Rev. Elev. Méd. vét. Pays trop., 1978, 31 (4) :...
Rev. Elev. Méd. vét. Pays trop., 1978, 31 (4) : 411-415.
A propos d’un nouveau cas de botulisme hydrique
de type D survenu au Sénégal.
Considérations étiopathogéniques
par M. P. DOUTRE (*) et B. TOURE (**)
R É S U M É
Un nouveau foyer de botulisme hydrique de type D, dû à la présence du
cadavre d’un chat dans un puits, est apparu au Sénégal, dans la région de
Diourbel, provoquant la mort de 7 chevaux, 2 ânes, 5 moutons et 1 chèvre. La
souche en cause est isolée du foie d’un cheval. Dans la discussion, les auteurs
insistent sur le rôle que doit jouer la sécheresse dans la répétition des cas de
botulisme hydrique en zone d’élevage extensif sahélo-soudanienne. Un schéma
général étiopathogénique est proposé.
Au cours de la seconde quinzaine de mars
l’origine éventuelle, liée à la sécheresse, de la
1978, 7 chevaux, 2 ânes, 5 moutons et 1 chèvre
fréquence des noyades de petits mammifères
meurent après avoir absorbé l’eau d’un puits
(le plus souvent des carnivores) dans cette
d’un village du Baol (Keur Ndiouga Mbaye,
région géographique du pays.
arrondissement de Ndindy, région de Diour-
bel), d’où est retiré le cadavre d’un chat. La
symptomatologie présentée par les animaux
MATÉRIEL ET MÉTHODES
avant leur mort (paralysies flasques) et les
commémoratifs font suspecter immédiatement
1) MATÉRIEL
un foyer du botulisme hydrique. Au Sénégal (7),
comme au Tchad (lO), des observations simi-
Au niveau du foyer, de l’eau du puits a été
laires ont déjà été rapportées.
récoltée, avant le curage, par un agent de la
Santé et de la Production animales. Ce prélè-
La présente note se propose de signaler dans
vement est remis aux représentants du
quelles circonstances a été isolée la seconde
Laboratoire.
souche de Clostriclium botulinum type D au
Sénégal et d’émettre des hypothèses concernant
Un seul malade, un cheval, qui ne peut se
la relation possible entre les cas de botulisme
lever qu’avec l’aide du propriétaire, est observé
hydrique rencontrés ces dernières années et
mais non sacrifié, car une éventuelle guérison
l’épizootie survenue, à partir des années 60,
peut être envisagée. Par contre, un cadavre,
dans la zone d’élevage extensif du Ferlo, et
vieux de 24 h, appartenant à la même espèce
animale est exhumé et un fragment de foie
prélevé.
(*) Chef du Service de Bactériologie. Laboratoire natio-
2) MÉTHODES
nal de 1’Elevage et de Recherches vétérinaires (1. S. R. A.)
B. P. 2057, Dakar-Hann, Sénégal.
(**l Technicien suoérieur. Laboratoire national de
- Inoculation à la souris, par voie intrapé-
YÈlevage et de Recherches vétérinaires (1. S. R. A.).
ritonéale, de 1 ml d’eau de puits ;
- 411 -

- Ensemencement en bouillon VF, glucosé préparée avec la présente souche se situe entre
à 1 p. 100 de l’eau de puits, de fragments de foie
10M6 et 10-7 ml (souris de 20 g inoculées par
chauffé 10 mn à 80 “C et non chauffé, culture
voie intra-péritonéale).
5 jours à 37 “C, recherche de la présence éven-
tuelle d’une toxine dans le surnageant de ces
cultures mixtes ;
DISCUSSION
- Séroneutralisation : lorsqu’une toxine est
L’apparition d’un nouveau foyer de botu-
mise en évidence, la séroneutralisation sur sou-
lisme de type D, d’origine hydrique, est ainsi
ris est réalisée, selon la méthode classique, en
démontrée bactériologiquement.
mettant en présence 100 DMM/souris de toxine
Une première remarque vient à I’esprit. Les
(sous un volume de 0,l ml) et 1 unité antito-
habitants du village ont consommé, en même
xique de chacun des sérums antitoxiques A, B,
temps que les futures victimes animales, l’eau
C, D, E fournis par l’Institut Pasteur de Paris
de l’unique puits et n’ont cependant présenté
(sous le même volume). La mortalité des souris
aucun signe de la maladie. Bien que le botu-
est notée pendant 3 jours ;
lisme de type D soit connu chez l’homme (4),
- Isolement de la souche en cause sur mi-
il est fort possible que deux facteurs puissent
lieux solides, à la fois, en milieu VF, gélosé et expliquer l’absence de symptôme chez les
glucosé, réparti en tubes de Veillon, et sur boîtes
villageois : une certaine hyposensibilité d’espèce
de Pétri (gélose au sang, extraits de viande et
face au type D de CI. botulinum (l’homme
de levure, cystéine (1)). L’anaérobiose est réa-
étant beaucoup plus sensible aux types A, B
lisée avec le système Gas Pak (BD Mérieux).
