ETIOLOGIE DES KERAl-OCONJONCTIVITES DES BOVINS ...
ETIOLOGIE DES KERAl-OCONJONCTIVITES
DES BOVINS
RECHERCHE DE MORAXELLA CHEZ LES
TAURINS NDAMA DU SENEGAL
Par M. KONTE
R E S U M E
L’auteur cherche à déterminer l’existence de la kératoconjonctivite infec-
tieuse à Moraxella bovis chez les taurins sénégalais.
L’étude est faite en saison sèche puis en saison des pluies. Les prélève-
ments sont effectués uniquement sur les animaux porteurs de kératoconjoncti-
vite ou de larmoiement intense avec photophobie.
L’observation clinique fait état d’une symptomatologie multiforme, affec-
tant 3,7 p.100 des effectifs en saison’ sèche et 2,27 p.100 en hivernage.
L’analyse bactériologique ne revèle à aucun moment Moraxella bovis ; par con-
tre, Acinetobacter calamcetïcus est mis en évidence dans 8,9 p. 100 des cas
cliniques en saison sèche et 1 ,lO p. 100 en hivernage ; le germe ne manifeste
pas de pouvoir pathogène expérimental et serait simplement saprophyte,

I N T R O D U C T I O N
En novembre 1985, des éleveurs signalent un foyer de “maladie des yeux”
dans le village de Baty, département de Vélingara, région de Kolda, affectant
essentiellement les veaux. Les commémoratifs fournis font état d’un processus
contagieux caractérisé par un larmoiement intense suivi rapidement d’une opa-
cification cornéenne rendant aveugle les jeunes. Plus de 50 p. 100 des veaux
du village sont ainsi atteints. Les lésions auraient régressé au sortir de Ilhiver-
nage. Des guérisons rapides auraient été obtenues grâce à une application
locale de sucre en poudre dans l’oeil malade.
Le service de Bactériologie du LNERV interpelé, s’est attelé à la recher-
che systématique de MoraxMa bovis, l’agent bactérien incriminé au premier
chef dans la kératoconjonctivite infectieuse des bovins (3), même si, comme le
dit WILCOX (5), celle-ci n’est ni une entité clinique, ni une entité étiologique.
L’étude a concerné d’abord le foyer en question puis s’est étendue a
l’ensemble de la zone d’élevage du taurin Ndama au sud du pays. Elle s’est
déroulée en deux phases, en saison sèche d’abord (janvier à mai 1986) puis
en saison des pluies (juin à septembre 1986), en rapport avec les caractéris-
tiques épidémiologiques de la maladie (3).
Les zébus Cobra, autre composante du cheptel bovin sénégalais, feront
l’objet de recherches identiques en 1987.
MATERIEL ET METHODES
Animaux
II s’agit de bêtes de race Ndama, la seule bien adaptée au domaine bio-
climatologique du Sud Sénégal.
Pour chacun des 6 départements que compte la région naturelle de la
Casamance (voir carte), quatre à cinq troupeaux sont visités. Les prélève-
ments sont effectués uniquement sur les animaux présentant des symptômes
caractéristiques : kératite, kératoconjonctivite, conjonctivite, ou simplement,
larmoiement intense avec photophobie.
. . . / . . .

