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LE FINANCEMENT DE L’AGRICULTURE IRRIGUEE DANS LE DELTA
DU FLEUVE SENEGAL: INTERETS ET DERIVES DU CREDIT BANCAIRE
J.F. BELIERES*, M. HAVARD**, P.Y. LE GAL***
Communication prksentée au Skminaire International CIRAD - O.S.U. - U.O.
FINANCE ET DEVELOPPEMENT RURAL EN AFRIQUE DE L’OUEST
Ouagadougou - 21-25 Octobre 1991
NH : L e c o n t e n u de2 c e t t e c o n t r i b u t i o n n ’ e n g a g e q u e l e u r s a u t e u r s e t e n âlJCU!l
c a s l e s s t r u c t u r e s d a n s l e s q u e l l e s i l s t r a v a i l l e n t .
* Agro-Economiste CIRAD-DSA. S:I 1.11, Il!’ 74, Saint-Louis, SénCgal
** Agro-Machiniste CIRAD-CI:l:>t :l I IfUA, 111’ 240, Saint-Louis, S~~~gnl
*** Agronome CIRAD-DSA. ISRA. HI ‘Jo, Saint-Lmis, S&n&gal

Les systèmes de production agricole du Delta du fleuve Sénegal reposent essentiellement
sur la riziculture irriguee, et substituent largement le capital Q la main-d’oeuvre. La mecanisation
génCrale de la preparation du sol, l’utilisation accrue des moissonneuses-batteuses, le semis direct,
le recours aux herbicides et aux engrais mintkaux, constituent les traits marquants des itinkaires
techniques rencontres. Les charges correspondantes varient actuellement entre 1OOOOO et 250000
F/ha, et sont principalement constituées de biens et services importes (LE GAL, 1991). Dans ce
contexte le recours au cr6dit agricole s’est systGmatis6 tant pour l’achat d’équipements, la
création d’amenagements hydro-agricoles que le financement des frais de culture.
Longtemps totalement encadrk par la SAED (‘) dans la vall& du fleuve Sénégal, la filière
rizicole a Cté lib&alis& à partir de 1987. Des organisations paysannes se sont progressivement
constitucks d’abord sous la forme de Sections Villageoises issues du mouvement cooP&atif (1984),
puis rapidement de Groupements d’Interêt Economique (GIE). Ces organisations gèrent aujourd’hui
des amenagements de taille variable (20 à 800 ha), de l’approvisionnement en intrants à la
commercialisation du paddy en passant par les prestations m&anides et la gestion de l’eau.
L’organisation du crédit agricole n’a pas échappe à cette evolution. Jusqu’en 1987 la SAED
distribuait aux agriculteurs un crédit de campagne gratuit, dont les montants totaux culminèrent
à 1,4 milliard Fcfa en 19861987. Les sommes emprunt&s n’étaient pas mon&arisées mais
directement transformees en facteurs de production. De même le remboursement se faisait en
nature dans le cadre de la commercialisation officielle. La SAED acceptait les exonérations de
remboursement pour des parcelles dites “sinistnks”, faisant prendre en charge par 1’Etat les
montants correspondants. Les agriculteurs Ctaient très peu impliques dans la gestion globale de ces
opérations.
Ce système de cr&lit se caractkisait donc par une faible responsabilisation des paysans,
avec à la cl! des arriérés de paiement de l’ordre d’un milliard Fcfa en 1986-1987. Iorsque la
Caisse Nationale de Crklit Agricole du Senégal (CNCAS) a pris le relais de la SAED en 1987,
elle s’est trouvke face à des agriculteurs dont I’exp&ience en matiére de gestion konomique en
général, et des mkanismes de financement en particulier, était fort limitke.
Quel r&e la CNCAS a-t’elle joue dans le developpement récent du Del@? Comment les
agriculteurs se sont-ils adaptés à ce nouveau système de crédit? Quelles leçons peut-on tirer de
cette expérience de libkalisation économique? Cet article aborde ces différentes questions alors
que les mkanismes mis en place depuis quatre ans montrent des signes inqui&ants de déstabilisa-
tion et que les encours de la CNCAS, tires par un secteur prive dynamique (2), atteignent 5,4
milliards Fcfa en 1990-1991.
(1) Société Nationale d’AmCnagement et d’Exploitation des Terres du Delta du Fleuve Senégal et
des vallkes du Fleuve SénCgal et de la Falémé
(2) Par secteur privé nous entendons l’ensemble des opérateurs économiques organises ou non
(agriculteurs, jeunes diplômes+ fonctionnaires licenciés, commerçants, etc.) ayant investi dans
l’agriculture irriguée indépendamment de ]*Etat et notamment de la SAED.

