* INSTITUT SÉNÉGALAIS de RECHERCHES ...
*
INSTITUT SÉNÉGALAIS
de
RECHERCHES AGRICOLES
É T U D E S E T D O C U M E N T S
L e r e t o u r
des opérateurs privés
dans la collecte
des arachides

Situation
après cinq années
de réhabilitation des traitants
Matar Gaye
ISSN 0850-8933
Vol. 5 N” 1
1994

ISRA
institut SAn6gaiais de Recherches Agricoles
Route des Hydrocarbures
BP 3120
Dakar, !%Mgai
0 322428/322430/322431
TAiex 81117 SG
TLC (221) 22 34 13
Document réalisé par
la Direction des recherches sur les systbmes et cultures pluviaux
Secteur Centre-Sud
BP 199
Kaoiack
Matar Gaye, Economiste agricole
Chercheur a I’ISRA
en poste au secteur Centre-Sud
0 iSRA 1994
Conception et Bdition : Unival

Le retour des opérateurs privés
dans la collecte des arachides
Situation
après cinq années de réhabilitation
des traitants


kRA - IiTlJDES ET DOCUMENTS
VOL.5
Nol
1994
Le retour des opérateurs privés
dans la collecte des arachides
au Sénégal
Situation aprés cinq années de réhabilitation

des traitants
Matar Gaye
Chercheur a I’IsRA,
Secteur Centre Sud
Résumé
La réinsertion des opérateurs privés dan le circuit officiel de collecte
des arachides constitue une innovation jugée irréversible. Depuis 1985,
ces nouveaux participants n’ont cessé de gagner du terrain aux dépens
des coopératives en ce qui concerne le contrôle de la production arachidière.
Cependant, les progres enregistrés dans la conquête du marché cachent
de skieuses diff icultes qui risquent a terme de compromettre l’issue
d’une expérience dont l’enjeu est de taille dans le contexte des orientations
prises avec l’ajustement structurel. Même si la réorganisation du système
de collecte favorise un certain assainissement dans l’optique des huiliers,
la commercialisation devient un calvaire pour les producteurs. Par comparaison
aux anciens traitants qui realisaient l’essentiel de la collecte arachidiere jusqu’en
1987, les nouveaux opérateurs sont beaucoup moins impliques dans un
veritable
partenariat avec le monde paysan, ce qui résulte surtout d’un changement radical
du cadre d’intervention.
Mots-clé$ : Arachide, Collecte, Credit, Financement, OPS, Traitants
5

kRA - ETUDES ET DOCUMENTS
VOL.!i
Nol
1994
Abstract
The reentry of private traders in the officia1 peanut marketing rietwork represents
a major change which is considered irreversible. Since 1985, the market share
of the new participants has increased steadly at the expense of
cooperatives.
This performance however hides serious problems which may compromise
the long run success of such a challenging experience in line with the structural
adjustment policy. Although private intervention has allowed significant
improvements from the oil companies point of view, marketing has become
increasingly diff icult for peanut producers. Compared to traders who dominated
the system until 1967, the new participants are less involved in an effective
partenership with farmers mainly because of radical changes in the general
conditions of their intervention.
Keywords : Peanut, Marketing, Credit, Financing,
Private, Traders.
6

