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Crée en septembre 1973, le Comite Permanent Inter-Etats de lutte
contre la Sécheresse dans
le Sahel (CILSS) est une organisation de
coopération régionale regroupant les Etats suivants :
Le Burkina Faso, le Cap-Vert, la Gambie, la Guinée-Bissau, le Mali,
la Mauritanie, le Niger, le Sénégal et le Tchad. Le CILSS entretient
d’étroites relations de coopération avec de nombreux organismes et
pays donateurs réunis au sein d’une instance de concertation dé-
nommée CLUB DU SAHEL.
Outre le Secrétariat exécutif basé à Ouagadougou (Burkina Faso), le
CILSS dispose de deux Institutions spécialisées : le Centre AGRHY-
MET à Niamey (Niger) et l’Institut du Sahel à Bamako (Mali).
L’Institut du Sahel a pour attributions :
- La collecte, l’analyse et la diffusion des résultats de la recherche ;
- la coordination, la promotion, la planification et l’harmonisation de la
recherche ;
- le transfert et l’adaptation de technologie ;
- f a formation des chercheurs et techniciens.
Un des programmes mis en œuvres au sein de l’Institut, I’UNITE SOCIO-
ECONOMIQUE ET DE DEMOGRAPHIE (USED),
a développé depuis
1980 plusieurs projets nationaux et régionaux de recherche et for-
mation sur les thèmes suivants :
- Exploitation et analyse des données démographiques ;
- Etudes sur la mortalité infantile dans le Sahel ;
- Etudes sur les interrelations entre Population, santé et développe-
ment ;
- Collecte de statistiques sanitaires ;
- Etudes sur les migrations ;
- Planification socio-économique pour la Région du Sahel ;
- Formation de cadres statistiques et démographiques ;
- Formation en micro-informatique.
Le Programme USED bénéficie de l’assistance financière et techni-
que de plusieurs organismes notamment I’USAID, le FNUAP, le CRDI,
le centre de développement de I’OCDE, le PNUD.

UNE SOCIETE PASTORALE EN MUTATION
SOUS L’EFFET DES POLITIQUES
DE DEVELOPPEMENT

DANS LA MÊME COLLECTION
NO 1 : Situation démographique des Etats membres du CILSS, par
Nassoum G. Ouaïdou.
No 2 : Bilan du développement économique des pays du CILSS et
perspectives.
No 3 : Population et éducation : le cas du Sénégal, par Mody Niang.
No 4 : Les problèmes actuels du nomadisme sahélien : le cas de la
Mauritanie, par Abdel Wedoul Ould Cheikh.
No 5 : Les actes du séminaire sur le plan d’enquête des EMIS.
No 6 : Les actes du séminaire méthodologique sur les interrelations
population, santé et développement.
No 7 : Sources de l’histoire démographique des pays du Sahel
conservées dans les archives, 1816-l 960, par Saliou Mbaye.
A PARAITRE :
No 9 : La condition sociale et juridique de la femme dans quatre
pays du Sahel : Burkina Faso, Mali, Niger et Sénégal, étude
réalisée sous la direction de Abdel Kader Boye.

INSTITUT SENEGALAIS
CILSS
D E
RECHERCHES AGRICOLES
INSTITUT DU SAHEL
UNE SOCIETE PASTORALE
EN MUTATION SOUS L’EFFET DES
POLITIQUES DE DEVELOPPEMENT
LES PEUL DU FERLO
du début du siècle à nos jours
P a r
Oussouby TOURE
ETUDES ET TRAVAUX DE L’USED - N’ 8 - JUIN 1987

0 ISBN : 2, 906832-00-6

PREFACE
La présente étude est une composante d’un ensemble de recherches
en cours d’exécution au Département de recherche sur les systemes de
production et le transfert de technologies en milieu rural à l’Institut sénéga-
lais de recherches agricoles (ISRA) avec l’appui scientifique et financier de
l’Unité socio-économique et de démographie (USED) de l’Institut du Sahel
à Bamako. Elle rassemble et analyse, en effet, les données sociales de
base d’une région pastorale, le Ferlo, champs d’une importante recherche
pluridisciplinaire sur les inter-relations « population, santé et développe-
ment >b (P.S.D.).
Même si la dynamique interne des populations pastorales du Ferlo re-
monte loin dans le passé, l’étude d’Oussouby
TOURE a le grand merite de
démontrer aussi le rôle des facteurs exogénes sur l’évolution de la société
fulbe de la région. L’impact des politiques pastorales de I’Etat sur I’organi-
sation familiale et ethnique est, en particulier, mis en évidence. En outre, le
conditionnement de la dynamique du Ferlo et des populations fulbe par les
sécheresses des récentes années n’est pas négligé. Quant à l’évolution in-
terne des rapports sociaux du Ferlo, l’auteur analyse la continuité et la dis-
continuité des liens entre hommes et femmes, vieux et jeunes : la division
sexuelle du travail et celle faite entre les générations y occupe une place
importante.
A tous ceux qui s’intéressent aux sociétés peu1 à travers et au-delà de
la région sahélienne, et aux mutations des sociétés rurales de l’Afrique
d’aujourd’hui, cet ouvrage apporte des faits nouveaux et des analyses per-
tinentes. Car Oussouby TOURE réussit aussi à éviter et l’exotisme d’une
étude particuliére sur une société artificiellement isolée ou figée dans
l’imagination du chercheur et la généralisation banale à partir d’une étude
de cas.
Jacques FAYE
Pape Syr DIAGNE
5

AVANT-PROPOS
Les recherches qui sont à la base de ce travail ont été entreprises
dans la région du Ferlo occidental en 1984 dans le cadre du programme de
recherches sur les q< inter-relations entre population - santé et développe-
ment ». Ce programme est financé conjointement par l’Institut du Sahel et
son Unité socio-économique et de démographie et le Sénégal.
Les informations proviennent d’enquêtes effectuées principalement
dans quatre forages (Mbiddi, Nammarel, Teskere et Wiidu Cinngoli),
mais
aussi auprès des pasteurs transhumants que nous avons été amenés à
rencontrer au Jolof.
Ces travaux de terrain ont été complétés par une synthèse documen-
taire des travaux antérieurs, notamment ceux relatifs à l’histoire économi-
que et sociale contemporaine du Ferlo.
II convient de signaler que notre séjour dans le Ferlo a eu lieu en pleine
sécheresse (saison sèche 1984), quand les esprits étaient hantés par le
spectre de la famine et de l’anéantissement du cheptel.
Pareille situation d’observation ne manque pas d’intérêt sur le plan
scientifique, dans la mesure où elle permet de décrire le fonctionnement de
ces sociétés en temps de crise, de saisir les contraintes qu’elles rencon-
trent et les alternatives socio-économiques qu’elles mettent en œuvre.
Mais, sur le plan humain, il en va tout autrement. Notre arrivée dans un
campement ne manquait jamais de susciter des espoirs chez les pasteurs
qui faisaient face tout seuls à la sécheresse et, ce, en dépit des promesses
faites par les pouvoirs publics. Malgré la déception que provoquait presque
toujours l’exposé des motifs de notre visite, les pasteurs rencontres nous
ont app.orté un concours important et efficace. Nous leur sommes redeva-
bles de la sollicitude qu’ils nous ont témoignée et des informations qu’ils
nous ont obligemment fournies.
Nous tenons à remercier également MM. Jacques Faye et Etienne
Landais qui nous ont guidé dans nos recherches et conseille tout au long
de la rédaction de ce travail, sans jamais nous en soustraire la responsabi-
lité.
7

La Cantate des vaches*
J’appelle : elles répondent. Les voici...
Elles foncent sur moi, elles chargent,
elles arrivent comme un fleuve en crue,
comme les rivières avides de mêler leurs
eaux ;
le Konkouré, le fleuve Noir et le Djoliba ont conflué,
leurs flots coulent: mes
vaches m’inondent, me submergent,
je suis noyé dans mon troupeau...

La corde me manque pour lier mes veaux.
Mes
vaches arrivent :
elles entrent, piétinement ;
elles sortent, bousculade ;

elles paissent et broutent;
elles soufflent à l’ombre ;

elles se relèvent et s’étirent, s’ébrouent;
elles vont boire l’eau calme : ô paix !
elles passent le jour dans les montagnes,
elles descendent dans les vallées,
et elles rentrent, ô les bienvenues...

ELles s’accouplent :
Les voilà qui sont pleines, qui s’arrondissent.
Elle vêlent et mugissent de tendresse,
le lait suinte de leurs mamelles trop pleines,
goutte à goutte :
le lait est trait à grand bruit.

Mes vaches se multiplient comme babouins.
Elles s’attroupent comme des passereaux...
0 mes taureaux, mes génisses, mes veaux...
0 mes vaches : coureuses, égaillées, rassemblées,
au flanc des monts, sur les crêtes,
vous grimpez, vous descendez, vous mangez,
vous vous rassasiez d’herbe tendre, d’herbe courte,

d’herbe haute de printemps et d’automne,
d’herbe qui pousse après le feu :

ô belle herbe de prairies, roseaux, herbe aux flûtes !
Vous vous abreuvez d’eau pure, vous rentrez au parc,
je vous enferme, je fais le tour du parc, vous êtes gardées.
0 mères !

Elles se couchent, elles ruminent, elles rugissent,
elles pètent, elles remuent la queue,
elles font de la poussière, elles se sèchent,
elles tendent leur cou flexible,
elles tournent la tête vers moi : elles rêvent de bonheur
et s’éveillent dans le bonheur.

0 prospérité, abondance...
plein les écuelles à traire,
plein les tasses à cailler,
plein les tasses à beurre...

0 les mains grasses de crème,
les ventres pleines, les bouches rassasiées...
0 mon repos, mon losir ;
mes femmes nombreuses, mes garçons nombreux,
mes campements nombreux, mes esclaves nombreux...

Le sol résonne sous le pas de mes vaches, la brousse retentit, les val-
lées mugissent de leurs mugissements... Mon troupeau se lève, part, èbran-
le la terre, secoue les futaies, défonce les marais, détourne les ruisseaux,
éclaircit les forêts, trace les sentiers ; le bruit de mes troupeaux fait trem-
bler la terre, le sol vibre ; devant eux s’enfuient les buffles et les antilopes,
la poussière monte, les babouins aboient, les fauves s’écartent ; la misère
s’éloigne...
J’ai des vaches.
Comme les richesses de Dieu :
comme la falaise a des singes,
comme la montagne a des sources,
comme
la lande a des antilopes,
comme la rivière a des poissons,
comme la forêt a des oiseaux,
comme la grande brousse a des éléphants,
j’ai des vaches...

Enflez-vous, gonflez-vous, 0 mes troupeaux,
comme les
vagues du fleuve sous le vent,
autour de moi, comme les flots autour
d’une souche submergée, noyée...

(*J Cette mcantation, recue~lhe et transcrite par Gilbert VIEILLARD (1939). est récitée par les Peu1 du Fouta-
Djallon, en Guinée, lorsqu’Ils distribuent le sel & leurs bovins.
1 0

INTRODUCTION
L’écologie de l’ancien « désert du Ferlo » est gravement affectée par la
sécheresse, la multiplication incontrôlée des troupeaux et la mauvaise ges-
tion des ressources naturelles limitées de la région. La société pastorale
peu1 se trouve ainsi confrontée a une crise dont l’ampleur et la persistance
suscitent des inquiétudes profondes et posent le probléme de l’avenir de
cette communauté.
L’Etat propose à celle-ci un programme de développement ambitieux
dont l’objectif est d’accroître et d’intensifier la production animale, de
transformer les systémes d’élevage traditionnels en leur assignant le rôle
d’un troupeau naisseur dans le cadre d’une spécialisation des différentes
zones écologiques.
Ces efforts qui visent à promouvoir l’élevage et à améliorer les revenus
des pasteurs sont sans doute légitimes. Mais on ne saurait méconnaître le
risque que cette modernisation de l’élevage engage la société peul dans
une suite de déséquilibres continuels.
L’ambition de ce travail est de contribuer à l’analyse des contraintes
qui pèsent sur les systèmes de production pastoraux du Ferlo et d’aider à
définir les voies propres à améliorer les conditions d’existence des popula-
tions en rapport avec la préservation de l’environnement.
Cette enquête a permis de souligner la spécificité de l’organisation so-
ciale peul et de mettre en évidence un certain nombre de tendances signifi-
catives dont l’analyse sociologique suppose une approche globale des sys-
tèmes de production, en même temps qu’une référence constante à I’his-
toire passée. II est en effet essentiel de situer les phénomènes sociaux
dans leur perspective historique, d’étudier l’évolution des formes d’organi-
sation sociale et familiale, pour appréhender les aspects essentiels d’une
réalité complexe et mouvante.
Pour comprendre ces transformations, il nous a donc fallu remonter au
passé ancien du Ferlo. Les sources écrites ne nous ont fourni que peu de
renseignements sur les conditions antérieures dans lesquelles fonctionnait
la société peul. C’est dire que le passé social du Ferlo reste encore mal
connu. Les nombreuses études qui ont été consacrées à la région ne se
sont intéressées le plus souvent qu’aux systèmes de production d’élevage
1 1

et a la gestion des écosystémes mais n’ont pas accordé d’attention à
l’analyse de l’évolution socio-économique des communautés locales.
L’étude de la société peul traditionnelle fait l’objet de la premiére partie
dans laquelle nous étudions l’histoire socio-politique et économique du
Ferlo. Dans la deuxiéme partie, nous essayons d’analyser les implications
économiques et sociales des politiques de développement, notamment I’in-
cidence des interventions extérieures sur l’évolution des unités socio-
économiques de base et sur les processus de stratification économique. La
troisième partie est consacrée à l’examen des tendances et des perspecti-
ves d’évolution des systèmes de production pastoraux.
L’appel constant aux données économiques, historiques et géographi-
ques traduit le souci d’une compréhension globale des systèmes socio-
économiques, de leur évolution et de leur reproduction. Mais ces données
ne suffisent pas à expliquer complètement le fonctionnement de la société
peul, car d’autres phénomènes, culturels et idéologiques, interviennent pour
modifier, entraver ou accélérer les développements. En effet, les différentes
communautés du Ferlo sont marquées par des traditions plus ou moins vi-
vaces qui impriment un rythme déterminé aux mutations en cours. Malgré
son importance, cet aspect de l’organisation sociale n’a pas été analysé
dans ce travail. II en est de même pour les relations démographie/dévelop-
pement à l’échelle des structures socio-familiales où s’opérent les trans-
formations essentielles touchant aux systèmes de production.
1 2

PREMIERE PARTIE
LE FERLO D’AVANT LES FORAGES

PRESENTATION DE LA ZONE D’ETUDE
Le terme de Ferlo dériverait, selon BA (1982), de la racine étymologi-
que ferlaade qui signifie en pulaar s’asseoir en tailleur, attitude qui dénote
la tranquilité et le repos. Cette étymologie marquerait le fait que pour les
Peul, la région appelée Ferlo représente un espace de sécurité.
SANTOIR (1977) avance une autre interprétation : le terme proviendrait
du radical fer: partir, émigrer. Cet auteur signale que le vocable Ferlo est
utilisé au Burkina Faso pour désigner des zones de transhumance. C’est ici
l’idée de mouvement, d’occupation transitoire, qui est privilégiée.
Pour contradictoires qu’elles puissent paraître, ces deux étymologies
illustrent bien les traits fondamentaux du Ferlo sénégalais.
Traditionnellement, les Peul appellent Ferlo une vaste région comprise
entre l’ancien royaume du Jolof, à l’ouest, et la vallée du fleuve Sénégal,
de Matam a Bakel, à l’Est. Cette entité est centrée sur un réseau hydrogra-
phique dont l’axe principal, qui s’écoule d’Est en Ouest, porte le nom de
vallée du Ferlo (Caongo Ferlo). A l’exception de quelques puits, pour la plu-
part situés dans cette vallée, la région était dépourvue de points d’eau per-
manents. Dans sa plus grande partie, elle ne pouvait donc être occupée
que de façon saisonnière, lorsque les pluies y faisaient apparaître de nom-
breuses mares temporaires et d’abondants pâturages.
Le Ferlo constituait l’un des « pays » de la zone sahélienne du Séné-
gal, laquelle en comprenait d’autres.
Au Nord, le jeeri s’étend sur une cinquantaine de kilomètres de part et
d’autre du waalo, c’est-a-dire des formations alluviales de la vallée du fleu-
ve Sénégal. La limite entre le jeeri et le waalo, définie par les Peul comme
la zone dunaire où les animaux peuvent pâturer en saison sèche tout en
s’abreuvant au fleuve, porte le nom de jejegol.
Le Kooyaa se situe entre le Jolof, le Ferlo et le jeeri, Particulièrement
dépourvu d’eau, et donc de population, il était aussi appelé le « désert ».
Les premiers explorateurs européens, puis l’administration coloniale,
mal informés de ce découpage, utiliseront l’expression de u désert du Fer-
10 » pour désigner indistinctement l’ensemble de ces pays.
Dans les années cinquante, une vaste zone incluant ces pays fut clas-
sée Q réserve sylvo-pastorale ». Elle est délimitée à l’Est et au Nord par le
fleuve Sénégal ; à l’Ouest par une ligne Richard-Toll-Louga-Mbacké-Tam-
bacounda ; au Sud par la voie ferrée Tambacounda-Kidira.
A l’heure actuelle, le terme de Ferlo désigne tantôt ce vaste ensemble
géographique - il est alors synonyme de u zone sylvo-pastorale » -, tantôt
1 5

FIGURE 1 : PRESENTATION DE LA ZONE SYLVO-PASTORALE
UAURITANIE
c---._._

sa partie Nord, délimitée à l’Ouest par le lac de Guiers, puis la vallée du
Ferlo jusqu’à Linguére ; au Sud par la route Linguère-Matam. C’est dans ce
sens, consacré par l’usage dominant, que nous l’utiliserons.
Nos enquêtes se sont déroulées principalement dans la partie occiden-
tale de la région ainsi délimitée, c’est-à-dire dans le Kooyaa et sur ses
marches.
Le Ferlo n’est pas uniforme du point de vue géomorphologique. La moi-
tié Ouest, qui constitue le Ferlo sableux, est caractérisée par l’extension
d’ergs dunaires au modelé très adouci. Elle se distingue nettement du Ferlo
latéritique ou cuirassé dont les sols gravillonnaires sont situés sur un sou-
bassement de cuirasses plus ou moins démantelées. Les reliefs y sont pius
marqués, l’érosion hydrique plus agressive.
A cela s’ajoutent d’autres contrastes. Une multitude de mares tempo-
raires à fond argileux alimentées par les eaux de pluie forment pour I’es-
sentie1 le système hydrographique du Ferlo sableux qui ne présente aucu-
ne trace d’écoulement organisé. La zone du Ferlo latéritique bénéficie de la
présence d’un réseau ramifié de marigots s’articulant autour du Cagngo
Fer/0 qui constitue, dans sa partie aval, un ancien défluent saisonnier, ac-
tuellement asséché, du lac de Guiers.
La physionomie générale de la végétation du Ferlo laisse au premier
abord une impression de pauvreté et de monotonie. Le Capitaine VALLIER
(1906) ne décrit-il pas le manteau végétal de ce pays comme <c un immen-
se tapis d’herbes folles piqueté d’arbres bien ramus, rabougris. (...) Nullité
de sensations, ressassement d’une chose vue et revue et dont on est fati-
gué » ?
En fait, l’uniformité du paysage n’est qu’une apparence. Le peuplement
végétal varie du Nord au Sud de la région. Le Ferlo sableux est couvert de
prairies de graminées parmi lesquelles les graminées pérennes forment
des touffes espacées les unes des autres; entre elles les graminées an-
nuelles étalent leur tapis pendant l’hivernage puis disparaissent en saison
séche, laissant le sol nu. Le peuplement ligneux de cette savane arborée
se compose d’arbres de petite taille - des épineux en majorité - parsemés
ici et là dans le paysage.
Dans le Ferlo latéritique prédomine une strate ligneuse plus dense. Les
arbres y sont abondants et développés, formant des fourrés sur les cuiras-
ses et, dans les dépressions à hydromorphie temporaire, des galeries fo-
restières serrées. La biomasse herbacée est faible, le tapis graminéen dis-
continu.
Cette production primaire herbacée et ligneuse, fonde la vocation pas-
torale du Ferlo où l’élevage, moins entravé que l’agriculture par les

FIGURE 2 : EVOLUTION DE LA PLUVIOMETRIE (1961-1980)
700
600
LINGUERE
500
400
300
200
1, . . , , , , ,
, . . , . , .
. .
, *
1960
65
70
75
8 0
a5
700
600
500
MATAM
400
300
200
l,.. . . . . . . . . . . . .
. . . .
. . . ...*
1960 65
70
75
80 85
1 Moyenne 1961-1980
2 Moyenne 1961-l 970
SOURCE: BRGM
3 Moyenne 1971-1980
18

contraintes physiques et climatiques, a toujours dominé les activités éco-
nomiques.
Anciennement, les deux régions possédaient une faune sauvage assez
riche : éléphants, girafes, antilopes, phacochéres,
etc., et de nombreux pré-
dateurs : lions, guépards, lynx, chacals, etc.
Les conditions climatiques de la région varient du « climat subdéserti-
que de type sahélo-saharien » au Nord au c< climat tropical sec de type sa-
hélo-sénégalais » au Sud. II s’agit donc d’un climat contrasté et peu favora-
ble. Les températures sont assez basses de décembre a février. Puis com-
mence une longue période de sécheresse et de chaleurs accablantes ag-
gravées par I’harmattan et les nuages de poussière qu’il transporte. Ces
vents de sable soufflent quelquefois en rafales violentes et rendent les
conditions de vie particulièrement pénibles. Les données climatiques dispo-
nibles soulignent la faiblesse des précipitations annuelles moyennes du
Ferlo. Cependant, ces moyennes cachent de très fortes irrégularités dans
la répartition spatiale des pluies et une extrême variabilité, d’une année à
l’autre. Par rapport à la partie Nord de la région (Podor, moyenne
1931-I 960 : 340 mm), le Sud bénéficie d’une pluviométrie plus abondante
(Linguère, 1931-l 960 : 510 mm).
La saison des pluies couvre une période de cinq mois (juin à octobre),
mais en réalité la répartition des précipitations est très inégale : 60 p. 100
des pluies tombent en août et septembre.
Des épisodes de sécheresse ont toujours existé. Mais depuis 1970, le
Ferlo se trouve confronté à un assèchement progressif du climat. Nous y
reviendrons dans la troisiéme partie.
LES MIGRATIONS ET LE PEUPLEMENT
II ne nous revient pas d’examiner ici les questions controversées ayant
trait à l’origine des Peul et à l’histoire de leurs migrations anciennes, qu’en-
toure encore beaucoup d’incertitude. II suffit de rappeler que ces peuples
de pasteurs nomades apparaissent sur la scène de l’histoire à l’époque
médiévale, sur le territoire de l’ancien royaume du Ghana-Wagadu (qui
s’étendait du fleuve Sénégal au fleuve Niger).
Si l’on en croit NIANE et SURET-CANALE (1961, cités par BA, 1982),
<c à partir du XIIIe siècle (et peut-ëtre avant), l’aridité croissante du Sahara
les conduit à se répandre dans les savanes, vers le Sud-Ouest (Fouta
Toro, Haute-Gambie, Fouta Djalon), le Sud (Ouassoulou) et enfin l’Est (Ma-
cina, pays Mossi, pays Haoussa, et jusqu’au Cameroun et au Tchad) aa.
La tradition la plus répandue au Ferlo fait venir les occupants actuels
de l’Est, plus précisément du Massina et de la région de Nemma. Ces po-
1 9

pulations peul, dont le départ aurait été motivé par le manque de pâturages
et les rezzou de bétail (DUPIRE, 1970), se rattachent toutes à deux grou-
pements originels : les clans Wodaabe et Uuruurbe.
Arrivés à la même époque, ces premiers contingents d’immigrants se
sont installés d’abord dans la vallée du fleuve Sénégal (1). Les Wodaabe
ont élu domicile à Kaédi et à Aîndé-Balla, les Uuruurbe à Tieng-lé (GRE-
NIER, 1956). THALER (1984) fait observer que ces premières migrations
en direction de la vallée du fleuve coïncident avec le début de l’hégémonie
peu1 dans le Fuuta Tooro (fin XVe - début XVIe siècle). En prenant pied
dans la vallée, ces groupes ont choisi de s’implanter sur la rive Sud du
fleuve pour pouvoir exploiter à la fois les cuvettes cultivables en décrue et
les parcours du haut-pays.
II semble qu’il y ait eu d’emblée un balancement continuel de la popu-
lation entre la vallée et le Jeeri. Une chose est sûre, c’est que la progres-
sion des Peul vers le Sud (notamment le Jolof et la basse vallée du Ferlo)
s’est effectuée par à-coups à partir des foyers de peuplement de la vallée
du fleuve Sénégal. Cette instabilité du peuplement peul a des causes multi-
ples.
Le départ des Peul (tout au moins d’une partie de la population) de la
vallée du fleuve semble avoir été déterminé par la restriction progressive de
leurs zones de parcours sous l’effet de la pression démographique et de
l’extension corrélative des cultures. II s’y ajoute un autre facteur non moins
important : l’insécurité qui se traduit tout au long du XVIIe siècle par de mul-
tiples rezzou de bétail dont les Peul sont victimes. II faut rappeler que cette
période a été marquée par de graves troubles sociaux : guerres intestines
entre les différents clans de l’aristocratie régnante, main-mise des Maures
sur le commerce de la gomme et, par ce biais, sur les affaires du pays
(BARRY, 1972).
La pression constante exercée par les Maures avec son cortège de pil-
lages et de misère a plongé la région du fleuve dans la tourmente des révo-
lutions islamiques. Dirigée principalement contre la domination maure, la
révolution toorodo de 1776 renverse le régime derîaoke du Fuuta Tooro, in-
capable d’assurer l’intégrité du pays et compromis dans la traite négrière.
Le succès du parti maraboutique conduit à l’instauration d’une paix re-
lative et, par là même, provoque l’afflux des populations voisines. Mais,
(1 ) Cette version est contredite par certalnes traditions orales, selon lesquelles les Woddabe auralent prhede
les Uuruurbe dans le Ferlo. Pour BA (1982). c’est l’inverse. les Uuruurbe forment le fonds d’immigrhs peul
le plus ancien : II les Uuruurbe passent pour les Peul les plus anciens du Jolof, la première grande vague
migratoire étant originaire du Maasina. Ils s’adossent a la vallée du Ferlo. face au Tooro. Leur terntolre va
donc de Kalloosi. Yar] Yan. Nguy. et Ciiwkoh, dans la vallée fossile. vers Labgar et Mblddl ou 11s font la
,onct,on avec les Uuruurbe Waalwaalbe du Tooro 31
2 0

dans le même temps, les Almami, nouveaux maîtres du pays, chassent les
groupes peu1 rebelles à l’Islam.
Selon THALER (1984) ces événements seraient à l’origine de la scis-
sion de la société peu1 en deux groupes. Ceux que l’on nommera les Peu1
waalo se convertissent à l’Islam et demeurent dans la vallée du fleuve mal-
gré les restrictions qui leur sont imposées en matière d’exploitation des
parcours de décrue. Les Peul jeeri, restés fidèles aux religions traditionnel-
les(l), sont obligés de fuir pour se réfugier dans les régions situées plus
au Sud (basse vallée du Ferlo et Jolof). Le témoignage de MOLLIEN, en
1818, confirme l’hostilité des Peul du Jolof à l’Islam. c< Les Poules du royau-
me du Bourb - Jolof sont tous païens, et portent une haine violente aux
mahométans ».
Les traditions recueillies s’accordent toutes à faire remonter I’implanta-
tion des communautés peul dans ces régions au début du XIXe siècle. Les
principales voies de pénétration des Peu1 dans les contrées du Sud se
confondent avec les routes commerciales traditionnelles : rive occidentale
du Fleuve, lac de Guiers, vallée du Ferlo, vallée du Loumbol (DUPIRE,
1970).
Certains groupes peul se seraient-ils implantés dans le haut jeeri dès
cette époque ? Cela paraît peu probable, dans la mesure où l’insuffisance
des ressources en eau ne permettait d’exploiter cette région que de façon
saisonnière, durant l’hivernage. Elle constituait un espace de régulation
commun aux deux pôles de peuplement peul qu’elle séparait: celui des
Peul waalo au Nord et celui des Peul jeeri au Sud.
II semble que ces derniers aient par la suite progressivement repris un
système de transhumance de saison sèche polarisé sur la vallée du fleuve,
région avec laquelle ils n’avaient jamais totalement rompu les contacts.
Pour les Peul jeeri, le XIXe siècle inaugure une période de troubles pro-
voqués par la pénétration coloniale et le déclin des royaumes wolof voisins.
Les rezzou de bétail se multiplient. Ils sont l’œuvre non seulement des
chefs wolof mais aussi de certains groupes peul qui leur sont alliés, notam-
ment les Ngengelbe. MOLLIEN, qui parcourt la région à cette époque de
troubles et de pillages, rapporte que les Peul vivent repliés dans les forêts
et sont constamment armés de fusils, de lances et de flèches empoison-
nées.
De nombreux groupes peul préfèrent alors quitter le Jolof et traverser
la vallée du Ferlo pour chercher refuge sur les confins du « désert ». Ce
mouvement s’amplifiera par la suite sous l’effet conjugué de la pression du
pouvoir colonial et de l’expansion arachidiére dans le Jolof.
(1) ils adopteront néanmoins l’Islam à la fin du XIXe siècle.
2 1

