RECHERCHE PARTICIPATIVE ET DEVELOPPEMENT DES CAPACITES ...
RECHERCHE PARTICIPATIVE ET DEVELOPPEMENT DES CAPACITES
D'INNOVATION DES ELEVEURS : UNE STRATEGIE POUR AMELIORER LA
PRODUCTION LAITIERE DE SAISON SECHE DANS LES SYSTEMES
AGRO-PASTORAUX DE LA ZONE COTONNIERE DU SENEGAL
P a r
Adama Faye
Chercheur Leader
CRZ/ISRA/Kolda
Résumé
Le lait et ses dérivés constituent la principale source
de protéine d'origine animale pour les populations de cette zone
cotonnière sub-humide du Sénégal. C'est pourquoi la forte baisse
de la production observée en saison sèche chaude, représente un
véritable manque à gagner. A fin de remédier à cette situation,
le centre de recherches zootechniques de Kolda et la Société de
Développement des Fibres Textiles chargée de l'encadrement des
producteurs de coton ont mis en place un programme de recherche-
developpement.
La participation effective des éleveurs a été
reconnue indispensable dès le début et la démarche mise en oeuvre
en a fait un objectif prioritaire.
Les résultats obtenus, dans le cadre des étables laitières,
confirment la justesse de cette option méthodologique et
révèlent, en se basant sur les performances réalisées,
que
l'amélioration de la production est un objectif réaliste. Le
renforcement en cours
des
capacités
institutionnelles
des
producteurs est une condition indispensable.
Mots-clefs :
lait, zone cotonnière, saison sèche chaude,
recherche-développemnt, participation,
éleveurs, renforcement capacités
institutionnelles.
Abstract
Introduction
L'élevage est l'une des principales composantes des systèmes
de production de la zone cotonnière du Sénégal. Les bovins par
leur nombre et leurs fonctions occupent une place determinante
dans cet élevage. Cependant, les modifications récentes du milieu
liées ci la baisse de la pluviométrie ont contribue a la reduction
de l'offre fourragère en accentuant le déficit alimentaire de la
saison sèche. Une des conséquences majeures de ces changements
est la suspension ou l'allégement de la traite des femelles en
lactation pendant cette saison.

L'importance du lait pour l'autoconsommation des familles
paysannes et
les
opportunités
de génération de
revenus
additionnels grâce à la commercialisation d'une partie de la
production expliquent l'intérêt que la recherche accorde à cette
question.
Cependant, il estgénéralementreproché aux éleveurs d'être
apparemment indifférents aux techniques d'alimentation qui leurx
sont proposées pour améliorer la productivité de leurs cheptels.
Ainsi, de nombreux systémes d'alimentation élaborés par les
chercheurs pour faire face aux problèmes de ces élevages sont en
bonne partie écartés.
L'implication
des
agro-pasteurs
pour
la mise en
oeuvre
d'innovations devant se substituer à leurs pratiques s'avère pour
autant indispensable.
Nous faisons ainsi l'hypothèse qu'en
réussissant cette implication et en amenant les producteurs à
saisir les
opportunités
du marché grâce à une meilleure
organisation, ils pourront s'approprier des technologies qu'ils
contribuent à identifier.
Quel est le contenu de cette implication ? Par quelle démarche
peut on la prendre en charge ?
La présente communication fait état d'une expérience en
cours dans la zone cotonnière du Sénégal en insistant sur :
i) le rôle des producteurs dans le dispositif de recherche pour
la conception et la mise en oeuvre de nouvelles strategies de
production,
ii) le renforcement de leurs aptitudes pour la
maîtrise du processus de changement initié, iii) les résultats
obtenus et iv) les leçons et les perspectives de consolidation
des acquis de cette approche.
Potentialités et contraintes de la production laitière
dans les systèmes agraires de la zone cotonnière sud
L'actuelle
zone
d'expansion
de la culture
du coton
correspond essentiellement à deux grandes entités historiquement
distinctes : Le Fouladou ou Haute Casamance et le Sénégal
Oriental situees toutes deux dans la partie méridionale du pays.
La disponibilité de terres arables, la pluviométrie relativement
bonne et la souplesse des systèmes agraires par rapport au pays
manding et diola à l'ouest y ont favorisé l'implantation de cette
culture.
L'arachide d'abord et le coton plus récemment ont modifié les
anciens systèmes de culture et le paysage agraire avec le
défrichement progressif du plateau pour l'extension des cultures
sèches.