hA - IkTUDES ET DOCUMENTS
VOL.5
Nol
1994
Introduction
Jusqu’en 1967, l’économie de traite axée sur l’arachide était dominée par
les opérateurs prives qui intervenaient très activement dans la commer-
cialisation primaire. Ces anciens traitants ont été par la suite mis à l’écart
au profit des structures coopératives qui servaient en même temps de
cadre privilegié pour l’exécution des programmes de crédit agricole. Un
tel système avait profondément bouleverse les relations d’affaires entre
la communauté paysanne et les commerçants locaux. Le dynamisme
caractéristique des campagnes à l’époque s’est progressivement estompé
pour faire place a une morosite grandissante.
Pour les pouvoirs publics, le déficit de la filière arachidière qui persiste
depuis le début des années 80 dicte certaines mesures d’ajustement
sectoriel. L’ère des réformes structurelles fut inaugurée par la dissolution
de l’office national de commercialisation et d’assistance pour le dévelop-
pement (ONCAD) en 1980 et s’est poursuivie dans le sillage d’une nouvelle
politique agricole définie à partir de 1984. Celle-ci est fondée sur le prin-
cipe du désengagement de I’Etat ayant comme corollaire une plus
grande libéralisation.
C’est dans cette mouvante que de nouveaux opérateurs plus connus
sous le nom d’organismes Privés Stockeurs (0~s) ont intégré le circuit
officiel de collecte des arachides, ce qui correspond a une sorte de réha-
bilitation des anciens traitants.
La question se pose de savoir comment cette nouvelle expérience est
vécue par les OPS surtout dans leurs rapports avec les huiliers dont ils
sont mandataires mais aussi avec la communauté paysanne.
L’objectif de cette étude est de faire le point sur la situation au niveau des
régions de Kaolack et Fatick qui constituent le cœur du bassin arachidier.
Les OPS cibles sont tous ceux qui résident dans cette zone et 41 indi-
vidus ont été identifies. Les enquêtes de base réalisées en Juillet-Août
1990 sont complétées par des données de nos investigations anté-
rieures. Nous avons opte pour une approche d’entretiens semi-directifs
privilegiant l’écoute et les questions ouvertes, ce qui nous confine dans
une analyse plutôt qualitative.
7

iSNA - ÉTUDES El DOCUMENTS
VOLS
Nol
1994
CaractMstiques générales des OPS
Activités principales
Le classement des OPS en fonction de l’activité principale donne la
répartition suivante :
- Agriculteurs :
415%
- Commerçants : 31,7%
- Transporteurs : 14,6%
- Autres :
12,2%
Les Ops-agriculteurs sont genéralement de gros producteurs résidant en
milieu rural alors que les autres sont surtout des citadins. II s’agit notam-
ment de commerçants et transporteurs dont les rapports avec les paysans
sont en géneral épisodiques. La catégorie ~~autres~~ se compose surtout
d’ex-agents de la Société nationale de commercialisation des oléagineux
au Sénégal (SONACOS) ou de I’ONCAD.
La non dominante numérique des commerçants et le fait que la moitie
des OPS résident en ville soulèvent des interrogations quant aux poten-
tialités d’un vrai partenariat entre ces opérateurs et le monde rural en
dehors de la simple commercialisation des arachides.
Niveau de scolarisation
Dans l’ensemble, 24 OPS sur les 41, soit 585% n’ont pas fait l’école fran-
çaise. Pour les autres, la durée de la scolarisation varie de 3 à 12 ans
avec une moyenne de 7 ans. Tandis que tous les OPS de la catégorie
socio-professionnelle <<autres,, ont fait l’école française, le rapport est de
1/3 chez les commerçants, 1/2 chez les transporteurs et 29 % chez les
agriculteurs. Toutefois, il y’a lieu de retenir qu’en général même les OPS
qui n’ont pas fait l’école se debrouillent en calcul et pour eux, la maîtrise
des chiffres est plus importante que celle des lettres.
8

hA - I%DES ET DOCUMENTS
VOL.5
Nol
1994
Anciennete
L’expérience dans la collecte arachidière est très variée et s’échelonne
de 1 à 29 ans. Environ 1/3 des OPS ont exercé comme anciens traitants
avant la reforme de 1967 qui avait consacre le monopsone des coopé-
ratives. Les autres sont de la nouvelle g&&ation et les plus anciens
parmi eux ont commencé à partir de 198586 avec la libéralisation
initiée dans le cadre de la Nouvelle Politique Agricole.
Sur les 39 OPS que .nous avions identifiés en 1986 dans la même zone et
selon le même critére de résidence, on note que* 14, soit 36% ont quitté
volontairement ou par éviction. Selon nos interlocuteurs à la SONACOS, il
s’agit notamment de départs forcés sanctionnant de mauvaises perfor-
mances. A l’exception d’un seul cas, tous les OPS concern&s sont de la
nouvelle génération. Certains d’entre eux que nous avons pu rencontrer
évoquent plutôt le fait que l’opération n’est plus rentable sans compter
les multiples servitudes qu’elle comporte. Les problèmes de financement
qui rendent difficiles leurs rapports avec la communauté paysanne
sont également soulignés.
Interventions
dans la collecte des arachides

