INSTITUT SENEGALAIS DE RECHERCHESAGRICOLES ...
INSTITUT SENEGALAIS DE
RECHERCHESAGRICOLES
ETUDES ET DOCUMENTS
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LES CONFLITS
DANS LES PECHERIES
ARTISANALES
SENEGALAISES
CONTRIBUTION A LA RECHERCHE
DE SOLUTIONS AU PROBLEME
ACTUELENTRELESPECHEURS
AU FILET MAILLANT DERIVANT
ET CEUX AU FILET MAILLANT

DORaMANT DE FOND
AU LARGE DE JOAL
Moussa BAKHAYOKHO
ISSN 0850-8798
Vol 3 N” 1
1990

ISRA
Institut Sénégalais de Recherches Agricoles
Rue Thiong x Valmy
BP. 3120
DAKAR, SénCgal
m 2124251226628
Telex - 61117 SC
Document réalisé par
la Direction de Recherches sur les Productions Halieutiques
Centre de Recherches Océanographiques
BP. 2241
Dakar, Sénégal
?i8 34.05.34 / 34.05.36
MoussaBAKHAYOKHO
Chercheur, coordonnateur du programme
des recherches sur les pêches artisanales
ISRA / CRODT
0c ISRA, 1 9 9 0
Conception et Rtalisation
UNIVAL-ISRA

ISRA -Etudes et Documents - Vol. 3 - no 1 - 1990
LES CONFLITS
DANS LES PECHERIES ARTISANALES SENEGALAISES
CONTRIBUTION A LA RECHERCHE DE SOLUTIONS
AU PROBLEME ACTUEL ENTRE LES PECHEURS
AU FILET MAILLANT DERIVANT
ET CEUX AU FILET MAILLANT DORMANT DE FOND
AU LARGE DE JOAL
Moussa BAKHAYOKHO
ISRA, coordonnateur du Programme des Recherches
sur les Pêches artisanales
CRODT-ISRA, B.P 2241 - Dakar - Sénégal
INTRODUCTION
Les conflits opposant les pêcheurs travaillant avec des engins fixes à ceux opérant avec
des engins mobiles sur les mêmes zones de pêche ne sont pas rares au Sénégal. On peut
citer le cas qui existe entre les pêcheurs artisans pratiquant le filet dormant ou le casier à
seiche et les marins des chamtiers de la pêche industrielle (2). On peut signaler également
celui entre ces mêmes pêcheurs artisans et ceux utilisant le filet maillant encerclant ou la
senne tournante (3). Il faudra surtout mentionner le conflit chronique avec ses épisodes aigus
entre les migrants Saint-louisiens utilisant le filet dormant et les pêcheurs sédentaires kayarois
travaillant à la ligne (4).
Récemment encore, en octobre-novembre 1989, une confrontation a eu lieu entre les
pêcheurs au filet maillant dormant de fond et ceux qui utilisent le filet maillant dérivant de
fond (ou yolal) à Joal. Le matin du 20 octobre en effet, des pêcheurs au filet dormant, en
allant relever leurs engins, auraient rencontré, près de leurs lieux de pêche situés au large
de Ngazobil, des pêcheurs employant le filet dérivant qui revenaient de marée. Arrivés sur
les lieux de mouillage, ils auraient trouvé beaucoup de leurs bou6es en dérive, les cordes
qui les reliaient aux filets coupées a l’aide d’une lame de couteau. Ils seraient revenus à Joal
pour se plaindre auprès des agents du CRODT qui les ont diriges vers le service régional
des pêches. Devant l’inspecteur, ils ont mis en cause les pêcheurs au filet dérivant.