L’histoire récente du peuplement du Ferlo témoigne d’une continuité
remarquable dans l’occupation de l’espace. Les enquêtes entreprises dans
la région nous ont permis de recenser nombre de campements d’hivernage
dont l’existence est attestée depuis un siècle ou plus. Ces sites ont certes
connu des transferts périodiques provoqués par l’épuisement des terrains
de culture. Mais il s’est agi presque toujours de déménagements circons-
crits dans un rayon réduit, le wuro étant reconstruit à quelques centaines
de mètres de son ancien emplacement.
Pour des raisons à la fois historiques, économiques et écologiques, il
n’y a pas eu de fixation définitive des immigrants peul dans les zones d’ac-
cueil. Chaque année, les groupes de pasteurs peul regagnent la vallée du
fleuve ou le Jolof dès que les mares du jeeri s’asséchent,
pour y séjourner
avec les troupeaux jusqu’au début de l’hivernage. Ces transhumances sai-
sonnières décrivent une sorte de mouvement pendulaire dont le déroule-
ment découle du cycle pluviométrique. Les modalités de ces déplacements
périodiques des hommes et du bétail ne sont pas partout identiques. D’une
communauté à l’autre, des variantes apparaissent, qui méritent d’être si-
gnalées.
LA GESTION DE L’ESPACE
Les systèmes de transhumance
Plutôt qu’aux origines de ces deux populations, la distinction entre
Peul waalo et Peul jeeri renvoie aujourd’hui aux caractéristiques écologi-
ques des milieux qu’ils exploitent, et aux différences qui opposent leurs
systèmes agricoles et leurs pratiques pastorales.
Les Fulbe waalo se déplacent saisonnièrement entre le waalo et le jee-
ri. Ils se distinguent des Peul jeeri par leur habitat dédoublé entre la zone
d’inondation et les terres du jejegol (ou proche jeeri) où ils ont coutume de
venir s’installer dès les premières pluies. Leurs campements d’hivernage
(ruumaano,
pl. duumaale),
presque toujours situés à proximité des mares,
sont distants du fleuve de quelques dizaines de kilomètres au maxi-
mum (1). Là, ils regroupent les animaux et installent leurs champs de mil
non loin des habitations, en profitant de la fumure animale, considérée
comme très favorable aux rendements.
En règle générale, les Peul waalo conservent la totalité de leur cheptel
dans le jejegol pendant l’hivernage, à moins que la qualité des pâturages
(1) L’habitat traditionnel peut se compose de hutte sommairement construites et faciles à démonter. On distin-
gue deux sortes de huttes : la waalwaaldo (hutte ovale) et la wildi ou jeerjerdu (ronde). La première est typi-
que des Fulbe waalo, la seconde des Fulbe jeeri.
2 2

ne soit jugée trop médiocre pour les petits ruminants. Alors quelques ber-
gers se chargent de conduire les ovins au Jolof.
A ce propos, un de nos informateurs, parlant des gens de Njuum, nous
disait :
« le départ a lieu au début de l’hivernage. Les transhumances sont or-
ganisées collectivement. Les jeunes hommes Waalwaalbe
rassemblent
d’importants troupeaux d’ovins (prés de mille têtes) appartenant à dix ou
vingt galleeji. Ils se rendent dans la vallée du Ferlo, en empruntant toujours
le même chemin de transhumance qui passe par Boynaane, Njaayen, Njele-
ful, Mbëlëke, Kalloosi et Yan Yan. Vers la fin du mois d’août, ils reprennent
le chemin du retour )a.
Chez les Fulhs waalwaalbe, les déplacements de grande amplitude ne
concernent donc en hivernage que le petit bétail. Les bovins (kolce), peu
nombreux, sont maintenus à proximité du rumaano et n’effectuent pas de
cure salée car les pâturages de décrue exploités par le bétail en saison sé-
che sont naturellement riches en sel. Les champs n’étant pas enclos, les
troupeaux sont étroitement surveillés. Les animaux pâturent le jour et re-
viennent au campement le soir pour la traite.
Lorsque les mares tarissent, les Peul waalo et leurs troupeaux rega-
gnent la vallée. Leur période d’arrivée dans la vallée porte le nom de peffoo-
ii. Elle se situe selon les années au cours ou à la fin de la saison sèche
fraîche (dabbunde), soit entre novembre et février.
Le bétail effectue un séjour prolongé sur les parcours inondables. Les
bovins se nourrissent alors de la végétation portée par les sols hydromor-
phes et celles des prairies aquatiques, tandis que les petits ruminants ex-
ploitent les graminées et les arbustes des parcours dunaires.
A la faveur du séjour de saison séche au waalo, les pasteurs pratiquent
diverses cultures de décrue. D’ordinaire, les familles se scindent en deux
groupes. L’un reste au campement pour entretenir et surveiller les champs,
ne conservant avec lui que quelques vaches laitières. L’autre se déplace
dans le waalo avec la majeure partie du bétail. Ces bergers traversent fré-
quemment le fleuve pour rejoindre la rive mauritanienne. Certains d’entre
eux prolongent leurs pérégrinations jusqu’au lac Rkiz.
Le retour des animaux au campement a lieu dans le courant du mois
d’avril, aprés la récolte du sorgho de décrue. Le bétail est alors laissé libre
de pâturer dans les champs pour y consommer les tiges de sorgho. C’est
la vaine pâture ou rîaangal, qui se prolonge jusqu’aux premières pluies qui
donneront le signal du départ pour le jejegol.
« II apparait clairement que le système pastoral pratiqué par les Peul
waalo réalisait le tour de force, en milieu sahélien, d’assurer au (gros) bé-
23

tail pâturage vert et abreuvement quotidien pratiquement toute l’année,
aussi bien en saison sèche dans le waalo, qu’en saison des pluies, dans le
Ferlo B> (BARRAL, 1982).
Les pratiques pastorales anciennes des Peut jeeri se distinguent de
celles de leurs voisins du waalo par plusieurs points :
Aux premières pluies, les Ful6e jeeri s’enfoncent beaucoup plus en
profondeur dans le Ferlo pour regagner leurs campements d’hivernage, tou-
jours situés a proximité des mares. Parvenus au ruumaano, les groupes fa-
miliaux se scindent : les uns assurent la mise en culture du mil, les autres
emménent la plus grande partie du bétail vers le Jolof. Au cours de ce dé-
placement, les animaux effectuent une cure salée dans la basse vallée du
Ferlo. Les gardiens des troupeaux entrent alors dans des relations
d’échanges avec les paysans wolof (troc de lait contre du mil, contrat de
fumure des champs, vente d’animaux et échanges multiples). Vers la fin de
l’hivernage, les troupeaux reviennent au jeeri et les jeunes hommes partici-
pent a la récole du mil pluvial. Cette opération achevée, les troupeaux pâtu-
rent les résidus des récoltes jusqu’à l’assèchement des mares.
A ce moment, les troupeaux remontent vers le Nord. Ils ne se rendent
pas au waalo proprement dit, mais à la limite du waalo et du jeeri. Les Fulbe
jeeri, déclare un informateur de BARRAL (1982), passent l’hivernage là où
les Peul waalo ont coutume de séjourner en saison sèche. Les campe-
ments sont souvent installés non loin des puits de jejegoj. L’abreuvement
du cheptel bovin au fleuve ou dans les mares de décrue se fait un jour sur
deux. Les troupeaux pâturent entre le campement de transhumance et le
waalo le jour de l’abreuvement et ils s’enfoncent plus profondément dans le
jeeri le lendemain. L’abreuvement des petits ruminants et des vaches laitié-
res se fait aux puits proches du campement. N’ayant pas de Koolaade (ter-
rains de culture de décrue) au waalo, les Peul jeeri ne pratiquent pas la
culture de décrue. Pour se procurer les céréales nécessaires à leur subsis-
tance, les femmes vont chaque jour échanger le lait contre du mil dans les
villages de la vallée.
Dans la mesure où ils ne possédent pas de droits fonciers au waalo,
les Peul jeeri ne peuvent assurer à leur cheptel que du fourrage sec en sai-
son sèche. II semble d’ailleurs, d’après les témoignages recueillis par BAR-
RAL (1982), que ces pasteurs considèrent la zone du waalo comme peu
propice à l’élevage. « Dans les mares du waalo, les vaches attrapent des
sortes de vers (balki) et une maladie appelé daso : elles s’affaiblissent, per-
dent l’appétit et finissent par crever ».
Ces deux types principaux de transhumance impliquent en saison sé-
che la nomadisation des pasteurs vers le waalo avec la totalité du cheptel.
Un troisième système de transhumance de saison sèche, dont l’importance
a beaucup varié selon les époques, est orienté vers la vallé du Ferlo et le
2 4

Jolof. Jadis dominant pour les Jeefinkoobe
progressivement refoulés du Jo-
lof, ce système a perdu par la suite de son importance lorsque les condi-
tions d’accueil se sont améliorées au waalo, pour retrOUVet’ une faveur
croissante à partir du début de ce siècle. Selon les estimations de BARRAL
(1982), à la veille de la mise en service des forages profonds, ces mouve-
ments de transhumance concernaient 40 p. 100 du cheptel des Jeerin-
koobe.
Les dissemblances dans les pratiques pastorales des Peu1 jerri et des
Peul waalo s’expliquent en partie par des différences dans les catégories
de bétail possédées: les fdbe jeeri possédaient plus de bovins que les
Fdbe waalo, spécialisés dans l’élevage des petits ruminants. Cette diffé-
rence entre Jeerinkoobe et Waalwaalbe qui traduit c< un degré différent de
pastoralisme » (BARRAL et al., 1983), semble se renforcer de nos jours.
II apparaît que le caractère marquant de la gestion ancienne des par-
cours est la mobilité perpétuelle des hommes et du bétail, mobilité imposée
par les impératifs écologiques, mais aussi les contraintes agricoles et les
transactions commerciales. Au-delà des aspects particuliers que prèsen-
tent les modes d’organisation des transhumances mis en œuvre dans les
différentes communautés, le pastorat traditionnel se fonde partout sur des
déplacements à grand rayon d’action. Encore convient-il de nuancer ce
constat.
En effet, les déplacements incessants ne sont pas le fait de tous les
pasteurs. Dans le bas-Fer10 où les conditions hydro-pluviométriques ren-
dent possible l’entretien du bétail toute l’année, certains groupes restent
sur place. En saison sèche, ils conservent une partie des animaux, en I’oc-
currence les petits ruminants et quelques vaches laitières. Ces troupeaux
pâturent à des distances variables du campement, et l’abreuvement se fait
aux puits et aux séanes (bolli).
Nul doute cependant que le système des grandes transhumances pet--
met d’utiliser au mieux les possibilités limitées du milieu naturel par la
valorisation de la diversité écologique.
Le waalo et le jeefi offrent alternativement de bons pâturages et de
l’eau en abondance. De sorte que les besoins du cheptel en matière d’ali-
mentation et d’abreuvement sont satisfaits en toute saison. C’est bien là,
comme le relève BARRAI, un véritable tour de force. Et il nous paraît bien
difficile d’admettre le point de vue de GRENIER (1956) pour qui « les hom-
mes ne peuvent faire ici autre chose que se soumettre (aux contraintes na-
turelles) ». La nature ne contraint pas de façon absolue, elle ne fait qu’im-
poser un cadre et certaines limites à l’action de l’homme. Mais ces limites
sont elles-mêmes relatives au niveau atteint par les techniques, au savoir-
faire des pasteurs qui parviennent comme nous venons de le voir, à tirer
parti d’un environnement a priori peu favorable.
2 5

L’élevage pratiqué au Ferlo est de type extensif, c’est-à-dire fonde ex-
clusivement sur l’exploitation de la végétation naturelle. Ce qui suppose
l’utilisation de l’énergie animale par le biais d’une mobilité permanente.
Cette exploitation itinérante des parcours est bien accordée aux conditions
d’un milieu sahélien dont les pâturages ont des capacités d’accueil faibles
et une durée d’exploitation courte. Elle permet de réaliser un équilibre hom-
mes-animaux-ressources, équilibre fragile certes, mais qui a pu être main-
tenu pendant toute la période d’avant les forages, en dépit de I’augmenta-
tion sensible du cheptel de la zone qui marque la première partie de ce sié-
cle.
L’exemple des Peul waalo montre que, loin d’entraver l’intégration des
activités agricoles dans l’économie pastorale, la mobilité y concourt dans la
mesure ou elle rend possible l’association des cultures sous pluies et des
cultures de décrue. Cette petite agriculture vivriére constitue une compo-
sante non négligeable du système de subsistance des sociétés du Ferlo.
En année climatiquement favorable, les quantités de céréales produites
permettent de satisfaire les besoins alimentaires de la population, d’autant
que ces produits viennent s’ajouter aux denrées d’origine animale (lait et
produits laitiers, viande). Cela limite les prélèvements que les chefs de fa-
mille doivent effectuer sur leur capital-bétail pour assurer I’approvisionne-
ment vivrier des groupes domestiques.
La structuration de l’espace
Le mode de vie des pasteurs et la nature de leur système économique
ne reposent pas sur l’établissement de liens trés étroits entre les produc-
teurs et une terre agricole. Les pasteurs se sentent le plus souvent liés à
l’ensemble du territoire (leydi) sur lequel ils évoluent.
C’est le groupe social le plus large (la communauté) qui assure tradi-
tionnellement la gestion des ressources que comporte ce territoire. La né-
cessaire mobilité des troupeaux et la diversité des milieux écologiques ex-
ploités imposent une réglementation des droits d’accès aux ressources na-
turelles. Cette réglementation, plus ou moins stricte selon les régions, tend
le plus souvent à garantir à l’ensemble du bétail réparti entre les unités fa-
miliales de production l’accès aux ressources naturelles indispensables à
l’entretien des troupeaux : l’eau et les parcours.
On ne saurait donc considérer l’espace pastoral comme une immensité
sans pôle ni limites. Le territoire pastoral est un espace structuré et polari-
sé, comportant des parcours soumis à des dynamiques différentes.
Quoique saisonnière et faible, l’occupation du Ferlo est organisée. Le
déploiement de la population dans cette région révéle une répartition or-
2 6

donnée selon les fractions, chacune d’elles occupant un territoire bien déli-
mité. Dans la partie septentrionale de la région, ces territoires juxtaposés
s’allongent du Nord au Sud, sur des distances variables, formant de vérita-
bles couloirs de transhumance polarisés au Nord par l’emplacement des
terres de culture de décrue (waallwaalbe)
ou des campements de saison
sèche sur le proche jeeri (jeerinkoobe),
au Sud par les mares et les meil-
leurs parcours d’hivernage à proximité desquels sont installés les campe-
ments de saison des pluies.
Pour les Peul du Jolof, SANTOIR (1983) note que « chaque groupe
peul s’est « réservé 31 l’usage d’une vallée sèche, milieu particulièrement
favorable en zone sahélienne, à partir de laquelle il s’est dispersé par la
suite, tout en y laissant des effectifs assez importants : vallée du Ferlo en
amont de Linguére pour les Sannaraabe (...), petite vallée de Thiargny pour
les Jenngel ».
II peut paraître surprenant qu’en l’absence de contraintes foncières, du
moins dans le jeeri proprement dit, les limites territoriales entre fractions
soient bien précises. La raison en est sans doute que ces ensembles so-
ciaux non intégrés politiquement dans le cadre d’un Etat centralisé
n’étaient pas structurés entre eux autour de relations de parenté réelles.
Les seuls liens de parenté qui existent entre les fractions sont mythiques.
Les ancêtres des Woddabe et des Uuruurbe sont dits être des frères uté-
rins et toutes les autres fractions seraient issues de ces deux groupe-
ments originels. Ainsi les Bisnaabe, les Jowonaabe, les Sannaraabe et les
Sowanaabe dont le principal patronyme est SOH se rattachent-ils sur le
plan généalogique aux Woddabe ; les fractions dont le patronyme est BA,
aux Uuruurbe.
Ces territoires, qui définissent des zones « appartenant » en propre
aux différents groupes et contrôlées par eux, ne constituent cependant pas
des espaces clos, ni géographiquement, ni socialement. Le territoire qu’oc-
cupe une fraction déterminée reste « ouvert aux autres Peul susceptibles
d’arriver ultérieurement et avec lesquels les groupes les plus anciennement
installés nouent des relations sociales plus ou moins étroites » (SANTOIR,
1983).
Articulés autour des anciens campements d’hivernage installés dans le
jeeri, les territoires des fractions ont, d’une certaine façon, leur prolonge-
ment dans le waalo. Chaque groupe y possède sa « zone d’accueil » (tofn-
de), c’est-a-dire un lieu régulièrement fréquenté à l’occasion de la transhu-
mance saisonnière. Les Uuruurbe s’installaient à la périphérie de Njuum.
Les Hayrankoobe rejoignaient la zone de Aayre Laaw et les Gamanaabe
celle de Gamaaji. Ces lieux d’installation dans le waalo (qui sont actuelle-
2 7

ment peu fréquentés en saison sèche) ont le plus souvent laissé leur nom
aux fractions qui s’y rendaient en transhumance (1).
Le système de structuration de l’espace se fonde sur la distinction en-
tre les zones dites jey et les zones de ladde (GROSMAIRE, 1957).
Les premières, qui correspondent aux milieux physiques les plus favo-
rables, sont appropriées et contrôlées par les diverses fractions. Elles
constituent, par opposition aux secondes, <c des zones de vie, et les seules
zones habitées j) (GROSMAIRE, 1957). Lorsqu’ils viennent séjourner au
Ferlo pendant l’hivernage, les groupes peul se répartissent en plusieurs jey
qui sont séparés entre eux par des espaces interstitiels appelés ladde. Le
ladde, c’est la brousse, la nature, c’est-à-dire un espace qui appartient à
tous et dont l’exploitation ne fait l’objet d’aucune réglementation particulié-
re.
Si le droit coutumier garantit le libre accès aux zones de ladde, il ins-
taure en revanche des règles strictes de gestion des aires pastorales. Cha-
que jey se subdivise en plusieurs secteurs (les hurum) qui forment autant
de territoires agro-pastoraux, rattachés aux campements d’hivernage.
« Les hurum constituant un (( pays » sont jointifs à l’intérieur du cadre de
celui-ci et ne sont limités que par les hurum voisins, en sorte que toute la
zone sylvo-pastorale utile, celle située à distance utile des points d’eau,
est accaparée » (GROSMAIRE, 1957).
Le hurum désigne à la fois l’unité territoriale sur laquelle le ruumaano
exerce son contrôle et la réglementation qui régit l’exploitation de cet es-
pace. Ainsi que le montrent les enquêtes effectuées par BARRAL (1982), la
gestion de l’espace agro-pastoral se fonde sur le respect du hurum c’est-
à-dire des interdits édictés en matière d’utilisation des parcours et des ter-
rains de culture.
Le hurum gese signifie littéralement « l’interdit des champs » et le hu-
rum durungal, « l’interdit des pâturages ».
Le système du hurum gese, en délimitant une zone d’accès interdite au
bétail, quelque soit l’appartenance des troupeaux, assure la protection des
cultures contre les divagations d’animaux. Ainsi les champs sont-ils placés
dans un espace de sécurité étroitement surveillé par les enfants. De plus,
les animaux sont envoyés pâturer dans une direction opposée aux cultures.
La séparation des zones de pâturage et des terrains de culture introduit un
(1) Selon SANTOIR (1983). les noms donn& aux fractions dérivent des toponymes des anciens campements
d’hivernages installés par ces groupes dans le jeeri. L’explication donnée par nos informateurs Confirme la
référence aux lieux d’habitat traditionnels, mais précise qu’il s’agit de ceux implantés dans le waalo et non
dans le jeeri. Ce procéd6 ne semble pas avoir été appliqué dans tous les cas d’attribution de noms aux
fractions. En témoigne l’exemple des Fulbe Bisnaabe. Ce groupe serait arrivé au jeeri sous la conduite de
son doyen d’age prénommé Bissi Yéragua. C’est cet an&tre qui aurait laissé son nom a toute la fraction,
désignée auparavant par le nom de Ngararnaabe.
2 8

système de responsabilité dans la protection des champs contre le bétail.
Par conséquent, les producteurs peuvent souvent se dispenser de clôturer
leurs champs, mais ils sont tenus, au niveau de chaque campement, de les
regrouper en un seul bloc.
Code de défense des cultures, la réglementation du hurum gese n‘entre
en vigueur que pendant la saison agricole. Sitôt les récoltes effectuées, il
n’y a plus de restriction aux déplacements du bétail. Lorsque les conditions
climatiques permettent aux pasteurs de prolonger leur séjour au jeeri, les
animaux sont laissés libres de pâturer dans les champs récoltés (rîaangal).
Le hurum durungal réserve l’accès des zones de parcours au bétail du
campement pendant l’hivernage. Aussi l’implantation des campements ré-
alise-t-elle un maillage permettant d’éviter un voisinage trop proche : il faut
que le troupeau puisse pâturer toute la journée dans la direction opposée
aux cultures sans être surveillé par un berger et sans faire courir non plus
de risques aux cultures des campements voisins.
L’ensemble de l’espace occupé est « ponctué de nombreux enclos à
palissade épineuse (ngaalgu) et strié de multiples petits chemins ruraux
plus ou moins spécialisés (chemin des hommes : laawol (...) ou bolo/ (...) ;
chemin des bœufs : lappol na’i, etc.) qui aboutissent ou non à des mares. Le
hurum débouche progressivement sur la brousse (ladde) enveloppante,
avec ses pâturages, quelquefois ses champs furtifs... » (BA, 1982).
Dans sa finalité première, le système du hurum vise plus à assurer la
protection des cultures qu’à préserver des zones de parcours contre la su-
rexploitation. En ce sens il ne constitue pas véritablement un code pastoral
mais plutôt un code de défense des cultures (BARRAL, 1982).
On comprend ainsi que les droits de pâturage sur le hurum soient trés
stricts en hivernage puis se relâchent à partir des récoltes.
Comme l’indiquent THALER (1984), « le hurum va à l’encontre de l’idée
reçue que le Ferlo est une terre c( vacante et sans maître ». Le chef de ter-
re, ou premier occupant, est là pour faire respecter le hurum à tous les ni-
veaux. C’est lui qui décide de l’emplacement annuel des galleeii à l’inte-
rieur du hurum dont il a la responsabilité; c’est lui également qui décrète
les hurum gese et les hurum durungal; c’est lui, enfin, qui donne I’autorisa-
tion à un étranger de s’installer sur un hurum V.
En dépit de l’abondance des terrains de culture, ce système n’ouvre
pas à tous la possibilité de cultiver librement. L’accès à la terre se fonde
sur l’appartenance à un galle disposant d’un domaine foncier, Les etran-
gers qui sont admis dans le hurum doivent acquitter des redevances fon-
cières.
En définitive, le système du hurum assure au groupe la maîtrise de son
2 9

espace et contribue à responsabiliser les producteurs vis-à-vis des res-
sources disponibles dans cet espace, notamment les terrains de culture et
les parcours d’hivernage.
L’ORGANISATION SOCIO-POLITIQUE TRADITIONNELLE
Le Ferlo semble n’avoir joué aucun rôle important dans le developpe-
ment des courants d’échange qui ont marqué l’histoire précoloniale des
Etats de la zone soudano-sahélienne. A l’écart aussi bien des grandes
voies terrestres ou fluviales du commerce intérieur continental que des pô-
les du commerce côtier, déserté par ses habitants durant la moitié de I’an-
née, le Ferlo n’a guère été touché par les grands courants de civilisation
qui ont fleuri dans l’aire s’étendant du Soudan à l’océan Atlantique. Pour
les mêmes raisons, il n’y eut jamais au Ferlo mise en place d’une organisa-
tion étatique se substituant aux structures politiques lignagéres.
Pour autant, cette zone qui constituait une région refuge, un « espace
de sécurité » selon l’heureuse expression de M. BENOIT, n’était pas repliée
sur elle-même. L’histoire des communautés locales témoigne de nombreux
contacts entre les pasteurs peul et les populations sédentaires environnan-
tes (1). Ces relations ont revêtu des formes différentes, tantôt pacifiques et
orientées vers les échanges, tantôt belliqueuses.
L’économie peul était cependant avant tout une économie d’auto-
subsistance. L’élevage a depuis toujours été associé à l’agriculture et à la
cueillette. Ces activités combinées permettaient de produire ou de se pro-
curer la totalité des biens vivriers nécessaires à l’entretien et à la repro-
duction des groupes familiaux. Les surplus dégagés faisaient l’objet
d’échanges non monétaires et de consommations sociales, toutes choses
qui avaient pour finalité premiére de renforcer la solidarité entre les mem-
bres de la communauté.
Du point de vue socilogique,
nous avons vu que les populations peu1
sont constituées de communautés lignagères réparties entre de multiples
fractions, elles-mêmes regroupées dans deux ensembles : celui des Fulbe
jeeri et celui des Fulbe waalo. Le groupe des Jeerinkoobe se compose de
treize fractions principales presque toutes représentées dans la région étu-
diée. II s’agit entre autres des fractions suivantes :
- Bisnaabe
- Hayrankoobe
- Pammbinaabe
- Uuruurbe
- W o d a a b e
(1) Il s’agit d’une constante. propre à toutes les sociiAés pastorales : la valorisation bouchére du gros bétail
implique l’échange.
30