Répartition et affectation des points de collecte
Pour la campagne 1989-90, nos 41 OPS contrôlaient au total 88 points de
collecte répartis de manière relativement inégale. Tandis que 55% d’entre
eux détenaient un seul point chacun, 27% en avaient 2 et 10% en avaient
4. Trois cas exceptionnels avec respectivement 7, 10 et 15 points ont été
observés. Cette inégalité se reflète dans les tonnages collectés variant de
477 à 14.437 tonnes avec une médiane de 1.787 tonnes en 1989-90.
Environ 1 OPS sur 7 opère dans sa localité de résidence et le quart inter-
viennent à plus -de 100 km de chez-eux. A ce propos, on peut rappeler
qu’une circulaire ministérielle exigeait à tout OPS voulant s’installer dans
une zone de fournir une attestation du président de la communauté rurale
9

iSRA - t%UOES
ET DOCUMENTS
VOL. 5
No 1
1994
precisant qu’il est du terroir ou y possede de solides relations. Cette
dernière condition traduisant un souci de flexibilité introduit une certaine
latitude au subjectivisme quand il s’agit d’apprécier la «solidité >> des rela-
tions entre la communauté paysanne et un candidat OPS non résidant.
Ces directives ont pratiquement été levées compte tenu de quelques
problèmes liés à leur application.
En principe, l’affectation d’un point de collecte est valable pour une cam-
pagne a l’issue de laquelle l’attributaire peut être reconduit ou non. Selon
les informations recueillies auprès des OPS, le délai entre la confirmation et
l’ouverture de la campagne est d’environ une semaine. Certains déclarent
même avoir reçu leur confirmation aprés le démarrage officiel de la collecte
en 1989-90. Ainsi, au moment où 1’0~s est sollicite pour le crédit de
campagne, l’incertitude plane encore sur sa reconduction, ce qui est un
important facteur dissuasif.
A propos des points de collecte, certains suggèrent que tout OPS agréé
puisse librement installer des bascules secondaires partout à l’intérieur de
sa communauté rurale d’implantation. Cela permettrait .de réduire les
encombrements fort décriés par les paysans. Ces derniers seraient -
disent-ils - les principaux bénéficiaires de la compétition qu’une telle
mesure ne manquerait pas de stimuler. D’autres souhaiteraient même
qu’au lieu d’être confinee aux limites de la communauté rurale, l’aire
géographique d’intervention soit étendue a l’échelle de l’arrondissement
avec la possibilité d’opérer de manière itinérante. Une pareille libérali-
sation est surtout prônée par ceux qui ont le plus de moyens et qui ne
semblent pas prendre en compte les coûts additionnels d’interventions
que cela impliquerait. Quant aux moins nantis, leur principal doléance
est de faire en sorte que pour tout point de collecte à attribuer, les can-
didats résidants soient prioritaires au lieu de ne retenir que l’ordre
d’arrivée des demandes. Les OPS soutiennent que cela contribuerait à
mieux les rapprocher de la communauté paysanne pour le plus grand
bien des uns et des autres.
Dans certains cas qui nous ont Até relatés, les autorités villageoises ont
eu des attitudes négatives a l’égard des OPS et il s’agit notamment de
ceux qui sont étrangers a la localité. La raison avancée est qu’il y’a
10