- 2
Au préalable, des informations sont recueillies auprès des éleveurs, en
manière d’épidémiologie analytique sommaire, liées aux catégories d’animaux
touchés, aux circonstances d’apparition, d’évolution et de disparition des mani-
festations cliniques.
Milieux de culture et de prélèvements
Pour l’isolement et l’identification d’espèces de la famille des Neisseriaceae,
nous avons sélectionné les milieux suivants : gélose nutritive ordinaire, gélose
au sérum de cheval, gélose au sang de cheval, sérum coagulé. Nous avons en
plus utilisé une plaque API (API- E) pour une étude précise du profil bio-
chimique. Le matériel de prélèvement est classique.
Méthodes
- Sur le terrain
___--------mm-
Sur l’animal contentionné, on effectue un écouvillonnage du cul-de-sac
conjonctival des deux yeux, séparément. La présence ou l’absence de vers
parasites du genre Thelazia est notée (2).
Sous la flamme d’un camping-gaz, l’écouvillon chargé de larme est séparé
de sa tige aux ciseaux et reçu directement dans un tube contenant le milieu
de transport et d’entretien. Le tube est recouvert de papier aluminium par
dessus le coton cardé, et maintenu à la température ambiante (autour de 28OCI
sur un portoir.
- Au laboratoire
___----___----
Les milieux de transport ensemencés sont placés à l’étuve réglée à 32OC
(température optimum de culture pour lkrax6?lla) pendant 24 heures.
L’isolement puis la culture en souche pure sont effectués sur gélose-
sérum,
l’identification nécessite les autres milieux solides, la gélose au sang
notamment, ainsi que les plaques API.
La bactériologie est essentielle dans ce processus d’identification.
. . . / . . .

Q
-
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1. ,9.&& R-04 . _<’ .

- 3
RESULTATS
Tous les troupeaux présentent à des degrés divers des symptômes mais
en général la proportion d’animaux atteints est assez faible (3,7 p. 100 en
saison sèche, puis 2,27 p. 100 en hivernage).
J. NICOLLET et W. BUTTIKER, en Côte d’ivoire (4) ont fait des obser-
vations identiques. La symptomatologie est multiforme. Toutefois, dans le
département de Sédhiou; surtout, les formes “anciennes” (à opacification cor-
néenne) semblent dominer.
Trois tableaux répertorient les signes cliniques observés et leur propor-
tion respective au cours des deux campagnes.
II ressort ainsi du tableau I que dans le département de Ziguinchor ,
toutes les formes cliniques sont présentes et que la morbidité (4,5 p.100) est
relativement importante. Cette apparente homogénéité de la distribution est
notée aussi à Qussouye qui affiche le plus fort taux de manifestations cliniques
(7 p. lOO), ainsi qu’à Sédhiou où cependant les formes débutantes prédominent,
et les jeunes particulièrement touchés, quelle qu’en soit I’étiologie par ailleurs.
Dans le département de Kolda aussi, l’incidence est plus marquée chez
les jeunes.
Vélingara est la zone où existe le plus de kératites, surtout chez les
veaux.
Par ailleurs, il faut noter qu’en général les troupeaux sont massivement
infestés par les tiques et que les hémoparasitoses et les helminthoses diges-
tives sont fréquentes.
Au total, on enregistre un mauvais état général chez nombre d’animaux
malgré la persistance d’une bonne valeur nutritive des pâturages naturels.
De l’avis général des éleveurs, les manifestations de kératoconjonctivites
ont surtout lieu en hivernage et touchent essentiellement les jeunes.
Cependant des cas sporadiques existent tout le long de l’année.
. . . I . . .

Tableau no 1
: Tableau clinique des lésions occulaires observées
en saison sèche (janvier - mai 1886)
.Manifestations cliniques
Total cas
% Positifs
Localités
Effectifs des
iota1 cas
Positifs/
troupeaux
cliniques
positifs à
Morbiilité
Kératites +
Acinetobacter
cas cliniques
/ effectifs
Thélazia
Kératites
Conjonctivites
-troupeaux
Larmoiement
Ziguinchor
400
(3A 6j 3V+)
f4A 6j 2V)
(4A 6 2V+)
18
;
3
475
16,6
0,75
Oussouye
200
i
(2A+5
8
j 3v+)
v+
14
3
7
21;4
195
Bignona
300
CL.4 3
+ 2v>
1
A
4
V
8
0
2,66
0
0
Kolda
600
1
A
2V
(4A 20