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1. Fonctionnement et rhltats de la CNCAS
1.1. Les mtkanismes de financement de l’agriculture irriguCe
La CNCAS est une soci& d’&onomie mixte dans laquelle 1’Etat detient actuellement 26%
des parts. Elle finance differents secteurs économiques: p&he artisanale, élevage, habitat et
commerce ruraux, agriculture. Dans ce demier;cas les prêts recouvrent deux grands types
d’opération, à un taux annuel fixe de 15,556:
- les avances aux cultures sous forme de credits à court-terme (crédit de campagne)
n’exc&lant pas neuf mois: achat d’intrants (engrais, semences, pesticides, carburant, etc.) et de
services (travaux du sol, entretien des amenagements);
- l’achat d’equipements sous forme de crédits à moyen-terme de trois à cinq ans: groupes
motopompes (GMP), tracteurs, moissonneuses-batteuses, decortiqueuses, camions, etc.,
La banque peut prêter à des individus, des sociétes, des organisations pz?ysannes ayant un
statut juridique reconnu (Sections Villageoises ou GIE). Dans la pratique les GIE sont les, plus
représentes du fait de leur facilité de cr&tion et de la répartition collective des coûts et des risques
économiques. Ils permettent normalement de satisfaire les garanties demandees par la banque:
apport personnel minimal de 15 à 20% selon le type de prêt, visa technique de la SAED prouvant
la solvabilite du demandeur et la conformid de sa demande, nantissement et assurances (5
plOOO/an de l’exigible) pour les équipements agricoles.
Les procddures de financement font intervenir quatre structures: l’emprunteur, la CNÇAS,
le fournisseur et la SAED (schéma 1). La circulation d’argent reste trés limitde car les achats et
paiements se font en majorité sous forme de bons. Le système dans son ensemble bénéficie de la
garantie d’un prix d’achat officiel du paddy de 85 F/kg et de la transformation étatique contrôlee
par la SAED à travers ses rizeries.
Quelques differences apparaissent selon le type de prêt. Pour les crédits court-terme l’apport
personnel est verse par l’emprunteur sur son compte CNCAS au retrait des fonds,-après l’autorisa-
tion du prêt; les prix des biens et services sont discutes dans le cadre d’un “forum” organise par
la CNCAS regroupant fournisseurs et agriculteurs. Les delais, genéralement courts, entre
l’expression des besoins et la mobilisation des fonds sont calqués sur le démarrage dès campagnes
agricoles, et les dates d’echeance coïncident avec la commercialisation du paddy (respectivement
juin et 28 février pour la campagne d’hivernage).
Pour les cr&lits d’équipement l’apport personnel est versé à la demande au vu de la façture
pro forma du fournisseur; l’autorisation de la direction centrale de la banque est nécessaire pour
des prêts excédant 20 millions Fcfa; les delais entre la demande et la livraison peuvent atteindre
4 à 6 mois; les dates d’ech&mce des annuités ne sont pas systematiquement calquées sur les
périodes de commercialisation.
1.2. Les résultats de la CNCAS
En quatre ans d’activités la CNCAS a considerablement augmenté ses encours. Les prêts
de campagne ont suivi une croissance exponentielle, passant de 148 millions Fcfa en 1987-1988
à 4 685 millions Fcfa en 1990-1991 (graphique 1). Cette évolution a touché les trois campagnes
de culture pratiquées dans la region: tomate de saison froide, riz de saison chaude et riz d’hivefna-

