Revue Sénégalaise des Recherches Agricoles et...
Revue Sénégalaise des Recherches Agricoles et Halieutiques Vol. 2 - ne 3-4 -1989
LES STRUCTURES COOPERATIVES SENEGALAISES
FACE AUX MUTATIONS INSTITUTIONNELLES *
M. G A Y E
Chercheur de I’ISRA
Direction des Recherches sur les Systèmes Agraires
et I’Econom’e Agricole.
RESUME
Le cadre institutionnel dans lequel évoluent les structures coopératives sénégalaises
a connu de profondes mutations au cours de ces dernières années. La reforme du système
s’est traduite par la mise en place de nouvelles entités qui devront fonctionner de plus
en plus comme des entreprises privées. Toutefois, le niveau actuel des ressources humaines,
financières et mat&ielles ne leur permet pas encore d’asseoir une réelle autonomie.
La présence de nouveaux concurrents encourages par les pouvoirs publics suscite
quelques inquietudes chez les dirigeants. Malgr6 un penchant relativement favorable aux
coopératives, la plupart des adhérents simples ne souhaitent pas Eviction des commerçants
privés. Les attitudes des uns et des autres par rapport à divers aspects de la politique offi-
cielle varient selon leur position dans le système.
Cette publication a éd r6alisée grâce à une subvention du Centre de Recherches pour le Dévelop-
l
pement International (CRDI). Ottawa, Canada.

Avec l’intervention de la Caisse Nationale de Crédit Agricole du Sénegal (CNCAS)
qui vient de s’implanter, le principe des apports personnels tend à marginaliser les plus
nécessiteux. Par ailleurs, le contenu initialement donné au concept fondamental de res-
ponsabilisation se trouve profondement modifié.
Mots-clés : Coopératives - GIR - OPS - Responsabilisation - Sections villageoises.
SENEGALESE COOPERATIVE STRUCTURES
FACE TO THE INSTITUTIONAL CHANGES
SUMMARY
The institutional environment of cooperative organisations has drastically changed
during past years. New structures are created witb the intention to gradually transform
cooperatives into private business associations. However, the actual availability of human,
financial and physical ressources do not yet allow an effective autonomy.
Govemment policy encouraging competition gives cause for anxiety among coope-
rative leaders. Despite their preference for cooperatives, the majority of members do not
wish eviction of private traders. The attitudes of farmers with respect to different policy
measures change according to their positions within the system.
Financial participation required by the new agricultural credit bank means that
neediest groups Will no longer have access to loans. Furthermore, the content initially
given to the basic concept of responsabilization is fundamentally altered.
Key words : Cooperatives - GIR - OPS - Responsabilization - Villager sections.

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INTRODUCTION
Depuis 1983, la politique de 1’Etat concernant les coopératives rurales a pris de
nouvelles orientations qui mettent l’accent sur les aspects Cconomiques au détriment des
considérations purement sociales. Celles-ci semblaient avoir une bonne place dans l’ancien-
ne approche, qui reposait sur un paternalisme devenu par la suite insupportable sans
compter ses effets d’inhibition sur le paysannat.
L’intervention des pouvoirs publics portait en particulier sur les facilités de crédit pour
les coopératives qui bénéficiaient aussi d’un monopole sur le commerce primaire des ara-
chides. Avec la disparition de IBtat-providence, un bouleversement notoire s’est opéré aussi
bien sur l’organisation interne du système que sur l’environnement institutionnel. La
principale innovation est la mise en place des sections villageoises considérées comme
cellules de base du mouvement coopératif rénové. Les sections sont polarisées par des
coopératives-mères appelées à être les cellules économiques des communautés rurales.
L’objectif visé est de rendre les coopératives plus performantes et de moins en moins
soumises à la tutelle étatique. En d’autres termes, la nouvelle coopérative doit devenir une
entreprise privée largement autonome, et qui ne soit plus considerée par les coopérateurs
comme une institution étatique. De nouveaux partenaires sont appelés à remplacer la puis-
sance publique et 1’Etat cherche à promouvoir une certaine concurrence jugée stimulante.