Pendant que le service des pêches cherchait a résoudre le problème, des pêcheurs au filet
dormant, embarqués sur 7 pirogues dans la nuit du 04 novembre 89, sont partis a la recherche
de ceux travaillant au yolal pour se faire justice. Ils ne les ont pas rencontrés.
Le conseil des pêches a été convoqué le 24 novembre 1989 pour reconcilier en vain les
parties. L’inspecteur regional des pêches a par la suite saisi le Ministre chargé des Ressources
Animales en demandant que des mesures soient prises en rapport avec les autorités régionales
et le CRODT pour un réglement définitif du conflit.
La présente note répond à cette sollicitation.
PRESENTATION DES FAITS
Suite à une mission effectuée à Joal du 28 au 30 novembre 89, au cours de laquelle des
entretiens ont eu lieu avec les techniciens du CRODT, les responsables de la pêche (inspecteur
des pêches de la région de Thiès, chef du poste de contrôle de Joal), les autorités locales*
(secrétaire administratif de la mairie), la gendarmerie et des pêcheurs des differentes com-
munautés en conflit, les arguments ci-après ont été relevés pour accuser ou disculper les filets
dérivants.
ARGUMENTS METTANT EN CAUSE LES FILETS DÉRIVANTS
Les arguments évoques pour incriminer les pêcheurs utilisant le yolal sont les suivants:
La coïncidence réguliére des déclarations de pertes de filets dormants
avec
la p&iode de pkhe au filet dérivant.
Depuis 1987, de fin septembre à fin novembre, les pkheurs au yolal viennent travailler
à Joal. Ce serait au cours de ces pcriodes que les pcrtcs de filets dormants seraient observées
et les cordes des bouées servant a repérer ces engins coupées au couteau.
Ces sections, parfois faites en deux endroits, seraient effectuées par les pêcheurs au yolal
qui seuls opèrent de nuit et dont les engins accrocheraient les filets dormants, les amenant
alors à intervenir au couteau pour éviter de perdre du temps à démêler les engins. Ce serait
d’ailleurs pour cette raison qu’ils sectionneraient parfois une partie de leur propre filet dérivant
qui resterait ainsi sur le filet dormant, constituant pour le propriétaire de ce dernier une pièce
à conviction qui est présentée au service des pêches.
Le cas de flagrant delit observe en 1988.
Un pêcheur au yolal a et6 pris en flagrant delit de destruction de filets dormants en octobre
1988 et traduit devant le tribunal. L’affaire suit encore son cours.
La rencontre entre les pkheursdes deux types d’engin le matin du 20 oct.1 989
Les pêcheurs utilisant les deux types d’engin se seraient rencontrés dans la zone de
mouillage des pêcheurs au filet dormant à yet située par 5 brasses au large de Ngazobil.
Ces pêcheurs auraient retrouvé beaucoup de leurs bouées en dérive, les cordes qui les reliaient
* Nous n’avons malheureusement pas pu rencontrer le préfet de
Mbour.

3
aux filets coupkes au couteau. Ces dommages ne seraient pas le fait des pêcheurs a la serine
tournante coulissante ni des marins abord des chalutiers. Il semblerait en effet que les premiers,
de par la technique de pêche utilisée, auraient laissé les bouées groupées en paquets. Quant
aux seconds, ils ne feraient plus d’incursions frauduleuses dans les zones côtières à cette
p&iode où il n’y a plus de pêche au poulpe. En outre, les fonds de 5 brasses seraient trop
côtiers pour que les bateaux y opkrent.
Coîncidence entre le d6pat-l de beaucoup de pirogues & yolal et la diminution
des dklarations de pertes de filets dormants.

Depuis la Réunion du conseil des pêches présidée par l’adjoint au préfet de Mbour le 24
novembre 1989, les déclarations de pertes de filets dormants ont diminué. Cette situation
serait à mettre en rapport avec le retour dans les îles du Saloum (Bassoul et Bassar) de la
plupart des pêcheurs pratiquant le yolal.
ARGUMENT REFUTANT LES CHARGES AVANCEES CONTRE LES PECHEURS
AU YOLAL