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Les bCnCficiaires de ces prêts sont passes de 32 en 1987-1988 à 1217 en 1990-1991,
comptant respectivement 34% et 90% de GIE. Ce phénoméne traduit l’atomisation progressive des
organisations paysannes, corollaire de l’individualisation des stratégies en matière d’aménagement
et de mise en valeur des zones encore disponibles, Alors que la SAED ne r&lise plus aucun
nouveau p&imètre dans le Delta les sommes ainsi degagées ont fortement contribué à
l’augmentation des superficies amenagk, estimées aujourd’hui b. 28000 ha irrigables, dont 15000
ha hors SAED. Parallelement les superficies cultivees et la production estimee de paddy ont
augmente respectivement de 83% et 44% depuis 1987-1988.
Ce mouvement a également touché les crklits d’kquipements qui sont passes de 45 millions
Fcfa en 1987 à 730 millions Fcfa en 1990 (graphique 2). Sur les 257 prêts à moyen-terme accord&
en trois ans pour un total de 1 380 millions Fcfa, 85% des btkeficiaires sont des GIE, 69% des
prêts concernent l’achat des groupes motopompes nkessaires à l’irrigation des nouveaux
aménagements. Ceux-ci sont de conception sommaire, sans planage ni réseau de drainage de
surface, car l’absence de ligne de credit adaptee à ce type d’investissement oblige les agriculteurs
à limiter leurs coûts (35000 à 80 F/ha), pris en charge dans les prêts de campagne sous la
rubrique “entretien d’amenagement” .
Globalement la CNCAS a finance 50% du parc de matkiel aujourd’hui present dans le
Delta. Si les 125 tracteurs permettent de couvrir les besoins actuels en matière de façons culturales,
les 30 moissonneuses-batteuses ne peuvent récolter que 20% des superficies cultiv& (TANDIA
et HAVARD, 1990; TOURE, 1990; DEMARET, 1991). Le developpement éventuel de la double
culture et du paiement du paddy à la qualité! ouvrent encore de larges possibilités à cet invesqlsse-
ment. Il en est de même des matkriels de dkorticage avec la privatisation de la transformation du
paddy: d’ores et déjà 120 décortiqueuses fonctionnent dans les villages du Delta et la CNCAS a
finance une rizerie semi-industrielle gCrde par un groupement de femmes.
L’ensemble des sommes ainsi injectees par la banque a largement contribue au développe-
ment tkonomique regional et à la reussite du transfert des fonctions autrefois gerées par la SAED
vers les organisations paysannes. Nkmmoins des risques de dktabilisation apparaisSent,
perceptibles à travers l’évolution des taux de remboursement (%):
1987-1988
1988-1989
1989-1990
1990-1991
Court-Terme
100
97
93
55 Cl
Moyen-Terme
-
94
78
73
Ce phénomène dangereux pour l’avenir économique de la Vallée explique le gel des
demandes d’Équipement effectué par la CNCAS à partir de 1991. Ses origines sont à rechercher
à la fois dans la rentabilid des Op&tions financkes et dans les modalités de gestion des prêts par
les organisations paysannes.
II. La rentabilité des ophations financées
La viabilite d’un système de crédit depend en grande partie de la rentabilité des op&ations
qu’il finance. Or les resultats économiques de l’agriculture irriguée dans le Delta présentent une
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(3) Chiffre au 3110511991, alors que les échkmces normales des prêts sont au 28/02/199 1 et ique
la SAED avait achete son quota de paddy pour la campagne correspondante.

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situation contras& selon les amenagements et les activids financées par la CNCAS, à savoir les
amenagements “SAED”, les GIE prives et les prestations m&anis&s (tableau 1).
Sur les amhagements cr& et encore gCr& par la SAED, les resultats sont en génkal
positifs pour des raisons à la fois techniques et kconomiques (LE GAL, op. ct.). La complète
maîtrise de l’eau, la nature des sols et la faiblesse des superficies cultivkes par adherent, gage d’un
meilleur suivi des cultures, permettent d’atteindre des rendements de 7 à 8 T/ha en riziculture, avec
des moyennes de 4 à 5 T/ha. L’eau subventionnee (42000 Fcfalha), la prise en charge des
investissements hydrauliques par YEtat, limitent les charges totales à un niveau raisonnable pour
le Delta, de l’ordre de 150000 Fcfa/ha.
Sur les amhagements mis en place sur initiative priv&,la situation parait variable en
fonction des conditions du milieu naturel (salinite et topographie des sols) et de constitution des
GIE. Mais les resultats peuvent être très deficitaires (graphique 3). Les amenagements sommaires
offrent une maîtrise hydraulique tres limit6e tout en pr&entant un coût elIcvC pour les agriculteurs
(frais de terrassement, genie civil, achat d’un groupe motopompe), portant les seules charges en
eau jusqu’à 1OOOOO Fcfa/ha en simple culture.
L’importance des superficies amenagées (de 30 à 100 ha et 3 à 40 adherents pour 6 GIE
suivis en 1990-1991) ne facilite pas le suivi des cultures, notamment le contrôle de l’enherbement.
Cette situation favorise la baisse des rendements déjà potentiellement rtkluits par les contraintes
de sol et d’amenagement, pour atteindre des valeurs de 2 à 4 T/ha en riziculture. Elle contraint
egalement les agriculteurs à faire appel aux moissonneuses-batteuses lors de la rkcolte, à des coûts
trés Clevés (20% du paddy rkold). Augmentation des charges d’une part, diminution des
rendements de l’autre: la rentabilitC des initiatives paysannes parait loin d’&re assur6e dans
les conditions actuelles d’amhagement et de mise en valeur.

