence de trouver une solution à ce problème avant l'ouverture de la
prochaine campagne, soit avant la fin de l'année en cours.

Car d'un côté comme de l'autre, les représentants des communautés
concernées se sont déclarés pr@ts si nécessaire et selon leurs propres ter-
mes à déclencher une "guerre civile" dans le cas ou aucune solution accep-
table ne serait donnée par les autorités compétentes.
On peut par aflleurs se demander si l'amp'leur du conflit ne dépasse
pas actuellement les autorités des seules communautés kayaroise et Saint-
Louisienne pour faire place à un conflit beaucoup plus grave au plan

régional (Grande Côte) entre communautés Lébou et Guet-Ndarienne.
- Quatrièmement, les positions respectives des deux communautés
s'expliquent par deux conceptions différentes de l'accès à l'océan et à
ses ressources :
. Du côté kayarois, des pêcheurs-agriculteurs pour la plupart, qui
n'exploitent que saisonnièrement la zone de pêche de leur village, qu'ils
considèrent néanmoins consne leur bien exclusif, parce que projetant sur
le domaine maritime leur conception "terrienne" de l'appropriation du
terroir.
Pour ces derniers, la préservation de la ressource halieutique
locale est la condition indispensable au maintien des activités de pêche
sur les générations Kayaroises futures, et ils entendent rester seuls
souverains à Kayar.
. Du côté Saint-Louisien, des pêcheurs exclusifs et fiers d'une
longue tradition de migration de pêche, pour lesquels le libre actes aux
zones de pêche est un droit inaliénable et une condition vitale à la
survie de leurs traditions et de leur mode d'organisation socio-économique.


Quoi qu'il en soit et malgré la difficulté d'établir avec certitude
le bon droit en la matière en raison du caractère oral et subjectif des
faits et motivations relatés, il convient de souligner la probable gravité

de ce conflit qui, s'il n'est pas résolu rapidement et fermement, risque
de prendre
des proportions telles qu'il sera alors extrêmement difficile
d'éviter de graves conséquences au plan national.

Ceci afin d'éviter l'apparition de droits ou réglements "'locaux"
exhorbitants du droit commun, qui laisseraient place Is l'arbitraire
ethnique, communautaire ou autre....

Dans le cas contraire il est à craindre que des conflits similaires
déjà en gestation (par exemple sur la pêche crevettière en Casamance) puis-
sent éclater d'ici peu dans différents points du pays.
4. CONCLUSIONS
a) A Kayar, la tension entre communautés Saint-Louisienne et kaya-
roise est très ancienne et remonte à plusieurs décennies.
b) Le conflit s'envenime-d'année en année.
c) La pression sociologique (au sens large du terme) Saint-Louisienne
à Kayar est de plus en plus forte.
d) Chaque communauté a une conception diamétralement opposée de
l'appropriation du domaine maritime.
e) La concurrence entre les deux communautés s'exprime aussi à
travers leurs techniques respectives de pkhe, les espèces qu'ils recherchent
et les zones qu'ils propectent.

f) Les filets maillants, s'ils ont été un facteur d'exacerbation du
conflit,n'en représentent pas pour autant la cause profonde.
e) 11 n'existe pas de solutions purement techniques ou scientifiques
à ce conflit, trop d'intérêts autres que ceux liés à la ressource et à son
exploitation étant en cause.
g) A l'approche de la prochaine campagne de pêche, il est urgent
que des mesures énergiques soient prises par les autorités pour éviter que
ce conflit local ne dégfnère en conflit régional.