INSTITUT SENEGALAIS DE RECHERCHES AGRICOLES ...
INSTITUT SENEGALAIS DE
RECHERCHES AGRICOLES
ETUDES ET DOCUMENTS
LES COMMERÇANTS PRTVÉS
ET L’APPROVISIONNElMENT
DU MONDE RURAL

CAS DES FACTEURS
DE PRODUCTION AGR;ICOLE
AU SÉNÉGAL

Matar GAYE
ISSN 08.50-8933
Vol 4 N” 4 1991

ISRA
Institut Sénégnlais de Recherches Agricoles
Rue Thiong x Valmy
BP. 3120
DAKAR, Sénégal
m
2124 25 / 21 19 13
Telex - 61117 SC
TLC 22 34 13
Document rdalis.6 par
la Direction des Recherches sur les Systbmes Agraires et I’Economie Agricole
Route du Front de Terre
B.P. 2057
Dakar - Hann
‘i-p 3 2 0 4 4 2
Matar GAY E,
Ingénieur agronome, Economiste
Chercheur à I’ISRA
Kaolack
Cette publication a 6té r&olirrée grâce à ww uubverction
du Centre de Rechercheo pour le Développement
Idernational (CRLII), Ottawa, Canada
0c ISRA 1991

LES COMMERÇANTS PRIVÉS
ET L’APPROVISIONNl3MENT
DU MONDE RURAL
CAS DES FACTEURS
DE PRODUCTION AGRICOLE AU SÉNÉGAL

ISRA - ETUDES ET DMXJMENTS -Vol. 4 - Np 4 - 1991
LES COMMERÇANTS PRIVhS ET L’APPROVISIONNEMENT
DU MONDE RURAL:
CAS DES FACTEURS DE PRODUCTION AGRICOLE AU SÉNl?GAL(~
M. GAYE,
Chercheur de I’ISRA,
Direction des Recherches sur les Systèmes Agraires et l’lkonomie Agricole
RJWJMÉ
L’approvisionnement du monde rural en facteurs de production est un défi de taille pour la
Nouvelle Politique Agricole au Sénégal. Le desengagement de 1’Etat se fonde sur l’hypothèse que
les operateurs privés sont en mesure de jouer un rôle non negligeable dans cet approvision-
nement. L’incitation majeure a consisté & r&admettre les traitants dans la collecte primaire des
arachides à partir de 1985-86. Cela n’a pas encore suscité leur intervention a grande Bchelle dans
le domaine des intrants agricoles. Les principaux facteurs limitants sont d’ordre structurcl ct
gravitent autour du risque dans l’octroi de cn5dit.s aux paysans.
Mots clés : Approvisionnement, CommerçMts privés, Crédits, Intrants. OPS.
0) Cette publication a tté rklisée grâce A une subvention du Centre dc Recherches pour le D&cloppcmcnt
lntcmational, Ottawa, Canada.

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SUMMARY
Input provision to farmers is a major challenge in the Senegalese New Agricultural Policy.
Govemment withdrawal rests upon the hypothesis that private sector cari pcrforrn a significant role.
The possibility to buy peanuts from, growers has becn extendcd to privatc traders since 1895-86
However, this inccntive measure SO far fails to induce large scale intervention with respect to inputs.
The most important limiting factors are structural and rclated to crcdit risk considcration.

