C. R. Acad. SC. Paris, t. 262, p. 2736-2739 (27 juin...
C. R. Acad. SC. Paris, t. 262, p. 2736-2739 (27 juin 1966)
Série D
I’ARASITOLOGIE. - Lymnæa cubensis Pfeiffer 191 1, mollusque hôte inter-
médiaire de Fasciola hepatica L., 1858 à La Martinique. Note (*) de
M. Smrox GR~ILLAT, présentée par M. Clément Bressou.
La distomatose bovine à Fasciola hepatica existe en Martinique; son vecteur
hôte intermédiaire est le mollusque d’eau douce Lymnza cubensis, qui est pour
la premibre fois signalé dans cette île.
Au cours d’une mission de 40 jours effectuée en février-mars 1966 aux
Antilles françaises, il nous a été possible de récolter des douves dans le
foie de sept bovins martiniquais sacrifiés aux abattoirs de Fort-de-France
(Martinique).
Les services vétérinaires chargés de l’inspection des viandes avaient
déjà remarqué depuis plusieurs années, la présence de douves dans le
foie de certains bovins locaux abattus, avec des lésions classiques d’angio-
cholite.
Après coloration au carmin chlorhydrique, les spécimens ont été iden-
tifiés comme appartenant à l’espèce Fasciola hepatica L. 1858.
Épidémiologie de la distomatose hépatique en Martinique. - Rensei-
gnements pris aux abattoirs sur l’origine des animaux trouvés parasités,
quatre d’entre eux provenaient d’un élevage de Belle-Fontaine situé sur
la Côte Ouest G sous le vent 1) à environ 15 km au Nord de Fort-de-France,
deux étaient originaires de Rivière Salée au Sud de la même ville et le
dernier de la Redoute (colline dominant la capitale). Il fut impossible
d’effectuer des recherches fructueuses à Rivière Salée et à la Redoute
en raison du peu de renseignements fournis sur l’emplacement des terrains
de pacage. Par contre, les quatre animaux en provenance de Belle-Fontaine
étaient nés et avaient été élevés dans une exploitation comprenant des
pâturages clôturés.
Les terrains de pacage (herbages artificiels plantés en Digitaria decumbens)
de cette exploitation agricole, sont de deux types :
a. les premiers se trouvent dans le fond d’une vallée (Fond Laillet)
s’ouvrant largement sur la mer et où coule un petit torrent (rivière du
Fond Laillet), capté partiellement en amont pour assurer le fonctionnement
d’une turbine et l’irrigation de la vallée ;
b. les seconds sont des terrains volcaniques situés sur les flancs de
contreforts montagneux dominant la mer, où de janvier à avril (saison
sèche), la repousse périodique de Digitaria decumbens (pâturages rotatifs)
es-t assurée grâce à une irrigation contrôlée à partir d’un réservoir en
ciment de 600 m” environ alimenté par une conduite forcée de 4 km descen-
dant de la montagne.

Au cours d’une premiére prospection malacologique, nous récoltons
sur les rochers de la rivikre du Fond Laillct, des exemplaires d’un mollusque
operculé triis fréquent dans les torrents des Aniilles, Neretina punctulatn
(Lamark). Dans les canaux d’irrigation de la vallk, aux endroits où l’eau
relaI;ivement calme, coule sur un fond vaseu.x, prolifèrent de nomhrcus
Riomphalaria havanensis Pfeifler, ainsi que des Plbysa murmorntu, Guilding,
en moins grand nombre.
Aucun de ces trois gastéropodes nc pouvant être le veclew de F(bscioZa
hepaticcr., nous orientons notre enquête vers le réseau d’irrigation des
terrains de pacage de flanc de montagne,
Pour assurer une bonne pénétration de l’eau dans un terrain relati-
vcment accidenté,
un réseau dichotomique de petites saignées peu
profondes (‘j à IO cm) a été tracé suivant des lignes de faible pente, à
partir d’un canal d’alimenta-tion à pente moyenne où le courant est relati-
vement rapide.
Le terrain saturé d’eau sur plus de IO cm d’épaisseur et plus ou moins
dkfoncé par le passage du bétail, est parsemé de petits trous fangeux,
remplis d’eau où a moitié desséchks, suivant, l’état d’envasement des
rigoles d’irrigation. Dans l’ensemble, et en tenant compte de la repousse
dc la couwrture herback, on a affaire ;i une multitude dc microbiotopcs
où l’oxygénation, la teneur en matiks organiques, la profondeur et
I’ensoleilI&wnt de l’eau, peuvent varier d’un jour a l’autre, mais où le pH se
maintient aux environs dc 6,8 (évaluation au papier indicateur colort)
avec une température de 18 i 2LtO suivarrt l’hcurc de la journée.
Dans unc parcelle de terrain irriguée depuis une vingtaine dc jours,
s’est installée et a proliféré une faune malacologiquc extrCmement dense
représentée par des Physa marmorata (I & 4 spécimens par mètre carré
do surface de gîte) et surtout par un petit gastéropode à coquille dextre
Lymnza cubensis Pfeiffer (10 à 15 exemplaires par mètre car& de surface
à tous les stades de développement).
Si le premier n’existe que dans les trous d’eau où le milieu est calme
et peu oxygéné, le second s’accommode fort bien d’endroits très vaseux
en voie d’assèchement, reposant sur les supports les plus variés, vase du
fond ou bords légèrement humides, ou encore rochers émergeant de la
surface mais éclaboussés par le courant. Dans tous ces cas, le gastéropode
est immobile, cn état de scmi-estivation, 1~ pied rétracté dans la coquille
cependant fixée au support.
On le rencontre également sur des tiges de graminées aquatiques ou
sur le fond des canaux principaux où le courant est rapide. Dans ce cas,
le mollusque SC déplace continuellement pour assurer son alimentation
a l’aide de microél6ments animaux ou vkgktaux poussant sur ces différents
subs-tra ts.