kiRA - mDES ET DOCUMENTS
V O L . 5 Nol
1994
souvent de la part de ces autorités villageoises un parti pris en faveur
des coopératives. Cela découle de l’influence non négligeable qu’elles
ont toujours exercée au niveau de ces institutions notamment dans le
choix des personnes qui ne manquaient pas par la suite de « montrer
leur reconnaissance ». De tels privilèges disparaissent avec les OPS dont
les non résidents viennent généralement avec leur personnel au complet
pour la durée de la campagne. Cela exclut la possibilité pour les personnes
influentes de placer leurs protégés comme peseurs, aides, gardiens ou
manoeuvres contrairement ce qui s’est toujours passé avec les coopé-
ratives.
L’implantation d’un OPS se heurte toujours a des résistances émanant de
la base chaque fois qu’il s’agit de remplacer un autre de mauvaise repu-
tation surtout quand ce dernier laisse derriére lui des bons impayés.
Financement
de la commercialisation
Les problèmes de la mise en place des fonds pour la collecte arachidière
sont au coeur des préoccupations des 0~s. Ils soulignent en particulier
l’insuffisance et les ruptures de financement qui sont toujours lourdes de
conséquences. Le principe est qu’après avoir reçu deux alimentations, 1’0~s
est tenu de livrer aux huileries un tonnage d’arachide équivalent au moins
a 80% des avances obtenues pour pouvoir prétendre au refinancement.
Toutefois, il existe sur ce plan des facteurs exogènes qui échappent au
contrôle ‘de 1’0~s et dont le plus important est l’accès aux moyens de trans-
port. A ce propos, les transporteurs préfèrent les points de collecte les plus
éloignés des usines car les longues distances sont jugées plus rentables
bien que les tarifs au kilomètre ne varient qu’en fonction de l’état des
routes. Pour I’OPS, le rythme d’bvacuation conditionne non seulement le
financement et donc la collecte individuelle mais il joue aussi sur les
pertes au stockage selon certaines déclarations.
Les lenteurs au niveau des points de réception sont fortement déplorées
avec a l’appui plusieurs cas de camions ayant passé plus de deux semaines
dans les longues files aux ponts-bascules. Cela résulte, selon les OPS, de
pannes répétées au niveau des installations mais aussi du fait que les
manoeuvres sont payés a l’heure et non à la tâche.
11

ISRA - ETUDES ET DOCUMENT~
VOL.5
Nol
1994
Les contraintes dans le financement de la collecte obligent souvent les
paysans à livrer leurs graines pour un paiement différé. Ce phénomène
tend à devenir la regle maigre sa prohibition par les services du
Contrôle économique. Un des OPS enquêtes déclare avoir réglé le 7 Juillet
1990 sur ses propres commissions 40,663 tonnes equivalant 3 % de sa
collecte. Jusqu’à la mi-août, un autre OPS traînait encore 50 tonnes à
regler et attendait pour cela que la SONACOS lui paie ses commissions.
On peut se demander si cela résulte d’une utilisation des financements
à d’autres fins ou de réels déficits d’exploitation.
Dans certains cas, des paysans ayant effectué des dépôts se sont
physiquement opposés a l’évacuation des stocks après une longue
attente, ce qui traduit l’ampleur des tensions liées au règlement des
apports
Marges commerciales,
toldrance et abattements

Les principaux points qui retiennent l’attention des OPS dans leurs rapports
avec la SONACOS sont les marges commerciales, le taux de tolérance et
les abattements. Cela se comprend car la rentabilité de l’opération dépend
surtout de ces trois facteurs. Durant les deux premières années de leur
réadmission dans la collecte arachidière, ils bénéficiaient d’une marge
commerciale ou commission de 2.000 F par tonne et la tolérance était
fixee à 3%. Par la suite, la marge commerciale a été réduite de moitié
tandis que le taux de tolérance devait passer de 3 à 1,82 % pour remonter
à 2,34%. Ces changements ont motivé le départ de plusieurs individus
qui estiment que l’opération n’est plus rentable sans compter les multi-
ples servitudes qu’elle comporte.
Les conditions de rentabilité sont relativement meilleures pour les OPS
disposant d’un parc de camions. Certains d’entre eux affirment que ce qui
les retient n’est autre que le volet transport, celui de la collecte étant
parfois déficitaire. Ces affirmations ne peuvent toutefois être appré-
ciées que sur la base d’analyses quantitatives detaillées.
Quant aux abattements, ils se composent des impuretés dont le poids
estimé est défalqué du tonnage livre a l’huilerie en tenant compte de la
12