Une nouvelle forme d’organisation parallefe, en l’occurrence les Groupements d’Int&êt
Economiques (GIE) est encouragée et commence à gagner du terrain en milieu rural. En
outre, à partir de 1985, les Organismes Privés Stockeurs (OPS) exclus depuis 1967 au
profit des coopératives ont été réadmis dans la collecte des arachides. La compétition doit
s’étendre à l’approvisionnement du monde rural en facteurs de production. Durant la campagne
agricole 1987-1988, les coopératives-mères ont été fortement impliquées dans la vente des
produits chimiques et notamment de l’engrais. Quant aux sections villageoises, elles ont
bénéficié d’un meilleur acds physique aux services de la Caisse Nationale de Crédit Agricole
du Sénégal (CNCAS) qui s’implante progressivement. Toutefois, ses conditions d’octroi
des credits sont plus restrictives par rapport à l’ancien système mis en veilleuse depuis
1980. Le retrait de 1’Etat avait cr& un vide que l’Union Nationale des Coopératives
Agricoles du Sénégal (UNCAS) tenta de combler en fournissant des semences à crédit
pendant deux campagnes consécutives.
A toutes ces mutations d’ordre institutionnel s’ajoute un climat politique relativement
tendu.
L’objectif vise ici consiste à mieux apprehender le contexte dans lequel opèrent les
nouvelles organisations coopératives et les implications sur leur existence. Les données
de base ont été collectees à trois niveaux, à savoir les cooperatives-mères, les sections
villageoises et les exploitations agricoles. Sans nous appesantir sur les détails de l’échan-
tillonnage, précisons simplement que 60 sections villageoises ont été choisies de façon
aléatoire et que nous avons Cgalement retenu les 52 coopératives-mères qui les polarisent.
Dans chaque section, 4 exploitations agricoles ont été choisies également au hasard, soit
un total de 240 unités.
L’approche d’ensemble repose sur l’hypothèse que la position dans le système constitue
un élément qui n’est pas neutre par rapport aux opinions sur tel ou tel aspect du probBme.
C’est ainsi que nous distinguons les responsables de coopératives-mères, ceux de sections
villageoises et les simples adhérents. Pour les structures coopératives, nos interlocuteurs

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étaient les présidents élus B la tête de ces organisations. Il nous fallait donc éviter autant
que possible les questions pouvant nécessiter une consultation entre les différents membres
de bureau qui sont géographiquement disperses. Les questions portaient notamment sur
l’appareil administratif et ses caractéristiques, les ressources disponibles, la distribution des
intrants et l’environnement institutionnel. Au niveau des exploitants agricoles, l’accent était
mis sur les relations d’affaires avec différents partenaires, l’appartenance (i diverses formes
d’organisations paysannes et les opinions sur certains aspects de la politique coopérative.
WE D’ENSEMBLE SUR LES NOUVELLES STRUCTURES COOPERATIVES
Les 52 coopératives-mères de l’échantillon polarisent 2009 villages regroupes autour
de 923 sections. La notion de village est définie ici comme étant un ensemble de conces-
sions qui relèvent de l’autorité d’un représentant légal du pouvoir administratif communé-
ment appelé chef de village. Cette définition étant retenue, on obtient une moyenne de
38 villages et 17 sections par coopérative-mère. Environ la moitié des coopératives
regroupent chacune plus de 30 villages. Si l’on considère, dans chaque cas, le plus éloigné,
la distance moyenne par rapport au siège social est de l’ordre de 14 km. Dans les cas
extrêmes le rayon se situe au voisinage de 30 km ; ce qui peut constituer une contrainte
non négligeable.
S’agissant des sections villageoises, les villages polarises se situent sur un rayon
allant jusqu’à 5 km du siège social avec une distance moyenne de l’ordre de 2 km. La
proximité géographique des associes constitue donc un atout pour ces nouvelles entités
plus réduites.