Localisées dans la partie septentrionale de la région, les principales
fractions faisant partie du groupement des Peu1 waalo sont au nombre de
onze dont les plus représentées sont les suivantes :
- Dekolnaabe
- Ngendarnaabe
- Jowonaabe
- Samanaabe
- Jegesnaabe
- Sowonaabe
Au sein du territoire qu’occupe chaque fraction, les ligna!pS sont Orga-
nises en communautés « villageoises » articulees de proche en proche par
un faisceau de relations .de parenté et d’alliance. La structure résidentielle
de la population du jeeri est caractérisee par une agrégation des groupes
familiaux, rendue nécessaire par les conditions d’insécurité qui prévalent à
l’époque. Les agglomérations se composent de quarante à soixante-dix
concessions ou galleeji disposées autour des parcs à bétail aménagés au
centre du campement. Des remparts faits de rondins plantés en rangs ser-
res ceinturent le wuro. A l’abri de ce systéme de fortification, le campement
et ses troupeaux se trouvent hors d’atteinte des pillards et des fauves
(lions, hyènes, panthéres, chacals, etc.).
Pour les mêmes raisons de sécurité, les transhumances sont toujours
organisées de façon collective et requièrent de multiples précautions. Ainsi,
par exemple, les bergers doivent-ils s’abstenir d’allumer un feu le soir pour
ne pas signaler leur présence.
Le wuro, qui constitue l’unité de base du peuplement, n’est pas un as-
semblage hétéroclite. II regroupe des segments de lignages appartenant à
la même fraction. La parenté et les inter-mariages se conjugent pour ren-
forcer la cohésion sociale du groupe. « Le wufo, c’était la parenté. Une pa-
renté qui s’étendait d’ailleurs au voisinage car souvent les segments d’un
même lignage élisaient domicile dans des localités différentes ».
La circulation des femmes, fondée sur la règle de l’endogamie, est res-
treinte aux limites de la fraction, qui constitue l’aire matrimoniale. Comme
l’indique DUPIRE (1970), la société peu1 est une société à mariages non
prescriptifs, mais préférentiels. « Le choix de chaque société se porte en
priorité sur les catégories de parentes allant dans le même sens que les
institutions. Lorsque la structure du lignage ainsi que le mode de succes-
sion des biens sont exclusivement patrilinéaires et la résidence patrilocale,
les relations agnatiques dominent, tandis que manquent les relations utéri-
nes et les relations croisées continues, hors de la génération du conjoint :
la fille du frère du père est préférée de loin aux autres cousines, la fréquen-
ce des unions avec la fille de la soeur de la mère tend vers zéro ».
Du point de vue de l’autorité socio-politique, le campement d’hivernage
constitue une unité significative. II est doté d’une structure de direction pré-
31

sidée par le chef du campement (iom wuro) et comprenant les doyens des
concessions (mawbe galleeji).
La principale fonction de ce conseil consiste
a s’occuper des affaires publiques du wuro: cérémonies sociales et régle-
ment à l’amiable des différends entre familles. Le jom wuro appartient au li-
gnage ou au segment de lignage fondateur du campement. Cette fonction
est exercée par les familles occupant des positions prééminentes dans la
hiérarchie sociale. Les lignages situés au bas de l’échelle sociale ne sont
cependant pas l’objet d’une exclusion politique. Ils ne fondent pas des lieux
d’habitat séparés, préférant s’établir dans des campements préexistants,
dont les résidents entretiennent avec eux des rapports de clientèle.
En milieu peul comme dans les sociétés wolof voisines, l’existence du
conseil des notables répond au souci de limiter sur le plan institutionnel les
pouvoirs conférés au chef decampement. Toutes les décisions concernant
la vie du wuro sont prises par une direction collégiale. Le conseil participe
ainsi pleinement à l’exercice du pouvoir au niveau local et veille à préserver
la cohésion sociale de la communauté des résidents du campement.
La chefferie peu1
Au niveau supérieur, c’est-à-dire à l’échelle de la fraction, l’autorité est
confiée à un chef ou ardo. II est le représentant officiel du groupe et s’oc-
cupe plus particulièrement des relations extérieures : démarches auprès
des souverains voisins pour négocier la sécurité des pistes de transhu-
mance, contacts avec les négociants pour l’achat de marchandises, de fu-
sils entre autres.
Alors qu’au Jolof voisin et dans la plupart des royaumes wolof, le pou-
voir est héréditaire, dans la société peul la chefferie est élective. Mais ne
peuvent prétendre a la fonction d’ardo que les hommes issus de lignages
prééminents (lawakoobe).
Les hommes libres des groupes exclus du pou-
voir (lamminoobe)
constituent en quelque sorte le corps électoral. Plus
exactement, les doyens de ces lignages forment un collège de dignitaires
auquel revient la charge de choisir parmi plusieurs prétendants celui qui
sera investi des focntions d’ardo. Le doyen d’âge de ce conseil, en présen-
ce du peuple rassemblé pour la circonstance, proclame le nom du candidat
choisi par les membres du coflége.
Quels sont les critères de choix ? Il est bien difficile de le dire, même si
les informateurs, évoquant le profil du chef peul, énoncent certaines quali-
tés indispensables telles la probité, l’affabilité et l’intelligence. En réalité, la
rivalité entre les candidats à l’investiture, quoique dissimulée par les
convenances sociales, est souvent âpre. Chacun d’eux tente de s’appuyer
3 2

sur le réseau le plus vaste de relations de clientèle pour influencer en sa
faveur les délibérations du conseil des Jaambureebe
(1 ),
Le groupe des Jaambureebe
est le seul habilité - par l’entremise de ses
représentants - a désigner mais aussi a révoquer I’ardo. En cas de vacan-
ce du pouvoir, l’intérim doit nécessairement être assuré par l’un des
doyens d’âge de ce groupe, s’il s’avère impossible dans l’immédiat d’élire
le successeur. Cette précaution n’est pas sans raison : on considère pro-
bablement qu’un ayant droit est, plus qu’un non-éligible, porté à confisquer
le pouvoir qui lui a été confié par intérim.
Ainsi le chef peul, tout en représentant l’autorité la plus élevée au sein
de la fraction, ne dispose cependant pas d’un pouvoir discrétionnaire et
sans limite. Les Jaamburee6e,
détenteurs du pouvoir d’élection et de
contrôle, constituent dans le cadre du système politique un contre-pouvoir
veillant à ce que l’action de I’ardo soit conforme à ce qu’en attend la com-
munauté, à savoir assurer la sécurité et la justice.
Les organes de direction des diverses fractions sont politiquement
structurés autour d’un noyau hégémonique constitué par le groupe Wood-
dabe. Première à avoir pris pied au Ferlo, cette fraction est considérée
comme l’aînée (mawdo hecci) des groupes peul de la région. C’est cela qui
justifie, du point de vue idéologique, les prérogatives politiques reconnues à
l’ensemble de la fraction au travers de son chef. « L’autorité de I’ardo des
Woddabe s’étendait autrefois sur toutes les fractions. Les gens se confor-
maient à ses décisions, sans jamais les contester ».
Est-ce à dire que la réalité du pouvoir est exercé par I’ardo des Wod-
dabe ? Les autres chefs de fraction ne détiennent-ils que les apparences
du pouvoir ?
Cette hypothèse est peu vraisemblable dans la mesure où il n’y a ja-
mais eu d’intégration des fractions par un pouvoir central wodaabe. Aucune
des traditions recueillies ne conserve le souvenir d’une ancienne tutelle de
ce groupe sur les Peul voisins, pas même d’une tutelle s’exerçant par des
voies détournées. L’ardo des Wodaabe apparaît donc non comme le chef
suprême de tous les ardoojli, mais plutôt comme un primus inter pares
(ardo mawdo) chargé de régler les litiges et d’arbitrer les conflits entre les
groupes. En l’absence de relations d’échanges économiques et matrimo-
niaux, I’ardo mawdo constitue le ciment de l’unité des groupes ou, à tout le
moins, le garant de leur coexistence pacifique.
(1) Tout laisse penser que cette appellation peu1 synonyme de lammimwbe, est un emprunt fait au wolof. En ef-
fet, dans le syst8me d’ordre du Waalo voisin. les Jaambour se situent au second rang aprés les garmi, dé-
tenteurs du pouvoir politique et militaire. à l’époque pr&oloniale. Mais les Jaambuur, bien que relevant d’un
statut inf&ieur du point de vue de la hiérarchie, y ont cependant jou6 un rble non négligeable au plan politi-
que. * Ce sont les Jaambuur qui dirigeaient le seb ak baor. l’instance chargAe d’élire le Brak, de le contrbler.
de le conseiller ou de le destituer en cas de nécessité ~a
(NIANG, 1984). En plus de cette prérogative. il faut
mentionner que les Jasmbuur assumaient traditionnellement d’importantes
charges aussi bien dans I’appa-
reil d’Etat que dans l’administration territoriale du Waalo. Sur ce point, la similitude entre les sociétés wolof
et peul est int&essante.
33

Les rapports d’inbgalitb et de domination
La Sb’UCtUre des Sociétés peu1 précoloniales se caractérise par la tjivi-
Sion fondamentale de la communaute en groupes de statuts inégaux. ll faut
Préciser d’emblée que cette hiérarchie ne se fonde pas exclusivement sur
les critéres de caste. Autrement dit, les rapports organiques qui lient les
groupes constitutifs de la société ne sont pas tous de même nature.
Les relations entre les groupes dominants (lawakoobe) et les esclaves
(maccu6e) sont évidemment des rapports de classe. Ici comme ailleurs,
l’infériorité sociale de l’esclave est liée à l’exploitation économique qu’il su-
bit. Si l’on en croit les témoignages recueillis, l’esclavage a toujours eu une
importance moindre dans la société peul que dans les sociétés des régions
voisines, qui ont pris une part prépondérante dans le commerce de traite.
Les esclaves amenés au Ferlo par les marchands maures y sont
échangés contre le bétail. Les maccube se sont vus le plus souvent confier
les tâches agricoles, I’exhaure et la garde du bétail. Etant taillables à merci,
les esclaves (hommes et femmes) s’occupent aussi bien des activités pro-
ductives que des tâches domestiques généralement réservées aux fem-
mes.
Les esclaves vivent sous le toit de leurs maîtres, qui ont la charge de
les nourrir et de les marier. Ils sont soumis à une séparation matrimoniale
et ne peuvent pas conserver la propriété de leur descendance. Le maître
lui-même ne peut prétendre qu’à la propriété des enfants issus d’une es-
clave (kordo) qui lui appartient. « En matiére de reproduction les esclaves,
c’est comme le bétail. Si vous prêtez votre taureau reproducteur à un voi-
sin, vous ne pouvez réclamer aucun droit de propriété sur les produits qu’il
aura engendrés. De même, les esclaves nés en servitude appartiennent
non pas au maître du père, mais à celui de la mère ».
Les esclaves se répartissent en deux grandes catégories. La première
est composée d’esclaves nés en servitude (dagganaa6e) dont le sort est
semblable à celui des autres maccube à ceci près qu’ils ne sont pas cessi-
bles. Les dagganaabe font partie du patrimoine familial au même titre que le
cheptel lignager. La seconde catégorie comprend les esclaves récemment
acquis (soraade) par troc ou don. De ces derniers, le maître peut se sépa-
rer à son gré.
Maîtres et esclaves occupent les pôles extrêmes de l’échelle hiérarchi-
que. D’autres groupes sociaux situés à un niveau intermèdiaire entretien-
nent avec les groupes dominants des rapports économiques et politiques
qui relèvent de relations de clientèle. Comme le remarque MEILLASSOUX
(1977), les rapports qui s’établissent entre ces groupes de clientèle sont
de nature formelle et se fondent sur des critères « abstraits et irréels ».
34

Alors qu’en milieu wolof et toucouleur (1 ), le systéme des castes a,
dans une large mesure, dominé la structure sociale, dans la société peul,
en revanche, l’institution des castes n’a revêtu qu’une importance secon-
daire, voire marginale. A cela, une raison majeure : l’organisation en castes
est caractéristique de sociétés agraires ou les groupes ainsi constitués
sont affectés à des fonctions précises - telle la fabrication d’instruments
agricoles ou de produits artisanaux. Dans la société peul du Ferlo, la qua-
si-totalité des outils utilisés dans l’activité d’élevage est traditionnellement
fabriquée par les pasteurs eux-mêmes. Seuls les instruments aratoires et
les récipients à usage ménager leur sont fournis par les forgerons (Way-
Me) et les artisans du bois (Lawbe).
« Les Peul affirment généralement que les castes d’artisans et de mu-
siciens n’appartiennent pas à leur ethnie ; les forgerons (kVay/ube) seraient
des Toucouleur ou des Wolof, les griots généalogistes (Waambaabe)
avec
qui ils sont en contact sont décrits comme étant d’origine toucouleur ou
Lawbe, et on hésite à donner aux Lawbe une origine peul, même s’ils par-
lent la langue de ces derniers (...). Les cordonniers (Sakkeebe) et tisse-
rands (Maabube) qui entrent en contact avec les Peul sont aussi présentés
comme étant des Toucouleur ou des Wolof. D’ailleurs, à la place de la dis-
tinction /îeeAo/geer (castés/non castés) chez les Wolof, les Peul établis-
sent l’opposition Fu/be/lVeeAbe
» (NIANG, 1984).
Si, du point de vue de l’appartenance ethnique, il paraît bien difficile
d’intégrer le système des castes dans la société peul, certaines traditions
rapportent pourtant que les Peul, les Lawbe et les Waambaabe
auraient une
origine commune : leurs ancêtres seraient des frères utérins. Les traditions
recueillies donnent diverses versions de leur séparation. En effet, il y a bien
eu rupture des liens de parenté dans la mesure les Lawbe et les Waam-
baa6e
sont toujours présentés par les Peul comme étrangers à l’ethnie
peul, et sont exclus du champ des alliances matrimoniales des f-ulbe.
Ce fait se remarque d’ailleurs dans l’occupation de l’espace. Les neen-
be, notamment les forgerons et les Law6e n’habitent pas traditionnellement
dans les campements peul. Ils établissent jeur résidence à la périphérie
des lieux d’habitat des pasteurs auxquels ils fournissent des biens et des
services. En contrepartie, ils reçoivent des produits de l’élevage et bénéfi-
cient des dons que leur statut d’auxiliaire les fonde à réclamer à tout mo-
ment.
D’origine agraire, l’organisation en castes ne semble donc pas s’être
intégrée tout à fait dans le système pastoral peul. Cependant, cette institu-
tion, si elle est restée autonome par rapport au corps social, a été mise au
service de l’organisation socio-économique traditionnelle.
(1) II s’agit en fait des Fulbe waalo appelés Toucouleur par les Francais. Nous conserverons cette dénomina-
tion pour éviter toute confusion entre les Fulbe waalo rkàidant dans la vall6e du fleuve SBnBgal et ceux qui
se sont établis dans le jesri.
35

L’ORGANISATION FAMILIALE ET LES RAPPORTS DE PRODUCTION
L’importance traditionnellement accordée à l’élevage dans les sociétés
pastorales tient au fait que les peuples pasteurs sont, en régle générale,
plus attachés à leur bétail qu’à la terre, même si l’agriculture constitue sou-
vent une composante non négligeable de leur économie et procure la ma-
jeure partie des subsistances. Dans ces sociétés, la propriété collective du
sol ne détermine pas les rapports entre producteurs. Ce sont au contraire
les rapports noués entre les individus dans le cadre de la production pasto-
rale qui déterminent les conditions de l’accès au sol et les formes d’appro-
priation des ressources exploitées en commun (BONTE, 1977).
Si l’élevage occupe une place de choix dans ces sociétés, quoique
n’étant pas toujours la principale activité économique, c’est parce que le
bétail constitue non seulement une forme privilégiée d’accumulation de la
richesse, mais surtout le fondement matériel indispensable de toutes les
négociations sociales (en vue de l’établissement de relations d’alliance,
d’obligation ou de soutien entre les individus et les familles, de coopération
dans le travail, etc.).
Au Ferlo, le système économique traditionnel s’organise autour des ac-
tivités pastorales. Le pastoralisme n’est cependant pas la seule activité
économique. L’agriculture et la cueillette sont pratiquées parallèlement à
l’élevage. Ainsi, le systéme économique combine-t-il diverses activités
d’importance inégale, mais qui sont toutes prises en compte dans les dé-
placements du groupe. Les systémes de production du waalo et du ieefi re-
posent sur des productions différentes. Pour les Fulbe waalo, l’agriculture
constitue l’activité dominante tant au point de vue des ressources qu’elle
mobilise que de celui des productions qu’elle dégage. Les Fulbe jeffi, en re-
vanche, s’occupent plus d’élevane et de cueillette aue d’agriculture.
La cueillette et la chasse
L’exploitation de la gomme arabique
(dacce) est ancienne dans les ré-
gions Nord du pays qui constituent l’aire d’extension principale de l’Acacia
Sénégal. A partir du XVIIe siécle, la traite de la gomme occupe une place de
choix dans le commerce du fleuve Sénégal, contribuant ainsi à consolider
la puissance des Maures qui en sont les principaux participants (BARRY,
1972).
Cette importance croissante de la gomme en relation avec la forte de-
mande des industries européennes de teinturerie, de toile peinte, de phar-
macie, de confiserie, etc., incite d’autres groupes (Peu1 puis Wolof) à exer-
cer l’activité gommiére.
Au Ferlo, l’exploitation de la gomme intéresse toutes les fractions peul.
Dans les zones jey, les gommeraies naturelles (pattuki) sont appropriées
comme toutes les ressources. Leur exploitation s’effectue en saison sèche
et donne lieu à une double campagne annuelle. Les gommiers saignés en
3 6

novembre sont récoltés en janvier. La seconde récolte se déroule en juin et
concerne les arbres saignés en avril. En règle générale, les peuplements
affectés par les feux de brousse produisent davantage, ce qui explique la
fréquence des incendies volontaires.
Traditionnellement, la récolte de gomme arabique
fait l’objet d’une utili-
sation domestique (pharmacopée) mais surtout de diverses transactions :
troc gomme arabique
contre céréales et commercialisation dans les esca-
ves du fleuve et les points de traite du Jolof (Linngeer,
Daara, etc.).
L’exploitation de la gomme a connu une évolution en dents de scie:
importante au cours de la période pré-coloniale, la production amorce à
partir de la deuxième moitié du XIXe siècle un lent déclin qui se prolongera
durant prés d’un siècle. Au lendemain de l’indépendance, cette activité
prend un nouvel essor, mais la production est très vite limitée par I’épuise-
ment des peuplements surexploités. Ce déclin est accéléré par la séche-
resse qui entraîne une baisse de production et une forte mortalité des gom-
miers. A cela s’ajoute la désorganisation des circuits de commercialisation
consécutive au désengagement des maisons de commerce confrontées à
l’érosion de leurs marchés traditionnels.
Depuis quelques années, des tentatives de relance sont entreprises
au Sénégal. Des actions de recherches, de reboisement et d’aménagement
des gommeraies sont réalisées par plusieurs projets dans la zone sahélien-
ne, particulièrement au Ferlo. II serait prématuré de porter un jugement sur
l’impact de ces tentatives.
La régression de la production de gomme arabique
a incité les Peul à
s’intéresser à d’autres produits de cueillette :
- les jujubes (Jaabe) : fruits du Zizuphus Mauritania.
La production de
plus en plus importante est assurée par les femmes et les enfants. Les
fruits secs sont commercialisés sur les marchés locaux.
- les fruits du Balades aegyptiaca (Muroteeki).
La pulpe de ces fruits
entre dans l’alimentation humaine. Le noyau oléagineux est trituré pour fa-
briquer une huile artisanale qui entre principalement dans la composition
du savon. Le tourteau est consommé par le bétail.
Signalons pour terminer que de nombreux produits végétaux sont ex-
ploités à diverses fins, notamment alimentaires et médicales (pharmacopée
humaine et vétérinaire).
La chasse, qui semble avoir été pratiquée par toutes les fractions peul,
et plus particulièrement par les Pambinaabe, fournissait un appoint alimen-
taire non négligeable. Elle évitait d’avoir recours à l’abattage des animaux
du troupeau et faisait partie intégrante du systeme pastoral. A ce titre, elle
était valorisée au plan culturel et symbolique (KANE, 1978).
37