A l’encontre des arguments tendant à rendre les pêcheurs au yolal responsables des
dommages évoqués, les éléments ci-après sont donnés :
l
A une exception près, constatée en 1988, aucun dommage sur des mouillages
de filet dormant par les pirogues à yolal n’a été observe depuis 1985 malgré
toutes les accusations dont celles-ci font l’objet. Ce seul cas enregistré en 1988
a été porté devant la justice, ce qui aurait amené les pêcheurs au yolal à faire
plus attention, persuadés qu’ils ne sauraient être pardonnés de leurs fautes, in-
volontaires soient-elles, à l’instar des autres communautés de pêcheurs déjà
installés à Joal. Ce serait pour cette raison qu’ils partiraient en mer vers
16 - 17 h pour bien repérer leurs zones de travail par rapport aux positions
des filets et casiers mouillés, ces engins empêchant d’ailleurs leurs filets de
dériver.
l L’expédition effectuee à l’improviste par les 7 pirogues dans la nuit du 04
novembre 1989 pour rechercher d’éventuels pêcheurs au yolal destructeurs
d’engins fixes a été sans succès, aucun cas n’ayant Cté observé.
l
Il semblerait également que des destructions de fiIets soient évoquées tout le
long de l’année a Joal. Cependant, curieusement, quand les pêcheurs au filet
dérivant arrivent en campagne de pêche dans la localité, toutes les autres causes
de dommages auparavant signalées (chaluts, sennes tournantes et filets maillants
encerclants), bien que présentes, sont syslématiquement rejetées, pour ne retenir
que la pêche au yolal, quand bien même des preuves tangibles ne seraient pas
fournies.
CONTEXTE DU CONFLIT ET ELEMENTS D’INTERPRETATION DES FAITS
Les faits évoqués et le contexte de la pêche à Joal permettent de dégager plusieurs origines
potentielles du conflit, en rapport avec l’espace géographique, la ressource, les techniques
de pêche, la rentabilité des unit& de pêche et la demographie.

4
L’ESPACE GÉOGRAPHIQUE
Jusqu’en 1987 la pêche artisanale évoluait surtout dans la bande côtiere située en deça
de la ligne des 6 milles marins. Dans cette frange, les pirogues de Joal opéraient essentiellement
de la pointe de Senti (Ngazobil) à la frontière nord-gambienne, entre les isobathes 4 m et
12 m.
Le nombre total de pirogues qui travaillaient dans cette étroite bande côtière était de
640 en 1985 et de 522 en 1988. Cependant,le nombre de pirogues a filet dormant est passe
de 233 à 323 dans la même période et leur activité a augmente de 16 369 a 25 098 sorties.
Il faut noter que dans le même temps, le nombre moyen de nappes de filet par unité de pêche
a également augmente.
L’activité des pirogues à filet maillant encerclant est restée quasiment constante, soit
19 909 sorties en 1985 et 19 117 en 1988. En revanche, celle des pirogues a senne tournante
est passée de 9 583 a 11 816 sorties et les unités opérant au filet maillant dérivant de fond,
qui n’existaient pas a Joal en 1985, ont effectué 1 308 marées en 1988.
Les pirogues à ligne et au casier ont été également très actives car elles ont effectué
11 450 sorties en 1985 et 31 267 en 1988 dont 16 552 du seul fait des pirogues mouillant
des casiers pour lesquelles le recensement de 1988 a permis de dénombrer quelques 2 500
pièges.
Au total, il y aurait approximativement sur chaque kilométre carré de la bande côtière
exploitée par la pêche artisanale, une moyenne joumaliere de deux pirogues, 650 m linéaires
de filets et de cordes et une dizaine de casiers, du seul fait de l’activité des pirogues de Joal
sans compter celle des unités basees à Djifere ou dans les Iles du Saloum et operant dans
la zone. Ces chiffres sont très variables en fonction des saisons de pêche. De juillet à novembre
par exemple, la grande majorité des pirogues pratiquent le filet dormant, ce qui augmente
très notablement la densitt de filets et de cordes.
C’est dire que l’espace géographique reservé à toutes ces unités est devenu trop étroit
et les conflits entre les différents types de pêche artisanale au large de Joal se sont développes
et compliqués au fil du temps comme l’atteste le document de BAKHAYOKHO et al. (1987).
Ces conflits étaient les plus aigus entre les utilisateurs du filet dormant ou du casier de la
pêcherie artisanale et les pecheurs au chalut de la pêcherie industrielle.
Une des conséquences de ces confrontations a été l’augmentation en 1987 de la zone
réservée à la pêche artisanale, dont la limite a été portée de 6 à 7 milles des côtes. Si cette
solution, doublée dune surveillance plus accrue en 1988, a permis de réduire les problèmes
entre les pêcheries artisanale et industrielle, le retour massif en 1989 des pêcheurs artisans
qui travaillaient en Mauritanie, en Gambie et en Guinée Bissau, ainsi que la fabrication de
nouvelles pirogues et la reprise de beaucoup de vieilles unités du fait dune bonne saison
de pêche du poulpe (au total 150 embarcations nouvelles), ont exacerbé les conflits dans
les pêcheries artisanales avec une augmentation à Joal du nombre et de l’activité des pirogues
à filet dormant et de celles a filet dérivant.
Signalons a ce propos qu’il a été recensé en 1989 environ 150 pirogues provenant de
Saint-Louis et pratiquant pour la plupart le filet dormant, et une dizaine de pirogues à yolal
de plus qu’en 1988 provenant des îles du Saloum et de ra Gambie.