On constate une assez forte imbrication entre coopératives-mères et sections villa-
geoises au niveau de leurs appareils administratifs. En effet, 87% des membres de bureau
des coopératives-mères sont dirigeants de section. Cela est de nature à favoriser la commu-
nication entre le sommet et la base.
La présence de responsables politiques dans la plupart des bureaux constitue un
facteur non négligeable compte tenu des incidences particulieres que cela peut avoir. En
effet, plus de la moitié des coopératives connaissent des problèmes de tendances politiques
selon leurs dirigeants. Néanmoins, une relation entre l’existence de ces problèmes et la
présence de responsables politiques parmi les membres de bureau n’est pas statistiquement
.
établie.
L’interférence avec l’administration locale par le biais des conseillers ruraux et chefs
de village qui siègent dans les bureaux est également assez forte. Par contre, les dignitaires
religieux ont un poids numérique relativement faible. Leur présence au sein des bureaux
n’est toutefois pas une condition nécessaire pour bénéficier des privilèges que certains leur
reprochent.
L’absence totale de femmes au niveau des instances dirigeantes n’est qu’un reflet de
leur marginalisation dans les structures coopératives.
Depuis la réforme de 1983, des démissions volontaires ont été enregistrées dans 17%
des bureaux. Sur la même période, 15 membres de bureau ont été contraints à démissionner
dans 9 coopératives sur les 52 étudiées, ce qui peut s’interpr&er comme un signe de
démocratie interne.

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Au total, aucun des bureaux n’est completement dépourvu de membres sachant lire
et écrire dans une langue quelconque. Cependant, pour le français qui est la langue de
travail, environ un quart des bureaux fait appel à des compétences ext&ieures.
Sur l’ensemble des 52 coopératives-mères, il n’y en avait que 2 qui disposaient
d’une caisse non vide avec des sommes derisoires. Cette situation montre que les
coopkatives-mères ne sont pas encore en mesure de faire face’au rôle de cellule écono-
mique qui leur est assigné par les pouvoirs publics au niveau de la communauté rurale.
Si l’on considère les encaissements réalisés par les sections villageoises depuis leur
creation, la r@artition des fonds selon leur provenance se prksente comme suit :
+ droits d’adhésion :
88%
+ cotisations spkciales :
11%
+ champs collectifs : 1%
On note que 45% des sections n’ont jamais eu de caisse depuis qu’elles existent.
Comme activités lucratives pour alimenter les caisses, nous n’avons noté que l’exploitation
de champs collectifs dans trks peu de cas. Cette tradition communautaire encore vivante
sur le plan religieux n’a pas pu être capitalisée par le système coopératif.
Les infrastructures de stockage constituent une préoccupation quasi générale. On
constate que 64% des coop&atives sont dépourvues de magasin, ce qui ne facilite pas leur
intervention dans la vente des intrants agricoles.
Par rapport à la situation relevée deux ans auparavant, on note un glissement du
social vers l’économique dans l’utilisation des ressources financières.
OPINIONS SUR LA REFORME DU SYSTEME COOPERATIF
La restructuration du Mouvement Coopkatif mise en œuvre depuis 1983 suscite des
opinions assez mitigées au niveau des coopérateurs. Si l’on considère les présidents de
coopératives-mères, environ 55% soutiennent la réforme tandis que les autres préferent
l’ancien système. Lorsqu’on se situe au niveau des présidents de sections villageoises, 35%
sont pour le système actuel tandis que les autres sont nostalgiques du passe. Quant aux
simples coopérateurs chefs d’exploitation, 87% des préférences vont à l’ancien système.
Bien que ces chiffres soient insuffisants pour donner assez de précision, ils indiquent
une tendance générale qui est que plus on descend vers la base, moins la réforme semble
avoir d’adeptes et vice versa.