INTRODUCTION
L’intervention des op&ateurs prives dans l’approvisionnement du monde rural en
facteurs de production constitue un grand sujet d’actualité. Sur le plan historique, le cadre
du partenariat entre paysans et commerçants locaux a connu une certaine evolution. En
ce qui concerne le volet credit, quatre grandes pbiodes peuvent être identifiees.
La première est celle pendant laquelle les maisons de commerce participaient active-
ment à la collecte des produits agricoles par l’intermédiaire des traitants. Les facilités de
credit constituaient une stratCgie pour attirer les paysans vendeurs d’arachide. Ces derniers
bénéficiaient de la concurrence assez vive qui existait entre les nombreux intervenants
locaux.
La deuxième période commença en 1967 avec l’éviction des traitants au profit des
cooperatives. Cette réforme devait sensiblement bouleverser les relations d’affaires entre
la communauté paysanne et les commerçants prives. Nous rappelons qu’une des missions
du Mouvement Coop&atif Ctait d’eradiquer les pratiques usuraires supposées li&s a l’eco-
nomie dc traite et dont le paysanat ttait victime. Les commerçants ayant perdu contrôle
sur les rccoltes étaient parallélemcnt devenus moins enthousiastes dans la fourniture de
cr5dit aux agriculteurs. Ils exigeaient des garanties de façon plus ou moins systématique.
En regle gcncrale, lc materiel de culture attelée distribue sous le Programme Agricole
était utilise comme gage.
Lu troisième période a commence avec la suppression du Programme Agricole en 1980.
Cela avait relativement réduit les possibilités d’offrir des garanties aux créanciers. En
coutre, l’expérience des années de secheresse n’a pas manqué d’influencer negativement
ces derniers. Les demandeurs de crédit devaient recourir surtout a leurs relations sociales
dans les situations difficiles.
A parfir de 1985-86, la reinsertion des commerçants OPS (Organismes Privés
Stockeurs) dans la collcctc des arachides devait *annoncer une nouvelle ère. Cette mcsurc
fait suite au désengagement de la puissance publique conformément aux dispositions de
la Nouvelle Politique Agricole. On peut se demander dans quelle mesure une telle
initiative peut favoriser l’intervention des commerçants dans le domaine des facteurs de
production agricoles.
SITUATION ACTUELLE
VUE D’ENSEMBLZ
Si on ne considère que les OPS ayant octroye des cn5dit.s durant la campagne agricole
1987-88, on observe une certaine différence en fonction de l’experience antérieure. Ceux
qui ont Cté traitants dans le passe tendent a se specialiser dans le crédit de soudure au
détriment des intrants agricoles. Cette « specialisation » se justifiait à l’epoque par le fait
que les paysans avaient des facilités de cr&lit officiel pour les principaux facteurs de pro-

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duction agricoles. Les anciens traitants rcprbscnlcnt 48% des OPS enquêtés et 41% de
ceux qui ont octroyC des crédits aux paysans en 1987-88. Ils ont fourni 225% du montant
des crtances accordees sous forme d’argent liquide, 55% du volume de cérWes ct 26%
des poids cumulés des semences et de l’engrais donnes & crUdit en 1987 par I’enscmble
des OPS. Ces chiffres appellent quelques questions et remarques.
Tout d’abord, pourquoi le crédit sous forme d’argent liquide occupe une place secon-
daire chez les anciens traitants par comparaison aux autres OPS ?
A ce sujet on observe que tous les anciens traitants sont des commerçants de profes-
sion, ce qui n’est pas le cas de la nouvelle gCnération d’OPS. Or, pour un commerçant,
l’octroi de crédit est aussi un moyen d’écouler des marchandises et surtout celles dont
la vente au comptant n’est pas tr5s aisée. Quand il est possible de céder une marchandise
en stock, le commerçant ne donne pas de l’argent à la place et cela semble bien s’inscrire
dans la logique de son activité. Des demandeurs d’argent peuvent même recevoir des
marchandises qu’ils revendent pour obtenir des liquidids.
Par ailleurs, le crtiit pour les intrants agricoles comporte théoriquement un risque plus
élevC dans la mesure où il est octroyé à un moment où aucun signe ne permet d’espérer
une bonne récolte. La question qui se pose est celle de savoir si les OPS plus expérimentés
apprécient mieux les risques erfcourus concernant le crédit aux paysans.
CAS PARTICULIER DE LA DISTRIBUTION DE L’ENGRAIS
S’agissant plus particulièrement de la distribution de l’engrais, une optration-test a éti?
lancée en 1987 pour impliquer davantage les OPS. Dans les régions de Kaolack et Fatick,
environ un OPS sur deux a éti participant. Il est remarquable de constater que c’Ctait
surtout ceux qui n’avaient pas une expérience d’anciens traitants.
Au total, 82% des stocks ont Cd cédC.s à crédit et 13% vendus au comptant. La prin-
cipale difficulté mention& se situe au niveau de l’écoulement du produit. En effet, la
plupart des intcrvenants ont octroy6 des cr&lits malgré eux pour se dtbarrasser d’une
marchandise qu’ils croyaient ti tort pouvoir vendre au comptant. La rCticence des OPS
nantis d’une plus grande exp&ience du monde rural traduisait certainement une ,meiileure
appréciation des réalités.
Aprés cette première opération, tous les participants se sont retirts au moins provi-
soirement. Les raisons évoqu&s sont partout les mêmes. Il s’agit dc l’impossibilité de
vendre l’engrais au comptant et de la difficulté de recouvrement des dettes accordées aux
paysans. Les taux dc recouvrement déclar&s varient de 15 à 95% avec une moyenne de
69%. Cela n’est pas encourageant si l’on sait que la campagne agricole a dans l’ensemble
été jugée bonne en 1987-88.
Concernant ceux qui n’ont pas participé à la distribution de l’engrais, le niveau des
prix constitue de loin le premier facteur évoquC. Ils pensent que même dans le cas d’une