La localisation des premiers villages à proximité des
axes de drainage saisonnier, des bas-fonds inondables ou de
simples cuvettes d'accumulation en nappe à peine sensibles dans
la topographie serait lice à la place faite a la riziculture par
les premiers occupants (Pélissier, 1966).
2

L'élevage, avec près de 650.000 têtes de bovins, 1.5OO.ooo
petits ruminants et quelques dizaines de milliers d'équidés
conserve une place remarquable dans ces systèmes agraires. Il
subit par ailleurs les conséquences de la restriction progressive
de son espace initial, de la dégradation du couvert vegétal, du
tarissement précoce des mares et de la simplicité des conditions
techniques traditionnellement établies.
La production laitière, quasi exclusivement assurée par ce
troupeau bovin dont les femelles lactantes forment chaque année
entre 25 et 30% de l'effectif, est très affectée par cette
nouvelle situation particulièrement critique en saison sèche
chaude. En effet, le comportement des agro-pasteurs de la zone
ne témoigne pas de véritables stratégies locales de rupture avec
des pratiques de moins en moins efficaces dans un cadre de
production fortement modifié. La grande majorité du troupeau
reste
entièrement tributaire des variations naturelles et
anthropiques de la biomasse qu'elle exploite comme aliment.
Ceci se traduit au niveau de l'animal par une régression de
certaines fonctions de production. Tel est le cas du lait pendant
la saison sèche chaude quand les pâturages post-culturaux sont
épuisés et le tapis herbacé des sous-bois détruit par les feux.
Développer des alternatives stratégiques avec les éleveurs
dans le cadre d'un dispositif de recherche collaborative
Les propositions de techniques de supplémentation faites
depuis longtemps aux éleveurs par les services d'encadrement sont
demeurées sans échos. Il est ainsi apparu que c'est seulement
avec la volonté de ces populations de s'inscrire dans une
nouvelle dynamique agraire en harmonie avec leurs objectifs et
leurs capacités, qu'on peut promouvoir des innovations techniques
et organisationnelles permettant d'accroître efficacement la
productivité agricole.
Pour ce faire il faut, comme le suggèrait Farrington (1988),
aller au delà de la philosophie du Vransfert de technologies"
pour développer des méthodes basées sur l'implication des
producteurs et leur interaction avec les chercheurs et les autres
intervenants.
Cette option est celle mise en oeuvre par le centre de recherches
zootechniques de Kolda pour améliorer la productivité du cheptel
bovin en général et spécifiquement la production laitière dont
il s'agit dans cet exposé.
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Les étables fumieres : d'un concept technique à une
stratégie de recherche-développement
L'amélioration de l'habitat et la supplémentation ou
l'affouragement à l'auge d'une catégorie d'animaux entretenus au
carré pour une période de l'année afin d'accroître entre autres,
la production de fumier, ont donné lieu au concept d'étables
fumières.
La proposition
sans
succès de cette
innovation
technique aux agro-pasteurs sénégalais du bassin arachidier
remonte à plusieurs dizaines d'années (Hamon, 1972).
Ce n'est qu'à partir de 1985 que la Société pour le Développement
des Fibres Textiles (SO.DE.FI.TEX.) a repris l'idée dans le but
d'infléchir la tendance
à la baisse de la fertilité et
l'entretien des animaux de trait dans les systèmes de cultures
céréales/coton/arachide.
La collaboration entre cette société
d'encadrement et le centre de recherches zootechniques de Kolda
(CRZ/K) a permis de faire évoluer la stabulation du concept
technique à une veritable
stratégie d'intensification des
productions animales et d'intégration agriculture-élevage. Les
contours d'un programme de recherche-d6veloppemer-k ont été ainsi
définis.
Le contenu s'est précisé avec l'implication des producteurs dans
l'identification des priorités et des strategies de production
ensuite par l'évaluation des innovations techniques disponibles.
Les outils et les mécanismes de la participation des
différents acteurs
Pour donner ce contenu au cadre initial, il a fallu definir
d'abord les outils et les mécanismes de participation et
d'interaction
des
acteurs
que
sont
les
producteurs, la
SO.DE.FI.TEX et le CRZ.
Les outils méthodologiques utilisés ont qualitativement évolué
dans le temps allant des enquêtes classiques informelles et
formelles au diagnostic participatif au niveau village.
Des ateliers annuels de programmation et d'évaluation réunissant
tous les acteurs ont été instaurés.