Etant donné que l’apprkiation d’ensemble ne peut être qualifiée de positive, l’en-
gouement des coopérateurs a créer de nouvelles sections villageoises constitue un paradoxe.
Ce phénomene dune certaine ampleur s’observe au sein de 7 coopératives-méres sur 10.
Certains y voient un signe d’adhesion des paysans au nouveau syst&me. Dans la plupart
des cas, il s’agit de tendances dissidentes dont les facteurs explicatifs sont multiples. Les
plus importants sont liés à la redistribution des semences données à crédit par I’UNCAS
en 1985 et 1986. Certains groupes s’estimant lésés en voulaient aux dirigeants de section
qui choisissaient les bénéficiaires et déterminaient les dotations. Les tensions politiques,
l’éloignement et parfois le simple désir de se démarquer constituent aussi des facteurs qui
entrent en jeu. L’existence de problemes politiques est reconnue par les dirigeants au niveau
de 38% des sections. Toutefois, elle n’entraîne pas dans chaque cas des démarches

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séparatistes. Cela tisulte du fait que les factions qui s’opposent ne représentent pas toujours
des entités géographiques donnkes, ce qui est une condition nécessaire pour constituer une
section.
COEXISTENCE DES COOPERATIVES AVEC LES NOUVEAUX CONCURRENTS
La politique de libtklisation engagk par 1’Etat favorise l’insertion de nouveaux in-
tervenants au sein de l’économie rurale. C’est le cas des OPS et GIE en concurrence sur
le terrain avec les coopératives officielles. Ainsi, au niveau de la zone couverte par cette
étude, les points de collecte des arachides ont été répartis à raison de 60% aux coopé-
ratives et 40% aux OPS. La compétition s’est Cgalement étendue au commerce des
intrants agricoles. Une des hypothèses de la libéralisation est que la concurrence est
facteur de stimulation pour les coopératives inhibées par l’assistance et la protection que
leur assurait 1’Etat.
A la question de savoir quelle est la mesure officielle qui a le plus porté préjudice
au système coopératif, la réponse dominante chez les dirigeants est la réadmission des OPS
dans le commerce arachidier. Elle a été donnée par 64% des présidents de coopératives-
mères et 46% des présidents de sections villageoises.
Entre l’OPS et la coopérative, on peut se demander à quelle distance de l’un et de
l’autre partenaire se tient le paysan. Si l’on considère la catégorie des chefs d’exploitation,
environ 29% d’entre eux n’approuvent pas le retour des OPS dans la collecte des
arachides. Cette position caractérise particulièrement ceux d’entre eux qui détiennent des
responsabilités dans le système coopératif.
Si l’exclusivité du commerce arachidier devait revenir à l’un ou l’autre partenaire, une
majorité de 63% des chefs d’exploitation souhaiteraient que ce soit la coopérative.
Néanmoins, la coexistence est prcférable pour une proportion égale des répondants.
Environ un quart est favorable aux OPS tandis que les autres 12% restent indifférents.
Dans l’ensemble, il existe donc un penchant plutôt en faveur des coopératives, tout
au moins chez les chefs d’exploitation. En fait, rien ne prouve que la situation est iden-
tique au niveau des producteurs dépendants qui ont toujours occupe une place marginale
dans le système coopératif malgré leur dominante numérique.
Pour donner aux structures coopératives de base une certaine assise financière, les
pouvoirs publics envisagent de leur rétrocéder 70% des marges commerciales sur l’arachide
qu’elles collectent. Les unions qui gèrent actuellement tout ne conserveront que 30%. Cette
idée introduit une nouvelle dimension dans les rapports entre coopératives, OPS et com-
munauté paysanne. En effet, les marges rétrocédées devront constituer un fonds destiné
à financer certains investissements y compris des infrastructures communautaires. Seule
la collecte arachidière réalisée par les coopératives sera concernée. Or, certains villages
legaIement polarisés ne sont dotés que de points de collecte OPS. Précisons que les OPS
empochent leurs marges commerciales à titre de rémunération.