5
La recherche d’un espace suffisant d’évolution pour chacune de ces unités très actives,
a puissance de pêche (nombre et dimension des engins) croissante, est donc une source
potentielle de conflits.
LA RESSOURCE
Si l’aire de pêche reservée aux pirogues à filet dormant de fond et à celles opérant au
filet dérivant de fond est très limitée pour le nombre et l’activité des unités, les espèces
recherchées sont quasiment identiques et pour la plupart démersales. Il s’agit essentiellement
pour les premières de soles, de machoirons, de yet (Cymbium), d’otolithes, de combines, de
brochets et pour les secondes de maquereaux bonites, de bonites à dos rayé, de mafous, de
brochets, de machoirons, d’otolithes, de courbines et même de soles.
En saison des pluies, de juillet à septembre, les brochets sont abondants dans les bolons
et a l’embouchure du Saloum (Sangomar). Les pêcheurs utilisant le yolal les capturent et
débarquent à Djilère. A partir de septembre-octobre, les brochets se font rares et en attendant
la saison de la courbine de janvier à mars, les pirogues a filet dérivant migrent vers Joal
pour rechercher surtout les maquereaux bonites et les mafous. Elles les trouvent au large
de Ngazobil et des villages de Palmarin par les fonds de 5 à 8 brasses où leur nourriture
constituée de petits pclagiques est abondante et les attire. Au cours de leur dérive, les filets
traversent tous les types de fonds où les pkheurs à filet fixe mouillent pour capturer les
soles, le yet, les machoirons et les otolithes. Ils traversent aussi les zones de pêche de la
seiche au casier.
Larecherche active d’espcces identiques ou ayant la même niche écologique dans la même
aire de pêche est une autre source potentielle de conflits.
LESTECHNIQUESDEPÊCHE
Joal est le centre de débarquement le moins-enclavé qui est le plus proche de la zone
la plus productive du Sénégal, Sangomar. On y rencontre la plus grande diversité d’espèces
et partant la plus grande diversité de techniques de capture. C’est d’abord l’épervier qui y
était pratiqué par les autochtones. Puis, avec quelques pêcheurs des îles du Saloum, le filet
maillant encerclant a fait son apparition sous la forme dune activité saisonnière, suivi en
cela par le filet dormant et la senne tournante introduite en 1972. Les pêches à la ligne à
poisson puis au casier à seiche se sont par la suite développées avec le mareyage. Cela devait
accélerer d’ailleurs le désenclavement de Joal et entraîner une plus grande évolution des
techniques avec l’avenement de la pirogue glacière en 1985, du filet maillant dérivant de
fond en 1986 et de la palangre en 1987.
Cette rapide succession de techniques trés diverses de capture, toutes en mutations
constantes pour s’adapter a des environnements humain, marin et technologique egalement
tres dynamiques, ne peut se faire sans heurts. La pêche au yolal s’est rapidement développée
dans ce contexte passant a 21 pirogues en 1988 et a 30 en 1989. Elle réalise de très bons
rendements en espèces capturees aussi par les pirogues a filet dormant, nettement plus
nombreuses (62 % du parc en 1988).