I~RA - ENJDES ET DOCUMENT~
VOL. 5
No 1
1994
tolérance. La question a de tout temps suscite des debats passionnes
entre les huiliers et les collecteurs. Dans le journal <e Le Soleil ‘> du 18 mars
1987, on cite le cas d’un point de collecte auquel un abattement de
23,596 tonnes fut infligé au premier camion réceptionné sur un poids net
au départ de 27,5 tonnes. Cela correspond a un taux d’environ 86%,
donnant ainsi une idée de la gravité du problème. Malgré certaines dispo-
sitions récentes visant à circonscrire son ampleur, le contentieux reste
toujours endémique. Les nouvelles mesures déjà en vigueur consistent a
mettre en place une commission chargée de suivre les opérations aux
ponts-bascules en plus du système de plombage des bâches après
chargement aux poins de collecte. La commission de surveillance aux
points de réception est jugée inefficiente car même si le criblage systé-
matique d’un échantillon de 6 sacs est effectué sous ses yeux, elle ne
sait pas comment les résultats sont exploités par la suite. Les OPS
qui font ce jugement mettent en cause plusieurs facteurs dont les princi-
paux sont la procédure de calcul par extrapolation et le manque d’hon-
nêteté des agents tout au long du circuit. Ainsi, un d’entre eux déclare
avec ironie que même si les gousses étaient lavees et chargées une par
une, cela n’empêcherait pas d’avoir des abattements. Pour les éviter,
leur conviction est que le seul remède consiste a passer de temps en
temps «graisser la patte ‘3 aux agents du pont-bascule. Selon nos inter-
locuteurs, la tricherie peut aller jusqu’à permuter entre collecteurs I’impu-
tation d’abattement réels. On observe ainsi une certaine attitude de rési-
gnation face au problème jugé techniquement insoluble car selon la
majeure partie des OPS, même lorsque l’abattement n’existe pas en
réalité, il peut toujours être fictivement créé.
Dans quelques cas, la défectuosité des cribles manuels utilisés au
niveau des points de collecte est considérée comme étant un facteur
d’aggravation. A ce propos, l’existence même de l’abattement est une
conséquence logique du fait que les cribles aux points de chargement
soient moins performants que ceux utilisés dans les points de déchargement.
Parmi les facteurs plus rarement soulignés, on peut retenir la nature de
certains sols qui fait que la présence de mottes parmi les gousses soit
parfois difficile à éviter
13

lsru - H-~JDE~ ET DOCUMENTS
VOL.5
Nol
1 9 9 4
Impact de la participation
des OPS dans la collecte
La réadmission des OPS dans la collecte arachidiere est vue par ces der-
niers comme Atant une mesure qui visait a promouvoir les opérateurs
privés nationaux. Toutefois, les pouvoirs publics semblaient davantage
préoccupés d’assainir une filière profondément minée par des pratiques
que favorisait l’ancien système. Sur ce plan, l’arrivée des OPS a permis
de réaliser quelques avancées significatives. Les principaux acquis portent
sur la diminution des pertes qui étaient parfois au voisinage de 10% et qui
sont actuellement aux alentours de 1%. Pour les paysans, certains aspects
de l’assainissement impliquent des sacrifices par rapport l’ancien système.
A ce propos, on peut noter que les coopérateurs avaient l’habitude de
ne pas cribler leurs apports, ce qui se traduisait par d’énormes man-
quants au passif de la collectivité. Dans le cas de 1’0~s qui n’engage que
sa responsabilité individuelle, il y’a une plus forte motivation pour veiller à
la qualité du travail en général et à la propreté des graines en particulier.
Par effet d’émulation, les coopératives ont accompli des efforts signifi-
catifs dans ce domaine en exigeant de plus en plus le criblage systé-
matique des apports.
Partenariat Ops-Paysans
Différences entre nouveaux
OPS
et anciens traitants
En règle générale, les anciens traitants étaient des commerçants locaux
qui faisaient partie intégrante de la communauté dans laquelle ils évo-
luaient en permanence. De ce point de vue, ils se différencient des nou-
veaux OPS au moins sur deux points fondamentaux.
Tout d’abord, on note que bon nombre de ces derniers ne sont pas des
commerçants professionnels, ce qui peut limiter les possibilités de déve-
lopper un véritable partenariat d’affaires avec le monde paysan. Par
ailleurs, nous avons déjà mentionné que seul 1 OPS sur 7 a le privilège
d’opérer au niveau de la localité où il réside. De ce fait, la majorité d’entre
eux sont pour ainsi dire des étrangers dans les zones où ils intervien-
14