Les prestations mCcanis&s sont par contre très rentables pour les entrepreneurs et les
organisations paysannes (HAVARD, 1991; KANTE & KANDJI, 1991). Elles bknékient d’un
marche porteur, liber& par le desengagement de la SAED, et de niveaux de facturation Clevés,
ddcides non à partir d’une estimation des coûts mais des prix pratiques antkieurement à la
libéralisation du marche. A titre d’exemple les tx’néfices tires de ces operations ont permis à deux
Sections Villageoises de doubler leur parc de matériel en deux ans (tracteur et moissonneuse-
batteuse) et d’acquerir deux camions. Cependant la cherte du credit et sa faible duree nkcessitent
une utilisation intensive des kquipements: 300 ha/a.n pour une moissonneuse-batteuse de 12C)cv,
600 ha/an pour un tracteur de 100~ en travail du sol.
Ces données expliquent en partie la degradation récente des comptes de la CNCAS.
Jusqu’en 1989 la majorité des prêts vont à des groupements “SAED” pour leurs frais de campagne,
ou à des achats d’&@pements lourds. En 1990 les sommes importantes prêtees à des GIE sont
utilisees à l’extension des amenagements sommaires. Ainsi la zone de Boundoum, à l’intérieur du
Delta, represente la moitié des prêts de GMP et plus de la moiti6 des impayés de la campagne
1990-1991. Bien que ces statistiques soient partielles nous ferons ici l’hypothèse que les difficultés
de remboursement rencontrks actuellement par la CNCAS sont dues essentiellement aux
mauvais rhltats de l’irrigation privCe plutiM qu’A l’existence de détournements de fonds ou
de mauvais payeurs. Cette hypothese est egalement Ctayee par les modalités de gestion des prêts
dans les differents cas.

III. Modalit4.s de gestion des prêts
3.1. Constitution de l’apport personnel
Sur les amenagements SAED où seuls des prêts de campagne sont sollicités par les
groupements, l’apport personnel est constitué par les fonds propres des adherents. Chacun ajuste
sa demande en fonction de ses besoins r6els et de son disponible financier. L’organisation paysanne
se charge de collecter les fonds et d’instruire la demande de prêt, somme des demandes
individuelles: elle ne prend de ce fait aucun risque financier, et la banque de même.
L’achat des dquipements lourds pose g6nCralement problème aux agriculteurs car les
montants des apports personnels sont nettement plus ClevCs. Les cotisations individuelles des
adherents ne pouvant suffire, diverses voies sont utilisées: constitution d’une caisse aliment& par
des ristournes tirdes de la commercialisation du paddy ou de sur-facturations diverses aux adherents
(cf. infra), recettes d’equipements antkrieurs, crédits fournisseurs. Pour la banque ces pratiques
sont financièrement saines: ce n’est pas le cas pour certains GIE qui ont constitue leur apport
personnel à partir des fonds tirés des crédits de campagne. Or ces cas se sont g&klis& en 1990
avec les GIE prives.
Ces GIE sollicitent en génkal des prêts de campagne et d’Équipement pour l’achat de
groupes motopompes. Les apports personnels requis dépassent en général largement les
disponibilids réunies des membres du GIE: au demarrage de l’op&ation les superficies aménagees
representent un saut quantitatif important par rapport à la taille initiale des exploitations agricoles
qui exckle rarement 10 ha. Par la suite les revenus degages ne permettent pas toujoùrs de provi-
sionner l’apport personnel de la campagne suivante.
Pour lever cette contrainte la plupart des GIE font appel eux fournisseurs d’intrants, qui
leur avancent l’apport personnel nécessaire mais attendent que le virement du prêt ait Cte effectué
par la CNCAS pour r&.liser les services escomptes. Cette Op&tion est contraire aux mécanismes
mis en place par la banque mais elle est rendue possible avec la complicitk du GIE qui accepte de
signer des bons pour de fausses livraisons. GCnCralement le fournisseur se rembourse dès l’argent
“sorti“ de la CNCAS, avec parfois un interêt de 5%. Plus rares sont les cas d’un véritable credit
fournisseur, avec remboursement en fin de campagne.
Ce système suppose des relations de confiance mais également de dépendance étroite entre
fournisseurs et GIE. Les premiers peuvent injecter à bon compte de l’argent frais dans leur
trésorerie, leur surface financière paraissant pour la plupart limitée. Les seconds peuvent
démarrer leur campagne agricole sans fonds propres
mais doivent adapter leurs demandes et la
gestion de leur disponible à ce mode particulier de financement.
3.2. Montant et utilisation des prêts de campagne
Sur les amenagements “SAED” les montants des demandes demeurent dans des limites
raisonnables, de l’ordre de 150000 F/ha soit 125000 F/ha empruntes, et les frais financiers
representent en moyenne 14000 F/ha. Certains paysans peuvent cependant gonfler leurs besoins
pour degager de la tresorerie ou des intrants utilisables hors de I’amenagement. Mais l’encadrement
social du credit, à travers le filtre des présidents, tresoriers et gestionnaires des groupements,
permet de réduire ces disparités ou de les fondre dans les demandes globales présentkes à la
CNCAS.