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Engin actif, pouvant pêcher une plus grande variété d’espbces en fonction de son gréement
et de sa mobilité, capturant des maquereaux bonites et des mafous de grande taille généralement
inexploités par les autres types de pêche, le yolal apparaît comme un concurrent rCe1 du filet
dormant, d’autant plus qu’il peut être très long (300 à 700 m comme les filets fixes) ; il n’est
pas expose au vol puisqu’il est ramené à terre à la fin de la maree, contrairement aux filets
fixes ; il comporte de faibles risques d’endommagement par accrochage sur des rochers, car
il ne traîne pas au fond comme le filet a langoustes ou celui a soles par exemple.
Mieux, suivant le gréement, le yolal peut travailler en pleine eau ou en surface. Il est
transformable en filet dormant de tous genres et convertible en filet maillant encerclant. Il
s’agit donc d’un engin parfaitement indiqué pour les zones tropicales caractérisbes par la
présence d’une grande variété d’espèces généralement distribuées en petits bancs disperses,
à disponibilité spatio-temporelle très variable et capturées par des engins divers.
Dans ces zones en effet, les pêcheurs utilisent plusieurs types d’engins au cours d’une
même marée.ou dune marée à l’autre, suivant des combinaisons très variables d’ordre
stratégique et tactique pour s’adapter à la disponibilité des ressources. C’est le cas à Joal.
Aussi, dans ce port, un type d’engin aussi polyvalent que le yolal capable de se substituer
à la fois à plusieurs des types préckdents, pourrait constituer l’aboutissement des mixités
développées dans les formes d’exploitation et la finalité de la vertigineuse mutation tech-
nologique qui s’optire en ce moment.
Les filets dérivants travaillent la nuit au gré du courant. Ils peuvent donc bien accrocher
les filets dormants dont les bout% de repérage sont invisibles. Cela d’autant plus qu’il semble
que les pêcheurs dorment souvent à bord des pirogues.
D’autres engins actifs comme la senne tournante, le filet maillant encerclant et le chalut,
pêchent parfois aussi dans les mouillages de filets dormants et des cas de flagrant délit révèlent
que le couteau est tri% souvent utilise pour se débarrasser des filets accrochés.
En somme, l’activite de cette multitude d’engins de pêche utilisés dans un espace aussi
restreint par des unités ayant des stratégies et tactiques de pêche très diverses, pour exploiter
une ressource limitée, engendre une concurrence le plus souvent déloyale aux conskquences
fâcheuses comme l’ont indiqué BAKHAYOKHO et KEBE, 1989.
LA RENTABILITE DES UNITES DE PECHE
Le déploiement de l’activité des filets dérivants dans les zones de pêche de Joal depuis
1986 procède de la disponibilité de la ressource( comme évoqué précédemment) et de
conditions favorables d’écoulement du produit (notamment le prix de vente élevé) dans cette
localité.
.
Les espèces accessoires de faible valeur marchande,qui auraient étC rejetées (ou mal
vendues) si les prises de yolal étaient vendues à Djifére ou dans les îles du Saloum, peuvent
être écoulees a bon prix à Joal du fait de l’existence dune industrie de la transformation et
d’une demande pour le mareyage ou l’autoconsommation.
.Par ailleurs, la p&iode de pêche intense au filet derivant h Joal correspond, jusqu’à prksent
tout au moins, à la basse saison de pêche dans les zones traditionnelles du Saloum et de
la Gambie. La disponibilite de la ressource et les debouchés du poisson à Joal incitent donc