et E) et le fait que la quantité d’eau ingérée,
donc de toxine par chaque individu, ait été
relativement faible. En outre, dès les premières
RÉSULTATS
mortalités animales, le puits fut plusieurs fois
curé et les restes du chat éliminés. Ces inter-
- L’inoculation de 1 ml d’eau de puits aux
ventions ont certainement contribué à diminuer
souris par voie intrapéritonéale provoque leur
la toxicité de l’eau. Le foyer du Kanem (Tchad),
mort en 48 h.
de type C, avait suscité les mêmes réflexions
- Le surnageant de la culture mixte de l’eau
de la part de PROVOST (10).
de puits se révèle atoxique pour la souris. L’eau
En 1971, lors des VII’ Journées Médicales,
de puits rapportée ne contenait donc que de la
tenues à Dakar, nous avions proposé un schéma
toxine ;
étiopathogénique du botulisme des herbivores
- Les surnageants des cultures mixtes des
vivant dans le Ferlo, en considérant le rôle
fragments de foie provoquent la mort des sou-
possible joué par le botulisme d’origine hydrique
ris à la dose de 0,l ml de la dilution 10v5 ;
et en émettant l’hypothèse que « dans un ou
- La séroneutralisation réalisée avec l’un de
plusieurs forages (les bassins-réservoirs sont
ces surnageants (culture de foie chauffé) montre
entièrement à l’air libre, de même que les
que l’on se trouve en présence du type D de
abreuvoirs) ou que dans un des anciens puits,
CI. botulinum ;
l’eau souillée par un cadavre de chat ou de petit
mammifère quelconque, ait été la cause d’une
- La souche en cause est isolée sur boîte
intoxication botulique limitée. Ensuite, les
de Pétri sans difficulté. Ses caractères biochimi-
restes de ces animaux morts, disséminés dans un
ques sont identiques à ceux de la première rayon de plusieurs centaines de mètres autour
souche isolée (3). Toutefois, la quantité de
du point d’eau contaminé, auraient été à l’ori-
toxine convulsivante, non antigénique, produite
gine de la propagation des spores botuliques ;
en bouillon VF glucosé, est suffisamment
leur absorption étant facilitée par l’ostéophagie
faible pour ne pas interférer dans le sérotypage
présentée par des bovins en état permanent
(surnageant d’une culture mixte, dilué à d’aphosphorose. La dissémination des restes,
1 0 0 DMM/souris, s o u s u n v o l u m e d e
des ossements des nouvelles victimes et leur
0,l ml + 1 unité antitoxique de chacun des
consommation par des animaux carencés
sérums anti, sous le même volume), ce qui
auraient permis à la maladie de faire tache
n’était pas le cas avec la première souche
d’huile et de s’étendre progressivement à toute
isolée (3) ;
la région d’élevage » (9). Le schéma étio-
- La DMM/souris de la toxine de culture
pathogénique suivant avait été proposé :
- 412 -

Puits contaminé par
-
cadavres de petits mammifères
foyer pri ire de botulisme
i
troubles nutritionnels
Pica,
(hypophosphorose)-
Ostéopha-t Ossements contaminés-Botulisme
gie
par sporîs’botuliques
I
L
I
Avec le temps et l’acquisition d’une meilleure
attirées par l’humidité du sol qui entoure le
connaissance de l’influence des variations des
puits (ou la céane en Mauritanie), d’où, pendant
conditions climatiques sur la vie animale de la
la journée, l’eau est remontée d’une façon
partie septentrionale du Sénégal, il est apparu
presque continue. De nuit, lorsque toute flaque
que ce schéma pouvait être complété et que les
a disparu, un animal assoiffi peut, dans sa
contaminations répétées de certains puits pou-
quête, franchir la margelle, lorsqu’elle existe,
vaient trouver une explication dans le déficit
et tomber accidentellement dans le puits.
pluviométrique noté depuis 12 ans dans les
L’action insidieuse de la « désertification »
zones sahélienne et soudano-sahélienne. En
se manifesterait là comme dans d’autres
effet, on remarque que :
domaines, par exemple la disparition progressive
- tous les foyers de botulisme hydrique d’espèces végétales arborées (mort et absence de
observés se localisent au nord (région sylvo-
régénération) ou l’abaissement de la limite
pastorale ou arachidière) (7), bien que la presque
méridionale de l’aire de répartition d’une
totalité des puits soit pourvue d’une margelle
avifaune sud-saharienne (2 espèces de la famille
cimentée, surélevée d’un mètre environ ;
des Alaudidés, particulièrement déserticole :
- dans le sud du pays (Casamance), les Eremopterix nigriceps (alouette-moineau à front
puits, très nombreux, sont le plus souvent
blanc, devenue résidente et nicheuse dans le
entourés de quelques troncs d’arbres, disposés
Ferlo) et Aluemon aluudipes (sirli du désert).