kiFtA - &‘UDES ET DOCUMENTS
VOL.5
No1
1994
nent. Cela peut avoir une incidence négative sur leurs relations avec
les communautés locales dont ils ne partagent le cadre de vie que de
façon épisodique pendant la campagne de collecte.
A ces différents facteurs s’ajoute le fait que le monde des anciens trai-
tants était beaucoup plus concurrentiel que celui des 0~s. Ces derniers
sont soumis à une réglementation officielle de nature à limiter la concur-
rence sur le terrain.
On peut aussi noter que l’évolution générale du mode de vie a sensiblement
modifie l’ampleur et la structure des besoins en milieu rural. Ceux lies
directement à la production (intrants, Aquipement) étaient pris en charge
par les pouvoirs publics à l’époque des traitants, ce qui n’est pratiquement
plus le cas aujourd’hui.
Enfin, les conditions naturelles moins favorables par rapport au passé font
que le risque dans l’agriculture pluviale se trouve sensiblement accentué.
Cela réduit d’autant l’enthousiasme des opérateurs privés a s’engager dans
le domaine du crédit sans lequel il n’y a pas de véritable partenariat avec
le monde rural. La vive compétition qui s’exerçait par le biais des facilités
de crédit aux paysans reflétait en partie la concurrence que se livraient
les multiples maisons de commerce qui etaient derrière les traitants. Par
contre, les nouveaux OPS sont tous mandataires d’une seule et même
institution a savoir la SONACOS.
Compétition avec les coopératives
Nous avons souligné que par rapport aux OPS, les cooperatives bénéficient
d’un préjugé favorable de la part des autorités locales pour des raisons
précises. Cela n’a pas empêché l’implantation progressive des OPS qui
ont contrôlé 115 points de collecte dans les régions de Fatick et Kaolack
au cours de la campagne 1990-91. En régie générale, les points attribués
aux Or~s ont été retirés aux coopératives, ce qui crée un certain climat
de tension dans les rivalités sur le terrain.
Au plan géographique, les données recueillies auprès de 240 exploita-
tions agricoles dans notre zone d’étude indiquent que l’éloignement moyen
15

I~RA - ~TIJDES ET DOCUMENTS
VOL.5
Nol
1994
des points de collecte ne reflète pas de distorsions remarquables en
faveur des OPS ou des coopératives. Toutefois, I’evolution a été dans le
sens d’un rapprochement pour les premiers alors que pour les seconds
on a plutôt l’inverse. Pour la campagne 1989-90, 56 % des ventes d’ara-
chide réalisees par ces memes exploitations dans les circuits officiels sont
allés aux coopératives contre 525% l’année suivante. En 1990-91, les
chiffres fournis par la SONACOS indiquent qu’au niveau des régions de
Fatick et Kaolack, 43,3% de la collecte ont été réalisés par les coopéra-
tives. Celles-ci ne cessent donc de perdre du terrain au profit des OPS
dont la part du marché devient plus que proportionnelle au nombre de
points contrôlés. Cela semble paradoxal compte tenu de tous les pro-
blèmes soulignés surtout au niveau du financement. Nos chiffres prove-
nant de données sur les 240 exploitations mentionnées plus haut font
ressortir que le délai moyen de règlement des dépôts est de 16 jours pour
les coopératives et 20 pour les OPS si l’on exclut les cas extrêmes de paie-
ment intervenu en plein hivernage. Des informations fournies par la
SONACOS indiquent cependant que les bons impayés ont été plus fré-
quents au niveau des coopératives par comparaison aux OPS, ce qui
pousserait les paysans a opter pour le moindre mal.
On peut par ailleurs admettre l’hypothèse que l’influence des autorités
locales favorables aux coopératives pèse de moins en moins sur I’atti-
tude des petits paysans a l’égard des 0~s. La position de ces derniers se
trouve renforcée par la disparition des facilités de crédit qui liaient les
paysans aux coopératives. Enfin, les améliorations constatées dans leur
taux d’abattement (0,45% contre 0,68% pour les OPS en 1989-90 à l’usine
de Lyndiane) prouvent qu’en matière de propreté des apports, elles
deviennent même plus sévères que leurs concurrents. Ces derniers
semblent avoir mieux compris que la tolérance sur ce plan est un facteur
non négligeable de compétitivité aux yeux des paysans. Cela peut expli-
quer leur taux d’abattement devenu supérieur a celui des coopératives.
Toutefois, on observe que pour l’usine de Lyndiane, la structure des pertes
de collecte en 1989-90 fait plutôt apparaître un excédent de 0,15% a la
rubrique «déchets de secco >> pour les OPS alors que les coopératives
affichent sur ce poste un déficit de presque 1%. Notons au passage que la
perte globale se chiffrait 0,6% chez les premiers et 1,6% chez les
16

