République du Sénégal Ministère de...
République du Sénégal
Ministère de l’Agriculture
Institut Sénégalais de Recherches Agricoles
COLLECTE ET COMMERCIALISATION DU LAIT
ET PRODUITS LAITIERS AU SENEGAL
Maty Ba Diao
Tbrahima Ndiaye
Communication au séminaire
«Réflexion sur un plan de développement
laitier au Sénégal»
Dakar, 2 I-23 octobre 1999

Introduction
La production nationale du lait est estimée à environ 114 millions de litres. Cependant, le flux des
produits laitiers locaux est marginal au sein de la filière en raison d’une forte autoconsommation de
l’ordre de 80 % (Metzger et al. 1995). Le lait provient essentiellement des elevages traditionnels
bovins, caprins et ovins dont la production est faible et saisonnière. La part de l’élevage moderne est
négligeable (4 % de la production locale commercialisée en 1997).
L’offre nationale de lait fait l’objet d’un circuit de commercialisation informel dans sa quasi-
totalité
Les diverses tentatives de modernisation de la production, d’amélioration de la qualité et de
différenciation de produits, entrepris par des groupements de producteurs de type coopératif
avec l’appui de bailleurs de fonds ou par des privés n’ont guère permis d’élargir le champ de
consommation du lait de manière significative, de valoriser le produit “ Made in
SENEGAL”dans le commerce moderne ni d’intéresser la demande solvable sur des bases
pérennes.
Dans ce document sont analyses les circuits d’approvisionnement en lait et produits laitiers locaux
au Sénégal : les flux des produits, les prix, les différents participants de la filière de
commercialisation. Les spécificités régionales seront également mises en évidence.
1. Les flux des produits au niveau national
Il existe de manière schématique trois types de circuit de commercialisation : le circuit
informel, le circuit informel amélioré et le circuit de la distribution moderne. Ces trois circuits
ont des poids relatifs très inégaux au regard des quantités qui transitent dans chacun.
1.1 Circuit informel
Le circuit informel est largement prépondérant car c’est par lui que transite l’essentiel du lait et
produits laitiers faisant l’objet de transactions commerciales au Sénégal : plus de 80 % du lait
commercialisé sont traités par ce circuit. Tout le lait commercialisé par ce canal provient des
exploitations traditionnelles. De plus, atomisé et souple (El Ketrouci, 1994), il permet une
distribution très large vers les consommateurs.
Ce circuit est pris en charge généralement par les femmes Peuls. Elles écoulent l’ensemble de
leur production auprès d’autres femmes ou à des colporteurs qui les revendront en centre ville
(cas fréquent à Dakar). La vente au consommateur se fera soit à des points fixes (marchés,
carrefours) ou bien au porte à porte auprès des clients connus.
Ce circuit n’est pas uniforme et comporte plusieurs variantes qui le rendent en réalité plus
complexe qu’il n’y paraît. En effet, les itinéraires peuvent se croiser, se confondre dans certains
cas et diverger selon la zone géographique considérée. De même la taille, le nombre des agents
les modes de fonctionnement et même les stratégies d’interventions des principaux agents
économiques actifs au sein du circuit peuvent varier considérablement selon les cas.

Quelle que soit la spécificité et le parcours réellement emprunté au sein de ce circuit, les achats
et les ventes se font en vrac. Les opérateurs disposent de leurs propres récipients qui sont
généralement des calebasses ou des seaux en plastique de contenance très variable. Les ventes
se font à l’air libre ou dans des kioques dont les conditions d’hygiène sont douteuses.
1.2 Circuit amélioré
Il s’agit du circuit développé à partir des zones de production ayant reçu un encadrement
technique et un appui en matériel de production et de transformation. Cet encadrement et cet
appui sont généralement le fait d’Ong (VSF à Kolda), de projets issus de la coopération
bilatérale (exemple de Coplait à Dakar, Primoca à sédhiou) avec de plus en plus l’intervention
de professionnels privés.