L’agriculture
L’agriculture peu1 revêt deux formes principales : agriculture pluviale au
jeeri et agriculture de décrue au waalo. Les cultures de jeeri sont caractéri-
sées par la primauté des céréales, du mil sunna (Pennisetum gambicum) en
particulier, dont le cycle végétatif ne dépasse guère trois mois. En dehors
des céréales, les Peu1 cultivent quelques légumineuses dont le niébé (Vi-
gna sinensis) et une cucurbitacée, le podde (Citruhs lanatus) dont la chair
est utilisée dans l’alimentation du bétail, tandis que les graines servent à
fabriquer une huile végétale (huile et tourteau sont comestibles).
La production agricole dans la zone du waalo repose principalement
sur la céréaliculture (sorgho de décrue, maïs) et le jardinage (haricots,
courges et patates douces).
Nous ne disposons pas de données quantitatives fiables sur la produc-
tion agricole. Les informateurs indiquent simplement qu’en années climati-
quement
favorables les familles waalwaalbe
disposant d’une main-d’œuvre
abondante parvenaient à produire suffisamment de céréales pour couvrir
leurs besoins vivriers annuels, voire à dégager un surplus céréalier. Chez
les Peul jeeri, la règle générale est plutôt le déficit vivrier: le volume des
productions reste en-deçà des besoins domestiques.
Tous les champs d’un même campement sont regroupés en un bloc ou
koolangal. Le koolangal est fractionné en champs non pas individuels, mais
familiaux.
Dans le jeeri, le droit d’accés à la terre est ouvert à toutes les familles
appartenant au campement et, sous certaines réserves (cf. supra), aux
étrangers nouvellement installés dans le wuro. Tel n’est pas le cas au waa-
lo où les appartenances foncières sont plus strictes. Les cuvettes culiva-
bles en décrue sont limitées et appropriées par les familles localement pré-
éminentes (1).
L’organisation domestique du travail se caractérise par l’exploitation
collective de chaque champ dans le cadre du groupe familial qui partage un
même espace d’habitation ou galle. Cette unité d’habitat est le lieu privilé-
gié de la vie de relation. En effet, l’individu n’est jamais perçu comme un
élément isolé, mais comme membre d’une collectivité familiale déterminée
qui constitue l’unité de référence dans l’identification de chaque personne.
Le groupe de descendance est placé sous l’autorité de l’aîné de la gé-
(1) Ces terres joowre sont gérées par 1s jom galle. A son dhès. le domaine foncier ne faisait pas autrefois
l’objet d’un partage successoral mais était transmis en bloc 4 celui qui prenait la succession. Cette situa-
tion a connu par la suite des transformations importantes affectant les modalités d’appropriation et de ges-
tion du foncier.
3 8

nération la plus ancienne (mawdo galle) qui en est a la fois le chef et le re-
présentant vis-à-vis de l’extérieur.
« Les Peul vivaient autrefois en communautés familiales plus larges.
Les liens de parenté étaient plus etroits (endam buri moyyude) et la cohé-
sion interne des galleeji plus forte n. Le galle regroupe en général trois gé-
nérations d’un même patrilignage ainsi que leurs dépendants (épouses et
enfants, éventuellement d’autres personnes apparentées et, quand la famil-
le en posséde, les esclaves).
Unité significative du point de vue social, le galle l’est également sur le
plan économique. Les relations de parenté fonctionnent en effet comme
rapports de production et déterminent aussi bien la composition des unités
domestiques que la circulation des biens. C’est l’unité familiale qui est à la
base de l’activité agricole. « Chaque galle ne cultivait qu’un seul champ
dont le produit était destiné à satisfaire les besoins alimentaires du groupe
familial ». L’organisation du travail agricole se fait principalement au sein du
galle, mais la déborde parfois. Les informateurs indiquent que l’entraide,
sans être importante, se pratique entre familles CO-résidentes,
c’est-à-dire
entre galleeji appartenant à un même wufo.
Dans le domaine agricole, les caractéristiques de la structure de pro-
duction peuvent se résumer comme suit : exploitation et gestion collectives
dans le cadre du galle. A l’exception des femmes, traditionnellement déga-
gées des tâches agrjcoles,
toute la main-d’œuvre disponible s’investit en
saison des pluies dans les activités agricoles.
Les transformations internes au groupe familial ont conduit peu à peu à
la constitution de champs individuels à côté du champ cultivé en commun
par les membres actifs du galle. « Le jom galle était unique, de même que le
champ qui nourrissait le galle. Mais les enfants du jom galle ainsi que ses
fréres cadets et leurs fils avaient chacun un champ individuel (lowre toko-
sere). Ils sy consacraient une journée de travail par semaine, le mercredi ou
le jeudi ».
Les productions de ces petits champs servent à satisfaire les besoins
personnels de leurs propriétaires, tandis que la totalité de la production du
grand champ (ngesa mawba) est gérée par l’aîné, qui en assure la redistri-
bution au sein du groupe. Ce comportement des cadets s’inscrit dans le
processus d’autonomisation vis-à-vis du jom galle. Mais, comme on le ver-
ra, dans ce processus d’émancipation des cadets c’est l’accession effecti-
ve à la propriété du bétail qui constitue l’élément déterminant.
Pour marquer l’importance de l’élevage dans la société peul il convient
d’indiquer que cette activité investit non seulement le champ de la produc-
39

tion et de la consommation, mais aussi le champ social. Les activités pas-
torales, valorisées par-dessus tout, concernent tous les membres de la so-
ciété y compris les Lawbe, considérés à tort comme un groupe étranger
aux activités d’élevage (1). (< En milieu peul, la femme s’occupe d’élevage,
de même que l’homme adulte, le vieillard et l’enfant ».
Ce qui apparaît en fait le plus frappant, au regard du rôle prépondérant
de l’élevage dans ces sociétés, c’est la faiblesse des effectifs animaux tra-
ditionnellement détenus.
A propos des pasteurs qui séjournent en hivernage dans la partie Nord
du Ferlo, BARRAL (1982) a pu établir, à partir des premiers recensements
effectués par l’administration coloniale, qu’en 1910, les effectifs du cheptel
étaient de l’ordre de 0,56 bovin et deux petits ruminants par habitant. Cette
estimation est confirmée par des témoignages concordants, selon lesquels
la taille des troupeaux de bovins les plus importants ne dépassait guère
quelques dizaines de têtes. D’ailleurs, jusqu’à une période récente, l’on
considérait comme Jaargaabe,
c’est-à-dire grands propriétaires, le petit
groupe de pasteurs dont les troupeaux comptaient 50 à 80 bovins environ.
Cette relative faiblesse numérique du cheptel avait des causes multi-
ples. Le bétail était en effet menacé par « les fléaux habituels qui anéantis-
saient des troupeaux entiers, razzia, épizooties, sécheresses, dont les
vieux Peul évoquent le retour considéré comme cyclique (...). Par exemple,
les épidémies de peste bovine qui prélevaient de 75 à 100 p. 100 des ef-
fectifs balayaient tous les 20-25 ans l’Afrique sahélienne, du Nil à I’Atlanti-
que. Ainsi la tradition conserve le souvenir du quasi-anéantissement du
cheptel Ouest-africain en 1828, 1866, de 1891 à 1893 du Tchad au Sou-
dan, de 1915 à 1917, puis de 1919 à 1920 du Niger au Sénégal » (GAL-
LAIS, 1972).
Face à ces aléas, les pasteurs peul ont mis en pratique des stratégies
d’assurance pastorale fondées principalement sur la pratique du prêt et du
confiage des animaux (2).
Les études consacrées au Ferlo renferment quelques données relati-
ves à l’évolution de l’élevage dans la région. Nous avons indiaué plus haut
(1) Les Lawbe sont les sp6cialistes de 1’6levage des anes. On notera ici qu’il y a quelque paradoxe à voir cet
animal de bât, dont l’utilité Economique est très grande (transport), relégu6 au dernier rang dans la hibrar-
chie socio-culturslls des espèces domestiques BlevBes dans la région.
(2) DUPRE (1970) indique à ce propos : * Les Bakarnaabe confient des vaches à des parents dans les m&mes
conditions de gardiennage qu’à un berger (lait et une g6nisse par an comme r6mun&ation), tandis qus ce
pr4t chez les Uururbe ne touche que le Ian, cJont la commercialisation constitue un revenu apprBciable -.
Plus loin : n on rencontrerait chez les Toucouleur et Peu1 du Waalo un pr& nawga na’i aux conditions moins
int&essantes (.J que celui des Bororo : une vache est pr&4e A un parent qui a droit au lait et garde le trni-
siéme produit S_
40

que selon les estimations de BARRAL (1982) les effectifs du cheptel au
début du siècle étaient d’environ un bovin pour deux personnes. POUr 1980,
BARRAL (1982), et SANTOIR (1983) parviennent pour la même zone à
des estimations très voisines : 2,6 à 2,7 bovins par habitant. Cela signifie
qu’au cours de la période considérée, le cheptel bovin a cru cinq fois plus
vite que la population humaine !
Le taux d’accroissement démographique étant remarquablement faible
(BARRAL comme SANTOIR l’estiment à 0.9 p. 100 tant au Jolof qu’au Fer-
lo), l’augmentation de la population a été d’environ 85 p. 100 en soixante-
dix ans. II en résulte que le cheptel bovin se serait multiplié durant la même
période par un facteur proche de 8,8 (1).
S’agissant du Jolof, les données analysées par SANTOIR (1983) font
ressortir un accroissement comparable du cheptel. En effet, la population
bovine a plus que triplé entre 1918 et 1950, la charge théorique passant de
soixante-sept à vingt ha par bovin (2). II convient de préciser qu’à l’époque,
les épizooties majeures n’étaient pas encore jugulées par la médecine vé-
térinaire : la croissance du cheptel s’accélérera à partir de 1950, du fait
principalement de l’amélioration de la situation sanitaire des troupeaux.
Nous y reviendrons.
Pour les populations pastorales du Jolof et du Ferlo, cet accroissement
sans précédent du cheptel constitue l’un des faits majeurs de l’histoire re-
tente. Si la précision des statistiques officielles est incertaine, la tendance
d’évolution qu’elles dessinent peut être tenue pour juste. Au cours de la
première moitié du siécle, la charge animale, rapportée à la surface, a pour
le moins triplé et plus probablement quadruplé, voire quintuplé. Cette multi-
plication des troupeaux a entraîné un rééquilibrage des systèmes de pro-
duction en faveur de l’élevage. Alors que les sociétés peul étaient jusque-là
fortement dépendantes de l’agriculture, l’élevage pastorale va peu à peu
s’affirmer comme le pilier économique de la reproduction du système social
et le centre à partir duquel s’articulent les autres activités, notamment
l’agriculture. Ainsi, les transformations intervenues dans l’histoire économi-
que du Ferlo ont-elles favorisé la repastoralisation des Peul. Ce processus,
qui s’amorce dès l’aube de la période coloniale, se renforcera sensiblement
après 1950, nous le verrons.
Tout comme l’agriculture, la gestion du troupeau est organisée dans le
cadre du galle. Le cheptel du galle comprend généralement plusieurs espé-
ces animales. Les bovins constituent l’élément central du systéme d’eleva-
ge, surtout chez les Jeerinkoobe.
« Un Peu1 qui n’a pas de bovin, n’est pas
(1) Ceci correspond à un taux moyen de croit brut annul de 3,2 p. 100, parfaitement plausible sur le plan zoo-
technique.
(2) On débouche sur un taux de croit brut annuel un peu supérieur (3,8 p. 100).
4 1

véritablement un Peu1 ». En plus des bovins, les pasteurs élévent des ovins,
des caprins, quelques ânes et chevaux. Les Waa/waa/6e sont davantage
portés vers l’élevage des petits ruminants, les ovins en particulier.
L’exploitation pastorale est a la base d’un système économique dans
lequel l’alimentation des groupes domestiques provient pour une large part
des troupeaux familiaux. Les produits laitiers et, occasionnellement, la
viande sont consommés avec les céréales (1) mais aussi échangés contre
les produits agricoles en période de soudure. La part des produits laitiers
réservés a l’alimentation est consommée en partie au cours des repas
communs, le reste servant à la préparation d’un breuvage très apprécié qui
se compose de lait caillé additionné d’eau sucrée : le tufam.
Le galle se caractérise donc par une consommation alimentaire com-
mune. Le fait de partager le repas commun, non pas de façon occasionnel-
le, mais quotidienne, correspond à l’existence, au sein du galle, d’une cuisi-
ne collective unique (hiraande gooto). Les membres du galle se scindent
généralement en deux groupes pour la prise des repas. Les hommes se re-
groupent autour du jom galle, les femmes et les enfants en bas âge autour
de la première épouse.
La CO-résidence
des membres du groupe de descendance leur permet
de réaliser en commun l’ensemble des activités agro-pastorales. Le jom
galle procède à l’affectation de la main-d’œuvre disponible aux différentes
activités en fonction des besoins du moment. Le travail pastoral s’effectue
de maniére collective au sein du galle, mais la participation des membres
actifs de la communauté à ces activités tient compte du sexe, de l’âge et
du statut familial de chacun.
Dés l’âge de 6-7 ans, les jeunes enfants (garçons et filles) sont intè-
grés dans l’organisation de la production et initiés à leurs « métiers ». Ils
s’occupent de la garde des veaux, des agneaux et des chevraux, ainsi que
de la conduite des petits ruminants aux points d’eau. Les petites filles ai-
dent également leur mère dans les tâches domestiques et participent aux
activités de cueillette, notamment à la collecte des fruits sauvages dans la
brousse environnante.
Les adolescents et les jeunes hommes sont affectés à la conduite des
troupeaux et aux activités qui y sont associées (conduite aux mares et aux
puits, exhaure manuelle, creusement de séanes, conduite en transhuman-
ce). Les hommes adultes du galle participent à ces tâches de conduite du
bétail et de puisage de l’eau, mais dans une moindre mesure que leurs ca-
(1) Les grains de mil deoarrass& du @ricarpe (cercle) servent ti la préparation du riirri bunaa consomme gene-
ralement a midi. Le cou?.cous (kciri) est mangé de préférence le SOIT avec du lait frais (Kosam biradam) Le
lait caill6 (Keddam) accompagne le gosi (boutlie à base de semoule de mil). A certaines occasions (fétes.
pr&ence d’un hàte, etc.), le mil est remplacé par le riz que la m6nagére accommode avec du passon sé-
che ou exceptionnellement de la viande (maaro e feew).
4 2

dets. Les soins à donner au petit bétail sont essentiellement du ressort des
femmes mariées, de même que la traite et la transformation du lait. Les
Peul considèrent d’ailleurs ces tâches pastorales comme faisant partie des
activités domestiques normalement dévolues aux femmes : cuisines, soins
aux enfants, mais aussi corvée d’eau pour les besoins domestiques, corvée
de bois et cueillette de produits divers.
Le jom galle a la charge de superviser l’ensemble des activités produc-
tives et de prendre les décisions importantes relatives à la gestion techni-
que du bétail (choix des parcours de transhumance, désignation des per-
sonnes et des catégories d’animaux concernées, etc.). C’est lui qui donne
les instructions (yamiroore) pour l’organisation pratique du travail. En même
temps que ces activités de direction, le jom galle s’occupe personnellement
des soins à donner aux animaux malades.
Cette description sommaire des modalités d’organisation du travail
pastoral dans le cadre traditionnel montre qu’elles s’appuient sur la coopé-
ration des membres actifs du galle, mais instaurent dans le même temps
une double hiérarchie hommes/femmes
et aînésicadets. Ces mêmes hié-
rarchies interviennent dans la gestion économique des productions anima-
les.
Alors que la totalité de la production agricole collective est conservée
par le jom galle qui en assure la redistribution, la production de lait et des
produits dérivés est entiérement contrôlée par les femmes qui s’occupent,
chacune pour ce qui la concerne, de la traite des vaches qui composent
son douaire (terle) et des laitiéres qui lui sont affectées par son époux.
Après prélèvement de la ration alimentaire du galle, elles transforment les
surplus en lait caillé puis en beurre (nebbamp).
Ce produit, qui se conserve
bien, entre dans les opérations d’échange qu’elles effectuent avec les agri-
culteurs quand le groupe se rend en transhumance dans les régions voisi-
nes.
Les rapports sociaux de production instaurent donc un monopole des
femmes sur le lait, les hommes contrôlant la circulation économique du be-
tail. « Les décisions concernant l’acquisition ou le déstockage des animaux
sont l’affaire des hommes, qui en prennent l’initiative. La transaction ne
peut en aucune façon être effectuée par une femme >a.
Le jom galle est le responsable en titre de tout le bétail du galle, dont la
gestion se fait de façon collective sous sa responsabilité. Ainsi, dans ces
sociétés, le bétail qui constitue la principale richesse, est entre les mains
des aînés. Mais le contrôle qu’exerce le jom galle sur le cheptei familial
s’accompagne d’une appropriation individuelle des animaux par les diffé-
rents membres du galle. « La gestion du bétail est commune, mais chacun
a des droits de propriété sur un certain nombre d’animaux qui constituent
sa part personnelle (gecfal makko) P>.
43

La responsabilité de l’entretien du groupe familial incombant au jom
galle, celui-ci prélève alternativement un animal sur les différents cheptels
individuels pour assurer le réapprovisionnement vivrier. Les autres ayants
droit ne peuvent déstocker leurs animaux sans le consentement du jom
galle, lequel s’attache à empêcher tout gaspillage du patrimoine.
Le troupeau familial est composite et comprend pour l’essentiel quatre
parts (BARRAL, 1983) :
- les gorwori ou bovins possédés en propre par le jom galle;
- les feai, c’est-à-dire les animaux offerts par le jom galle à sa ou ses
femmes lors du mariage ;
- les jomtinaaji,
animaux qui appartiennent aux épouses antèrieure-
ment à leur mariage et qui leur ont donc été donnés par leur père ;
- les bovins des enfants et des parents mariés vivant dans le galle.
Le système de sécurité économique en vigueur dans ces sociétés im-
plique la préservation et l’accroissement des troupeaux de bovins. Pour les
pasteurs peul, cette préoccupation est fondamentale et oriente la circula-
tion du bétail à travers le réseau des liens de parenté et d’alliance.
Les relations ainés/cadets, pierre angulaire de l’organisation économi-
que, impliquent des obligations réciproques entre apparentés.
Le père, bien avant sa mort, répartit une partie de son bétail entre ses
enfants(l). Les critères de sexe et de primogéniture interviennent dans
cette distribution du bétail paternel aux ayants droit (DUPRE, 1970). Cha-
cun des fils reçoit en principe un certain nombre d’animaux (dokki) Iégère-
ment supérieur à celui de son frère aîné tandis que les filles se voient offrir
rarement plus d’un bovin. Deux types d’arguments sont fréquemment déve-
loppés pour justifier la faiblesse des parts féminines. L’un fait référence au
statut des filles, considérées comme des personnes étrangères à la lignée
agnatique. Une fois mariée, la fille doit en effet quitter l’habitation paternelle
pour s’installer dans celle de ses beaux-parents où réside son époux. Ce
faisant, elle s’intègre à une nouvelle communauté familiale qui devient dé-
sormais la sienne. Dans ces conditions, offrir le même lot d’animaux aux fil-
les et aux garçons, c’est courir le risque d’une dispersion du patrimoine
hors de la lignée agnatique.
(1) Selon DUPRE (1970). ces dons d’animaux s’effectuent le plus souvent à l’occasion de cérémonies socia-
les importantes. « Sien que les parents soient tenus de donner à leurs fils du b6tail pour les aider à se ma-
rier, le père ne distribue pas la majorit8 de son troupeau de son vivant. II offre parfois à son fils le jour de
son imposition du nom et pour éprouver sa chance, une vache blanche (..J dont le b6b6 boira le lait. Si cel-
te vache reproduit, II est considér6 comme chanceux, arsukindo,
dans le cas contraire, le père attendra qu’il
soit marié pour lui donner du bétail (..,). Le garçon reçoit aussi, dans sa petite enfance, quelques bétes de
sa m&re. d’un grand-père ou d’un oncle maternel, auxquelles peuvent s’ajouter d’autres à sa circoncision *.
4 4

L’autre argument invoque les droits acquis par les garçons qui effec-
tuent l’essentiel des tâches pastorales, contribuant ainsi de façon décisive
à l’effort d’accumulation. A ce titre, ils sont fondés à revendiquer des droits
de propriété sur une partie du bétail dont ils ont la garde. Les parents ac-
cordent souvent plus d’importance à ces droits acquis qu’à la règle du par-
tage en parts décroissantes. Ainsi allouent-ils le stock le plus important à
l’un ou l’autre de leurs enfants pour le récompenser des services rendus.
Dans sa finalité première, ce système de préhéritage vise « à partager
les chances dès le départ et, en définitive, à donner aux plus aptes les
principaux moyens de production » (DUPIRE, 1970). En retour, les enfants
ont des obligations d’assistance à l’égard de leurs parents quand la vieil-
lesse rend ces derniers inaptes à tout travail. Tout en conservant le titre de
jom galle, l’aîné de la génération la plus ancienne transfère ses prérogati-
ves à son successeur qui devient de ce fait le gestionnaire du bétail et le
détenteur de l’autorité au sein du galle (1).
La circulation externe du bétail s’appuie sur divers mécanismes parmi
lesquels le mariage apparaît comme l’un des plus importants. Le bétail est ’
en effet à la base de toutes les négociations sociales impliquant une allian-
ce matrimoniale. Chez les Peul, l’établissement du contrat matrimonial
s’accompagne du versement par le groupe marital d’une dot en nature. II
serait plus exact de parler de douaire plutôt que de dot, car le stock de bé-
tail offert par le mari est approprié par l’épouse et conservé dans le trou-
peau du patrilignage de l’époux (2).
Ce stock, dénommé feoe, constitue pour la femme un moyen de pro-
duction et d’accumulation garantissant l’avenir de ses enfants. C’est sur le
capital-bétail de leur mére que les fils prélèvent leurs cadeaux de mariage,
c’est-à-dire les vaches qu’ils offrent à leurs épouses (principe de compen-
sation matrimoniale).
« La coutume veut que si à la premiére épouse on offre sept vaches, à
la seconde il faut en compter vingt. La raison invoquée est qu’avant la ve-
nue d’une seconde épouse, le troupeau de la première a eu le temps de
s’agrandir de nouveaux rejetons; il faudrait donc cette inégalité entre les
dots (sic) pour équilibrer entre les deux femmes qui doivent, en principe,
partager la mëme condition » (NIANG, 1984).
A ce cheptel s’ajoutent des laitiéres attribuées par le mari (Oiraaji) et,
éventuellement, quelques animaux offerts par la famille de la femme, quand
elle dispose d’un grand troupeau.
(1) Ce transfert introduit une nuance entre les termes de mawdo galle c’est-A-dire le doyen d’âge de la gBn&a-
tien la plus ancienne et le jom galle, titre attribu8 à celui qui exerce r&llement l’autorit su sein du galle.
(2) Selon DUPRE (1970), * une femme n’est jamais entikwxnent libre de disposer de son Mtail ; veuve ou di-
vorc8e. sans enfant, elle tombe sous le contr6le de ses propres parents qui I’empkhent parfois de se re-
marier s.
45

L’héritage post-mortem du reliquat de bétail lignager se fait selon les
prescriptions de l’Islam. Ce partage n’entraîne cependant pas dans les faits
le fractionnement du troupeau, dont la gestion passe entre les mains de
celui qui prend la succession à la tête du galle. Quand le lignage paternel
ne possède pas ou peu de bétail, les fils peuvent en obtenir auprès de leur
oncle maternel (kaaw) en allant travailler pour lui pendant quelques années.
De là l’adage peul : « l’oncle maternel, c’est de la viande de cheval. L’ani-
mal est utile de son vivant, mort il ne peut servir à rien, sa viande n’étant
pas consommable ». Façon imagée d’indiquer que le neveu ne peut hériter
de son oncle.
46

DEUXIEME PARTIE
LE FERLO
A L’EPREUVE DES POLITIQUES
DE DEVELOPPEMENT

L’établissement du pouvoir colonial au Ferlo entraîne des modifications
importantes affectant les divers secteurs de la vie des populations. Pour
les Peul, les premiers effets sensibles de la colonisation sont, d’une part
l’avènement de la sécurité politique et, d’autre part, la pression de I’appa-
reil administratif : institution d’un impôt sur le bétail, enrôlement dans I’ar-
mée, réquisitions de main-d’œuvre, etc.
La loi de finances du 13 avril 1900, en leur accordant l’autonomie fi-
nancière, transfère aux colonies des charges importantes. Au Sénégal, les
moyens engagés pour financer les infrastructures de base proviennent du
budget local, alimenté par les impôts et les taxes douanières. Outre cet ob-
jectif, l’instauration d’un impôt sur le bétail vise à créer des besoins moné-
taires pour inciter les pasteurs à commercialiser leurs animaux.
Rebelles à l’imposition, les Peul cherchent à s’y soustraire en dissimu-
lant tout ou partie de leur cheptel. Aprés 1950, cette volonté de dissimula-
tion est contrecarrée par le souci de faire vacciner le bétail. Et l’opposition
à l’impôt ne réussira pas à empêcher durablement le monétarisation de
l’économie pastorale. Cette évolution coïncide avec l’émergence de be-
soins nouveaux(l), le développement des échanges en relation avec I’aug-
mentation de la demande de céréales, la monétarisation de la dot et des di-
verses prestations traditionnelles.
Pour les communautés peul, la conscription constitue une mesure arbi-
traire supplémentaire à laquelle elles refusent de se soumettre en mettant
en œuvre des stratégies de désobéissance fondées sur la mobilité,, Au to-
tal, très peu de recrues ont pu être mobilisées en milieu peul. Encore
s’agit-il presque toujours de remplaçants. A la place des jeunes hommes
issus des couches prééminentes de la société, ce sont des esclaves que
les familles envoient dans l’armée.
Si l’application de la conscription n’atteint guère ses objectifs, elle ac-
croît en revanche, la défiance des Peu1 toujours prêts à « s’enfoncer dans
la brousse, à se déplacer volontiers à la moindre alerte, afin d’éviter les ré-
quisitions, les prélèvements, les confiscations, les saisies d’animaux « er-
rants » (BA, 1982). Ce climat de tension sociale entrave les contacts entre
l’administration et les populations peul.
LE DEVÈLOPPEMENT PASTORAL :
STRATEGIES ET IMPLICATIONS
« Ce n’est qu’assez longtemps après l’installation de I’Administration
française en A.O.F. que les pouvoirs publics se sont intéressés à l’élevage.
(1) La modification des habitudes alimentaires a notamment cr& des besoins nouveaux qui grèvent lourde-
ment les budgets familiaux: thé, sucre, pain, etc.
49