bA - l%JDES ET DOCUMENTS
VOL. 5
No 1
1994
seconds. Ces donnees indiquent que pour mieux concurrencer les coo-
pératives, les OPS sont devenus plus « tolérants » à l’égard du paysan en
ce qui concerne la propreté des apports mais le manque à gagner est
recupéré sur les pesees. Les paysans qui se sentent allégés ne se
rendent pas toujours compte du prix qu’ils paient.
Octroi de crbdlt aux paysans
Dans leur quasi unanimité, les OPS soulignent que sans l’octroi de crédit,
il ne peut exister un véritable partenariat entre eux et la communauté
paysanne. Ce discours ne refléte cependant pas les réalisations effec-
tives dans ce domaine. Pour expliquer le caractère assez timide de
leurs interventions, ils tendent a s’appesantir plus sur le manque de
moyens à leur niveau que sur les considérations liées a ta sécurité des
créances. Le manque d’appui institutionnel est perçu comme étant une
contrainte majeure. A cet égard, la SONACOS est accusée de ne vouloir
s’impliquer que dans le financement de la collecte, laissant 1’0~s à son
sort quant il s’agit de faire face a la demande de leurs partenaires com-
muns que sont les paysans.
Si l’on se limite a la campagne 1989-90, la structure des créances OPS
en faveur du monde rural se présente comme suit :
- Semences d’arachide : 64,0 %
- Argent liquide :
15,4%
- Céréales :
15,l %
- Divers :
5,5 %
Nous avons pris comme base le principal en valorisant les dettes en
nature aux prix courants. Le tout correspond à 24.263.000 fCfa, soit une
moyenne de 1.347.945 fCfa par OPS créancier.
Le crédit-semence concerne ici 41 % des OPS contre 27% pour l’argent
liquide et 24% pour les céréales.
L’evolution de la structure de l’endettement révèle une certaine progres-
sion des semences d’arachide pour lesquelles les OPS sont particuliè-
17

lsm - ~TIJDES ET D~CWAENTS
VOL.5
N*l
1004
rement sollicités. Quelques uns d’entre eux affirment faire recours à la
Caisse nationale de crédit agricole du Sénégal (CNCAS) pour répondre a la
demande de leurs paysans et il y’a même un OPS qui travaille pour cela
avec le Projet autonome semencier (PAS). Pour d’autres, tout laisse
croire que les graines cédées proviennent des «excédents >a réalisés au
pesage c’est-à-dire sur le dos des paysans eux-mêmes.
Quant à l’engrais, on constate qu’il ne figure pas sur les opérations de
crédit Ops. Pour relancer sa consommation, une des stratégies préco-
nisée dans la politique agricole est la mise en place d’un solide réseau
privé de distribution en milieu rural. L’avènement des Ops était a cet
égard considéré comme une bonne opportunité. C’est ainsi qu’en 1987,
une opération-test a été lancée avec ceux d’en?re eux qui se portaient
volontaires pour la distribution. Sans nous attarder sur les détails de cette
expérience ayant fait l’objet d’un document (GAYE, M. 1988), nous rappe-
lons que la moitié des Ops qui résident dans notre zone d’étude y avaient
pris part. Les quantités obtenues sur garantie de la SONACOS ont été pour
l’essentiel cédées aux paysans a crédit car la vente au comptant était
impossible et il fallait se débarrasser des stocks. Suite aux multiples
difficultés rencontrées, ceux qui ont tenté I’experience ne sont plus dis-
posés a s’engager de nouveau.
En 1986-87, 27 Ops sur 39, soit 69% de notre échantillon d’alors ont été
impliqués dans des opérations de crédit en faveur de « leurs paysans >>.
Pour la campagne 1989-90, ces opérations ont concerné à peu près la
moitié des Ops pour un principal réduit de 70% par rapport à celui de la
campagne 1986-87. Cela reflète un recul assez significatif et dans le
même temps, le taux d’impayés est passé de 1,3 a 15,5 % du principal.
Dans l’ensemble, aucune différence n’est observée entre les Ops rési-
dents et les non résidents ni dans l’octroi de crédit ni dans le taux de
recouvrement. Cela peut s’expliquer par le fait que les créanciers non
résidents utilisent généralement des intermédiaires locaux (parents, amis)
placés entre eux et les paysans. Par contre, on note une certaine différen-
ciation par rapport l’activité principale avec une tendance plus marquée
chez les Ops-cultivateurs a donner du crédit. Nous avons souligné que
18