La majorité des présidents de coopératives sont d’avis que ceux qui vendent leurs
récoltes aux OPS n’auront aucun droit quant à l’utilisation des fonds attendus. Sur le terrain
de la concurrence que l’Etat cherche à promouvoir, cette nouvelle situation risque de boule-
verser les données du problème.

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Quant aux GIE, ils coexistent avec les coopératives officielles dans 88% des com-
munautés rurales couvertes par cette Ctude. Précisons que chaque communauté rurale
constitue le ressort géographique d’une coopérative-mère qui en est Moriquement la
cellule honomique. Dans certains cas, les GIE ont même distribue des facteurs de pro-
duction à crédit aux paysans. Par comparaison aux sections villageoises, les populations
féminines y ont une place nettement plus importante. A titre d’exemple, 38% des femmes
ayant plus de 25 ans sont membres contre 12% chez les hommes. La nécessite de regle-
menter la coexistence GIE-coopératives fait l’objet d’un débat officieux. Si les tendances
actuelles se maintiennent, la question ne tardera pas d’être posée aux décideurs qui auront
à trancher.
FACTEURS INSTITUTIONNELS DE BLOCAGE
Les facteurs de blocage les plus déterminants découlent de la politique officielle
selon 68% des présidents de coopératives-mères, 72% des pt-esidents de sections villa-
geoises et 85% des paysans chefs d’exploitation. Cependant, même si le décideur est le
principal accusé, les points de reproche varient en fonction de l’accusateur. C’est ainsi que
pour les chefs d’exploitation, le principal aspect souligné est la restriction du cmdit qui
a presque enlevé aux coopératives leur raison d’être. Pour les dirigeants par contre, il s’agit
surtout de la concurrence des nouveaux traitants soutenus par les pouvoirs publics. Selon
eux, le recouvrement des dettes officiellement considéré comme le principal critère de
performance sera plus difficile étant donné que la coopérative ne contrôle plus la production
de ses membres. Par ailleurs, la sanction de non éligibilité aura moins de portée puisque
les OPS et GIE sont des créanciers potentiels. Avec la répartition officielle des points de
collecte arachidière, certaines sections villageoises sont de fait livrées aux OPS. Cela met
en cause le ressort territorial de la coopérative-mère et constitue une menace de taille à
son unit&
En définitive, ce qui est considém ici comme facteurs de blocage correspond à des
mesures d’assainissement que les pouvoirs publics jugent indispensables.
INTERVENTIONS DES COOPERATIVES SUR LES INTRANTS AGRICOLES
La vente au comptant de l’engrais a été quasi généralisée au niveau des cooperatives-
mères en 1988. Il s’agit d’un premier test qui n’a pas été renouvelé compte tenu des faibles
résultats enregistrés. Environ 10% des stocks mis en place ont pu être vendus au comptant.
Cela semble indiquer un drieux problème dans l’appréciation des besoins solvables par
les dirigeants responsabilisés.
S’agissant de l’hypothèse selon laquelle la compétition améliore les performances, on
peut noter que les coopératives qui on fait l’effort de ventiler leurs stocks d’engrais sur
plusieurs points de vente sont surtout celles qui affrontaient la concurrence (I’OPS à
l’échelle de la communauté rurale.
La participation des coopératives à la vente des intrants se heurte aussi à un manque
d’infrastructures. Nous avons souligné auparavant que 64% d’entre elles ne disposent pas
de magasins leur appartenant. C’est ainsi que dans presque 30% des cas, les engrais étaient
stockés à ciel ouvert.

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Parmi les multiples raisons évoquées pour expliquer les difficultés de vendre l’engrais
au comptant, l’espoir d’une distribution à crédit constitue un facteur déterminant. Le raison-
nement des coopérateurs est que les stocks non écoulés ne pourraient pas être gardés sur
place jusqu’a la prochaine campagne ; les conditions de stockage tr&s précaires ne pouvant
en aucune maniere permettre cela. Par ailleurs, il serait difficile voire impensable de
retourner les produits à l’usine. Le calcul n’a pas été faux puisque les stocks ont fina-
lement été cédes à ctidit grâce à l’intervention de la CNCAS.