Les gouvernements portèrent d’abord leur attention sur l’organisation admi-
nistrative du Territoire, la création de routes, de ports, de voies ferrées, le
développement de l’agriculture, etc., toutes activités qui paraissent plus im-
médiatement utiles D (FEUNTEUN, 1955).
Le trait marquant des sociétés pastorales, en liaison avec la mobilité
permanente de leurs membres, est un attachement très prononcé à leur li-
berté. Peuples souvent guerriers, les pasteurs ont conservé leurs traditions
d’indépendance et mis en œuvre des stratégies multiformes de résistance
à la colonisation, puis à l’action administrative.
En s’intéressant aux sociétés pastorales, les pouvoirs publics cher-
chent en tout premier lieu à s’assurer le contrôle politique de ces popula-
tions insaisissables. Dans leur finalité première, les programmes de sèden-
tarisation mis en œuvre visent à accélérer une intégration à laquelle les
pasteurs restent relativement réfractaires.
Loin de promouvoir un développement régional intégré, social, écono-
mique et culturel, les efforts entrepris à l’époque coloniale portent presque
uniquement sur les aménagements hydrauliques et l’amélioration de la
santé animale.
Les autres investissements réalisés à l’époque concernent I’aménage-
ment de pistes à bétail. L’objectif de ces programmes est de faciliter les
transferts d’animaux des zones de production du Sahel vers les centres ur-
bains, en aménageant notamment des points d’eau permanents, des mar-
chés et des postes de contrôle sanitaire le long des axes de transhumance
et de commerce.
Hydraulique pastorale et politique de sédentarisation
Au Sénégal, les autorités administratives envisagent dès le début du
siècle de mettre en valeur les ressources pastorales du pays. Une étude
entreprise en 1908 sur les possibilités d’exportation du bétail sénégalais
conclut à l’intérêt de ce projet. « Pour tous les produits, sauf le beurre, la
France ne produit pas suffisamment pour les besoins de la consommation,
elle ne produit pas à des prix abordables pour la classe ouvrière (...). Seule
la concurrence, en amenant sur le marché des viandes d’importation com-
me cela se fait en Angleterre, sera le régulateur des prix » (PIERRE cité par
THALER, 1984).
Mais le développement de l’élevage au Ferlo est entravé par I’insuffi-
sance des ressources en eau de surface. II faut y aménager des points
d’eau susceptibles d’ouvrir à une exploitation permanente les vastes pâtu-
rages de la zone et de favoriser son désenclavement. II faut aussi créer un
axe de circulation permettant de draîner la production locale vers les cen-
50

tres de consommation. Les archives de la période COlOniak évoquent à Plu-
sieurs reprises la nécessite de remédier aux difficultés qui entravent le de-
veloppement de l’élevage et l’exploitation du cheptel de la région.
Dans un rapport de mars 1907, le Secrétaire général des Colonies, ad-
joint au Gouverneur général de I’A.0.F. à Dakar, écrit : « il serait d’un trés
grand intérêt de créer des lignes d’eau permettant de fixer les pOPdatiOnS
nomades du Ferlo, d’assurer les communications et la mise en valeur d’une
vaste région dépourvue d’eau et susceptible de devenir prospère lorsque
l’alimentation y sera assurée » (cité par BARRAL, 1982).
De novembre 1912 à février 1913, CLAVEAU effectue une mission
dans le Ferlo afin d’étudier les possibilités d’aménagement de points d’eau
le long des axes de commerce et de transhumance. « Pour l’avenir com-
mercial du Sénégal, il est urgent de relier, par des chemins aussi courts
que possible, la partie orientale du Sénégal qui apporte le bétail à la partie
occidentale qui le consomme et qui l’exporte 2) (CLAVEAU, 1914).
La proposition est reprise dans un document de 1925 dont l’auteur,
DARAMY D’OXOBY, était chargé d’élaborer un programme d’équipement
hydraulique à finalité pastorale. <c La valorisation du Ferlo par la constitution
de points d’eau, doit donner à l’élevage l’importance qu’il devrait avoir dans
cette vaste partie du Sénégal (...). Une mission hydraulique permanente, re-
levant d’un ingénieur géologue à recruter, devra entreprendre l’étude mé-
thodique de la nappe souterraine de cette vaste région peu connue a> (cité
par BARRAL, 1982).
Si les textes cités s’accordent à reconnaître l’importance de ce problè-
me d’approvisionnement en eau, ils ne disent rien de l’ingéniosité develop-
pée par les pasteurs peul pour exploiter au mieux les ressources disponi-
bles. Le creusement de puits souvent très profonds (80 métres) avec des
moyens rudimentaires constitue un véritable exploit technique. Ces puits
répartis sur les terrains de parcours et les axes de transhumance de la val-
lée du Ferlo et du jejegol sont soutenus par un réseau de puisards de nap-
pe alluviale aménagés au fond des mares et dans les dépressions (1). Ces
ressources en eau ne peuvent cependant être exploitées que par des ef-
fectifs animaux limités en raison de la faiblesse du débit de ces ouvrages
et des limites de I’exhaure manuelle (2).
Durant toute la première moitié du siècle, les équipements hydrauli-
ques du Ferlo ne sont constitués que par ces ouvrages traditionnels alors
(1) A notre connaissance, aucun texte ancien ne signale l’existence de séanes dans le Kooya. Or, nous en
avons vu en 1986 dans la zone de Mbiddi.
(2) SI Le travail d’exhaure manuelle est’pénibla et le débit d’eau tirée dépend de I’activit6 des tireurs. En se re-
layant, sur un puits où l’eau est à 10 mètres, des puiseurs, à raison de trois opérant simultanément, par-
viennent à extraire deux mètres cubes à l’heure ~a
(SERRES. 1977).
5 1

que des programmes de construction de puits en ciment sont réalises dans
d’autres régions du Sénégal. Sur prés d’un millier de puits fonces et ame-
nagés dans le cadre de ces programmes, moins d’une dizaine l’ont été
dans l’ensemble du Ferlo, alors que c’est précisément là que pareilles in-
frastructures faisaient le plus cruellement défaut.
II faudra attendre le début des années cinquante pour que I’administra-
tion coloniale décide d’entreprendre au Ferlo un vaste programme d’hy-
draulique pastorale (1).
La réalisation des forages profonds (mbalkaaji)
est liée à la découverte,
en 1938, d’une nappe semi-artésienne
: la nappe Maestrichtienne. « Il faut
préciser que c’est la technique pétroliére du sondage au rotary, mise au
point par les techniciens américains, qui avait permis d’atteindre la nappe
du Maestrichtien, inaccessible jusqu’alors par les procédés classiques de
fonçage de puits.
« La découverte de cette nappe, dont la surface est estimée à 150 000
km2, et qui couvre la plus grande partie du territoire devait donc permettre,
en théorie, la concrétisation de ce vaste projet de transformation du Ferlo
en zone de peuplement permanent, voire même de sédentarisation des
Peul et, dés 1939 étaient réalisés deux premiers forages équipés, en 1941,
de moyens d’exhaure mécanique, les forages de Sadio et de Mbar, dans
l’arrondissement de Gossas (Nord du Sine-Saloum), préfiguration des fu-
turs forages du Ferlo p> (BARRAL, 1982).
Interrompue par la guerre, la campagne de fonçage de forages pro-
fonds sera reprise en 1947 avec la mise en route du f< Plan Décennal
d’Equipement
et de Développement : 1947-i 956 ». Ce programme d’équi-
pement hydraulique bénéficie d’un important concours financier du Fonds
d’investissement pour le développement économique et social (F.I.D.E.S.).
L’objectif du programme, qui concerne l’ensemble des régions situées
au Nord du fleuve Gambie, est double : suppléer aux difficultés d’évacua-
tion du bétail par la ligne du chemin de fer en aménageant des points d’eau
permanents le long des axes de transhumance et de commerce (2) d’une
(1) Le désint&ët manifesté par l’administration s’explique par plusieurs raisons. dont la plus fondamentale ren-
voie aux choix économiques opérés par le colonialisme français au Sénégal. La culture de I’arachtda, Intro-
duite depuis le milieu du XIXe siécle. a été le fondement de I’activlté économique de la puissance coloniale
jusqu’a la seconde guerre mondiale. Or, au Ferlo, on ne pouvait pas concevoir d’agriculture arachldere
Non pas tant à cause du régime pluviométrique de la région que de son enclavement qui allalt rendre I’eva-
cuation des récoltes trop onéreuse. La falblesse du peuplement constituait un autre facteur limitant, aggra-
vé par I’lnexistence d’infrastructures susceptibles d’encourager les migrations rurales en dlrectton de la
zone. SANTOIR (1983) montre que l’avance du front arachidier au Djolof ortental swra I’lmplantatlon des
forages. Par ailleurs, le projet peu réaliste d’exporter de la viande vers la metropole sera rapldement aban-
donné.
(2) CI Le probkme du ravitaillement en viande et en produits laitlers des principaux centres urbains. et en parti-
culier de Dakar, devient d’année en année plus difficile, (..,) Le transport par fer ne peut suffire a cette ta-
che. L..) C’est par la route que le bétail doit venir en grande partie, d’ou la nécessité de points d’eau. de
parcs et de caravans&ails. II faut donc canaliser les courants commerciaux par I‘amenagement de voles
d’évacuation du b&ail et prevo~r des parcs de stationnement 12 (GROSMAIRE. 1957)
5 2

part, étendre la zone arachidiére par la conquête de nouvelles terres si-
tuées au Nord de la voie ferrée Diourbel-Tambacounda d’autre part.
S’agissant du Ferlo, le programme d’hydraulique pastorale se propose
d’y fixer les communautés peu1 et de transformer la région en un « vaste
parc d’élevage » afin de créer les conditions d’un approvisionnement régu-
lier des marchés urbains en viande.
Entamée en 1948, la campagne d’équipement hydraulique aboutit en
1957 a la réalisation de 23 forages profonds à exhaure mécanique dans la
zone sylvo-pastorale (en comptant les forages implantés au Jolof).
On perçoit bien les intentions du programme au travers de la réalisa-
tion effective des ouvrages hydrauliques. La première vague de forages est
implantée au Jolof : Daara en 1950, Bulel et Barkeji en 1951. L’administra-
tion coloniale accorde ainsi la priorité à l’aménagement de points d’eau à
grand débit le long de la route des mares, en partant du Jolof. Ces premiers
ouvrages ont une double vocation agricole et pastorale.
Deux volets se développent simultanément entre 1953 et 1954. II
s’agit, en premier lieu, de la poursuite de l’équipement de l’axe Linngeer-
Matam. Six nouveaux forages sont mis en service dans ce cadre : Jaagali
et Yoonofere en 1953, Furdu, Raneru, Lummbol et Dunndooji en 1954.
A la même époque commence la mise en valeur de la zone la plus cen-
trale et la plus dépourvue d’eau, c’est-à-dire le Kooyaa. En 1953, quatre fo-
rages y sont installés : Dooji, Labfar, Yaare Laaw et Mbiddi.
Ce programme de mise en place de l’infrastructure hydraulique dans le
« désert » se poursuit avec la réalisation de deux groupes de forages. Les
uns sont situes à l’Ouest de la zone centrale : Tatki et Wiidu Cinngooli
ou-
verts en 1955, Amaali, Teskere, Kocceda Ayre et Bowde Dudel (Mbar Tu-
bab), en 1956. Les autres sont implantés dans la frange Est : Luggere Coli
et Gey Kadar (1956), Revaan et Lummbi (1957).
Ces ouvrages, qui réalisent un maillage raisonné à partir des connais-
sances sur l’élevage pastoral, sont généralement distants de 30 km. L’ins-
tallation des points d’eau a été conduite selon des principes tendant à uni-
formiser et à harmoniser l’exploitation des parcours.
Le classement de la zone en réserve sylvo-pastorale offre aux pas-
teurs « un cadre moderne d’existence face à d’autres formes de spécula-
tion de la terre » (GROSMAIRE, 1957), et assure la protection des sols fra-
giles de la région contre l’expansion arachidière.
La politique d’aménagement mise en œuvre à l’échelle du forage impo-
se une réglementation stricte du « périmètre pastoral », c’est-à-dire de la
zone centrée sur le forage. Ce périmètre de protection d’une superficie de
53

:
FIGURE 3: REPARTITION DES FORAGES MIS EN SERVICE AVANT 1960
MDiLlc:- , 19531 iaré Lg" (19533
Mba: I.:ubab
(19561
l Wir,dou-Thlengz?l
(19551
.
Tessékré (1956)
~
FAmaii
(1956)
&
0)l’oh
ECHELLE

quatre cents hectares est divisé en plusieurs secteurs. Celui réservé à
l’habitat est interdit au bétail, les autres sont alternativement mis en défens
ou ouverts au libre parcours pour cinq ans. En réalité, cette réglementation
restera lettre morte, faute d’être appropriée par les éleveurs. Sous cette ré-
serve, les objectifs du programme d’hydraulique pastorale ont été large-
ment atteints. Pareilles infrastructures ont rendu possible l’exploitation per-
manente de vastes étendues pâturables, autrefois désertées en saison sé-
che en raison de l’absence de ressources en eau. Les forage profonds, en
c< donnant vie » au Ferlo, ont permis d’y fixer les populations, entraînants,
par là même, de multiples conséquences, sur lesquelles nous reviendrons.
Les actions v6Mrinaires et zootechniques
Les efforts entrepris en matiére de protection sanitaire du cheptel se
traduisent par la mise en place d’un réseau de postes vétérinaires et d’une
structure permanente s’occupant du diagnostic et du traitement mais aussi
de la prévention des maladies contagieuses du bétail. La principale de ces
mesures sera incontestablement l’introduction des vaccinations obligatoi-
res du cheptel bovin.
L’organisation de campagnes annuelles de vaccination aboutit pro-
gressivement à l’élimination des épizooties majeures : péripneumonie
contagieuse et peste bovine.
Par ailleurs, des vaccins sont mis au point pour protéger le bétail
contre d’autres affections présentes dans la zone : le charbon bactéridien,
le charbon symptomatique et le botulisme impliqué dans la « maladie des
forages » ainsi nommée parce crue son extension à partir de 1960 est liée à
la « sédentarisation >B des systèmes d’élevage et à la dégradation de I’envi-
ronnement. Pour ces affections, les interventions de prophylaxie sont orga-
nisées de façon conjoncturelle dans les foyers.
L’action du service de l’élevage est également axée sur l’organisation
de campagnes systématiques de destruction des fauves à la strychnine
entre 1950 et 1965.
Le développement de l’action vétérinaire a radicalement modifié les
perspectives d’évolution démographique du cheptel. Comme le montre
SANTCIR (1983), à partir de 1950, le Jolof enregistre une accélération
sensible de l’accroissement des troupeaux: le cheptel bovin a triplé en
l’espace de vingt-cinq ans, les effectifs passant de 97 000 têtes en 1950 à
241 500 en 1975 en dépit des ravages exercés par la peste bovine en
19551956 et par la grande sécheresse en 1972-1973 ! La croissance du
cheptel ovin et caprin est tout aussi remarquable: les effectifs sont multi-
pliés par 4,6 (51 000 têtes contre 234 000). II en va de même au Ferlo,
5 5

Les ambnagements hydro-agricoles dans la vaMe du fleuve
Le projet d’exploiter les potentialités agricoles de la basse vallée du
fleuve Sénégal remonte au début du XIXe siècle. Mais pendant longtemps,
cette volonté de transformer le Delta en une vaste zone agricole ne se tra-
duira que par des expériences ponctuelles et vite abandonnées.
En 1938 est créée la MAS (Mission d’aménagement du Sénégal) qui
entreprend la réalisation d’un projet agro-industriel de riziculture à Ri-
chard-Tolf et l’endiguement de l’ensemble du Delta.
Mais ce n’est qu’à partir de l’indépendance que seront entrepris de
grands programmes d’aménagement avec d’une part la création, en 1960
de l’Organisation autonome du Delta (O.A.D.), organisme chargé de pro-
mouvoir la riziculture paysanne, et d’autre part l’achèvement, en 1964, de
la grande digue périphérique.
Cet élan donné à la mise en valeur a grande échelle du Delta se confir-
me en 1965 avec la création d’une société d’Etat, la Société d’amenage-
ment et d’exploitation des terres du Delta (S.A.E.D.) dont l’objectif est de
promouvoir la riziculture irriguée en vue de sécuriser et d’accroître la pro-
duction agricole.
Après la sécheresse de 1972-1973, la politique d’aménagement de
grands casiers irrigués s’étend vers les zones plus fortement peuplées.
Des périmètres sont crées à Dagana (1974) et Nianga (1975) ainsi que
dans la moyenne vallée.
Sans examiner en détail l’évolution de la conception des aménage-
ments, on peut distinguer actuellement quatre types de périmètres :
- Les Grands périmètres (G.P.) : ces unités de 1000 à 2000 ha sont
localisées essentiellement dans la zone du Delta et couvrent prés de 90 p.
100 des superficies aménagées.
- Les Périmètres irrigués villageois (P.I.V.) : d’une superficie moyenne
de 15 à 20 ha, ce type d’aménagement relève de l’initiative paysanne. Les
P.I.V. ont connu un développement considérable au cours de la période
1975-l 984. Ils sont surtout concentrés dans le département de Podor.
- Les Aménagements intermédiaires (A.I.) : ce sont des unités de 60 à
75 ha réparties dans les départements de Podor et Dagana.
- Les Complexes agro-industriels: ce sont des structures du type de
celle de la Compagnie sucrière sénégalaise, implantée à Richard-Tell.
Au total, près de 22 000 hectares étaient aménagés au 1 er juillet 1984,
dont plus de la moitié dans le département de Dagana et un quart dans le
département de Podor.
5 6

Quoiqu’il s’agisse là d’aménagements strictement agricoles, les pas-
teurs peu1 sont concernés. En effet, ils n’ont pas été exclus a priori des pé-
rimètres, mais invités au même titre que les autres paysans de la région à y
participer. De plus, les casiers aménagés en vue de la culture irriguée sont
installés dans les grandes dépressions qui étaient autrefois le domaine des
pâturages et des cultures de saison sèche.
L’intégration des terrains de parcours et des champs de décrue dans
les aménagements hydro-agricoles entraîne une forte réduction de la partie
la plus utile des territoires anciens des Peul waalo. La mise en valeur agri-
cole provoque dans le Delta de multiples effets indirects : baisse considé-
rable de l’inondation et de la productivité des pâturages, limitation des
points d’eau (douce) et des ressources fourragères réellement accessibles
au bétail. II s’ensuit une forte réduction des potentialités pastorales de la
zone.
La participation aux activités agricoles modernes permet aux Peul, grâ-
ce à la production de riz, d’assurer une grande partie de la consommation
des familles. Mais elle n’est pas fondée uniquement sur les résultats éco-
nomiques de la culture irriguée qui, d’ailleurs, sont assez irréguliers. Elle
répond aussi au souci de ne pas abandonner leurs droits sur les terres
aménagées par la S.A.E.D.
Les pasteurs éprouvent des difficultés structurelles à s’adapter aux
nouvelles expériences agricoles qu’ils ne parviennent pas toujours à conci-
lier avec une activité d’élevage qui continue à supposer la mobilité du grou-
pe.
Devant cette difficile conciliation entre le système agricole moderne et
le systéme d’élevage traditionnel, les pasteurs risquent d’être contraints à
terme de dissocier les deux activités. Cela implique la séparation du groupe
familial, une partie de celui-ci regagnant le Ferlo pour y pratiquer l’élevage,
tandis qu’une autre partie demeure dans le waalo et s’y consacre a la rizi-
culture irriguée (1).
En définitive, l’évolution en cours entraîne une modification des ancien-
nes pratiques pastorales fondées sur le système de transhumance waalo/
jeeri et une baisse très sensible des relations fonctionnelles entre les deux
zones.
Les mesures d’accompagnement
Au Ferlo, la politique forestière est symbolisée par l’ouverture d’un ré-
seau de pare-feux qui, en plus de leur fonction de protection des forma-
(1) Ce choix a dé@ été opéré par beaucoup d’éleveurs du Delta, dont les troupeaux séjournent aujourd’hui en
permanence a” Ferlo.
5 7

tions végétales naturelles contre les feux de brousse, constituent les prin-
cipales voies de communication entre les différents forages qu’ils relient
entre eux.
Les infrastructures sanitaires et scolaires mises en place récemment
dans certaines bourgades s’avèrent notoirement insuffisantes et leur fonc-
tionnement se heurte à de nombreux problëmes.
L’organisation administrative du Ferlo est similaire à celle des autres
régions, en dépit des particularités très marquées du peuplement de la
zone. D’une manière générale, le système villageois (et aujourd’hui le mo-
dèle des communautés rurales) est uniformément imposé comme cadre
de la nouvelle organisation territoriale, sociale et économique de base. Mal
adapté à un peuplement diffus et à des groupes mobiles, ce modèle reste
en fait sans grande emprise. Les tentatives limitées d’instaurer des politi-
ques médicales et scolaires rencontrent peu de succès, en partie pour les
mêmes raisons.
A partir de 1963, les pouvoirs publics ont entrepris de mettre en place
un réseau de coopératives d’éleveurs conçues sur le modèle des coopéra-
tives agricoles. Ces groupements doivent permettre aux pasteurs de pren-
dre en main des fonctions diverses: approvisionnement en matériel et en
intrants, contrôle sanitaire, commercialisation. En dépit de plusieurs tentati-
ves de relance, ces structures d’origine technocratique n’ont jamais été vé-
ritablement fonctionnelles.
CONSEQUENCES DIRECTES DES ACTIONS DE DEVELOPPEMENT
II apparaït très clairement que la finalité sociale des interventions dont
le Ferlo a fait l’objet, de l’époque coloniale à nos jours, est la sédentarisa-
tion des Peul. Pour l’administration coloniale et post-coloniale, aucune in-
novation technique ne peut être introduite en milieu pastoral tant que sub-
siste le mode « archaïque » de production qu’est l’élevage transhumant : la
sédentarisation apparaît comme la voie de passage obligé de tout progrès
technique et social, la condition nécessaire et suffisante de l’amélioration
du niveau de vie des pasteurs.
Comme le dit REBOUL (1978), le postulat de la supériorité sociale de
la sédentarisation sur le nomadisme (1) est affirmé et reconnu non comme
hypothèse sociale, mais comme évidence. S’il n’a jamais été question au
Sénégal de sédentarisation autoritaire des pasteurs, toutes les opérations
(1) Le nomadisme tel qu’on l’observe au Fer10 est caractérisé par des mouvements imprévisibles et non cycli-
ques. Il s’oppose à la transhumance. déplacement saisonnier caractérisé par un retour régulier sur les me-
mes parco”rs.
5 8

de développement entreprises au Ferlo tendent à susciter puis à rendre ir-
réversible le processus de stabilisation des Peul. Le complexe forage-
équipements annexes constitue, selon l’expression de BA (1982), (c une
exaltation conquérante du modéle de vie sédentaire ».
En fait, la mobilité pastorale est plus subie que choisie. Les pasteurs
se fixent volontiers des que les conditions le leur permettent, mais sans
pour autant renoncer a leur potentiel de mobilité qui constitue un mode tra-
ditionnel de gestion du risque (politique, sanitaire, climatique, écologique...).
On comprend que la mobilité pastorale, même si elle est de moins en
moins pratiquée, demeure une composante latente des systèmes d’élevage
du Ferlo. D’ailleurs, dans l’actuelle période de sécheresse, l’on assiste a
une remobilisation des populations et des troupeaux dans le cadre de stra-
tégies de transhumances conjoncturelles (eggirgol).
Cela montre bien que l’adoption d’un campement permanent ne doit
pas être assimilée à une réelle sédentarisation du systéme d’élevage ; cel-
le-ci ne peut être acquise que sous certaines conditions: diversification
des activités économiques et abandon du modèle purement pastoral. Or,
rien de tel ne semble se produire au Ferlo, bien au contraire.
Modifications des pratiques pastorales
Le mouvement de sédentarisation qui s’amorce dés les premières an-
nées qui suivent l’ouverture des forages s’accompagne d’un recul des
transhumances à longue distance, de « l’alourdissement de la mobilité pas-
torale » (DUPIRE, 1956). Le rapport GROSMAIRE (1957), qui établit un pre-
mier bilan des conséquences de l’implantation des forages, ne manque pas
de signaler ces tendances d’évolution vers un élevage non transhumant.
« La première conséquence de l’implantation des forages est la modifi-
cation des parcours de transhumance, leur raccourcissement et une relati-
ve sèdentarisation (...). Les forages accélèrent la fixation au Ferlo des
groupes en provenance du waalo (...). Les forages ont appelé aussi en sai-
son sèche des groupes qui avaient coutume de se déplacer le long de la
vallée du Ferlo » (DUPIRE, 1956).
En assurant un ravitaillement en eau ininterrompu, le forage crée les
conditions d’une fixation plus importante et plus durable de la population
dans le Ferlo. Le campement d’hivernage qui n’était qu’un point d’attache
tend alors à devenir un pôle de peuplement permanent pour le groupe et le
pivot à partir duquel vont s’organiser les déplacements du bétail dans l’aire
des forages. GROSMAIRE relève cependant que I’évoluton engagée n’avait
pas totalement mis fin en 1957 au système des déplacements de grande
amplitude.
59

Vingt-cinq années aurés, BARRAL confirme la contraction de la mobili-
té pastorale consécutive au déclin des transhumances saisonnières vers le
Jolof et surtout vers le waalo. II ressort de l’enquête effectuée par cet au-
teur que 60 p. 100 des pasteurs du Ferlo septentrional nomadisaient jadis
vers le waalo en saison sèche avec la totalité de leur bétail. En 1981 ces
mouvements ne concernent plus que 3 p. 100 des pasteurs. Cependant,
les cultures de waalo continuent à être pratiquées par 21 p. 100 de la po-
pulation enquêtée, dans le cadre de migrations saisonnières n’intéressant
plus les troupeaux.
Les mouvements réguliers de transhumance vers le Jolof qui intêres-
saient environ 40 p. 100 du cheptel de la zone avant l’implantation des fo-
rages n’ont concerné en 1981 - année proche de la moyenne pluviométri-
que 1930/1960 - que 10 p. 100 des bovins.
Lorsqu’à partir de 1970 surviennent les crises entraînées par les sé-
cheresses prononcées, les pasteurs développement des stratégies d’exode
en direction des régions méridionales (Jolof, Sine-Saloum, Sénégal-Orien-
tal).
Avec l’ouverture des forages, la possibilité de stationner en permanen-
ce dans le jeeri est désormais offerte aux pasteurs peul : les campements
d’hivernage ne sont cependant pas à proprement parler des campements
pérennes. La durée de vie d’un ruumaano est fonction de la productivité
fourragère des pâturages environnants. Elle varie généralement entre cinq
et dix ans. Le déménagement intervient sitôt que le groupe constate Ilne
dégradation des parcours exploités par le cheptel. Le campement se trans-
porte alors en un autre endroit situé dans l’aire du même forage ou, plus
rarement, d’un forage voisin.
Les déménagements successifs du campement (et du troupeau) repré-
sentent, selon SANTOIR (1983), « des ajustements permanents correspon-
dant à l’estimation que l’éleveur effectue de son environnement en fonction
des besoins de son cheptel ». Et l’auteur de poursuivre : « l’installation suc-
cessive de plusieurs campements selon un cycle lent permet un desserre-
ment relatif des troupeaux et évite ainsi les trop fortes charges pastorales
locales ».
En ce qui concerne le bétail, ses déplacements en hivernage se com-
posent d’allées et venues quotidiennes : ruumaano - parcours - points
d’eau temporaires. Pour l’essentiel, la gestion actuelle des parcours d’hi-
vernage reproduit les pratiques pastorales antérieures à la création des fo-
rages : quête alimentaire dans la zone des pâturages contiguë au territoire
du campement et abreuvement quotidien aux mares situées non loin du
ruumaano. II n’est pas rare que les animaux repartent pâturer après la traite
du soir, profitant ainsi de la fraîcheur.
6 0