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Sur les GIE privés le gonflement des demandes est sysdmatique et rendu nkcessaire par
l’absence de fonds propres. Ce phtnoméne, qui atteint 20 à 50% des besoins réels de financement,
est egalement alimente par:
- des dépenses théoriquement non couvertes par la banque mais nkcessitant de la trésorerie:
nourriture des adherents sur les chantiers collectifs, frais de transport pour demarches diverses;
- des difficultks de planification des depenses par manque d’expérience dans la gestion de
tels projets et une méconnaissance du milieu naturel en première ann6e (enherbement, types de
=a
- des investissements sur-dimensionnés par rapport aux besoins du moment mais raisonnCs
en fonction d’extensions fonciers futures (choix des groupes motopompes).
Au total les demandes ramentks B l’hectare varient de 95OW à 22 1000 Fcfa (moyenne= l-
70000 Fcfa/ha; CV=24%), maigre des itinkaires techniques suivis très proches.
L’absence de factures et de gestion comptable facilitent une utilisation très souple des
sommes versées par la CNCAS aux fournisseurs des GIE. Les programmations Ctablies par les
groupements dans les demandes pr&entt?es à la CNCAS ne sont en gén&al pas suivies. Ce
phenoméne délibére permet de tenir compte de postes imprevus, ou fait suite à l’incapacite du
fournisseur à rendre le service escompte. Des bons inutilises sont également r&roc&és à d’autres
GIE avec remboursement en fin de campagne, y compris l’intérêt de la banque. Enfin certaines
sommes sortent du secteur agricole pour satisfaire des besoins divers, d’ordre social ou
commercial.
Ces pratiques ont une incidence directe sur le coût total du crédit de campagne qu’elles
contribuent à augmenter de cinq à six points, le portant en moyenne à 17000 Fcfa/ha (tableau 2).
3.3. Modalitks de remboursement des prêts
Quelles que soient les opkations financtk, les organisations paysannes rencontrent toutes
des difficultés de remboursement liees aux dysfonctionnements de la commercialisation du paddy.
Les retards de paiement des échkmces sont la règle bien que la plupart des responsables,
conscients de l’importance du crtklit dans leurs systèmes de production, se donnent pour premier
objectif le remboursement de la CNCAS. Ils commercialisent donc au prix et dans le circuit offi-
ciels les quantités de paddy nécessaires à cette oNration, dans la mesure bien sûr de leurs
productions. De son côté la CNCAS, consciente des blocages poses par l’organisation actuell,e de
la filière rizicole, accepte des delais de remboursement des prêts de campagne allant jusqu’à 3
mois après &h&nce.
Mais au delà de ce problème general, chaque cas génere ses spécificités. Ainsi sur les
amenagements “SAED”, les remboursements des prêts de campagne sont l’occasion pour les
groupements d’alimenter leurs fonds propres, à travers le calcul des exigibles. Par exemple les
intérêts bancaires sont calculCs sur la somme totale consommee, apports personnels inclus. Cette
sut-facturation porte le taux d’indrêt reellement payé par les adhérents à 24,2% sur douze mois
(DIAKHO, 1990). Ces pratiques ne sont pas toujours connues des paysans du fait d’un manque
global de transparence et d’information internes dans la gestion economique des groupements.
Ce problème de transparence se retrouve sur les GIE privés, où aucun bilan détaillé ni
compte d’exploitation n’est dresse en fin de campagne maigre les sommes imp&tantes investies.

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4.