7
à la migration.
La pratique du yolal semble plus rentable dans ce port que la pêche au filet dormant à
sole qui est le type le plus pratique a Joal, bien que produisant des prises de moindre qualité
parce que moins fraîches.
Au cours de la deuxième quinzaine du mois de septembre 1988, il y a eu respectivement
215 et 847 sorties de pirogues à filet dérivant et à filet dormant pour des prises totales de
272 q et 1 923 q valant 4 792 000 Frs et 6 099 000 Frs. La prise par sortie est alors estimee
respectivement à 22 288 Frs pour les pêches au filet derivant et 7 200 Frs pour celles effectuées
au filet dormant, soit un rapport de 3. Pour des consommations moyennes respectives de
carburant de 6 000 Frs et 4 250 Frs et le même nombre de pêcheurs à bord, soit 4, le rapport
des valeurs ajouttes dégagées est de 5.
Cette rentabilité a ament certains pêcheurs résidant a Joal et originaires des îles du Saloum
à,acquQir des filets dérivants qu’ils utilisent de septembre à novembre et même d’avril à
juin pour la pêche à la grande carangue.
D’autres, utilisant le filet dormant, souhaitent acheter du filet derivant qui leur semble
plus économique et plus sécurisant. Il faut noter qu’un filet dérivant de 700 m coûte quelques
900 000 Frs et s’amortit en 5 ans. En revanche, un filet dormant à soles de même dimension
coûte environ 400 000 Frs pour une duree de vie de 3 ans.
Lapêcheau filet dérivant, de par sonefficience, est appelle a se répandre. D’abord pratiquée
dans les bolons du Saloum, elle a atteint 1’ embouchure puis les bolons et les estuaires de
1aCasamance et de laGambie. Elle arrive maintenant en pleine mer à Joal. Certains pratiquants
de cette technique qui viennent en campagne à Joal depuis 1986 envisagent maintenant de
rester, tant cette pêche leur semble lucrative et les conditions de travail en Gambie moins
sécurisantes. Pour l’instant, certains seraient partis prendre part aux activités culturelles
organis&s dans les îles, tandis que d’autres seraient rentres pour preparer la prochaine
campagne de la courbine.
LES ASPECTS DEMOGRAPHIQUES
Joal était une localité où des agriculteurs vivaient paisiblement en utilisant l’epervier pour
la pêche de subsistance. Puis, avec son désenclavement et le développement de la pêche
commerciale, plusieurs communautés utilisant diverses techniques de capture du poisson sont
venues s’installer progressivement, d’abord de façon saisonnière puis definitive.
Cettecroissancene s’est pas faite sans répercussions sur l’urbanisation de Joal qui comporte
des problemes d’approvisionnement en eau potable, d’hygiene et de sante, d’éducation, de
logement et de cohabitation entre des ethnies aussi nombreuses que variees ayant des coutumes,
des habitudes et des traditions de vie parfois très différentes, allant de celles des insulaires
à celles des populations de l’intérieur, en passant par celles des habitants de la Côte.
La population d’allochtones, aujourd’hui plus nombreuse que celle des autochtones, est
tres instable et recherche son équilibre en faisant valoir la loi des grands nombres et celle
de l’ancienned de résidence. Ces criteres ne sont pas favorables à l’intégration des quelques
pêcheurs au filet d&ivant qui arrivent en ce moment à Joal en provenance des îles du Saloum.