Grâce à ces actions, des techniques nouvelles tant au niveau production qu’à l’échelle de la
collecte ont été introduites. Cependant à l’intérieur de ce groupe il y a des variantes. Nous en
donnons quelques exemples :
Cas de Copiait dans les Ni-es : Copiait est un GIE d’éleveurs créé en 1985 pour organiser
la production, la transformation et la commercialisation du lait de ses adhérents. Ces éleveurs
disposaient de vaches importées et l’objectif était de vendre aussi cher que possible sur
l’agglomération voisine de Dakar. Hormis les difficultés rencontrées pour pouvoir vendre au
dessus du prix de revient (par suite de la forte concurrence de la poudre de lait importée), les
responsables avaient sous-estimé les problèmes logistiques : le lait est une denrée périssable et
du fait d’une collecte aux horaires approximatifs (difficultés d’instaurer une discipline
sufKsante auprès des éleveurs), du manque de transformation (malgré l’existence d’une mini-
laiterie de 1500 litres par jour), il y eut beaucoup de pertes à la commercialisation. Coplait n’a
jamais pu vendre plus de 150 000 litres de lait alors que la production de 1986 était de 600 000
litres. La structure a ainsi suspendu ses activités depuis 1993.
Les producteurs qui survivent continuent d’approvisionner Dakar, mais la démarche
commerciale reste individuelle. IX lait des élevages est vendu à l’état cru ou sous forme caillée au
niveau des exploitations ou de kiosques individuels installés à Dakar par les producteurs.
Cas des étables laitières péri-urbaines en zone cotonnière : C’est un dispositif mis en place
en 1993 par la SODEFITEX en collaboration avec I’ISRA autour de Kolda, Vélingara et
Tambacouda. Basé au départ sur la supplémentation en saison sèche de femelles lactantes
utilisées en traction animale, ce dispositif a évolué à partir de 1996 avec la mise en place d’une
unité de transformation artisanale de lait frais en lait pasteurisé et caillé par I’ONG VSF.
Aujourd’hui, il en existe 6 : 3 à Kolda et les 3 autres à Vélingara Tambacounda et Kédougou.
Ces unités regroupent chacune 20 à 80 éleveurs pour 100 à 500 vaches. La complémentation
se fait avec la graine de coton vendue par la Sodéfitex aux unités qui à leur tour troque le
produit avec le lait. Ces trois entités, la Sodéfitex, les unités et les éleveurs sont liés par
contrat.
A Kolda en 1998, sur 520 vaches la quantité de lait récolté était de 5 1 6 19 litres pour les 3
unités. Le transporteur ramasse le lait au niveau des éta.bles et l’achemine à vélo au niveau des
unités
Cette filière de collecte rencontre plusieurs problèmes qui ont pour noms : hygiène de la
traite, et de manipulation du lait insuffisante (nombreux rejets après test); problème de stabilité
des produits finis (lié au procédé et à l’utilisation de ferment non standard) , mévente à cause
de la saturation du marché en hivernage, irrégularité dans l’approvisionnement en lait frais
pendant la saison sèche.

Cas de l’unité de transformation de Sansamba : à l’origine, cette unité installée et gérée par
le PRIMOCA produisait du fromage italien. Actuellement, elle est reprise par une organisation
paysannane : la Fédération Communautaire des Agropasteurs de Sansamba (FECAPS).
L’approvisionnement en lait frais (100 à 400 litres par jour) s’effectue à partir des élevages des
membres des groupements. Les produits finis, le fromage, le beurre, le yoghourt et le lait caillé,
sont vendus essentiellement à Dakar et au niveau de certains hotels de Ziguinchor. Les
difficultés sont identiques à celles des unités de transformation artisanale sauf que les fromages
sont plus stables et leur durée de vie plus longue.
Cas des fromageries de chèvre : ce sont de petites unités situées pour la plupart dans la
région de Thiès (Keur Moussa et sur la Petite Côte). De petite capacité 150-200 litres par jour,
ces unites fonctionnent à partir de lait chèvre collecté dans les élevages par taxi ou charrette
par des collecteurs professionnels. Les fromages fi-ais de 200 à 250g sont vendus ensuite au
niveau des hotels de Saly et dans les commerces de Dakar.