Lorsque l’amenagement est gére collectivement, un bilan des activites est rt?alisk en fin de
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campagne par “g-randes mas&, agrkgeant les depenses par crdancier: CNCAS, fournisseurs,
autres organisations paysannes, etc.. Si les parcelles sont gtWes individuellement, un calcul des
“exigibles” par adherent est réalid sur des bases très variables mais qui tendent à reproduire les
modalites utilis6es sur les amenagements “SAED”. Mal adaptées aux situations actuelles ces
methodes ne tiennent pas compte des intérêts effectivement dus à la CNCAS. Dans certains cas
les frais financiers sont sous-estimés car calcules sur un nombre limite de postes, qui plus est à
partir des depenses réelles et non des demandes initiales. Dans d’autres au contraire les sommes
perçues depassent les frais rdels car le gestionnaire inclue des dtpenses n’entrant pas dans la
demande de prêt. D’une maniére g6néraIe les intérêts à payer n’apparaissent jamais comme une
charge spécifique, a fortiori la distinction entre prêts à court- et moyen-terme.
Or ces derniers posent des problèmes spécifiques car leurs 6chkmces sont souvent decalées
par rapport aux dates de commercialisation. Cette situation implique donc qu’à cette période chaque
organisation débitrice provisionne son compte du montant de l’annuité à payer. Cette opkation
dépend largement du type d’activité financée.
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Pour les tracteurs et les moissonneuses-batteuses, les sommes existent. Comme elles
dépassent souvent le montant des annuites les responsables se trouvent confrontes à des problèmes
de gestion de la trésorerie: que faire de l’argent collectk et comment planifier les besoins en
espkes? La situation diffère largement pour les groupes motopompes qui ne produisent pas
directement des revenus. Leur remboursement dépend donc des resultats globaux réalisés par les
GIE, et de leurs soldes de tresorerie en espèces une fois les frais de campagne couverts. L’examen
du graphique 4 montre que leurs situations sont parfois preoccupantes.
IV. Discussion et propositions
La societé rurale du Delta et son environnement socio-économique sont en pleine mutation.
La libkalisation des filieres agricoles a ouvert des espaces économiques dans lesquels se sont
engagés de nouveaux op&ateurs’. La CNCAS a joue un r81e important dans cette evolution, en
donnant aux organisations paysannes les moyens nkcessaires à la rkalisation de leurs ambitions. De
leur cote les agriculteurs ont manifeste de &Iles capacites d’adaptation et de gestion, passant en
un temps tres court d’un statut de dependance à la prise en charge de ces outils de prodluction
complexes que sont les aménagements hydro-agricoles (LE GAL & DIA, 1990).
Non comptant de gérer l’existant, les producteurs du Delta ont rapidement compris l’enjeu
que représentaient les terres laissées vierges le long des axes hydrauliques, dans un contexte
économique où la riziculture irrigutk était une activité rentable donc susceptible d’attirer les
convoitises exdrieures. Soucieux d’agrandir leur patrimoine foncier amenage ils ont trouve dans
la CNCAS un interlocuteur prêt à financer des opkations apparemment rentables. Les riziculteurs
du Delta, forts de trente années d’exp&ience, pouvaient en effet se prtkloir de rendements
honorables sur les amenagements SAED.
Or ces opérations se revélent à l’expkrience peu rentables. De cette méprise viennent les
deconvenues actuelles mais ses origines sont à rechercher dans les logiques de fonctionnement
contradictoires des differents acteurs. En tant qu’organisme bancaire la CNCAS poursuit une
logique de profit, basée sur l’intensification des systèmes de production irrigués à travers la
valorisation technico-Cconomique des facteurs de production financés.

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A l’inverse les paysans fondent leurs strategies sur une logique de minimisation des risques
les conduisant à diversifier leurs activites et etendre leurs superficies cultivées. La mkanisation
s’avére l’outil idéal pour rt%liser ces objectifs en r&luisant les goulots d’étranglement aux p&iodes
les plus tendues (preparation du sol, r&olte). Mais elle ne rt’soud pas tout: semis, fertilisation et
desherbage sont toujours effectues manuellement, demandent un suivi attentif de la culture et
conditionnent le rendement final. En rtiduisant le temps consacre par hectare à la rizicultwe les
agriculteurs du Delta ont adopté des comportements extensifs originaux puisqu’ils s’accampa-
gnent d’une forte mobilisation de capital par unit4 de surface. Ces choix ont eu une incidence
directe sur la productivite des amtnagements concernés.
Dans cette confrontation entre deux logiques differentes, les paysans ont utilid les service
de la CNCAS pour couvrir leurs besoins financiers. Des comportements adaptatifs (PETIT, 1981)
leur ont permis de tourner les règles bancaires en matiere d’apport personnel et de gestion des
fonds: gonflement des demandes et accords avec les fournisseurs notamment. Ce faisant ils ont sur-
&alué leurs capacit& économiques, mais Cgalement techniques: comparativement aux
aménagements SAED où la maîtrise de l’eau est assuree la riziculture sur des aménagements
sommaires pose de nouvelles contraintes, dont l’importance est accrue par la taine des superficies
à conduire.
En financant cette dynamique la CNCAS a surévalue à la fois sa rentabilité’ et l’efficacid
de ses garanties. La SAED n’a pas joue son r61e de contrôle technique en donnant son visa à des
dossiers mal montés; les apports personnels se sont aven% virtuels dans bien des cas, la banque
finançant en fait l’ensemble des opkrations. Elle ne s’est pas donnée les moyens d’etudier les
demandes de prêts et de suivre leur utilisation reelle, deleguant cette fonction à la SAED ou
d’eventuels bureaux d’etudes prives malheureusement absents de la région.
Ces derives étaient jusqu’ici limitées aux GIE prives. Mais la rentabilité des autres
opkations se trouve menacée par I’evolution actuelle de l’agriculture irriguee dans le Delta. La
suppression des subventions sur les aménagements SAED avec le transfert de la gestion de l’eau
aux organisations paysannes entrainera une augmentation des charges de culture. Parallélement la
privatisation souhaitke de la transformation du paddy sans relevement du prix du riz blanc au
consommateur devrait amener une baisse du prix du paddy au producteur, et donc des revenus
bruts. Ce phenomène touchera egalement .la rentabilite des moissonneuses-batteuses. La
concurrence sur les prestations de travail du sol s’intensifie avec l’augmentation du parc de
tracteurs. Les coûts des 6quipements sont à la merçi des taux de change internationaux. Dans ces
perspectives un redressement rapide des mécanismes financiers s’impose, base sur une gestion
technico4conomique rigoureuse du milieu naturel et des outils de production disponjibles.
Quelques propositions peuvent être faites en ce sens.
Certains aménagements des produits et des procédures financiers paraissent rapidement
n&essaires. Ils visent d’une part une meilleure adaptation des services bancaires aux besoins des
agriculteurs, de l’autre un assainissement des filières. Dans le premier groupe nous citerons
l’aménagement des apports personnels sur les crédits de campagne en relation avec l’épargne , la
possibilité de financements en espèces et non plus sous forme exclusive de bons, l’allongement des
durées de prêt pour équipements, l’ouverture de prêts à long-terme pour aménagepents
accompagnés de subventions, la modulation des taux d’intérêt, la création de prêts à taux bonifits.
L’assainissement des filikres de financement suppose notamment la mise en place d’un
dispositif d’agrément des fournisseurs, la création de comités d’attribution des prêts, la réforme
du système de garanties qui pourrait se baser sur des titres fonciers qui restent à crCer, et la
production de documents de gestion par les emprunteurs. ‘Ce dernier point implique une formation