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cession à crédit, les prix actuels ne sont dissuasifs que pour les paysans qui n’ont pas
l’intention de rembourser.
Parmi les raisons diverses, on peut retenir le cnractbrc saisonnier t.rEs mnrqub du com-
merce des engrais en zone d’agriculture pluviale. Tout stock non ~COUIC jusqu’a une ccrtairw
période de l’hivernage devra en principe atlcndre I’annéc suivante avec toutes les cons&
quences que cela implique. Plus de 30% des OPS ne disposent pas de magasins pour
le stockage de l’engrais. Certains d’entre eux ne sont pas des commerçants professionnels
et la distribution de l’engrais ne les intéresse pas.
FACTEURS INFLUANT SUR L’OCTROI DE CRÉDIT
Parmi les facteurs susceptibles de jouer sur l’attitude des OPS par rapport au crédit,
on peut retenir a priori la concurrence dans la collecte arachidière, la nature des relations
avec les demandeurs de crédit et l’incertitude au sujet des zones d’intervention.
LA CONCURRENCE
La concurrence dans la collecte arachidière joue-t-& sur la fourniture de crédit aux
paysans par les OPS ?
La réponse à cette question suppose un pr6alable qui est’d’établir l’existence réelle
de la compCtition. A ce propos, on note que contrairement a l’ancienne époque des traitants,
le nombre d’intervenants est limité par voie rCglementaire. A 1’6chelle de la Communauté
Rurale, il peut y avoir au maximum trois collecteurs y compris les coopCratives et leurs
lieux d’implantation sont officiellement fixés. La règle est de veiller à maintçnir entre
deux points de collecte quelconques une distance d’au moins cinq kilométres. Dès lors,
on assiste a l’instauration d’un véritable domaine réservC pour chaque collecteur notamment
par suite des contraintes de distance qui peuvent se poser aux paysans.
Les prix au producteur Ctant officiellement uniformisés, la concurrence nc pourrait SC
livrer que par le biais d’autres param8trcs. A ce sujet, il ressort des discussions avec Ics
paysans que la t.olCrance en matière d’impuretés et l’existence de fonds pour un rbglemcnt
immédiat des livraisons constituent des facteurs de compétitivité non négligeables. Quant
aux OPS, ils se sentent plus ou moins solidairement en compétition avec les coopératives
et vice versa. Les propos tenus au cours de réunions et dans les CRD (Comités Régionaux
de Développement) traduisent une âpre lutte d’influcnce entre les deux entités. On peut
penser que Ic crédit scmit plus stimulant chez les OPS lorsque les coopératives en donnent
aux paysans et vice versa.
Sur Ic plan empirique, aucune relation statistique significative n’a éti dCcel&c cntrc
l’octroi de crédit par un OPS et l’éloigncmcnt moyen de son plus proche « concurrent »
qui est soit une coopérative, soit un autre OPS.