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L. cubensis est un gastéropode d’eau douce capable de s’adapter quand
cela est nécessaire, à des conditions extrêmement sévères du milieu pour
pouvoir survivre. C’est ainsi qu’au Venezuela (“), il a été démontré qu’il
peut donner des pontes fertiles après une diapause de 235 jours en dehors
du milieu aquatique dans les conditions de laboratoire. D’après les premiers
résultats obtenus sur une souche ramenée de Martinique et mise en élevage
a Dakar, il semblerait que seuls les adultes arrivés à maturité sexuelle
soient capables de résister au dessèchement, les formes jeunes et les pontes
étant dé-truites.
Faisant partie du genre Lymnza, nous avons immédiatement suspecté
cc mollusque comme hôte intermédiaire possible de F. hepatica à la Marti-
nique.
Cent spécimens de tout âge, récoltés dans une zone irriguée depuis une
vingtaine de jours, se sont révélés, à la dissection, vierges de toute infes-
tation par formes larvaires de trématodes. Mais sur 54 adultes en état
de préestivation (mollusque rétracté dans la coquille), prélevés dans un
pâturage irrigué depuis deux mois environ puis partiellement asséché,
il nous a été possible de mettre en évidence, chez un exemplaire, des formes
larvaires morphologiquement semblables à celles de Fasciola hepatica :
rédies de 1, I à r,3 mm de long, avec ventouse et cul-de-sac intestinal bien
développé, cercaires avec une tête de 280 à 2go p sur 220 à 230 y. et une
queue de Goo if- environ de longueur, s’enkystant en IO à 15 mn sur la
paroi de la lame porte-objet ayant servi à la dissection.
Un essai d’infestation expérimentale sur deux ovins, à l’aide de 17
métacercaires conservées dans l’eau et ramenées à Dakar, ne réus-
sit pas. Les conditions de transport et la manipulation des kystes
avant leur administration aux animaux d’expérience (décollement de
la métacercaire de son substrat) sont sans doute, les causes principales
de cet échec.
Discussion. - Lymnza cubensis a déjà été signalé et reconnu vecteur
de FascioZa hepatica aux U. S. A. (‘), au Venezuela et en Jamaïque
[Y), (Y, (")l* A notre connaissance, il n’était pas encore connu de la Marti-
nique et c’est vraisemblablement à l’occasion de l’importation de bovins
parasités que Fasciola hepatica a été introduite en Martinique où elle a
trouvé un hôte intermédiaire qui lui convenait.
A la Guadeloupe et dans ses dépendances (Marie-Galante, Les Saintes)
où la grande douve est inconnue (constatations et rapports d’abattoirs),
nous n’avons trouvé aucun gîte à Lymnza cubensis.
Aucun cas de dis-tomatose humaine n’a encore été diagnostiqué en
Martinique. Cependant le cresson de fontaine faisant l’objet d’une grande
consommation dans l’île, des infestations par F. hepatica sont toujours
possibles.

Pour cela, il suffit que Lymnzu cubensis envahisse des cressonnières
alimentées par un cours d’eau traversant des pâturages où sont parqués
des bovins parasités. De telles conditions peuvent être réalisées à moins
que ce mollusque dont l’écologie est un peu particulière, ne puisse s’accom-
moder d’un tel biotope (“j.
(*) Séance du 13 juin I$X.
(l) \\v. 13. I<RULL, N. Amer. Vef., 15, no 12, 1934, p. 13-16.
(?) RAMI~EZ, J. J. VILLAMEDIANA et F. VERGANI, Rec. Grandcolomb. Zoofec. Hig.
Med. Vef., 3, 1949, p. 817-838.
(:l) F. VERGANI, Bol. Insf. Invesiig. Vef., Caracas, 7, no 23, 1955, p. 34-55.
(“) Annual reporf Minisfr. Agric., 31 décembre 1958 (1960) (Jamaica).
(“) Notre confrère le Docteur Saint-Prix du Service vétérinaire de La Martinique nous
a apporté son aide au cours de nos enquêtes aux abattoirs et sur le terrain, ainsi que
le Docteur Mandahl-Barth, Directeur du Danish Bilharziasis Laboratory, Charlottenlund,
Danemark, qui a déterminé notre matériel malacologique.
(Insf. Élev. Méd. vét. Pays tropicaux,
10, rue Pierre-Curie, Alfort, Val-de-Marne),
Laboratoire national de Recherches vétérinaires, Dakar
ct Institut national de la Recherche agronomique,
149, boulevard de Grenelle, Paris.)
172578. - Imp. GAUTHIER-VILLARS. - 55, Quai des Grands-Augustins, Paris (69.
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