La saison humide est, a l’évidence, une période d’abondance. Chaque
groupe trouve dans la portion de territoire dans laquelle il stationne I’en-
semble des ressources (eau, pâturages et terrains de culture) nécessaires
à la réalisation de ses activités agro-pastorales.
Sauf arrêt précoce des pluies, la saison sèche débute fin septembre -
début octobre. En période normale, le bétail est maintenu dans le Ferlo tou-
te l’année. A l’ancien système des grandes transhumances de saison sè-
che qui portaient les animaux au loin se sont substitués des mouvements
internes dont les rythmes diffèrent de ceux des systèmes de conduite d’hi-
vernage.
Dès que les mares tarissent, l’abreuvement cesse d’être quotidien. Le
forage, parfois arrêté pendant l’hivernage, est remis en marche. Les ani-
maux viennent y boire un jour sur deux. Le jour de l’abreuvement, le trou-
peau exploite les parcours situés entre le campement et le forage. Le len-
demain, il est conduit au-delà du campement dans les zones de pâturages
plus proches. Mais, avec l’épuisement de ces pâturages, les distances à
parcourir s’allongent progressivement, rendant impossible le retour du trou-
peau au campement tous les soirs. II faut alors abandonner provisoirement
le ruumaano pour s’installer sur les parcours exploités par les animaux.
Selon le mode de gestion en vigueur dans le campement, les unités
domestiques qui le composent nomadisent de façon isolée ou collective.
Ainsi le ruumaano détache autour de lui un ou plusieurs campements légers
qui, pour être des abris de fortune, sont aménagés sans grand soin : quel-
ques huttes faites de branches et d’herbe sèche, souvent si exigües qu’el-
les ne peuvent contenir qu’un lit et des étagéres basses (Caabi) disposées
à gauche de la porte pour recevoir les calebasses de lait et le panier de lin-
ge. Les habitations sont parfois plus rudimentaires, se composant d’un lit
en bois installé sur des pieux fourchus et entouré d’une clôture faite de
sacs de sisal ou de toile et de lambeaux de vieux linge. Parfois même, les
pasteurs ne construisent pas de cases. Ils dorment sur des nattes jetées à
même le sol. Ces campements sommaires sont désignés sous le vocable
de wuro pogu.
Le vocabulaire dont on se sert pour désigner ces lieux d’habitat est
trés riche. Les différentes désignations reposent sur un même principe : la
référence à la saison en cours. Ainsi le campement est-il appelé Kawngal si
l’on s’y installe pendant la période de post-hivernage (Kawle) ; dabbirde en
saison fraîche (dabbunde) ; seechano en saison sèche chaude (Ceedu) et
polindaaji en période de pré-hivernage.
Au fil de l’épuisement des pâturages du secteur occupé, la mobilité
pastorale s’accroît. Les pasteurs n’hésitent pas, en cas de nécessite, à
s’éloigner de leur forage d’attache. En principe, l’abreuvement ne pose pas
6 1

de problème majeur: il n’y a pas lieu de revenir toujours au même forage
s’il en existe un autre plus proche.
Le troupeau se déplace donc constamment en saison sèche au gré
des disponibilités fourragères. Les pérégrinations dans l’aire des forages
se poursuivent jusqu’au début de l’hivernage, revêtant un aspect désordon-
né. « Nous allons là où il y a de l’herbe et nous y demeurons jusqu’à I’épui-
sement des pâturages pour ensuite partir ailleurs ». On est bien en présen-
ce d’une véritable anarchie des itinéaires, contrastant avec l’utilisation pro-
gressive et ordonnée des parcours qui s’observe en hivernage. BARRAL
(1982) note au sujet de ces mouvements internes qu’on observe en saison
sèche: « il s’agit (...) d’un nomadisme de très faible amplitude, de micro-
nomadisme pourrait-on dire, mais qui reproduit, à quelques nuances près,
autour des forages du Ferlo, le système observé chez les petits nomades
peul ou Kel-Tamachek dans la boucle du Niger, en particulier autour de
certaines mares pérennes de I’Oudalan,
dans l’extrême Nord de la Harte-
Volta. II est intéressant donc de noter que les Peul du Ferlo ont en quelque
sorte ré-inventé un système qu’ils ne pratiquaient absolument pas avant la
mise en service des forages )a.
II est un autre secteur de l’activité pastorale dans lequel les pratiques
ont considérablement évolué, c’est celui du transport, et principalement du
transport de l’eau. Celui-ci était autrefois assuré par les ânes et les bœufs
porteurs. L’eau était stockée dans des outres en peau de chèvre (Cumulaa-
ji) OU de toile cousue (wiiri). Avec la création des premières coopératives
d’éleveurs, les pasteurs peul ont pu obtenir des charrettes grâce a un sys-
tème de crédit. Des ateliers de réparation et d’entretien de ce matériel
existent dans certaines bourgades (Labgar, Mbiddi, etc.) et dans les petites
villes voisines (Podor, Ndioum, Richard-Tell,
etc.).
Les chambres à air se sont aujourd’hui substituées aux outres tradi-
tionnelles. Elles sont remplies à l’aide de tuvaux de p!astiques.
En dehors de cette petite révolution technique, les modifications qui
ont affecte les pratiques sont très limitées. Rien n’a changé, pour ainsi dire,
dans les techniques de traite, de conservation et de transformation du lait.
Les opérations de production mobilisent au Ferlo des matériels encore très
rudimentaires: q< les outils utilisés pour la conduite et l’entretien du trou-
peau sont simples : couteau, coupe-coupe, sabre, corde et bâton. Les outils
tranchants servent à couper le bois pour les enclos, à faire les opérations
chirurgicales. Le bâton sert dans la conduite du troupeau, permet à I’èle-
veur (...) de se défendre contre les prédateurs. La corde intervient dans les
opérations chirurgicales (castration), dans le sevrage des veaux (...) et
aussi pour attacher les animaux )) (NIANG, 1984). La même remarque vaut
pour le matériel nécessaire à la transformation du lait (calebasses, réci-
pients en bois, outres en peau de chèvre faisant office de baratte, tamis,
etc.).
6 2

SPECIALISATION DES SYSTEMES DE PRODUCTION ET
REDUCTION DU TEMPS DE TRAVAIL
L’effet conjugué des différentes mesures mises en œuvre au Ferlo (ou-
verture de forages profonds, contrôle des grandes épizooties, destruction
des fauves, sécurité politique, etc.) a permis un accroissement sans précé-
dent des effectifs du cheptel, entraînant une spécialisation des systèmes
de production en faveur de l’élevage.
Cette évolution est renforcée par trois facteurs principaux :
1”) la cueillette a beaucoup perdu de son importance économique en
raison du déclin de la traite de la gomme. L’agriculture également est en
régression du fait de la sécheresse qui compromet les cultures pluviales:
les pasteurs déclaraient en 1985 n’avoir rien récolté depuis sept ans !
L’abandon progressif des transhumances vers le waalo et la réduction des
cultures de décrue contribuent à réduire la place de l’agriculture à la por-
tion congrue. L’évolution en cours conduit donc à une simplification des
systèmes de production, qui reposent aujourd’hui quasi-exclusivement sur
l’élevage extensif.
2’) l’amélioration des termes de l’échange bétail-céréales, qui s’est
accélérée récemment : alors qu’en 1978, la vente d’un gros taureau per-
mettait, selon SANTOIR (1983), d’acquérir 500 kg de mil, elle permet, en
1986, d’en acheter deux à trois fois plus. Ceci est évidemment un facteur
supplémentaire d’accroissement du cheptel.
3”) l’allégement du travail pastoral dû à la mise en service des forages
à exhaure mécanique épargne aux pasteurs une part importante de leurs
peines quotidiennes, liées à la recherche de l’eau. S’il est un intérêt que la
population reconnaît volontiers aux ouvrages hydrauliques, c’est d’avoir
supprimé l’effort de puisage traditionnellement fourni pour assurer I’abreu-
vement du bétail et satisfaire la consommation domestique.
De plus, les pasteurs sont « quasiment dégagés du travail de gardien-
nage des troupeaux depuis que la sécurité ambiante et les oscillations plus
courtes et plus régulières des déplacements n’exigent plus leur interven-
tion active » (POUILLON, in DERAMON et al., 1984). La divagation, jadis li-
mitée à la période qui suivait les récoltes, s’étend désormais à toute I’an-
née.
La mise en service des forages profonds contribue donc à réduire sen-
siblement le temps de travail consacré à l’élevage. Cette réduction peut
s’analyser comme un accroissement de la productivité du travail pastoral,
favorisant directement l’accroissement du cheptel : le développement de
l’élevage est d’autant plus facilité que l’eau et la main-d’oeuvre ne consti-
63

tuent plus désormais des facteurs limitants. Mais, comme on le verra, la
création de l’infrastructure hydraulique, en levant ces contraintes, fait ap-
paraître progressivement une nouvelle limitante : le déséquilibre croissant
entre les besoins d’un cheptel de plus en plus important et les ressources
fourragères.
Les transformations des systèmes socio-économiques du Ferlo et,
au-del& de l’organisation domestique du travail laissent beaucoup de
temps libre aux hommes, en hivernage comme en saison sèche. En revan-
che, la journée de travail des femmes est longue. La tâche pastorale qui
reste la plus astreigante (notamment à cause de l’accroissement du chep-
tel) est la traite (birde), activité exclusivement réservée aux femmes.
II ne nous a pas été possible d’entreprendre une étude des emplois du
temps permettant de montrer à quel point le cumul des activités producti-
ves et des tâches domestiques est une réalité durement ressentie par les
femmes du Ferlo. Les occupations domestiques mobilisent leur temps en
des corvées usantes et toujours renouvelées.
L’introduction des charrettes et des équipements complémentaires
(chambres à air de récupration et tuyaux d’arrosage) à partir de 1969 a
permis d’améliorer les techniques de transport de l’eau. Seules les femmes
des familles démunies assurent encore le transport de l’eau à dos d’âne et
sont souvent contraintes de parcourir à pied des distances importantes.
L’usage de la charrette évite aux femmes les fatigues de la marche à pied
et, grâce aux chambres à air, augmente le rendement du transport.
DISPERSION DU PEUPLEMENT
Les forages n’ont pas polarisé le peuplement peul. Ils ont néanmoins
suscité autour d’eux la constitution progressive de bourgades. Ce phéno-
mène, qui n’a pas paru évident aux observateurs au cours des quinze der-
nières années, s’intensifie à l’heure actuelle. II est parfois présenté comme
l’effet le plus manifeste du mouvement de sédentarisation qui s’opère au
Ferlo. C’est oublier que le développement de ces agglomérations est diffé-
rent, du point de vue de son contenu social, de la fixation des Peul.
Points de convergence des troupeaux et des pasteurs, ces bourgades
constituent les centres commerciaux de la zone. Des marchés hebdoma-
daires (duggere) s’y tiennent, attirant des commerçants venus des forages
voisins et des petites villes les plus proches (Daara Jolof, Linngeer et Ri-
chard-Toll). On y trouve en outre quelques boutiques.
II n’est pas étonnant que la plupart des résidents permanents de ces
bourgades soient ceux qui vivent de « leur mise en relation p) : employés de
6 4

l’Etat ou des sociétés d’intervention, marchands maures et wolof, artisans
toucouleur et wolof. II s’agit en bonne partie d’une population d’étrangers
au milieu peul. Le gros de la population peu1 n’habite pas ces bourgades,
mais se répartit en une multitude de campements disséminés dans l’aire
des forages (1).
La création des points d’eau permanents et la sécurité ambiante ont
favorisé une plus grande dispersion de la population.
Ce qui frappe aujourd’hui au premier abord, c’est le caractère composi-
te de la population peul résidant dans l’aire des forages. Alors que les leydi
traditionnels se caractérisaient par l’homogénéité lignagére de leur peuple-
ment, le déploiement actuel des fractions témoigne d’un certain brassage
géographique.
A l’échelle des campements, l’homogénéité lignagére reste en revan-
che la règle générale. Mais la structure résidentielle des groupes a été pro-
fondément modifiée depuis une vingtaine d’années. La comparaison des
photographies aériennes de 1954 et 1979 révèle une multiplication du
nombre des campements par trois ou quatre qui ne correspond pas à une
multiplication de la population par les mêmes facteurs (BARRAL, 1982).
Ce constat est confirmé par les résultats des enquétes : la proportion
des gros campements - groupements de huit galleeji et plus - est généra-
lement faible : deux campements sur dix dans la zone de desserte du fora-
ge de Mbiddi ; un sur dix à Nammarel ; aucun dans le diiwaan Teskere.
La structure du peuplement semble répondre à une logique d’optimisa-
tion de l’exploitation des parcours. Dans les conditions actuelles d’aug-
mentation de la charge animale et de concurrence pour les pâturages,
l’agrégation de la population, .en favorisant la concentration des troupeaux,
accroîtrait la pression sur l’environnement.
L’instabilité de l’inscription territoriale et la forte tendance à la disper-
sion des groupes humains rendent de plus en plus difficile le respect du
système du hurum. Au demeurant, la loi sur le domaine foncier national
(1964) remet en cause toute appropriation foncière, fût-elle collective.
Comme le dit un informateur de BARRAL (1982) : (< à présent, si tu dis a
quelqu’un de ne pas s’installer à tel endroit parce que c’est ton hurum, il te
répondra que tu n’es pas le propriétaire de la brousse, et YAdministration
lui donnera raison )>. Ainsi, cette forme originale de gestion de l’espace
(1) Avec la fixation des Peul, l’architecture des huttes s’est transformée. Les cases qu’ils construisent sctuel-
lement sont plus spacieuses et mieux entretenues. Le mobilier également se modernise. Dans presque tou-
tes les familles aisées, on trouve des matelas en mousse qui pr&entent le double avantage d’étre confor-
tables et facilement transportables. Les postes radio et radio-cassettes, de mème que les lampes temp8tes
et les torches Electriques font désormais partie de la vie du campement.
6 5

pastoral qu’était le hurum a disparu sans qu’un nouveau système de res-
ponsabilité s’y substitue.
PERMANENCE ANTHROPOLOGIQUE ET CHANGEMENT SOCIAL
Un conservatisme rassurant
L’installation des forages a bouleversé les conditions d’exploitation du
Ferlo en permettant a toute une population jadis saisonnière de s’y installer
de façon permanente. L’évolution favorable de l’environnement et la monè-
tarisation croissante de l’économie pastorale entraînent une modification
profonde des systèmes de production et des rapports sociaux.
La transformation des systèmes d’élevage apparaît comme le principal
facteur responsable des changements sociaux en cours dans les commu-
nautés peul du Ferlo. Mais l’évolution des systèmes socio-économiques ne
saurait ètre rapportée aux seuls facteurs externes. Ces facteurs ne jouent
que pour une part dans les mutations en cours, en permettant l’expression
d’une dynamique interne, propre à la société.
II est donc important, pour comprendre la genèse historique des èvolu-
tions que connaissent les sociétés du Ferlo, d’analyser à la fois le fonction-
nement interne des systémes de production (les contradictions qui les
transforment) et leurs relations avec l’extérieur (les contraintes qu’elles su-
bissent).
La fixation des Peu1 autour <es forages est à l’origine d’une profonde
transformation de l’organisation sociale dont témoignent l’émiettement des
groupes, le relâchement des liens entre les familles et le ralentissement de
la circulation du bétail entre les partenaires sociaux (SANTOIR, 1983). Ces
effets sont accentués par l’intégration au marché.
La monétarisation de l’économie pastorale reste cependant limitée et
les divers produits animaux s’intègrent de façon différente à la circulation
monétaire. Tout se passe comme si, pour l’économie de marché, l’élevage
n’était intéressant que dans la mesure ou il peut assurer la production de
viande nécessaire à l’alimentation des consommateurs urbains. L’action
des pouvoirs publics est toujours marquée par cette tendance à réduire le
développement de l’élevage à la production de viande en vue de I’approvi-
sionnement des villes. Les autres produits animaux (en particulier les laita-
ges) ne sont guère valorisés alors que des débouchés commerciaux poten-
tiels existent pour ces denrées.
II serait exagéré de considérer que le processus de monétarisation de
l’économie pastorale est achevé. Les échanges non monétaires conservent
d’ailleurs une importance certaine. La production pastorale est certes
6 6

orientée vers une finalité marchande, mais l’exploitation spéculative des
troupeaux reste partielle et, dans une large mesure, décentrée vis-à-vis
des stratégies des pasteurs. La production de lait pour la satisfaction des
besoins alimentaires du groupe et la couverture des besoins courants (pe-
tite trésorie) reste en effet leur objectif prioritaire.
La logique ultime de gestion du bétail constitue un autre facteur de
continuité. En effet, le système pastoral peu1 continue à fonctionner selon
la rationnalité sociale qui lui est propre, en dépit de son intégration à I’éco-
nomie de marché. Cela est sans doute lié au fait que le bétail constitue le
principal médiateur des relations sociales, le capital indispensable dans
toutes les négociations sociales. Par ailleurs, le principe d’accumulation du
cheptel reste le meilleur moyen de faire face aux risques et d’assurer I’ave-
nir. II demeure au centre des stratégies individuelles.
Par-delà les mutations évoquées plus haut, si profondes soient-elles, il
apparaît clairement que les Peu1 du Ferlo ont maintenu leurs systèmes so-
cio-économiques, conservé - en l’adaptant - leur mode de vie et, pour I’es-
sentiel, sauvegardé leur coutume.
On note par exemple que les structures socio-politiques traditionnelles
restent fonctionnelles. De même, les modèles anciens de rapports sociaux
et politiques survivent encore dans un contexte affecté par des mutations
importantes. Les fractions et les lignages demeurent « des aires de ratta-
chement et d’identité (par le nom de tribu et le patronyme), des lieux
d’émergence d’un certain pouvoir, celui des hommes âgés, respectés et
écoutés, de notables dont l’autorité, pour être informelle, n’en est pas
moins efficace » (POUILLON, 1984). Les structures politiques traditionnel-
les se prolongent généralement dans les nouvelles structures dont la créa-
tion est suscitée par I’Administration (Conseils ruraux, comité de gestion
des forages, comité de lutte contre les feux, etc.).
Les modalités de gestion du bétail restent elles aussi inchangées. En
effet, l’élevage se pratique encore selon le principe traditionnel de gestion
domestique des troupeaux. En dépit de I’atomisation des groupes familiaux,
chacun de ceux-ci assure collectivement la gestion technique et èconomi-
que de son troupeau sous l’autorité de son chef.
Cette permanence des principales caractéristiques des systèmes tra-
ditionnels procède à l’évidence d’un choix déterminé des populations qui
manifestent sans ambiguité la volonté de maintenir leur modèle social et
culturel (Pulaagu). La question est de savoir si elles y parviendront encore
longtemps...
Segmentation des lignages et fractionnement du cheptel
A l’échelle des sociétés pastorales ou agro-pastorales, le rythme des
transformations sociales dépend dans une large mesure de l’importance
6 7

numérique et socio-économique du bétail. Plus que l’agriculture, l’élevage
implique une collaboration dans le travail (nécessité technique de consti-
tuer des troupeaux d’effectif suffisant) et surtout la disposition d’un capital
important : ceci constitue un frein a la segmentation des groupes familiaux.
Le contrôle sur les personnes (et, donc, sur la force de travail) est médiati-
sé par celui qui s’exerce sur les biens (et, d’abord, sur le cheptel). L’exerci-
ce des activités pastorales reste ainsi plus soumis à l’autorité traditionnelle
que celui des activités agricoles. On ne s’étonnera donc pas de la relative
lenteur des évolutions sociales au ferlo, où l’activité d’élevage domine toute
la vie économique.
Cependant, les modifications des pratiques pastorales qui ont résulté
des politiques de développement mises en œuvre au Ferlo ont transformé
ces perspectives d’évolution.
Le travail pastoral, nous l’avons vu, a été considérablement allégé. En
pratique, ce sont surtout les tâches collectives qui sont désormais épar-
gnées aux pasteurs. Le mode ancien d’organisation domestique de la pro-
duction perd ainsi une de ses principales raisons d’être. La nécessité de la
collaboration dans le travail disparaissant, la tendance à l’éclatement des
groupes familiaux devient plus marquée.
L’accroissement du cheptel joue dans le même sens, en favorisant
l’accession des jeunes à la propriété du bétail et, par-la, en leur permettant
de réaliser leur volonté d’émancipaton.
Traditionnellement, tout galle naissait par scission d’un galle préexis-
tant. Le phénomène d’éclatement périodique fait donc partie de la trajectoi-
re normale des unités familiales. II traduisait à la fois, sur des plans diffé-
rents, la croissance démographique et l’aspiration des jeunes générations
à l’indépendance. Comme le dit un adage peu1 : « la maison paternelle est
une blouse d’épines. Si tu la mets, elle te pique; si tu l’ôtes, tu as honte »
(MONTEIL, 1963). Cela signifie en clair que les jeunes générations aspirent
toutes à s’émanciper pour se soustraire aux structures sociales contrai-
gnantes. Mais cet objectif n’est pas facile à réaliser. II faut en avoir les
moyens, c’est-à-dire disposer d’un troupeau dont on puisse vivre.
La fondation d’un nouveau galle n’intervenait donc que rarement, en
fonction des circonstances. Le décès du jom galle, ainsi que le rapporte
DUPIRE (1970), ne constituait pas une cause systématique d’éclatement
du groupe familial : <( les frères ne se quittaient pas à la mort de leur pére et
leur héritage commun était géré par l’aîné 1).
Lorsqu’elle se produisait, l’émancipation d’un cadet n’entraînait pas la
rupture totale des liens d’association existant entre apparentés : des soli-
darités se maintenaient entre les deux galleeii concernés. « Même lors-
qu’un fils a séparé son habitation de celle de son père, il continue à travail-
‘68

Ier un jour par semaine sur le champ de sa famille, laisse ses bêtes dans le
troupeau géré par son père et s’occupe des intérêts collectifs » (DUPIRE,
1970).
Actuellement, les choses se passent autrement : le galle ne regroupe
plus comme autrefois tous les descendants d’un ancêtre commun par filia-
tion parternelle.
Sa population se compose, en général, d’un membre de la
génération senior et de ses dépendants (épouses, enfants et, éventuelle-
ment, personnes apparentées). A la mort du chef de galle, le cheptel ligna-
ger est entièrement partagé entre les héritiers.
Ces modifications sont perçues par les générations aînées comme la
conséquence d’une volonté d’émancipation plus grande pour les dépen-
dants. Ces questions, lorsqu’on les aborde avec les vieux, suscitent pres-
que toujours les mêmes réactions: « les gens refusent de respecter les
hiérarchies traditionnelles (cc Yhhe calfi rewondirde
>a). C’est pourquoi les
scissions se produisent de façon précoce à l’intérieur des galleeji ».
Deux circonstances principales rythment aujourd’hui le processus
d’éclatement des groupes domestiques : le mariage des dépendants et le
décés du jom galle. Lorsque le chef de galle meurt, la succession ne se fait
plus automatiquement. L’aîné des fils (f( afo suudu mawndu V) ne peut rem-
placer son père à la tête du galle que si ses frères y consentent. Bien évi-
demment, cela suppose qu’ils aient vécu jusque-là en bonne intelligence.
Une discorde est presque toujours un motif de segmentation du groupe fa-
milial.
Les frères peuvent décider de rester unis, mais cela ne dure générale-
ment qu’un temps. Ils finissent presque toujours par se séparer lorsque
ceux d’entre eux qui sont dans une situation de dépendance vis-à-vis de
l’aîné acquièrent les moyens de se rendre économiquement indépendants
(augmentation de leur cheptel par le croît naturel, les cadeaux apportés par
leurs épouses, l’achat d’animaux...).
Les fils ont de plus en plus tendance à s’émanciper du vivant même de
leur père : le simple fait du mariage conduit très souvent à une indépendan-
ce économique du dépendant.
Entendons-nous : le mariage n’implique pas de façon nécessaire et im-
médiate l’émancipation du dépendant. II existe donc deux catégories de
ménages : les ménages indépendants qui constituent (1) des sous-unités
indépendantes ou pooye (2) à l’intérieur des galleeji ; les ménages dépen-
(1) Lorsqu’ils ne sont pas Brigés en galleeji s&par6s.
(2) Pluriel de Fwyre (foyer). Le terme doit s’entendre d’abord dans son acception premke : la préparation des
aliments suppose en effet l’existence d’un foyer, c’est-à-dire d’un lieu où l’on fait le feu. Le fooyre, en tant
que cellule familiale. n’a d’existence qu’à partir du moment où ses membres prennent en charge leur hi-
m a n d e .
69

dants, qui reproduisent le statut traditionnel, la plupart du temps de manié-
re temporaire. Dans la majorité des cas en effet, le processus d’éclatement
des groupes familiaux n’entraîne pas immédiatement une séparation de
l’habitat. Ce phénomène ne se produit qu’au terme d’une période transitoire
au cours de laquelle les frères qui ont constitué chacun leur unité de pro-
duction, continuent à cohabiter dans le galle de leur pére.
Pour être scindé en plusieurs unités de production distinctes, le galle
n’en demeure pas moins, du point de vue socioculturel, l’unité de référen-
ce dans l’identification des individus. Mais ces critères de résidence com-
mune et d’identification ne sont plus pertinents pour définir les unités de
production.
Rien, dans la structure des concessions, ne permet de distinguer un
galle à plusieurs pooye d’un autre qui n’en compte qu’un seul. Contraire-
ment à ce qui se passe ailleurs, les Peul du Ferlo ne construisent pas de
clôtures pour délimiter les pooye, à l’intérieur d’un galle.
De même, les membres du galle continuent à prendre en commun les
repas bien que cela ne corresponde pas toujours à une seule cuisine. En
effet, il y a nécessairement dans un galle autant de cuisines que de foyers
indépendants. « Le foyer, c’est d’abord et avant tout le hiraande. Même ma-
rié, si tu n’as pas fondé ta cuisine, tu ne peux pas être considéré comme
chef de fooyre ». A l’heure des repas, les épouses des différents chefs .de
fooyre rassemblent ‘les plats qu’elles ont cuisiné en deux points. Comme
auparavant, les hommes forment un groupe de commensalité autour du
ma& galle ; les femmes et les enfants se regroupent devant la case de la
premiére épouse.
La remarque de BENOIT-CATTIN et FAYE (1982) formulée pour le Si-
ne-Saloum s’applique donc pleinement : <c Ainsi quand dans la concession
existent plusieurs foyers, (...) la prise en commun des repas n’est que la
mise en commun des repas préparés par les différents foyers qui la compo-
sent, chacun apportant le sien »
Les Peul marquent bien la différence entre l’unité de consommation et
le simple fait de la commensalité. Ils utilisent des expressions claires et
sans ambiguïté pour évoquer ces cas de figure : hiraande gooto (une seule
cuisine) dans le premier cas, dans le second : /aha/ goofo (un seul plat).
Dtkomposition de l’organisation domestique de la production
II est évident que le foyer ne peut subvenir à ses besoins alimentaires
qu’en étant autonome du point de vue de l’organisation et de la gestion de
la production. Cela suppose l’acquisition de moyens de production (un
troupeau et des terres à cultiver) propres aux membres du fooyre.
70