C'est par cette voie que la perception initiale du rôle des
étables mettant en avant la production du fumier et l'entretien
des animaux de trait a été modifiée. Un système de définition des
stratégies de production et des caractéristiques des technologies
à tester a été adopté. En fonction de la localisation des
villages par rapport aux ressources fourragères accessibles
(sous-produits agricoles, pâturages naturels) et par rapport aux
centres urbains représentant des marchés potentiels,
trois
stratégies ont été définies:
- la production laitière en priorite dans les zones où
la demande en lait-et dérivés est forte;
- les ateliers d'embouche paysanne dans les zones à
forte disponibilité de pailles de céreales (riz dans
les périmètres rizicoles, maïs, sorgho, fanes);
- la production mixte lait pour l'autoconsommation et
viande.
.4

Dans toutes ces options l'entretien des animaux de trait et
la production de fumier demeurent des priorités en tant que
facteurs d'intégration avec l'agriculture.
Le dispositif expérimental comprend ainsi :
- 13 villages formant des sites de production laitière
autour des villes de Kolda (4), de Vélingara (3) et
de Tambacounda (6) ;
- 4 villages avec mixte lait, embouche, travail.
L'importance qu'ont revêtu les étables laitières dans ce
dispositif se justifie par l'accent que les éleveurs ont voulu
mettre sur le lait. La commercialisation d'une partie de la
production permet en fait de couvrir les besoins en intrants dont
la graine de coton, principale source de supplémentation.
Cette possibilité de générer chaque jour de la trésorerie pouvant
supporter les dépenses courantes de la stabulation est un atout
de la production laitière.
La sélection, à partir du troupeau, du noyau de femelles
mises en stabulation, le choix du type de fourrage utilisé dans
la ration et du modèle d'étable relèvent de la décision de chaque
éleveur. En revanche, ce dernier est aidé par les chercheurs pour
évaluer son option avant sa mise en oeuvre. Le nombre de vaches
est ainsi défini en fonction de la production attendue, des
besoins
d'autoconsommation et
de vente et
des
réserves
fourragères accumulées.
Dans certains villages, le contrôle laitier entre les passages
tous
les quinze
jours
des
chercheurs
et des
agents de
l'encadrement, est effectué par un des éleveurs alphabétisés en
pular.
Ces différentes attributions de l'éleveur dans le processus
d'innovation et les ateliers paysans, réunissant les pratiquants
de la stabulation provenant des différents villages avec des
expériences très diversifiées,
sont autant d'outils
et de
mécanismes de participation pour la maîtrise d'un tel processus.
Le renforcement des capacités institutionnelles
des éleveurs : un gage d'appropriation du processus
d'innovation
Il est généralement reconnu aujourd'hui que le véritable
progrès sur
le chemin du développement pour la multitude
d'exploitations agricoles à faible capacité d'investissement ne
sera pas un simple fait technique.
Toutes les approches qui ont mis en avant cet aspect du probleme
ont restreint leurs chances de succès.
5

Pour ce cas de promotion de la production laitière, le
renforcement des capacités organisationnelles des éleveurs est
apparu fondamental.
La commercialisation du lait, l'approvisionnement en intrants et
la constitution de réserves fourragères sont autant d'activités
dont la réalisation exige une nouvelle perception des relations
de
production
entre
éleveurs et
avec
l'environnement
institutionnel.
Il a été
ainsi
ressenti la nécessité de
s'associer pour organiser le transport quotidien du lait vers des
points de vente situés à plus de dix kilomètres, pour acquérir
collectivement des intrants et parfois pour constituer des
réserves de fourrage.
C'est surtout au niveau de la commercialisation du lait que
ce besoin s'est fait sentir. Les chercheurs et les agents de la
SO.DE.FI.TEX ont aidé les éleveurs à mettre en place un système
de commercialisation à titre expérimental.
Avec ce système, les éleveurs proches de Kolda disposent d'un
point de vente dans le centre de recherche. Ceci leur fait
bénéficier du réseau de clients que le centre a su entretenir
avec sa propre production.
Ailleurs, ils ont été mis en contact par la SO.DE.FI.TEX avec la
majorité de leurs clients.
Les deux structures
ont donc joué un rôle déterminant de
facilitateur tout en réalisant à plusieurs égards un test sur :
- la configuration de la demande de lait dans
le temps;
- les rapports pouvant s'établir entre les éleveurs et
les clients (contrats, conflits );
- les problèmes techniques (qualité du lait).
Les deux années de mise en place de ce systeme ont été
édifiantes quant aux limites organisationnelles et les capacités
des éleveurs à s'insérer dans la dynamique du marché. Nous
reviendrons sur cette question.