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des agriculteurs et l’existence d’un dispositif efficace de suivi-conseil technico-kconomique, à
même d’assurer une meilleure rentabilit.6 des investissements effectués. L’amélioration du systéme
de credit s’inshe donc dans une refonte globale des structures composant l’environnetient

économique des producteurs.
Sur le plan purement bancaire trois objectifs paraissent prioritaires: responsabiliser les
paysans dans la gestion de la CNCAS, ameliorer la gestion de la tresorerie et favoriser l’epargne
des op&ateurs konomiques. Dans cet esprit un processus de mutualisation et de r6gionalisation
est en
cours, qui devrait rapprocher la CNCAS de ces clients. Les relations entre l’organisme
bancaire et les organisations paysannes de base pourraient notamment prendre deux formes:
- une option directe où la CNCAS crkait des agences locales, à même de connaitre leurs
clients, de les fideliser et de collecter leur épargne. Avec la multiplication des GIE et des
intermédiaires un tel schema peut cependant s’averer coûteux.
- une option indirecte où la CNCAS dbkguerait la gestion des prêts (instruction des
dossiers, garanties, recouvrement des creances) à des Organisations Fkleratives Paysannes (OPF),
regroupant un nombre variable de groupements de base. Ces OPF, dejà au nombre de quatre sur
le Delta, assumeraient alors les risques konomiques et une partie des frais de gestion aujourd’hui
pris en charge par la banque. Cette formule semble avoir la preference de la CNCAS actuelle, mais
aura-t-elle I’agrement des agriculteurs et de leurs ft%dCrations une fois ses contraintes clairement
comprises?
Parallèlement il conviendrait de r&kkhir à l’évolution du dispositif d’appui aux
producteurs, afin de former et suivre efficacement les responsables de groupements et les amener
progressivement à maîtriser leurs opérations sur les plans technique et économique. A l’instar de
la CNCAS les agriculteurs devront être progressivement impliqués dans la gestion des structures
concernees à travers des representants dans leurs conseils d’administration.
Ce problème de representation,
inherent à une plus grande responsabilisation des
producteurs dans la gestion des filières agricoles, est à la base des Cvolutions futures de cette
tkonomie. Des intervenants exterieurs peuvent aider à la dtfïnition et la mise en place de nouvelles
structures, mais leur fonctionnalit dependra avant tout des capacités de la sociéte%cale à tlaborer
des mkanismes de contrh internes compatibles avec la reproductibiliti d’un système de
production onCreux et complexe. Les problemes actuels de recouvrement des 6ch6ances et les
interrogations sur l’avenir de la filiére rizicole irriguée, mettent ainsi en jeu les capacites des
agriculteurs à s’unir face aux nouveaux defis qui leur sont jet&.