au carré, sur lesquels
s’appuie l’exhaure
Les variations pluviométriques ont interféré,
manuelle. Ce dispositif, haut d’une trentaine
d’une autre façon, lors de l’hivernage non défi-
de centimètres, n’assure qu’une protection très
citaire de 1975. Cette année, dès la fin des
imparfaite de l’orifice et les risques de chute
précipitations, la moitié nord du Sénégal a vu
de petits mammifères devraient être accrus
soudain apparaître une prolifération excep-
(Haute-Casamance en particulier). Or le botu-
tionnelle, brutale et catastrophique pour les
lisme est totalement inconnu dans toute la
cultures de rongeurs (en particulier Arvicanthis
partie méridionale du Sénégal.
niloticus). Le phénomène intéressa même les
Dans la partie septentrionale, les espèces
Léporidés. Dans la partie méridionale du pays
animales responsables des cas de botulisme
(Casamance), aux conditions climatiques plus
hydrique sont essentiellement les petits car-
stables, rien de semblable n’était enregistré.
nivores prédateurs. En tout premier lieu,
Ce genre d’explosion des populations de ron-
vient le chat haret, puis les viverridés (genettes,
geurs, bien connu dans d’autres parties du
civettes, mangoustes) auxquels on peut joindre
monde, peut s’expliquer à la fois par l’existence
un mustellidé (le zorille). Un rongeur sciuridé
de conditions trophiques particulièrement favo-
(l’écureuil fouisseur dit improprement « rat
rables et par l’absence ou le relâchement de la
palmiste ))), qui s’alimente au détriment des
prédation. A mesure que la saison sèche pro-
plantes cultivées, a également été rencontré
gressait, dès les premiers mois de 1976, tout
en décomposition dans l’eau de curage d’un
rentrait progressivement dans l’ordre et les
puits (7). L’installation progressive et discontinue
rongeurs voyaient leur densité décroître mais en
de la sécheresse a probablement réduit le nombre
zone sylvo-pastorale, on assistait à une nouvelle
des carnivores par raréfaction des proies
flambée de botulisme. Ces derniers cas étant
(rongeurs, oiseaux). Dans la lutte pour leur
liés à la consommation directe par les bovins de
survie, certains individus se sont rapprochés
cadavres de rats (rencontrés dans le rumen de
des communautés humaines, à la fois pour
zébus autopsiés au forage de Tatki, 1976).
s’alimenter et s’abreuver. Les espèces qui
Ces différentes considérations nous amènent
viennent d’être énumérées, essentiellement noc-
à compléter le schéma étiopathogénique précé-
turnes (sauf l’écureuil fouisseur), peuvent être
dent de la façon suivante :
- 413 -

Déficit pluvio&trique
Perturbation des conditions
\\
de vie de certains mammi-
Apparition d’une
fères sauvages
pluviométrie normale
c
Troubles nutritionnels
Puits contaminés par
(hypophosphorose)
l
cadavres de petits
Pullulation de
mammifères sauvages
r o n g e u r s 1
1
Ossements contaminés
par spores bot liques
9
REMERCIEMENTS
Nous tenons à remercier Monsieur DIA,
Chef du Secteur de Diourbel (Santé et Pro-
duction animales) de nous avoir permis d’étudier
ce nouveau foyer de botulisme hydrique.
S U M M A R Y
On a new outbreak of bydrous botulism type D
in Senegal. Etiopatbogenic considerations
A new outbreak of botulism type D, caused by the absorption of water
contaminated by the corpse of a drowned cat, is reported from the Diourbel
area in Senegal. 7 horses, 2 donkeys, 5 sheep and 1 goat died. The strain invol-
ved was isolated from the liver of a dead horse. Along the discussion, the
authors emphasize on the part played by drought in the repetition of cases
of hydrous botulism in the sahelo-sudanian extensive cattle breeding zone.
A general etiopathogenic scheme is proposed.
RESUMEN
A proposito de un nuevo caso de botulisme bidrico de typo D ocurrido
eu Senegal. Consideraciones etiopatogenicas
Un nuevo foco de botulismo hidrico de tipo D, causado por la presencia
del cadaver de un gato en un pozo, ocurro en Senegal, en la region de Diourbel,
provocando la muerte de 7 caballos, 2 asnos, 5 ovejas y 1 cabra. Se ais16 la
cepa causadora del higado del caballo. En la discusion, 10s autores insisten en
el pape1 que debe desempefiar la sequia en la repetici6n de 10s casos de botu-
lismo hidrico en zona de ganaderia extensiva sahelo-sudanesa. Se propone
un plan general etiopathogénico.
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