ISRA - ETUDES ET DOCUMENTS
VOL.5
Nol
1994
ces derniers sont en général de gros producteurs vivant avec les pay-
sans qui les sollicitent indépendamment de leur qualité d’Ops.
Conclusion
La réadmission des opérateurs privés dans la collecte des arachides
répondait avant tout à un souci d’assainir cette filière. Sur ce plan, les
résultats se traduisant par une nette diminution des pertes sont loin
d’être négligeables. Quant aux paysans qui étaient pour la plupart nostal-
giques des anciens traitants, l’ère des Ops n’est pas encore celle de la
<< nouvelle donne )>. Les raisons tiennent à de nombreux facteurs dont
les différences dans le contexte institutionnel par comparaison à I’épo-
que des anciens traitants.
Les modalités de financement de la collecte posent de sérieux problèmes
qui pénalisent surtout les producteurs dont l’attachement à l’arachide
s’expliquait entre autres facteurs par les facilités de commercialisation.
Les problèmes de règlement des apports sont à l’origine de certaines
difficultés dans les relations entre la communauté paysanne et les Ops.
La déchéance des coopératives fait que le monde rural devient obsédé
par la recherche de nouveaux partenaires, ce qui constitue une situation
favorable aux Ops. Ces derniers consolident progressivement leur place
en ce qui concerne le contrôle des récoltes arachidières commercia-
lisées.
Par contre, les interventions dans le domaine de l’approvisionnement des
producteurs sont assez timides et accusent même une forte tendance
décroissante. A ce sujet, le simple fait que la collecte soit devenue moins
lucrative suite aux changements des clauses du contrat avec la SONACOS
peut être un facteur déterminant. En effet, la rentabilité de l’opération joue
aussi bien sur les capacités que sur la volonté des Ops à s’impliquer dans
l’appui à la production. Par ailleurs, le volume de crédit fourni à travers les
sections villageoises n’a cessé de se rétrécir. Ainsi, les Ops se voient de
moins en moins contraints de rivaliser avec ces structures coopératives
dans le domaine du crédit pour attirer les producteurs.
19

km - LTUDES E T DOCUMENTS
VOL.5
No
1
1994
Quant aux paysans, ils ne se sentent véritablement liés ni aux coopé-
ratives qui n’offrent plus de crédit facile ni aux Ops qui tardent encore
à répondre aux espoirs que suscitait leur avènement. De ce fait, les
conditions deviennent relativement favorables à l’expansion du marché
parallèle dont il importe de mieux cerner l’ampleur et la dynamique.
Réfërences bibliographiques
GAYE, M. (1988a). Les commerçants .privés~ et l’opération-engrais dans
les régions de Fatick et Kaolack : campagne 1987-88. ISRA, DRSAEA, Note
d’information, Janvier’ 1988.
GAYE, M. (1988b). Le crédit informel en milieu rural sénégalais :
enquêtes dans les régions de Fatick et Kaolack. ISRA, DRSAEA, document
de travail 87-5, Janvier 1988.
GAYE, M. (1990). Les structures coopératives sénégalaises face aux
mutations institutionnelles. CIRIEC, Annales de I’Economie Publique, Sociale
et Coopérative. Vol. 61, no 1/1990.
MINISTÈRE DU DÉVELOPPEMENT RURAL (1984). Nouvelle Politique Agricole.
Mars-Avril 1984.
20