10
BIBLIOGRAPHIE
0. DEMARET, 1991. Motorisation dans la Valltk du fleuve SCnegal. Stratégie et dynamique
d’Équipement des différents prestataires de service. Mémoire de fin d’études. CNEARC. 123 pages
+ annexes.
M. DIAKHO, 1990. Le financement de l’agriculture irriguée à travers les organisations paysannes
dans le Delta du Fleuve Senégal (cas de Diawar et Thiago). Memoire ENSSAA-ISRA. 76 pages
+ annexes.
M. HAVARD, 1991. Note d’information sur les resultats du suivi des moissonneuses-batteuses de
la Section Villageoise 1 de Diawar. 2 F&ier 1989 au 20 F&ier 1991.
ISRA. 15 pages.
S. KANTE & B. KANDJI, 1991. Note d’information sur les resultats du suivi des tracteurs de la
Section Villageoise 2 de Diawar. Du 27 Mai 1989 au 16 Janvier 1991. ISRA. TI pages.
P.Y. LE GAL, 1991. Les performances kconomiques des agriculteurs du Delta du fleuve SCnCgal.
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P.Y. LE GAL & 1. DIA, 1990. Le desengagement de 1’Etat et ses conséquences dans le Delta du
fleuve SCnegal. ISRA. 9 pages.
M. PETIT, 1981. Théorie de la decision et comportement adaptatif des agriculteurs. in: Formation
des agriculteurs et apprentissage de la décision. Actes de la journée d’etude du 21 janvier 1981,
Dijon, ENSSAA, INPSA, INRA, INRAP.
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Vallée du fleuve Sénégal. ISRA. Cahiers d’information. Vol. 4. n”2. 21 pages.
E.H.A. TOURE, 1990. Les PME prestataires de services en mkanisation dans le Delta du fleuve
Senégal. Mémoire de fin d’études. INDR. 90 pages + annexes.

11
Schéma 1
Procédures d'utilisation des prêts CNCAS
VERSEMENT DU PRET
EMPRUNTEUR
FOURNISSEUR
CNCAS
-
EXPRESSION
ACCORD PRET
DES BESOINS
APPORT PERSONNEL
RECEPTION
LWRAISON
DES BONS
b B I E N S E T
SERVICES
1
CERTIFICATION
DES BONS
BONS CERTIFIES
ENCAISSEMENT
SERVICE FAIT
FACTURE
.-~-
__-__ - .---.~-
.---
REMBOURSEMENT DU PRET
-y-
EMPRUNTEUR
SAED
CNCiS
-~-
OU ANNUITES
-
-
-
-
-
~-...
1
RELIQUATS
CREDIT COMPTE
I
J
-~

12
Graphique 1
Evolution des crédits de campagne accordés par la CNCAS
Milliards Fcfa
87188
88i89
89/90
go/91
Années
Campagne agricole
B Hivernage
@?! Saison froide
-~-
Graphique 2
Evolution des crédits d'équipement accordés par la CNCAS
Milllons Fcfa
8 0 0
r
6 0 0
4 0 0
2 0 0
0
8 8 - 8 9
8 9 - 9 0
SO-si
Annbes

13
Tableau 1
Résultats économiques de différentes opérations
financées par la CNCAS
Riziculture
Riziculture
Tracteur
Moissonneuse
"SAED"
privée
Batteuse
(1)
(2)
(3)
(4)
Revenu brut (F/ha) 327000
274000
16640
58750
Charges (F/ha)
154000
250000
12360
44750
Revenu net (F/ha)
173000
24000
4280
14000
(1) moyennes sur 246 parcelles
- campagnes agricoles de 1988 à 1990
Source: LE GAL, 1991.
(2) moyennes sur 6 GIE privés - campagne agricole 1990-1991
Données non publiées.
(3) résultat sur un tracteur - 1514 ha travaillés de mai 1989 à septembre 1990
Source: KANTE & KANDJI, 1991.
(4) moyennes sur deux moissonneuses-batteuses
- 1250 ha récoltés de février 1989
à février 1991 - Source: BAVARD, 1991.
Tableau 2
Coûts réels du crédit de campagne
en fonction des pratiques de gestion des GLE
(Moyenne sur 6 GIE - Hivernage 1990)
coût
coût
Intérêt perçu
théorique
réel
par GIE
(1)
(2)
(3)
taux (%)
11,6
17,2
19,l
F
700000
890000
957000
F/ha
12400
17000
15300
(1) basé
sur les dépenses
réelles du GIE moins un apport personnel
de 15% et
multipliées par un taux d'intérêt annuel de 15,5% sur neuf mois
(2) intérêts réellement payés par le GIE sur dépenses réelles
(3) pour trois GIE dont le foncier est distribué individuellement

14
Graphique 3
Résultats économiques de 6 GIE privés
(Hivernage 1990)
1000 Fcf a/ha
300 -j----
- - - - - - -
-200 -L-
---_
Charges totales
Revenu net
IlIz.l SIL
m EMW
m S D
Es M Y
Y G
- AK
E Moyenne
Graphique 4
Solde de trésorerie en espèces de 6 GIE privés
(Hivernage 1990)
Millions Fcfa
10
_~_-~_-
T
-4 --1
.~--.-,-