16V)
23
0
;
3,83
0
0
I
Sédhiou
700
(l-4 3j 2V)
(IA ;1v>
14V
19
1
2,7
5,26
0,42
Vélingara
500
0
16
3
(8A ; SV>
V
19
2
398
1035
034
TOTAL
14
55
Casamance
2 700
(7A j 7V+)
(16z2 16V+)
(8~
47v+j
101
;
9
j
337
8,9
0,33
A = Adulte'
V = Veau
+ = Positifs à Acinetobacter
I
J=

Tableau no 2 : Tableau clinique des lésions occulaires observées
en saison des pluies (juin - septembre 1986)
Manifestations cliniques
Total cas
Total cas
Localités
Effectifs des
positifs à
Morbidité
Positifs/
% Positifs
troupeaux
c l i n i q u e s
cas cliniques
/ effectifs
Acinetobacter
troupeaux
Kératites +
Kératites
Conjonctivites
Thélazia
Larmoiement
Zigsuinchor
450
0
6
(3A ; 3V)
1
A
7
0
1,55
0
0
1
4
Our;souye
3 5 0
V
C3A
IV>
A
7
;
0
2
0
0
Bi.i gnona
2 0 0
1
A
1
A
(lA : IV)
4
0
2
0
0
Ko:Lda
O?s
2
3
4 0 0
V
v+
6
3
195
5 0
0,75
Sé<ihiou
3
11
3 0 0
0
(2A ; EV)
v+
14
2
4,66
14,28
0,66
Vél Lingara
1 5 0
0
0.A 4 3V)
0
4
0
2,66
0
0
TO1CAL
3
1 9
Casiamance
1 8 5 0
( I A ; 2v+j
; lOV>
(4A
15v+j
4 2
5
j
2,27
1,19
0,27
:
A = Adulte
V = Veau
P = Positifs à Acinetobacter
I
WI

Tableau no 3 : Tableau clinique des lésions occulaires
Résultats généraux pour l'année 1986
Localités
Effectifs des
Manifestations cliniques
Total cas
Total cas
% Positifs
Positifs/
troupeaux
cliniques
positifs à
Morbidité
cas cliniques
/ effectifs
Kératites +
Acinetobacter
Thélazia
Kératites
Conjonctivites
troupeaux
Larmoiement
Ziguinchor
425
6
6
5
(3A ; 3v+)
(4A ; 2V)‘
(3A ; 2v+)
17
3
4
17,6
097
kssouye
275
CL4 : IV)
(3A+5
10
j 2v+)
(2-4 ; 8V+)
17
2
6,18
-11576
097
Bignona
250
4
1
4
(2A ; 2V)
A
CL4 ; 3V)
9
0
396
0
0
<olda
500
2
2
17
. . v+,
V
(4A ; 13v+1
21
3
4,2
14,2
0/6
Sédhiou
500
3
3
14
(IA ; 2V)
(IA ; 2V)
v+
20
2
4
10
094
Jélingara
325
0
15
3
(7A j 8V+)
V
18
2
595
11,ll
036
COTAL
17
:asamance
2 275
(7A ; lov+)
(16:: ; 16V+)
; 43v+.
102
12
4,48
11,76
0,52
A = Adulte
V = Veau
+ Positifs à Acinetobacter