Le troupeau du fooyre est constitué d’animaux qui proviennent du trou-
peau du galle. II comprend principalement les bovins appartenant a I’épou-
se (douaire), les animaux acquis avec les revenus personnels des mem-
bres du foyer et ceux possédés par le chef du fooyre. Cette dernière part
est très souvent la plus importante en proportion : elle comprend, outre les
bovins que le chef de fooyre a reçu en pré-héritage, ceux que ses parents
lui offrent pour l’aider à devenir économiquement indépendant. Plus tard,
d’autres animaux viendront s’ajouter au troupeau ainsi constitué, quand le
chef de fooyre recevra sa part d’héritage du cheptel lignager.
La fréquence du phénomène d’éclatement des groupes familiaux est
déterminée par l’importance numérique du cheptel possédé par les galleeji.
L’émancipation des jeunes est plus rapide quand le galle possède un grand
troupeau. En revanche, les groupes familiaux qui ont peu de bétail restent
unis plus longtemps.
Le dépendant qui s’émancipe n’est pas contraint de défricher des ter-
res nouvelles. Le ma& galle lui attribue définitivement une partie du do-
maine foncier familial situé dans le jeeri. Pour les cultures de waalo, une
certaine surface est provisoirement affectée au fooyre en attendant le par-
tage successoral du domaine familial (1).
Dés que le nouveau fooyre se constitue, ses membres cessent en prin-
cipe toute participation aux activités productives du galle. Ils s’organisent
en groupe de production autonome sous la direction du chef de fooyre. Ce
dernier est responsable de la subsistance des membres de sa cellule fami-
liale. A ce titre, il assure la gestion économique du bétail et contrôle la pro-
duction agricole du groupe.
L’évolution des systèmes de production familiaux vers une émancipa-
tion plus rapide du dépendant masculin a des répercussions importantes
sur le fonctionnement des unités domestiques: la coopération entre les
membres du galle régresse, les liens de solidarité se distendent. Chaque
chef de fooyre s’emploie à renforcer la cohésiofl de sa cellule familiale pro-
pre et à accroître l’effectif de son troupeau.
Lorsque, dans un galle, certains fils s’émancipent, les frères puînès cè-
libataires continuent à travailler pour le mawckfo galle: ces jeunes hommes
ne sont en effet pas autorisés à changer de foyer du vivant de leur pére
parce qu’ils ont des obligations d’assistance envers ce dernier. Arrivés à
un certain âge, ils se marient et fondent à leur tour des foyers. Lorsque
tous les fils se sont émancipés, ils cultivent collectivement le champ de
leur père et assurent la gestion technique de son troupeau (gardiennage,
conduite aux points d’eau, etc.).
(1) D’ordinaire. si un conflit éclate à Ce Sujet, des arranQementS sont adoptés pour le r4soudre. Mais il arrive
que les conflits soient la cause de migrations, notamment de jeunes hommes c8libataires.
7 1

Ces prescriptions sociales préservent certaines régles de solidarité in-
terne au sein des groupes familiaux. La persistance de cette solidarité
constitue une forme de S< sécurité sociale » pour les vieux.
Au décés du mawc6 galle, ses fils encore célibataires rejoignent préfé-
rentiellement le fooyre d’un de leurs frères utérins (pleins-fréres).
Comme une gestation arrive a son terme, le processus d’autonomisa-
tion par rapport au mawab galle débouche sur la fondation d’un nouveau
galle. Si, dans la majorité des cas, le galle regroupe encore plusieurs ména-
ges, la proportion des galleeji qui ne comptent qu’un ménage n’est cepen-
dant pas négligeable (un tiers par exemple a Mbar-Toubab en 1984, selon
l’enquête Chemonics).
Les changements en cours dans les galleeji se traduisent par une ré-
duction progressive de leur taille. Autrement dit, il y a de moins en moins de
galleeji groupant un nombre élevé de ménages et de moins en moins d’ha-
bitants par galle.
Cette évolution explique le glissement sémantique qui s’est opéré dans
l’utilisation du terme de jom galle. Tout chef de fooyre est appelé jom galle,
même s’il ne l’est pas en réalité.
Pour être l’élément de base de la composition physique des campe-
ments, le galle apparaît dés l’abord comme l’unité familiale évidente. Mais
c’est la une fausse évidence car le galle n’est plus l’unité socio-familiale de
base. II est souvent scindé en unités familiales indépendantes, structurées
autour des dépendants mariés. II apparaÎt alors qu’à l’unité physique du
galle ne correspond plus une organisation de la production associant tous
les résidents. Ces derniers se répartissent entre les différents pooye et re-
Iévent ainsi de l’autorité d’aînés différents.
C’est donc le fooyre et non le galle qui constitue l’unité socio-économi-
que de base pertinente. Autrement dit, le foyer sert de cadre à I’organisa-
tion de la production pasterale et agricole et à sa redistribution sous le
contrôle de l’aîné de ses membres. En ce qui concerne la fonction d’accu-
mulation, il importe de préciser qu’elle a pour cadre à la fois le fooyre et le
galle. Les membres d’un fooyre gèrent leur propre troupeau et s’emploient à
l’accroître. Mais dans le même temps, il existe encore un cheptel lignager
géré par le chef de galle. Cela porte témoignage d’une accumulation réali-
sée au sein du galle.
Conclusion
La société peul, profondément bouleversée par le programme d’hydrau-
lique pastorale qui a permis son installation permanente dans le Ferlo, s’est
7 2

rapidement adaptée à ses nouvelles conditions de vie. L’ancienne mobilité
fondée sur l’exploitation alternative des parcours de dunes (ieeri) et de dé-
crue (waalo) a fait place à un petit nomadisme de saison sèche.
L’évolution rapide des effectifs animaux enregistrée au Ferlo renforce
la place de l’élevage dans les systèmes de production et améliore de façon
sensible les revenus des pasteurs. Mais cette amélioration du niveau de vie
ne s’accompagne pas de progrès comparables au niveau du développe-
ment social : la scolarisation et la couverture médicale, par exemple, res-
tent insuffisantes dans cette région toujours enclavée.
La multiplication des troupeaux accroît la pression exercée sur des pâ-
turages dont la capacité d’accueil est faible. Le déséquilibre hommes-
animaux-ressources qui en résulte est aggravé par l’absence de toute ré-
glementation quant à la gestion des parcours.
Au fil des années, les systèmes de production qui reposent dorénavant
quasi-exclusivement sur l’élevage extensif et l’exploitation minière de la
rente écologique collective deviennent de plus en plus précaires. Les ris-
ques inhérents à ces systèmes s’accroissent en relation avec la disparition
des espaces de régulation, I’atomisation des groupes familiaux en petites
unités difficilement viables et le relâchement des solidarités traditionnelles.
On notera que le déplacement de l’équilibre entre les effectifs animaux
et les effectifs humains - donc la main-d’œuvre - concourt en soi à la bais-
se de la mobilité et à la dégradation des pratiques pastorales.
7 3

TROISIEME PARTIE
VERS DES LENDEMAINS INCERTAINS

DEGRADATION DES ECOSYSTEMES
Tout comme le mode de vie, l’environnement pastoral a été profondé-
ment modifie par les forages. Si tout le monde s’accorde sur ce constat, les
avis divergent quant à l’appréciation de l’impact des forages sur l’évolution
des écosystémes pastoraux.
L’opinion généralement admise, mais bien souvent superficiellement
argumentée, présente les aménagements hydrauliques comme des fac-
teurs de dégradation, voire même de désertification. A l’inverse, d’autres
avis contestent la réalité de la dégradation des pâturages imputée aux fo-
rages, considérant que, d’une certaine façon, le piétinement des animaux
alentour favorise le développement « d’espèces de remplacement » plus
productives et de meilleure valeur fourragère que la formation végétale pré-
-existante.
II ressort des importantes recherches agrostologiques menées au Ferlo
(suivi pluriannuel des principaux types de pâturages) une tendance à
l’éclaircissement général du couvert végétal dont l’intensité varie selon les
unités morpho-pédologiques. Plusieurs facteurs se conjuguent pour entraî-
ner ces modifications du pays : déficit pluviométrique, action de l’homme,
mais aussi influence des concentrations d’animaux autour des points
d’eau.
Compte tenu de l’inexistence d’accès aménagés aux abreuvoirs, le
piétinement des animaux est intense tout autour des forages et provoque
dès le début de la saison sèche la disparition du couvert herbacé sur un
sol qui pourtant bénéficie d’un apport considérable de matières organiques.
Les abords des forages reverdissent en hivernage pour former une « pépi-
nière compacte » lorsque la pluviomètrie est abondante ou tout au moins
satisfaisante et bien répartie.
Après quelques kilomètres, la végétation paraît moins modifiée. Même
en saison sèche subsiste dans la brousse environnante, sous un couvert li-
gneux plus ou moins dense, un tapis herbacé discontinu, desséché, peu
dense et généralement ras. Pour être clairsemé, ce couvert végétal n’en
confère pas moins aux parcours de la brousse un aspect qui tranche nette-
ment avec les auréoles de dènudation qui entourent les forages.
Si, dans les zones périphériques, les transformations de la strate her-
bacée sont plus limitées, elles concernent de vastes étendues et méritent
une attention particulière. Sous l’effet de la sécheresse, la composition flo-
ristique des parcours se modifie : raréfaction voire disparition de certaines
espèces pourtant abondantss jusqu’en 1970-l 971 ; apparition de certaines
espèces adaptées aux conditions pluviométriques difficiles qui sévissent
actuellement.
7 7

L’envahissement local du Zornia glochidiata témoigne d’un accroisse-
ment continue de la charge animale. L’extension de cette légumineuse fa-
vorisée par la surexploitation des pâturages apparaît comme un phénomé-
ne néfaste, car le Zornia glochidiata disparaît trés vite après la fin des
pluies laissant des étendues dénudées qui offrent moins de résistance à
l’érosion éolienne et hydrique.
Les effets de surpâturage sont aggravés par la dégradation des prati-
ques pastorales (abandon du gardiennage des troupeaux). La liberté lais-
sée aux animaux de pâturer entraîne un gaspillage des réserves fourragé-
res qui est d’autant plus préjudiciable que les pâturages ne sont guére
abondante en saison sèche. « Les troupeaux non gardés, pratique devenue
courante en saison sèche, ne réalisent pas (...) une exploitation optimum
de la prairie. Celle-ci se dégrade par excès de pâture à certains endroits
insuffisance à d’autres, inégale répartition des déjections. La structure du
sol en est affectée. Sa capacité de rétention d’eau diminue et par consé-
quent son rendement dans la mise à la disposition des plantes de l’eau des
pluies » (REBOUL, 1978).
Au niveau de la strate ligneuse, on constate que le peuplement dense
décrit par les explorateurs du siècle dernier a subi un éclaircissement pro-
gressif d’autant plus marqué que la densité humaine et animale est élevée.
L’évolution générale liée à la sécheresse se traduit par la survie aléatoire
de certaines espèces, la non-régénération d’autres menacées à terme de
disparition et la sélection des essences sclérophylles.
II faut aussi tenir compte des conséquences indirectes entraînées par
les mauvaises conditions climatiques. En raison du déficit fourrager, la vé-
gétation ligneuse occupe une place de plus en plus importante dans I’ali-
mentation animale : les jeunes plantes sont particulièrement menacées. Les
pasteurs pratiquent un émondage abusif qui accroît le taux de mortalité des
arbres fourragers.
Ainsi, la conjonction des effets de la sécheresse persistante et de I’ac-
tion de l’homme rend de plus en plus précaire l’équilibre entre les ressour-
ces naturelles et les besoins du cheptel. L’expression des stratégies indivi-
duelles de garantie des risques, qui passe toujours par l’accumulation du
cheptel, est contradictoire avec l’intérêt collectif, car elle fait peser des ris-
ques croissants sur l’équilibre et la reproduction du système pastoral.
Les pasteurs, confrontés à la disparition des systèmes traditionnels de
gestion de l’espace et à l’absence de toute garantie juridique en matière
fonciére ne se sentent plus investis d’une responsabilité particulière vis-à-
vis d’un territoire dont la maitrise ne leur est plus reconnue. Cela les incite
non seulement à développer des stratégies qui tendent a maximiser à court
7 8

terme le niveau de réalisation de leurs objectifs, mais aussi à exploiter les
parcours sans souci de leur conservation et, a fortiori, de leur amélioration.
C’est ainsi que le seuil à partir duquel un pâturage est qualifié de mau-
vais et par conséquent abandonné est de plus en plus repoussé par les
Peul qui ont actuellement tendance à porter un jugement « indulgent » sur
leur environnement (SANTOIR, 1983). Ceci dénote une dégradation inquié-
tante des pratiques pastorales. De même, la gestion des ouvrages hydrauli-
ques laissant souvent à désirer, les pannes se multiplient et ceci entraîne
un afflux de bétail autour des forages qui fonctionnent régulièrement. La
surcharge qui s’ensuit est préjudiciable aux parcours attenants.
II apparaît clairement que le système d’élevage extensif est parvenu au
bout de sa logique. Comme le craignait déjà FEUNTEUN (1955), le Ferlo,
parti de la situation « de l’herbe, pas d’eau » dans la période d’avant les fo-
rages en est arrivé actuellement à la situation inverse : « de l’eau, pas
d’herbe ».
Les conséquences du déséquilibre entre les ressources fourragères et
les besoins du cheptel ont été durement ressenties en 1972-l 973. Une sé-
cheresse prononcée, mais non exceptionnelle au plan historique, a entraîné
des conséquences catastrophiques.
Les pasteurs, qui n’avaient pas connu de difficultés majeures depuis
qu’ils s’étaient fixés autour des forages du Ferlo, ont tenté de résister sur
place, en escomptant une amélioration des conditions climatiques. Quand
ils se sont résolus à partir au loin, il était déjà trop tard. La faim avait provo-
qué des pertes considérables, et le bilan allait s’alourdir au cours de la fui-
te éperdue des troupeaux, atteignant 40 à 60 p. 100 du cheptel bovin dans
l’arrondissement de Ciile Buubakar (SANTOIR, 1976).
Dans la même zone, ce sont 45 p. 100 des familles qui ont perdu la to-
talité de leur cheptel bovin. Dans l’arrondissement de Mbaan, à l’Est du lac
de Guiers, cette proportion s’élève à 30 p. 100 des familles (Ibid.).
Par la suite, confrontés à une séquence d’années plus ou moins défici-
taires sur le plan pluviométrique, les Peul ont mis en œuvre une stratégie
de transhumance conjoncturelle vers le Sud, qui se heurte à des difficultés
croissantes au niveau des zones d’accueil où l’emprise agricole est de plus
en plus accentuée.
Lorsqu’en 1983 survient une nouvelle crise climatique, les pasteurs ré-
agissent avec promptitude. Sans attendre la fin de l’hivernage, ils mènent
les troupeaux en transhumance vers les régions méridionales (Jolof, Sine-
Saloum et Sénégal-Oriental) moins affectées par le déficit pluviométrique.
Ils y resteront pour la plupart jusqu’à l’hivernage 1985.
Dans la moitié Ouest du Ferlo, les départs ont pris l’allure d’un vérita-
79

ble exode, comme en témoigne la forte proportion des campements totale-
ment déserts entre janvier et mars 1984. 21 p. 100 des campements de
Nammarel étaient inoccupés. Cette proportion s’élevait a 37 p. 100 dans
l’aire du forage de Mbiddi, 44 p. 100 à Wiidu Gin ngooli, et 45 p. 100 à Tes-
kere.
Quoique dans une moindre mesure au forage de Teskere, le cheptel
bovin de la zone a été massivement conduit en transhumance. La propor-
tion des troupeaux concernés par les déplacements s’élevait à 44 p. 100 à
Teskere, 75 p. 100 à Wiidu Gin ngooli, 88 p. 100 à Nammarel et 93 p. 100 à
Mbiddi.
Aussi, le taux de mortalité du cheptel a été relativement faible alors
que la sécheresse de 1983 est la plus sévère que le Ferlo ait connu depuis
au moins un demi-siècle. Cela montre bien les limites d’une politique de sé-
dentarisation qui n’a réussi ni à créer les conditions d’un contrôle de la
charge, ni à rationnaliser l’exploitation collective des ressources naturelles.
La charge actuelle, qui est de l’ordre d’un UBT (1) pour huit hectares,
paraît excessive dans le contexte climatique actuel. Le système pastoral
s’en trouve profondément destabilisé et à la merci des aléas climatiques.
Or, d’une année à l’autre, les variations de la pluviométrie sont importan-
tes et affectent la production de biomasse herbacée, ainsi que le montrent
les cartes des pâturages du Ferlo (1981-l 984).
L’évolution accélérée qui ressort de ces images ne doit cependant pas
être interprétée comme une mesure de la dégradation des parcours. II
s’agit d’un phénomène en grande partie conjoncturel, comme on a pu le
constater à la suite de l’hivernage 1985, caractérisé par le retour des
pluies. La biomasse herbacée a été relativement abondante dans I’ensem-
ble de la zone sylvo-pastorale.
On peut donc penser qu’en dépit d’agressions multiples (surpâturage,
piétinement, feux de brousse, etc.) les possibi!ités
de récupération biologi-
que des pâturages ne sont pas définitivement compromises, la réserve se-
menciére du sol restant suffisante.
De telles périodes de sécheresse entraînent néanmoins des boulever-
sements écologiques particulièrement sensibles dans certaines zones et
tout particulièrement dans le jeeri (zone s’étendant de Richard-TOI1 et Po-
dor jusqu’à Aayre Laaw) où la dégradation de l’environnement devient de
plus en plus dramatique. La vallée du fleuve est également affectée par le
déficit pluviométrique (forte mortalité des gonakiers, dénudation des sols,
mobilisation des dunes sous l’action du vent, etc.).
(1) L’U B T. (Unit6 de betail tropical) 8qwaut â un bow de 250 kg
8 0

FIGURE 4: CARTES DE SITUATION DE LA BIOMASSE HERBACEE DU FERLO
(1981-1984)

LEGENDE
El Moins de 200 kg de matière sèche a l’hectare
. .
l-l
f . 200 à 400 kg
400 à 800 kg
800 à 1200 kg
Plus de 1200 kg
0
1”
20
30
4n
5”
km
D’aprés cartes au 1/500 000 dressées par le projet FAO/PNUE d’inventai-
re et de surveillance continue des ècosystèmes pastoraux sahèliens.
Ces tendances évolutives sont extrêmement préoccupantes car la dè-
gradation de l’environnement semble être actuellement le seul facteur sus-
ceptible de limiter la charge animale. Or cette « régulation » n’en n’est pas
une, puisqu’elle repose sur la ruine de l’environnement.
La dégradation de l’environnement s’est traduite, sur un autre plan, par
un appauvrissement considérable de la faune sauvage.
« La disparition de la faune sauvage est aussi en grande partie la
conséquence directe ou indirecte de l’ouverture des forages. Le Ferlo offre
aujourd’hui en effet l’aspect désolant d’une région qui fut jadis giboyeuse
et d’ou presque toute la grande et moyenne faune a été éliminée. Si quel-
ques autruches et quelques panthères survivent encore dans ses parties
les moins peuplées et les moins accessibles, en revanche, les girafes, les
hippotragues ou les damalisques, les cobes, les ourèbies, et bien entendu
les lions, les guépards et même les hyènes tachetées y ont été exterminés.
cc Les seuls mammifères sauvages de taille moyenne que l’on rencontre
encore dans la zone sont la hyène rayée, le chacal devenu, par la force des
choses, prédateur du petit bétail, et de rarissimes gazelles rufifrons »
(BARRAL, 1982).
8 1

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82

4.2 SITUATION EN SEPTEMBRE 1982

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4.3 SITUATION EN SEPTEMBRE 1983

2
a5

Cette disparition de la faune sauvage est ressentie par les Peu1 comme
un appauvrissement de leur environnement. Quelle est la part exacte de
responsabilité des forages dans la destruction de la faune ? Ce qui semble
certain, c’est qu’avec la mise en service des forages, il est devenu possible
de chasser toute l’année, alors qu’autrefois la saison cynégétique ne durait
que quelques mois. Par ailleurs, l’ouverture des pare-feux a, dans une large
mesure, facilité la chasse motorisée à des gens étrangers à la région.
LA DIFFICILE INTENSIFICATION DES SYSTEMES PASTORAUX
La sécheresse de 1972-l 973 et son cortége de catastrophes sociales
et économiques ont attiré l’attention des pouvoirs publics sur les pasteurs
sahéliens, quelque peu tombés dans l’oubli depuis la mise en service des
forages.
Des opérations d’urgence ont été ponctuellement mises en place pour
parer au plus presse, c’est-à-dire aider les pasteurs à franchir tant bien
que mal le cap de la sécheresse. Dans le même temps, chacun a pris
conscience de la nécessité de mettre en œuvre des programmes à long
terme susceptible de modifier en profondeur la physionomie des systèmes
d’élevage traditionnels.
Au Sénégal, un important projet de développement de l’élevage fut éla-
boré et son exécution confiée à un organisme spécialement créé à cet effet
en 1975 : la Société pour le développement de l’élevage dans la zone syl-
vo-pastorale (SODESP).
La stratégie définie par ce projet a pour fondement une « stratification
régionale a> de l’élevage. La zone sylvo-pastorale se voit assigner une fonc-
tion de production de jeunes bovins (naissage) destinés à être exportés
dans les zones agricoles voisines (réélevage et embouche). Cela implique
la reconversion du troupeau traditionnel en un troupeau de type naisseur
caractérisé par la prédominance des femelles reproductrices. Soucieuse
avant tout de maîtriser la charge tout en maintenant et si possible en amé-
liorant les revenus des pasteurs, la SODESP a mis en œuvre un projet zoo-
technique élaboré, tendant à déstocker les animaux « improductifs ».
Elle se propose donc d’agir sur les communautés peul du Ferlo pour
les faire passer du système pastoral traditionnel dans lequel l’élevage re-
présente avant tout un mode de vie, à un système intensifié dans lequel il
devient une activité de production tournée vers le marché. Ceci passe par
la remise en cause des stratégies d’autosubsistance et d’accumulation dé-
veloppées jusqu’ici par les pasteurs.
Pour mener à bien cette entreprise, la SODESP a adopté une politique
d’encadrement contractuelle. Les mesures incitatives reposent sur la four-
8 6

niture de compléments alimentaires à un prix subventionné et la garantie
d’un prix rémunérateur pour le bétail.
« La SODESP se situe aux antipodes des projets technicistes, destruc-
turants et aventuriers. Elle part de l’hypothèse (optimiste) que les Peul ne
sont pas d’indécrottables pasteurs traditionnalistes,
incapables de modifier
leurs méthodes d’élevage pour une meilleure rentabilisation de leurs pro-
duits et une exploitation rationnelle du milieu. Elle les prend au contraire
comme des sujets économiques a part entière, susceptibles de réorganiser
leur production si cela va dans le sens de leur intérêt économique, c’est-
à-dire si l’on pratique à l’égard des produits désirés des prix plus rémuné-
rateurs que ceux du marché libre » (POUILLON, 1984).
Mais ce projet, par trop orienté vers la production de viande, manquait
jusqu’à ces dernières années d’un volet social consistant, en sorte que l’on
ne voyait pas comment auraient pu naître les structures et les régles de ré-
gulation de la charge animale et de gestion des ressources (eau et par-
cours) dont nous avons montré la nécessité.
L’intérêt exclusif accordé à la viande, quand le lait représente une pro-
duction tout à fait essentielle en milieu pastorale, sur le plan vivrier mais
aussi, potentiellement, sur le plan commercial, limite beaucoup l’adhésion
des éleveurs, et compromet l’équilibre recherché: les Peul pensent avec
raison que la production de viande peut et doit s’appuyer sur un élevage
laitier(l).
II faut ajouter que la pratique d’un encadrement technique traditionnel,
plus tourné vers les troupeaux que vers les pasteurs, s’appuyant sur une
approche trop sectorielle, limite gravement les perspectives.
Depuis quelques années, la SODESP commence a s’intéresser à l’or-
ganisation collective des producteurs. Elle a suscité dans ce cadre la crea-
tion de groupements de forages dont la première préoccupation est la ges-
tion des infrastructures hydrauliques. Les restrictions aux déplacements
des troupeaux entraînées par le contrôle que tentent d’instaurer ces grou-
pements sur l’eau et indirectement sur les parcours, suscitent de nombreux
conflits. Ceci souligne les difficultés de l’entreprise de responsabilisation
des producteurs, qui n’en est pourtant qu’à ses balbutiements.
La « Nouvelle politique agricole », élaborée en 1983, va dans le même
sans puisqu’elle s’attache, pour ce qui concerne la zone sylvo-pastorale, a
ré-introduire des éléments de régulation dans le système pastoral, en favo-
risant la redynamisation des institutions coopératives. Mais, dans le même
(1) La SODESP recommande de ne pas traire les mères des veaux màles, qui l’intéressent tout particulière-
ment. Ces prescriptions rencontrent des réticences de la part des femmes qui contrôlent traditionnellement
la production de lait.
8 7