Ce crédit octroyé par le biais des sections villageoises était tout de même soumis
à des conditions dont un apport égal à 10% de la valeur des quantités demandées. Dans
l’ensemble, 42% des sections villageoises couvertes par cette étude en ont bénéficié. Si
l’on considère toutes les sommes versées par les sections villageoises en vue d’accéder
au crédit, les 85% proviennent de cotisations individuelles réalisées pour la circonstance
faute de disponibilités financieres collectives. Ce caractère individualisé des participations
mérite d’être retenu en raison de ses conséquences sur l’ensemble du système. On note
que dans deux sections, des individus n’ayant pu verser un apport personnel ont
bénéficié du crédit par solidarité. Cela a été accepté simplement parce que des fonds
collectifs ont pu être utilisés dans le financement des opérations. Par contre, dans 84%
des sections ayant participe, les dirigeants affirment qu’il existe des adhérents n6cessiteux
et dignes de confiance mais qui n’ont rien obtenu faute de pouvoir verser l’apport
personnel. La situation inverse est évoquée dans 40% des sections. Il s’agit d’individus
qui n’inspirent pas confiance mais à qui on ne pouvait pas refuser le crédit parce que le
versement de l’apport personnel leur donnait un droit absolu.
CONCLUSION
Dans le contexte des mutations institutionnelles qui sont en train de s’opérer, les
coopératives rurales sénégalaises doivent s’adapter à de nouvelles conditions d’existence.
La réforme structurelle de 1983 vise à promouvoir un type d’organisation plus conforme
aux exigences d’une veritable responsabilisation des coopérateurs. Ce concept qui est au
centre de la politique actuelle, ne semble toutefois pas avoir un contenu bien précis. Avec
les premières expériences sous l’égide de I’UNCAS, responsabilisation signifiait que les
dirigeants élus avaient le droit de distribuer les crédits disponibles comme ils l’entendaient
et le devoir de veiller au recouvrement des dettes. Il y a lieu de retenir ici que droit et
devoir s’impliquaient mutuellement.
Avec la CNCAS, la responsabilisation des coopérateurs a une seconde dimension que
matérialise le principe des apports personnels. En règle générale, l’absence de fonds col-
lectifs fait que ces apports ont un caractère parfaitement individualise. Ils donnent à chaque
participant le droit à une dotation qui correspond strictement aux sommes versées. Cela
signifie que les responsables n’ont plus la possibilité de dire qui aura quoi, avec tout ce
qui en découle comme conséquences. Pour eux, le concept de responsabilisation se trouve
complètement vidé de son sens. Ne jouissant plus des prérogatives qui leur donnaient un
grand pouvoir, on doit s’interroger sur les possibilités de donner un nouveau contenu
motivant à leur fonction. La plupart des responsables sont d’avis que si les multiples
servitudes qu’ils assument ne sont pas compendes dune manière ou dune autre, les
structures coopératives seront condamnées à disparaître faute de volontaires pour les

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diiger. Même la compensation des charges financières liées à leur fonction n’est pas assurke
en raison dune absence totale de moyens.
Avec le principe des apports personnels individualises, la porte d’accès au crédit se
ferme pour les plus démunis. Une conskquence de taille est que l’institution coopérative
tend a Bcarter ceux qui en ont le plus besoin. La question de fond est celle de savoir si
le mal est nécessaire sur le plan social pour que le systkme soit economiquement viable.
Quoiqu’il en soit, la base financière de viabilité dans l’autonomie reste à consolider voire
h créer. Même si la politique de désengagement et de lib&alisation mise en œuvre par
1Etat peut être stimulante pour les coopkatives, elle Jette aussi les bases d’une s&ction
1 _
a la ” Darwin “.
BIBLIOGRAPHE
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