8
L’intégration de ces derniers est rendue plus difficile par le fait qu’ils n’ont pas de liens
de parente avec les Saint-louisiens et les Lébous du Cap Vert qui pratiquent la pêche au
filet dormant et tiennent a sa pérennité a Joal, où elle est la plus pratiquée actuellement au
Sénégal et où elle ne connait pas les restrictions qui lui sont faites à Kayar.
Un autre facteur humain susceptible d’être à l’origine des conflits ou de leur aggravation
est la jeunesse des pêcheurs. La grande majorité a moins de 25 ans, donc est disposée à utiliser
tous les moyens pour se tailler une place dans la société. Tous les coups sont permis, quand
bien même heurteraient-ils la morale. C’est ainsi que les vols de produits ou d’engins de pêche,
les destructions de matériel de pêche, le refus d’assistance à autrui en mer et la contre-vérité
sont monnaie courante et ne semblent point déranger.
Il faudrait ajouter à tous ces facteurs, la forte pression démographique subie avec l’arrivée
des déportés de Mauritanie. Quelques 600 personnes ont Cte recensées qui vivent étroitement
avec la population résidente, obligk de partager le pain et l’eau certes, mais aussi les espaces
résidentiel et maritime inextensibles et les faibles moyens de travail.
De même, la venue en octobre-novembre des pêcheurs sénégalais qui travaillaient en
Gambie et en Guinée- Bissau, n’a-t-elle pas renforcé la tension sociale qui avait presque atteint
ses limites ?
INTERPRETATIONS
11ressortdecetteanalyseducontextedclapêcheàJoalquelesoriginesduconflitpourraient
être variables :
0 Ellespourraien~résulterdelacohabitationdepêcheriescomposéesdeplusieurs
espèces, plusieurs engins et plusieurs ethnies, évoluant dans un espace géo-
graphique restreint (où elles se livrent une concurrence tres dure pour exploiter
une ressource qui traverse sa période de faible abondance) et qui voient arriver
un autre type d’exploitation (le yolal) très efficace et susceptible de causer
des dommages au plus grand nombre pratiquant le filet dormant.
0
Si plusieurs filets fixes dune même zone sont coupés comme cela apparaît
dans les déclarations de pertes faites au poste de contrôle de Joal, on pourrait
également penser aux chalutiers travaillant en fraude la nuit jusque par les
fonds de 4 brasses, qui les ramasseraient. Au moment de virer les chaluts,
les matelots couperaient les bouées et les filets accrochés. Devant des filets
trop emmêlés au chalut (cela arrive au niveau d’ailes de chalut à maillages
identiques à ceux des filets dérivants), les fraudeurs agiraient rapidement en
sectionnant au besoin une portion de leur chalut que les pêcheurs au filet
dormant retrouveraient le lendemain avec leurs engins et présenteraient au
service des pêches comme étant une partie de filet dérivant.
En octobre-novembre en effet, le poulpe n’était plus pêché comme semblent
l’affirmer les pêcheurs au filet dormant. Les pirogues ont donc repris la pêche
aux filets et les bateaux ne trouvant pas le poisson au large en cette période,
s’approchent de la côte avec la possibilite de tenter des incursions frauduleuses
dans les 6 milles marins, la surveillance côtière semblant plus lâche, surtout
de nuit.

9
(D Enfin, il est bien possible que plusieurs pirogues a yolal optknt en parallèle
aient commis les dégâts signales.
Donc, plusieurs causes aussi plausibles les unes que les autres peuvent être à l’origine
du conflit. Aussi, a défaut d’en retenir une, faute de preuves tangibles, faudrait-il rechercher
une ou plusieurs solutions qui tiendront compte de toutes les causes possibles ?
ELEMENTS DE SOLUTION
La solution qu’il conviendrait d’adopter devrait intégrer plusieurs facteurs. Elle devrait
tenir compte de la situation conflictuelle gCnéralisée qui prévaut un peu partout le long des
côtes sénégalaises et confirmer le principe du libre accès à la ressource. Elle ne negligerait
pas les incompatibilités d’activités en un même lieu de certains engins de pêche et tendrait
à protéger les plus faibles tout en permettant aux plus efficaces de garder leur efficience
afin que le poisson migrateur ne s’échappe pas pour aller se faire prendre hors du pays par
les pêcheries Ctrangères.
La solution devrait prévenir les conflits potentiels et resoudre ceux qui sont ouverts.
Il serait souhaitable qu’elle émane des pêcheurs eux-mêmes et soit en rapport avec le
niveau de développement du secteur. C’est dire qu’elle devrait faire l’objet d’études techniques,
biologiques et socio-économiques approfondies.
Les entretiens effectués à Joal avec les differentes parties prenantes du conflit permettent
de discuter et de formuler des propositions de solution.
LA SOLUTION PROPOSÉE PAR LE CONSEIL DES PÊCHES
Crée en 1988 sur proposition du CRODT pour permettre une gestion de la pêche à l’échelle
locale, le conseil des pêches de Joal comporte une commission des conflits et a tté convoque
le 24 novembre 1989 pour examiner le diffcrend entre les pêcheurs utilisant le yolal et ceux
pratiquant le filet dormant. La dissuasion a été préconisée pour le court terme. Elle comporte
3 Ctapes :
0 recenser les pêcheurs employant les deux types d’engins ;
l
constituer desbrigades de contrôle nocturne des mouillages de filets dormants
par les pêcheurs utilisant ce type d’engin ;
l punir les délinquants qui seront pris.
Une approche pour le long terme a Cté Cgalement suggérée. Elle a consiste à saisir le
Ministre chargé des Ressources Animales, le CRODT et les autorités regionales pour trouver
une solution définitive au conflit.
Lors de notre passage à Joal du 28 au 30 novembre 1989, la solution pour le court terme
commençait à connaître un debut d’exécution avec le recensement des pêcheurs. Cependant,
au vu des causes du conflit évoquées, il nous semble que des brigades de contrôle constituées
par les seuls pêcheurs au filet dormant comporte un risque, car ces pêcheurs seraient juge
et partie en cas de litige.