temps, la politique d’encadrement est remise en cause : il est prévu dans
un délai de cinq années le « dépérissement u de la SODESP.
Avec la création de la Caisse nationale du crédi agricole du Sénégal
(C.N.C.A.S.), des possibilités d’accès au crédit sont offertes aux groupe-
ments de producteurs. En revanche, les subventions en matiére d’intrants
sont supprimées. L’abandon de la politique de subvention des facteurs de
production, justifiée par la nécessité de rendre les producteurs « maîtres de
leur destin », s’inscrit en fait dans le processus de désengagement de
I’Etat vis-à-vis du monde rural.
En raison de la répartition inégale du cheptel entre les groupes fami-
liaux (certains galleeji ont des troupeaux de plusieurs centaines de têtes,
d’autres ne possédent qu’une vingtaine de bovins) le problème du finance-
ment de l’intensification se pose de manière différente aux uns et aux au-
tres Les effets de cette politique de développement ne peuvent donc pas
être les mêmes pour tous les pasteurs. II est probable que pour les petits
propriétaires de bétail, l’accès au crédit agricole ne compensera pas la
suppression des subventions. En revanche, les gros producteurs seront en
mesure de tirer parti des possibilités de crédit pour accroître encore leurs
revenus monétaires. Cela laise augurer une accélération de la diffèrencia-
tion sociale au Ferlo.
Le risque est grand que les changements attendus (l’intensification de
l’élevage et son intégration dans les circuits nationaux d’échange) n’aient
qu’une portée limitée, circonscrite principalement au groupe des gros pro-
priétaires de bétail. Nombre de pasteurs continueront sans doute à cher-
cher leur salut dans l’élevage extensif, qui suppose la mobilité des trou-
peaux. C’est dire que la sédentarisation généralisée des systèmes d’éleva-
ge paraît douteuse. Et plus encore I’entensification globale de l’élevage
dans la zone sylvo-pastorale. Or, la reproduction des systèmes sociaux
passe nécessairement par une semblable modification du système pasto-
ral et l’instauration d’une gestion plus respectueuse de l’environnement.
En ce sens, le destin de la société peu1 du Ferlo est étroitement lié à
celui de son milieu naturel.
Les problèmes posés par l’évolution récente de la société peul du Ferlo
ne sont pas spécifiques à la région mais communs à l’ensemble des socié-
tés pastorales du Sahel parce que les contextes dans lesquels se structu-
rent les systèmes socio-économiques des groupes pasteurs sont sembla-
bles. Les politiques de développement qui contribuent à définir ces contex-
88

tes ont pour composantes essentielles l’équipement hydraulique, le contro-
le sanitaire du cheptel et la mise en place de structures d’encadrement.
Ces interventions procédent
d’une logique dont la finalité première est
la sedentarisation des populations nomades. Cet objectif n’est pas propre à
la période coloniale. II reste encore à l’ordre du jour dans les pays sahé-
liens. Bien évidemment, les motivations politiques et administratives ne
sont pas plus évoquées pour justifier la politique de stabilisation des noma-
des. L’argumentation développée fait valoir des raisons économiques et so-
ciales : la sédentarisation est présentée comme la voie de passage obligé
de tout progrès technique et social, la condition indispensable de I’amélio-
ration du niveau de vie des pasteurs.
«Tout un système de forces économiques et sociales se conjugue à
l’action des pouvoirs publics pour peser en faveur de la sédentarisation et
celle-ci, parce qu’elle est le phénomène social dominant, secrète I’idéolgoie
qui tend à la justifier. Le développement des villes, lieux privilégiés - en rai-
son même des possibilités
d’éducation, d’information et d’emploi qu’elles
offrent - de promotion sociale, contribue à inculquer aux sociétés nomades
une idéologie qui fait de la sédentarisation un progrés tant économique que
social sur le nomadisme » (REBOUL, 1978).
La supériorité sociale du mode de vie sédentaire sur le nomadisme
étant affirmée non comme hypothèse mais comme évidence, toute une sé-
rie de mesures (notamment techniques) vont tendre à rendre irréversible le
processus de sédentarisation des pasteurs nomades.
Dans les différents pays du Sahel, la mise en service d’ouvrages hy-
drauliques apparaît comme l’élément central de la stratégie de contrôle et
de fixation des nomades. L’ouverture des forages est censée provoquer à
terme un mouvement de sédentarisation spontanée autour des points d’eau
permanents.
En assurant un ravitaillement ininterrompu en eau, le forage favorise
une fixation plus importante et plus durable de la population dans les zones
autrefois désertées en saison sèche. Mais en se fixant, les pasteurs n’ont
pas pour autant renoncé à leur potentiel de mobilité qui constitue le mode
traditionnel de gestion du risque (politique, sanitaire, climatique, écologi-
que..,.). Ce fait a conduit certains auteurs à conclure à une « semi-sédenta-
risation » des nomades. Une chose est sûre : une multitude de signes indi-
quent clairement que la fixation des groupes (et des troupeaux) est relati-
ve.
On peut en tirer une conclusion : la sédentarisation complète des sys-
témes d’élevage ne peut être acquise que sous certaines conditions qui ne
sont pas encore réunies dans les zones pastorales du Sahel : diversifica-
tion des activités économiques et abandon du modèle purement pastoral.
89

Par ailleurs, il convient de noter que la dégradation progressive de I’envi-
ronnement provoquée par les forages rend extrêmement difficile l’entretien
des troupeaux autour des points d’eau, notamment en saison sèche. Par ce
fait, les ouvrages hydrauliques représentent un obstacle à la sédentarisa-
tion. Par-delà ce constat, il nous a paru important de juger l’expérience des
aménagements hydrauliques réalisés au Ferlo, d’en analyser les effets.
En définitive, les interventions entreprises dans cette région ont permis
le maintien du pastoralisme, voire son développement et la réorientation du
système vers une exploitation spéculative, mais qui reste partielle et poly-
valente. L’accroissement sans précédent des effectifs du cheptel et I’amé-
lioration sensible des termes de l’échange bétail-céréales sont des indica-
teurs du développement de l’activité pastorale. Pareil résultat n’a cepen-
dant été obtenu qu’à un prix élevé : les sociétés peul ont perdu la maîtrise
de leur espace, leurs pratiques pastorales se sont progressivement dégra-
dées et il en a résulté des conséquences néfastes pour l’environnement.
Ces sociétés se trouvent donc dans une situation intermédiaire : elles
sont parvenues à un relatif bien-être matériel sans avoir véritablement in-
nové au plan des systèmes de production et sans avoir réussi à sécuriser
une économie qui repose dorénavant quasi-exclusivement sur l’élevage ex-
tensif et l’exploitation minière de la rente écologique collective.
La conjonction des stratégies individuelles de garantie des risques, qui
passent toujours par l’accumulation du cheptel, est clairement contradictoi-
re avec l’intérêt collectif, car elle fait peser des risques croissants sur
l’équilibre et la reproduction du système.
L’évolution peut se faire dans deux directions possibles. La première
consisterait en une amélioration des systémes de production. Cela suppo-
se, d’une part l’intensification des systèmes d’élevage et l’instauration
d’une politique rationnelle de gestion des parcours, d’autre part, la diversifi-
cation des activités productives. Cette diversification paraît pour le moins
problématique en raison notamment de l’enclavement de la région et de
l’aridité croissante du climat.
La poursuite de l’évolution engagée, qui semble malheureusement la
perspective la plus possible, déboucherait sur une crise grave remettant en
cause les fondements mêmes de l’économie et du système social peu1 : la
société pastorale ne saurait survivre sur les ruines de son environnement.
Le problème de l’aménagement pastoral doit être désigné clairement com-
me un thème d’étude prioritaire. Nous en avons indiqué les raisons: I’ac-
croissement continu de la pression exercée sur les ressources fourragères
par un cheptel en augmentation rapide et l’anarchie relative qui prévaut
dans l’utilisation des parcours. Ces facteurs entraînent une surexploitation
des ressources naturelles. Dans ces conditions, il est clair qu’à plus ou
9 0

moins brève échéance, les systèmes pastoraux extensifs de la zone seront
parvenus au bout de leur logique.
Les solutions viables et durables à la crise des systèmes d’élevage
traditionnels doivent donc être recherchées notamment dans l’amélioration
et l’intensification des techniques de mise en valeur des ressources natu-
relles. Ce problème de la gestion des pâturages est certes une question
d’ordre technique (protection des parcours et régénération des pâturages
les plus dégradés), mais sa solution passe à l’évidence par un effort soute-
nu d’organisation, de formation et de responsabilisation des pasteurs. En
effet, les innovations techniques resteront des recettes illusoires aussi.
longtemps que les producteurs ne seront pas préparés à gérer eux-mêmes
les solutions qui leur sont proposées.
La réflexion sur le schéma d’organisation à mettre en place doit pren-
dre en compte les modifications qui affectent le tissu du peuplement peu1
et les relations que les pasteurs entretiennent avec leur milieu. De même,
les traits sociologiques qui sous-tendent la création des structures collecti-
ves méritent une attention particulière. II faut se garder de croire que le tis-
su social est homogène. Les rapports économiques et politiques qu’entre-
tiennent les différents groupes sociaux sont fondamentalement inégalitai-
res, ce qui se traduit par l’hétérogénéité des obj actifs poursuivis par les
groupes en présence.
On notera que les rapports de domination n’opposent pas seulement
les groupes sociaux entre eux, ils opposent également les membres de
chaque groupe familial au sein duquel s’organise la production. La cohé-
sion des communautés familiales est de plus en plus remise en cause par
la multiplication des tensions entre aînés et dépendants pour l’accession à
la propriété du bétail. Ces tensions contribuent à amplifier et à accélérer
les phénomènes d’éclatement des groupes familiaux. Cette évolution, dont
la conséquence la plus manifeste est l’affaiblissement des pouvoirs et des
solidarités traditionnels, joue pour une part dans la perte de sécurité que
connaissent aussi bien les individus que le système social.
La combinaison des stratégies individuelles ne permet pas la réalisa-
tion de l’intérêt collectif à long terme. Au niveau individuel, la sécurité éco-
nomique pour un pasteur repose, nous l’avons vu, sur l’accumulation du
cheptel qui est à la fois le moyen d’assurer à court terme le vivrier (princi-
palement par la production laitière) et de garantir l’avenir (par I’accumula-
tion d’un capital de réserve).
Si cette stratégie est concevable dans un système où les ressources
disponibles ne sont pas limitées, elle apparaît comme une source de ris-
ques majeurs au Ferlo où les systèmes d’élevage se trouvent confrontés à
la rareté des ressources fourragères.
9 1

stratégie sans contrepartie. II appartient donc à la recherche d’élaborer,
avec les producteurs, des stratégies alternatives de gestion du risque et de
les amener à maîtriser eux-mêmes la croissance de leur cheptel pour
l’adapter à l’état des techniques de production et des ressources disponi-
bles.
9 2

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1985. Etude de l’organisation sociale et familia-
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et de son évolution.
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97

VALENZA, J., et DIALLO,
1972. Etude des pâturages naturels du Nord
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1905. Explorations dans le Ferlo, 1904-I 905.
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1939. Notes sur les coutumes peulh du Fouta-
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1916. Note sur les Laobé du Soudan français.
Bull. et Mém. de la Soc. d’Anthr. de Paris, VII, n”
1.
9 8

GLOSSAIRE DES TERMES PULAAR UTILISES
Afo
Aîné
afo suudu maundu : l’aîné de la grande case, c’est-à-
dire le fils aîné de la première épouse.
Ad0
Chef de fraction, guide.
Baddi
Commiphora africana.
Bammbaado
Griot généalogiste.
Baylo
Forgeron.
Biraaji
Vaches laitières affectées par le chef de famille à l’une
de ses épouses.
Birde
Traite.
Birdugal
Récipient de bois utilisé pour la traite.
Bol01
Synonyme de Laawol.
Bulbi
(pl. BU//~) Puisard.
Bunndu
(pl. BU//~) Puits.
Burgal
Fouet utilisé pour battre le lait caillé ; généralement en
bois de mburri (Gardenia erubescens).
Caabi
Etagères basses disposées le long de la paroi de la
case, à gauche en entrant, et destinées à recevoir les
récipients remplis de lait.
Car]ngo Ferlo
Vallè du Ferlo.
Ceedu
Saison sèche chaude (mars-avril).
Ceqgle
Grain de mil décortiqué et brisé, obtenu à l’issue de la
première phase du pilage et du vannage.
Ceedel
Pré-hivernage (mai-juin).
Cumale
(pl. Cumalaaji)
outre en peau de chévre ; baratte.
Dabbirde
Campement de saison fraîche.
Dabbunde
Saison fraîche (novembre-fevrier).
Daace
Gomme arabique.
Dagganaabe
Esclaves nés en servitude.
Diiwaan
Zone, parages.
Demminaare
Synonyme de Ceetel.
99

Jey
Les zones jey sont les zones du Ferlo qui étaient tradi-
tionnellement accaparées.
Jeerjerdu
Hutte ronde caractéristique de l’habitat des Peul jeeri.
Jeeri
Zones dunaires bordant la vallée du fleuve Sénégal.
Jeerinkoobe
Peul du jeeri.
Jula
Commerçant en bétail, maquignon.
Jejegol
Zone située a la limite du jeeri et du waalo; proche jeeri.
J o m
Propriétaire et, par extension, chef, maître.
jom galle : chef de galle, dont l’autorité s’impose aux
membres de la famille. Par extension, peut aujourd’hui
désigner tout chef de ménage, avec le sens de mari
lorsqu’il est employé par une femme. Ce glissement sé-
mantique est en relation avec l’éclatement des groupes
familiaux.
jom wuro : chef de campement.
Jomtinaaji
Bovins possédés en propre par une femme mariée qui
les a reçus en don de ses parents avant son mariage.
Joowre
Terres de culture de décrue.
Dooki
Bovins offerts en pré-héritage aux Gnfants par leur
père.
Durungal
Pâturages, parcours.
Duggere
Marché hebdomadaire.
Eeri
Sclerocarya birrea.
Eggirgol
Mouvement généralisé de transhumance conjoncturel-
le ; exode.
Fooyre
(pl. Pooye) Foyer. Le fooyre représente aujourd’hui dans
la plupart des cas l’unité familiale de production et de
consommation.
Fulbe
Pluriel de Pullo.
Galle
(pl. Galeeji) unité de résidence, concession. Par exten-
sion, famillle.
Gedal
Part, lot.
Gorwori
Bovins possédés en propre par le chef de famille.
Gosi
Bouillie à base de semoule de céréales.
1 0 0

Hirande
Repas du soir et par extension, cuisine.
hiraande gooto : cuisine collective unique pour un grou-
pe familial.
Hitaande
Année.
Horde
Grande calebasse utilisée comme récipient (coque du
fruit de Lagenaria cisseraria).
Interdit.
hurum gese : code de défense des cultures. Cette régle-
mentation délimite une zone d’accès interdite au bétai.
hurum durungal: réglementation portant sur l’utilisation
des pâturages des zones jey.
J a a b e
Jujubes.
Jaambuur
(pl. Jaambureebe) Synonyme de Lamin.
Jaarga
(pl. Jaargaabe) Pasteur riche en bétail.
Jawdi
Cheptel ovin.
Kaaw
Oncle maternel.
Kawle
Saison intermédiaire entre l’hivernage et la saison froi-
de, de la mi-octobre à la mi-novembre (post-hivernage).
Kawngal
Campement provisoire édifié en saison de Kawle.
Keddam
Lait caillé.
Kettungol
Crème du lait.
Koolangal
(pl. Koolaade) Bloc de culture regroupant l’ensemble
des champs d’un même campement.
Kolce
Cheptel bovin.
Kordo
Femme réduite en esclavage.
Korel
Cuillére, louche constituee d’une petite calebasse fen-
due en deux.
Kosam biradam
Lait venant d’étre tiré ; lait frais.
Laawol
Sentier.
Laabo
(pl. Lad) Artisan du bois.
Lacclri
Couscous de mil genéralement
consommé le soir.
Ladde
Brousse, nature. Zones non appropriées du Ferlo et
d’accès libre.
101

Lahal
Récipient de bois hémisphérique utilisé principalement
pour faire cailler le lait ; signifie également plat, mets.
Mahal gooto : un seul plat, et par extension, unité de
commensalité.
Lammin
(pl. Lamminoobe)
Homme libre ne pouvant prétendre au
pouvoir, électeur.
Lappol na’i
Sentier tracé par les animaux.
Lawak
(pl. Lawakoofk) Membre d’un lignage prééminent.
Lawbe
Pluriel de Labbo; Caste des boisseliers.
Leydi
Territoires pastoraux traditionnels.
Lowre
Champ individuel dont la récolte sert à satisfaire les be-
soins de son exploitant.
Maabo
(pl. Mabbube) Tisserand.
Maaro
Riz.
Maccudo
(pl. Maccube) Esclave masculin.
Mawdo
(pl. Made) Doyen, ancien.
mawc’o galle aîné de la génération la plus ancienne
dans le galle.
Mbalka
(pl. Mbalkaaji)
Forage.
Muroteeki
Balanites aegyptiaca.
Aaangal
Vaîne pâture.
Ndunngu
Saison des pluies, hivernage.
Nebbam
Beurre.
Kleefi
(pl. fleenbe)
Personne appartenant à une caste consi-
dérée comme inférieure.
Ngaalgu
Enclos d’épineux pour le bétail.
Ngessa
(pl. gese) Champ.
ngessa mawba grand champ cultivé COlleCtiVement
Par
les membres du galle. Les réCOtteS qui Y sont faites
sont gérées par le jom galle.
niri bunaa
Sorte de purée de mil consommée généralement à midi.
Pattuuki
Acacia Sénégal ; gommier.
Pettooji
Période d’arrivée des pasteurs transhumants dans la
vallée du fleuve Sénegal (de novembre à février selon
les années).
102

Polindaaji
Déplacement des pasteurs de la vallée du fleuve vers le
jeeri. Signifie aussi campement établi en demminaare.
Pooye
Pluriel de fooyre.
Pull0
(pl. f-ulbe) Peul.
Pulaagu
Modele culturel et social peul.
Ruumaano
(pl. Duumaale) Campement d’hivernage installé au Ferlo.
Sakke
(pl. Sakkeebe) Coordonnier.
Seedaano
(pl. Ceedaale) Campement provisoire où les pasteurs
séjournent en saison séche.
Soraade
Esclaves récemment acquis par achat ou don.
Teefanke
Intermédiaire (courtier) du commerce du bétail.
Tene
Ensemble des animaux qui constitue le douaire d’une
femme.
Teew
Viande.
Tufam
Breuvage composé de lait caillé coupé d’eau sucrée.
Tufnde
Port fluvial ; par extension, lieu d’installation des pas-
teurs étrangers dans la vallée du fleuve.
Wiiri
Outre de toile cousue.
Waalo
Zone alluviale de la vallée du fleuve Sénégal.
Waalwaalbe
Peul du waalo (au pluriel) - singulier : baalwaalo.
Waalwaaldu
Hutte oblongue caractéristique de l’habitat des Waal-
waabe.
W a a m b a a b e
Pluriel de Bammbaado.
Wildi
Hutte ronde.
Waylube
Pluriel de Baylo.
Wuro
(pl. Gure) Campement, village.
wuro pogu Campement de transhumance sommaire. Ce
type d’abri ne comporte pas de cases.
Yamiroore
Instructions, directives.
103

SOMMAIRE
P a g e
PREFACE.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
5
INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
II
PREMIERE PARTIE : LE FERLO D’AVANT LES FORAGES. . . . . . . . . .
PRESENTATION DE LA ZONE D’ETUDE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
1 5
LES MIGRATIONS ET LE PEUPLEMENT . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
1 9
LA GESTION DE L’ESPACE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
2 2
Les systèmes de transhumance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
2 2
La structuration de l’espace . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
2 6
L’ORGANISATION SOCIO-POLITIQUE TRADITIONNELLE . . . . . .
30
La chefferie peu1
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
3 2
Les rapports d’inégalité et de domination . . . . . . . . . . . . . . . . . .
34
L’ORGANISATION FAMILIALE ET LES RAPPORTS DE PRODUC-
TION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
36
La cueillette et la chasse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
36
L’agriculture..
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
38
L’élevage....................................................

4
0
DEUXIEME PARTIE : LE FERLO A L’EPREUVE DES POLITIQUES DE
DEVELOPPEMENT
LE DEVELOPPEMENT PASTORAL : STRATEGIES ET IMPLICA-
TIONS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
46
Hydraulique pastorale et politique de sèdentarisation . . . . . . . . . . . .
50
Les actions vétérinaires et zootechniques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
5 5
Les aménagements hydro-agricoles de la vallée du Fleuve. . . . . . .
5 6
Les mesures d’accompagnement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
5 7
1 0 5

CONSEQUENCES DIRECTES DES ACTIONS DE DEVELOPPE-
MENT . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . , . . . . . . . . . . . , . . . . . . . . . . . . . . .
58
Modifications des pratiques pastorales.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
59
Spécialisation des systémes de production et réduction du
tempsdetravail..............................................
63
Dispersion du peuplement.. . , . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
64
PERMANENCE ANTHROPOLOGIQUE ET CHANGEMENT SOCIAL
66
Un conservatisme rassurant.. . . . . . . . . . . , , . . . . . . . . . . . . . . . . .
66
Segmentation des lignages et fractionnement du cheptel . . . .
67
Décomposition de l’organisation domestique de la production
70
TROISIEME PARTIE : VERS DES LENDEMAINS INCERTAINS
DEGRADATION DES ECOSYSTEMES. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
77
LA DIFFICILE INTENSIFICATION DES SYSTEMES PASTORAUX . . .
86
CONCLUSION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
88
BIBLIOGRAPHIE.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
93
GLOSSAIRE DES TERMES PULAAR UTILISES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
99
LISTES DES FIGURES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
107
106

P a g e
1. PRESENTATION DE LA ZONE SYLVO-PASTORALE . . . . . . . . . . . .
5
2. EVOLUTION DE LA PLUVIOMETRIE
(1961-l 980). . . . . . . . . . . . . . .
7
3. REPARTITION DES FORAGES MIS EN SERVICE AVANT 1960 .
46
4. CARTES DE BIOMASSE HERBACEE DU FERLO (1981-1984) . .
7 4
- Situation en septembre 1981 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
75
- Situation en septembre 1982 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
76
- Situation en septembre 1983. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
77
- Situation en septembre 1984 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
78
1 0 7

Achevé d’imprimer
sur les presses
de l’Imprimerie Saint-Paul
Dakar
3e trimestre 1987

REPUBLIQUE DU SENEGAL
INSTITUT SENEGALAIS DE RECHERCHES AGRICOLES
BUREAU D’ANALYSES MACRO ECONOMIQUES
LE DEPARTEMENT DE RECHERCHE SUR LES SYSTEMES DE PRODUCTION
ET DE TRANSFERT DE TECHNOLOGIE EN MILIEU RURAL
DE L’INSTITUT SENEGALAIS DE RECHERCHE AGRICOLE
(I.S.R.A.)
Etablissement public à caractére industriel et commercial, I’ISRA a été créé
en 1974 et placé sous la tutelle du Ministère du Développement rural. II com-
prend cinq départements scientifiques chargés d’entreprendre et de dévelop-
per les recherches sur les productions végétales, forestières, animales, ha-
lieutiques, systèmes de production intéressant le développement économique
et social du Sénégal.
II a pour missions :
- d’élaborer et d’exécuter des programmes de recherche en fonction des
orientations et des objectifs définis par le Gouvernement ;
- de diffuser les résultats de recherche vers le développement qui se charge
de les valoriser ;
- de gérer le patrimoine scientifique national ;
- d’assurer la coopération avec la communauté scientifique internationale.
Son Département de recherche sur les systèmes de production et de trans-
fert de technologies en milieu rural créé en 1982 est chargé des études des
systèmes de production agricole. Aussi, il :
. collecte, analyse, exploite et diffuse à l’échelle nationale des données éco-
nomiques et sociologiques ;
. évalue les techniques nouvelles applicables en milieu rural et étudie les
contraintes socio-économiques qui en découlent ;
. assure la liaison recherche-développement.
II mène en outre des recherches d’appui sur : la bioclimatologie, la fertilisa-
~
tion et la conservation des sols, le machinisme agricolë et la technologie
post-récolte, I’hydraulique et les aménagements agricoles.
Toutes ces recherches sont localisées en milieu réel à Bambey, Djibélor,
Kaolack, Saint-Louis, Cambérène, Dahra.
Un Bureau d’analyses macro-économiques rattaché à ce Département étu-
die : les filiéres économiques et la commercialisation des céréales (mil, riz,
sorgho, maïs), de la viande, des légumes, du poisson, des fruits, et gére une
Banque de données statistiques sur le commerce intérieur et extérieur des
produits agricoles et de la pêche.
Adresse : Département SystémesIlSRA
LNERV, Route du Front de Terre
Dakar-Hann
B.P. 3120 - ‘Z? 22.04.42
DAKAR (Sénégal)

Y