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Un nombre important de bovins adultes présentent une opacification
cornéenne permanente. II n’est pas rare non plus que les veaux déjà atteints
fassent des rechutes multiples.
L’association kératite - thélaziose est souvent notée, un peu plus rare-
ment cependant en hivernage.
Bactériologie
L’analyse bactériologique des prélèvements n’a, à aucun moment, révélé
une moraxelle, même si certains foyers de kératoconjonctivites revêtent une
allure contagieuse. Cependant, entre autres germes classiques de cette niche
écologique, une bactérie de la même famille que Moraxella est révélée ; il s’agit
de l’espèce &inetobac%er c&oaceticu~ MF, Iwoffi .
Un bouillon de culture pure de ce germe est utilisé chez le veau et le
lapin (métis Papillon) en instillation sous-conjonctivale répétée, sous un volume
de 0,2 ml. Aucune lésion occulaire n’est provoquée. De même, une injection
intra-abdominale de 1 ml d’une culture totale de 24 heures chez la souris
blanche reste sans effet.
Au total, il faut retenir d’une saison Ct l’autre, une * régression de la mor-
bidité (de 3,7 à 2.27 p. 100) et une diminution du nombre d’isolement d’kine-
t.fhcter.
DISCUSSIONS
L’essai de mise en évidence de Moraxella bovis chez les taurins Ndama
n’a pas été concluant. Dès lors, l’éventualité d’une résistance naturelle de
ces animaux vis-à-vis de ce germe ou d’une inadaptation des techniques d’iso-
lement peuvent être évoquées. Les recherches ultérieures s’orienteront dans
ce sens.
. . . / . . .

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Les Açinetdalte F rencontrés sont dépourvus, du point de vue expéri-
mental, de tout pouvoir pathogène et ne révèlent aucune toxicité en culture
sur milieux artificiels. Ceci confirmerait le caractère saprophyte du germe (3).
Cependant, il n’est pas exclu qu’il puisse se révéler potentiellement pathogène
par suite de mutation sous l’influence de facteurs tels que les rayons ultra-
violets, comme cela a été constaté avec les moraxelles (1 ), ou simplement
après pénétration à la faveur de lésions microscopiques de la cornée dues à
des agents mécaniques les plus divers.
Au Sud du Sénégal, en zens soudanienne et soudano-guinéenne, RBoraxella
bovis, agent de la kératoconjonctivite des bovins, n’a pu être mis en évidence.
Par contre, une bactérie voisine, du genre AGnetobaLte I” a été isolé pour la
première fois. Toutefois, ce germe peut être considéré comme saprophyte,
sans lui dénier un caractère pathogène potentiel, faute d’avoir pu identifier
l’ensemble des micro-organismes associés et les autres causes possibles de
kératoconjonctivite.
Des études sont poursuivies à cette fin.
REMERCIEMENTS
Nous tenons à remercier les Docteurs Vétérinaires Baba KAMARA et
Ibrahima DAT, chefs des services régionaux de Ziguinchor et de Kolda, res-
pectivement, ainsi que les Docteurs Vétérinaires Mamadou MBAYE, Directeur
du Centre de Recherches zootechniques de Kolda, et Cheikh BOYE, chercheur
au C. R.Z. de Kolda, pour l’aide qu’ils nous ont apportée dans l’organisation
pratique de notre mission.
Nos remerciements vont aussi à l’ensemble des chefs de services départe-
mentaux pour leur aimable collaboration.

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B I B L I O G R A P H I E
1 - HUCHES (D.E.); PUGH (G.W.) and Mc DONALD (T.J.) - Ultraviolet
radiation and &&axella bovis in the etiology of bovine infections kerato-
conjunctivitis. Am. J. Vet. Res., 1965 (26) : 1331-1338.
2 - KONTE (M.) - Traitements expérimentaux de la Thélaziose occulaire des
bovins en Basse-Casamance. Rapport de mission dans le département de
Ziguinchor du 23 mai 1972 au 5 juin 1972. LNERV, Dakar, 1972.
3 - LE CAN (J.) - Les affections à hioraxella des animaux. Thèse Doctorat
vét.,
Alfort, 1971, no 79.
4 - NICOLET (J.) et BUTTIKER (W.) - Observations sur la kératoconjoncti-
vite infectieuse des bovins en Côte d’ivoire. I - Aspects microbiologique
Rev. Elev. Méd. Vét. Pays trop., 1975, 28 (2) : 115-124.
5- WILCOX (C.E.) - Infectious bovine keratoconjunctivitis : a review.
Vet. Bull., 1968, 38 (6) : 349-360.