Résultats techniques et acquis méthodologiques de cette
expérience de recherche participative
Les performances biologiques réalisées dans le cadre des
étables laitieres de cette zone ont trait au comportement
pondéra1 du couple mère-veau, aux intervalles entre-vêlages et
à la production de lait. Les effets de la stabulation se
*
sont révélés hautement significatifs sur ces variables (Fall et
Faye , 1992 ; Diaw , 1994). Lé gain de poids de veaux allaités
par des vaches en stabulation ont une vitesse de croissance 3 à
5 fois supérieure à celle de ceux dont les mères sont en système
traditionnel. Alors que les vaches hors etable connaissent une
forte
mobilisation
des
réserves
corporelles,
celles en
stabulation réalisent des gains de poids journaliers de
50 à 80 g.
6

Le raccourcissement de l'intervalle entre-vêlages est un autre
avantage de cette stabulation. La production laitière varie pour
les vaches mises à l'étable de 1,5 à 2,5 litres alors qu'elle
atteint à peine 500 ml chez les femelles en extensif.
Les performances
économiques
sont plus
nuancées
car
dépendantes de plusieurs variables dont les plus sensibles
sont : le potentiel des animaux, le modèle d'étable (cimentée ou
non cimente), le niveau d'utilisation de la graine de la graine
de coton, la quantité de lait commercialisée et le prix de vente.
Deux types d'analyse ont été effectués :
- l'analyse de trésorerie
- et l'analyse économique par les budgets partiels.
L'analyse de trésorerie répond au souci de vérifier la capacité
des étables laitières d'assurer la couverture des charges
courantes qui, pour la majorité des éleveurs, représentent un
obstacle de taille pendant la période considérée.
Le solde de trésorerie correspond à la différence entre les
recettes et les dépenses qui sont essentiellement constituées par
l'achat de graine de coton et les produits vétérinaires utilisés
(Diaw, 1994).
Le solde moyen obtenu est de 494 FCFA/vache pour la durée de la
stabulation (4 à 5 mois). Les variations observées sont surtout
fonction de l'autoconsommation et de la productivité.
Pour l'analyse économique,
la marge de référence est la
différence entre les gains additionnels totaux et les charges
totales additionnelles (Fall et Faye, 1992 ; Diaw, 1994).
La moyenne ainsi calculée par Diaw (1994) est de 29922 FCFA par
vache en stabulation pour la durée indiquée. Ce calcul, faute de
données suffisantes,
n'a pas tenu compte de la valeur du
raccourcissement de
l'intervalle
entre-vêlages et du
l'augmentation du taux de survie des veaux et des mères.
Tous ces avantages justifient l'intérêt des éleveurs pour la
stabulation.
Sur le plan méthodologique, cette expérience consolide la
démarche participative adoptée par les chercheurs du CRZ et leurs
partenaires. Les outils utilisés comme les ateliers paysans sont
devenus des instruments du processus de génération et d'adoption
d'innovations.
L'echange
d'experiences et
de technologies
modifiées par les producteurs, l'identification des limites des
technologies qui leur sont proposees et la caractérisation des
nouvelles techniques à tester s'inscrivent parfaitement dans ce
schéma de recherche.
7

Quelles leçons et quelles perspectives pour cette démarche
dans la stratégie de recherche ?
Cette
expérience a
été un
véritable
processus
d'apprentissage pour l'ensemble des acteurs. En effet, ils ont
pu mesurer leur synergie au détriment des préjugés, des méfiances
réciproques et des équivoques sur les capacités et le rôle de
chaque partie. Il est apparu que si les producteurs connaissent
bien leur
système de production,
ils
maîtrisent
mal
les
opportunités qu'ils peuvent mettre à profit et les stratégies à
mettre en oeuvre. C'est pourquoi le renforcement de telles
capacités est un enjeu majeur. Une autre leçon est relative à
l'importance qu'il faut accorder à la diversité de la réalité
paysanne afin d'offrir un éventail de technologies pouvant
laisser un choix aux utilisateurs.
Les chercheurs doivent
s'inscrire dans une logique d'aide à la prise de décision, ce qui
suppose qu'ils proposent des possibilités d'options.
La consolidation de la démarche participative selon le
schéma ci-après constitue un élément de la stratégie de recherche
du CRZ dans la zone. Le cadre ainsi défini doit permettre
d'améliorer le système de collaboration entre differents acteurs
et d'harmoniser leur intervention.
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