Il semble que des possibilités de développement toutefois limitées existent pour ce produit qui
est très prisé par un segment de la clientèle (notamment les expatriés).
1.3 Circuit moderne
- Un exemple de circuit moderne est celui initié par l’usine de transformation Nestlé. Depuis 1991,
cette société a organisé un réseau de collecte de lait h-ais à partir de la zone de Dahra. Le lait est
collecté par des centres mobiles, stocké dans des réservoirs réfrigérés et ramassé par des camions
frigorifiques et transformé à Dakar en lait concentré. Après transformation, les produits suivent le
réseau moderne de distribution (grossistes, demi-grossites, détaillants). Les quantités collectées très
modestes (50 à 150 000 litres par campagne de collecte) ne représentent que 3 à 5 % du lait traité à
l’usine. Ce système est confi-onté à des difficultés liées aux variations saisonnières de la collecte
(pratique de la transhumance en saison séche), aux coûts de collecte et de transfert du lait à Dakar
élevés, à la qualité bactériologique médiocre. Des actions visant à améliorer la production de saison
sèche sont entamées en collaboration avec les partenaires du développement.
- La Soca a intégré l’ensemble de la filière, production-transformation-distribution. De sa mini-laiterie,
sortent du lait caillé, de la crème fraîche et du lait pasteurisé entier ou écrémé conditionnés dans des
emballages type tétrabrik. Elle dispose d’un circuit de commercialisation organisé et très développé au
niveau de la région de Dakar (600 points de vente en 1997). Une certaine régularité dans
l’approvisionnement et la qualité hygiénique de ses produits lui avaient permis de développer une
image de marque auprès des consommateurs et de créer et consolider ses réseaux de distribution.
Malheureusement, cette société connaît des difhcultés depuis quelques mois et risque de dispara&e du
paysage laitier senégalais.

2. Les prix du lait et produits laitiers
2.1. Fomation des pxix du lait local
Les prix de vente du lait local sont très élevés (tableau 1). Ils ne sont pas définis en fonction des coûts
de production mais s’établissent sur le marché en fonction de l’offre et de la demande. Le lait 1ocaI est
rare en milieu urbain il devient par conséquent cher, comme dans beaucoup d’autres pays africains
(Metzger et al., 1995). Le prix du litre de lait caillé Soca (‘700 francs par litre) correspond à une demi-
journée de travail pour un manoeuvre temporaire et une heure de travail pour un agent de maîtrise de
la Fonction Publique Sénégalaise !. La société a misé sur la qualité et la présentation de ses produits
(pasteurisation, emballage) pour atteindre les consommateurs les plus exigeants.
Dans la filière de commercialisation améliorée du lait des elevages traditionnels à Kolda., le producteur
a les marges les plus élevés, à cause de ses dépenses minimales surtout en intrants alimentaires et d’un
prix de vente élevé (tableau 2). A son niveau une diminution du prix du lait devrait être
théoriquement possible, mais à condition que la productivité des élevages soit améliorée surtout en
saison sèche et que la collecte du lait soit assurée en permanence.
Le prix de revient du lait collecté à la porte de l’usine Nestlé est très élevé malgré un prix au
producteur relativement bas ( 130 FCFA/I). De 1087 francs CFA le litre en 1993, le prix de revient du
litre de lait à la porte de l’usine Nestlé est ramené à 270 francs aujourd’hui grâce à un changement de
stratégie. En effet, la collecte durant la saison sèche est supprimée en attendant que le niveau de
production permette des coûts de collecte supportables par la société. Malgré la nette amelioration du
prix de revient du lait collecté, 1 reste toujours plus cher que le lait en poudre importé. Mais, ce projet
répond à une stratégie à long terme de substitution du lait en poudre par le lait local. Donc, en dépit
des difkultés de l’heure, il devrait être poursuivi.