10
COMPLEMENT DE SOLUTIONS
Avec le développement des vols de casiers à seiche a Joal, le CRODT avait suggéré aux
pêcheurs, en 1987. la formation de brigades de surveillance de leurs engins. Ainsi, un groupe
de pêcheurs ayant des affinités et travaillant en un même lieu désignait chaque jour une pirogue
qui restait en mer avec à bord un membre de chaque équipage ayant mouillé des casiers.
Cette formule, largement appliquée actuellement, a permis une réduction notable des vols
de casiers. Aussi, serait-il indiqué que les pêcheurs au filet dormant l’adoptent.
Il serait également souhaitable qu’ils utilisent des bouées lumineuses pour permettre de
repérer l’emplacement de leurs filets.
Ces deux suggestions ont l’avantage de réduire les destructions des filets ou de permettre
d’identifier les responsables des préjudices.
Il faudrait ajouter à ces suggestions la redynamisation de la commission des conflits du
conseil des pêches, en mettant réellement en place celle-ci autour des responsables qui ont
étécooptés
eten veillantàcequesacomposition tiennecomptedeladiversitédescommunautés
et des types de pêche de la localité. La première tâche de la commission serait de faire
l’inventaire du matériel des pêcheurs et de tenir ce fichier à jour a toutes fins utiles, par exemple
la déclaration de quantite exagérée de materiel disparu.
Ces differentes orientations pourraient, en impliquant les pêcheurs, permettre d’aller vers
un début de solution.
Elles devront cependant être compl6tées par des dispositions plus durables résultant dune
large concertation au sein du conseil des pCçhes par exemple. Ces dispositions pourraient
revêtir la forme d’une rbglcmcntation des zones de pêche en distinguant celles réservées aux
engins fixes de celles où les engins mobiles seraient prioritaires. La commission des conflits
participerait à la surveillance de ces zones.
Cette reglementation pourrait avoir un caractère saisonnier pour tenir compte de la varia-
bilite des activites de pêche.
CONCLUSION
Les conflits dans les pêcheries artisanales scnégalaises augmentent en fréquence, en
ampleur et en gravité et s’étendent d’un point à l’autre du littoral. L’importance de ceux qui
se sont développés a Kayar en 1985 et à Joal en 1986 a conduit le CRODT à proposer la
cr&ion de structures de concertation appelées Conseils des Pêches, qui regroupent l’ensemble
des parties prenantes du secteur. Le conseil de Joal, s’il a bien fonctionné dans l’ensemble
(ce qui a entraîné la creation d’autres conseils à Mbour, à Kayar et à Hann), n’a pas, au niveau
de la commission des conflits, joué son véritable rôle de prévention des différends. Il pourrait
cependant constituer l’élément central qui devrait être à l’origine de la solution de cette crise,
en s’appuyant sur des vertus comme la tolérance, l’ouverture d’esprit, la générosité et la
responsabilitk
Par ailleurs, les solutions “taillées sur mesure”, reconnues tacitement ou apportées ça et
là aux différents conflits entre les pêcheurs risquent, à terme, d’affecter le développement
de la pêche artisanale. L’accès à la ressource doit en effet être libre dans le,cadre des reglements
déjà existants. Il faudrait donc tendre vers une réglementation des zones de pêche artisanale

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qui soit la plus générale possible et qui soit issue dune large concertation avec les pêcheurs,
l’administration territoriale, celle de l’océanographie et des pêches maritimes, ainsi que le
CRODT et tout autre service compétent.
BIBLIOGRAPHIE
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la pêche artisanale et la pêche industrielle : Cas de ressources démcrsales. Com-
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3
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4
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