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RELATIONS AVEC LES EMPRUNTEURS
La nature des relations avec les demandeurs dc crédit semble revêtir un caractère dé-
terminant. Ainsi, pour accorder une dette sans garantie matérielle et sans tenir compte
des liens familiaux ou d’amitié, la presque totalitC des OPS pose la condition que le deman-
deur soit un « client », c’est-à-dire un fournisseur potentiel d’arachide. Même sous cette
condition, quelques OPS (13% de 1’Cchantillon) refusent l’octroi direct de crédit à des
individus non familiers. A ce sujet, il faut signaler que la plupart des OPS enquêtés inter-
venaient dans des zones où ils étaient étrangers. Seuls 10% avaient des points de collecte
au niveau de leurs lieux de résidence en 1986-87 tandis qu’un quart ont opéré à plus
de 100 km de chez eux. Cependant, la possibilité de recourir 21 des interm6diaires locaux
bien connus r&duit l’ampleur du problème. Ainsi, avec l’opération-engrais lancée en 1987,
beaucoup d’OPS participants ont place des crédits par le biais de collaborateurs choisis
localement.
Pour les demandeurs de ctidit n’offrant aucune garantie ct qui ne sont ni parents ni
amis mais de simples «clients», la moyenne des plafonds acceptables par individu se situe
à 9 000 F de principal. Cette restriction justifie une multiplicit& des cr&nciers ou tout
au moins des contacts effectués par les cmpruntcurs lorsque les besoins à satisfaire dCpassent
une ccrlainc limite.
INCERTITUDE SUR LES POINTS DE COLLECTE
Le degré d’incertitude au sujet des zones d’intervention est un facteur non négligcablc.
En effet, la possibilité de ne pas conserver un point de collecte après une campagne don&
n’encourage pas l’octroi de crédit au niveau de la localité concernée; les créances n’étant
recouvrables que pendant la traite suivante.
La répartition des points de collecte se fait souvent avec un retard de sorte que les
OPS n’ont pas à temps la confirmation officicllc dc leurs lieux d’implantation. L’inccrtitudc
rCsulte dc nombreux facteurs d’instabiliti. On peut citer I’Cviction Cvcntucllc d’OPS faulifs,
la suppression de points de collecte n’ayant pu rhliser un certain tonnage, la réadmission
de nouveaux OPS pouvant nécessiter un redéploiement, les demandes de changements dc
partenaires qui Cmanent soit de la communauté paysanne, soit d’OPS voulant se rapprocher
de chez eux et enfin les prévisions de r&olte qui peuvent jouer sur le nombre global
de points de collecte nécessaires et sur leur rkpartition gbgraphique.
La prise en compte de tous ces facteurs ne facilite pas la confirmation à temps des
zones d’intervention qui peuvent rester incertaines au moment où les OPS sont sollicit&
pour le crédit.
CONCLUSION
Même si la réadmission des commerçants priv6s dans la collecte des r&oltes arachi-
diètes est une mesure incitative, leur participation à l’approvisionnement du monde rural
en facteurs de production reste trEs timide. Les risques inhérents ,i l’agriculture pluviale

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constituent la principale cause de r&cnce en ce qui concerne l’octroi de crédit. A cela
s’ajoutent des contraintes institutionncllcs 1iOcs aux inccrtiludcs sur les zones d’intervention
des OPS. La rCglcmcntalion leur fait bCnCficicr de quasi monopoles gCographiqucs, cc
qui ne stimule pas une strategie dc compCtition. Toutefois, la question reste de savoir
si une v&imblc concurrcncc les rendrait plus dispos& h octroyer des crédits pour attirer
les producteurs d’arachide. Même dans l’affirmative, les intrants dont le besoin n’existe
qu’en debut de saison auraient peu de chance d’être concernés. La strategie consistant
?I attcndrc jusqu’à cc que les signes dcvienncnt promcttcurs ne peut s’appliquer qu’au
credit dc soudure.
BIBLIOGRAPHIE
1
GAYE, M. 1986. La question semencierc dans le cadre de la Nouvelle Politique
Agricole. ISRA, Departcmcnt SystCme, Dakar, 78 p. (Mkmoirc dc confirmation).
2 GAYE, M., 1987. Le crédit informel cn milieu rural sCncgalais : Enqu~tc dans
les régions dc Fatick et Kaolack. ISRA, DRSAEA, Dakar, 25 p. Document dc travail
87-5.
3 GAYE, M., 1987. La problématique dc l’engrais dans le Bassin Arachidier. ISRA,
DRSAEA, Dakar. 20 p. Note d’information NQ 3.
4 GAYE, M., 1987. Enquêles sur l’acquisition cl l’utilisation des inuants agricoles
dans les régions dc Fatick et Kaolack. Campagne 1986-87. ISRA, DRSAEA, Dakar.
39 p. Document dc trwoil NQ 4.
5 GAYE, M., 1987. Les commerçants prives ct l’opération engrais dans les régions
de Fatick et Kaolack. Campagne 1987-88. ISRA, DRSAEA, Dakar. Note d’infor-
mation.
6 MINISTERE DU DEVELOPPEMENT RURAL, 1984. Nouvelle Politique Agricole.

Dans le cadre de la troisième tranche du
projet d’amélioration de l’Information scientifique et
technique du monde rural mené par le Minist&re
du Développement Rural et de PHydraulique au
niveau de son centre de documentation et finance
par le Centre de Recherches pour le Développement
International (CRDI), l’Unité d’Information et de
Valorisation (UNIVAL) de l’Institut Senégalais de
Recherches Agricoles (ISRA), a éte chargée de
realiser, a travers ses propres collections, des pu-
blications destinees au monde rural et à son
encadrement.
Ce document se veut un support d’informa-
tion et de vulgarisation, il a et6 redigé par les
chercheurs de I’ISRA.