2.2. Concurrence entm le lait local et les produits d’importation
Avant la dévaluation du FCFA, le lait local coûtait à Dakar 3 à 4 fois plus cher que le lait reconstitué à
partir de la poudre et autant ou plus cher que le lait liquide stérilisé importé (tableau 3). L’importation
de produits laitiers à bas prix constituait un des nombreux. facteurs de blocage du développement de la
production locale.
Le doublement du prix des produits à l’importation avec la dévaluation a été accompagné d’une
augmentation de SO à 90% du lait local surtout à Dakar. Seul le lait fiais pasteurisé pouvait (et c’était
limite) concurrencer, au niveau des pnX, le lait stérilisé en importation directe. Mais l’usage de ces
produits étant différent, la substitution ne s’est faite. Une autre contrainte est que le lait liquide a un
pouvoir d’absorption assez limité car n’intéressant principalement que les consommateurs de type
européen les hôtels, les structures institutionnelles et les collectivités. Sur les 7 dernières années,
l’importation du lait liquide n’a porté que sur 1500 tonnes en moyenne par an.
Malgré l’augmentation des taxes, le lait reconstitué à partir de la poudre coûte toujours beaucoup
moins cher que le lait frais local. Cette situation cumuIée à Ia réduction du pouvoir d’achat des
populations, met la production laitière nationale dans une situation difficile.

Conclusion
Les différentes investigations menées ont permis de révéler qu’en ftit il n’y a véritablement qu’un seul
marché : celui du secteur informel; il cohabite avec une niche constituée par les produits importés
distribués exclusivement par fe réseau moderne (supermarchés et supérettes). Entre ces deux circuits il
y a celui amélioré qui est approvisionné par les structures de production ayant bénéficié de
l’encadrement (formation, appui en équipements, introduction de nouvelles techniques / technologies)
des projets de développement, des Ong et autres structures de la coopération bilatérale. Grâce à cette
assistance, ces structures essaient d’obtenir des gains de qualité et de rendement (sans beaucoup de
succès jusqu’à présent) à faire valoriser par le marché. Cette production locale améliorée au plan de la
qualité n’a pas à ce jour un créneau de marché propre.
Dans le cadre de la résolution des contraintes de commercialisation, les actions prioritaires sont :
-
Améliorer la productivité et donc la compétitivité des produits locaux par rapport aux produits
importés ;
-
Améliorer les infkstructures de conservation et de transformation;
-
Améliorer les infi-astructures de commercialisation (routes et pistes) afin de désenclaver les zones
de production.
Bibliographie
El JKETROUCI A., 1994. L’approvisionnement de ia ville de Dakar en produits laitiers.
Mémoire DESS, CIRAD-EMVT, 95 p.
METZGER R., CENTRES J.M., THOMAS L., LAMBERT J.C., 1995. L’approvisionnement
des villes africaines en laits et produits laitiers.
Etude FAO Production et santé animale, 124, 102 p.

*
c
Tableau 1 : Prix de quelques produits laitiers locaux - Août 1997
r- PRODUITS
Lait cru ou Lait pasteurisé Lait
caillé
caillé
SOCA
SOCA
Prix producteur
consommateur
450
650
700
revendeur
400
600
650
Vente à Dakar
500
650
700
_.
source : résultats d’enquêtes
Tableau 2 : Estimation des gains de diffiérents acteurs dans la filière lait local à Kolda (1998)
Gains FCFA/l
Producteur
51,4 à71,4
Berger
2
Transporteur
1 9
Transformateur
30
commerçants
25
Tableau 3 : Evolution des prix à la consommation de certains produits laitiers à Dakar (FCFAhtre
équivalent - lait)
PRODUITS
1993
1994
1995
1997
1 Lait en poudre vrac
I
1
I
/
Lait liquide UHT
370 1
625 1
650 1
700
Lait concentré non sucrk
296
490
615
808
Lait caillé Soca
440
585
635
700
Lait pasteurisé Soca
395
515
555
650
Lait caillé t. traditionnels
350
425
500
500
Yaourt
870
1482
1560
1800
source : résultats d’enquêtes