VII' JOURNEES MEDICALES DE DAKAR 11 - 16 JANVIER ...
VII' JOURNEES MEDICALES DE DAKAR
11 - 16 JANVIER 1971
A PROPOS D'UNE ENQUETE BACTERIOLOGIQUE SUR
LES GANGLIONS MESENTERIQUES DE PORCS, A DAKAR
RECHERCHE NEGATIVE DE YERSINIA ENTEROCOLITICA
INTERET EPIDEMIOLOGIQUE D'UNE TELLE RECHERCHE
Communication de J. CHAMBRON* et M. BOU??DIN**
avec la collaboration technique de B.MBENGUE
Depuis que l'attention a été attirée sur Yersinia enterocolitica
à partir de 1962 à l'occasion d'épizooties chez les chinchillas, ce germe
n'a cessé de prendre une importance toujours croissante , tant en patholo-
gie humaine qu'animale : alors qu'en 1966 H.H.MOLLARET (6) ne relevait que
23 observations humaines dans la littérature mondiale, ce même auteur, en
1971, fait état de 642 nouveaux cas humains (7). Entre ces deux dates, le
nombre des souches mises en collection au centre national des Yersinia, &
l'Institut Pasteur de Paris, est passé de 142 à 1005.
Sur le plan géographique, selon les informations fournies par
H.H.MOLLARET (7), Y.enterocolitica a été isolée, à ce jour, chez leHomme
ou chez l'animal, dans les pays suivants (nous indiquons entre parenthèses
l!année du premier isolement de ce germe dans chaque pays) : Etats-Unis
(1932), Danemark (19X3), Suisse (1#8), Grande Bretagne (1953), France (1958),
Algérie (1959), îles Féroé (196O), Canada (1960), Allemagne de L'Ouest (1962),
Pays-Bas (1963), Suède (1963), Belgique (1964), Finlande (1965), Afrique du
Sud (1966), Tchécoslovaquie (1967), Cameroun (1967), U.R.S.S. (196i’), Norvège
. (NS'), Ram anie (1968), Congo Kinshasa (1968), Brésil (1968), Hongrie (19691,
Pologne (1970).
Nous ne ferons que citer les principaux aspects cliniques de l'in-
fection à Y.enterocolitica chez 1)Homme : entérocolite, de loin l'aspect le
plus fréquent, syndromes aigüs de la fosse iliaque droite (où s'intriquent
it
adénite mésentérique, appendicite et iléite terminale), érythème noueux, sep-
ticémies et manifestations articulaires.
/
. . l .
______ll-l----------------------------
--
* Laboratoire national de 1'Elevage et de Recherches vétérinaires du
Sénégal - I.E.M.V.T. - DAKAR-HANN - ~.~.2057
*+ Département d'Epid&i.ologie, Institut Pasteur, Paris

2
Chez l'animal, Y.enterocolitica a été, jusqu'à présent, isolée
chez les espèces suivantes, classées selon la fréquence décroissante de
leur atteinte : chinchillas, lièvres, porcs, singes, cobayes, lapins, va-
ches, moutons, chevaux, chiens. Dans la plupart des cas, la symptomatologie
et les découvertes d'autopsie étaient superposables à celles de Y.pseudotu-
berculosis (bacille de Malassez et Vignal). Dans un petit nombre de cas,
certains animaux, les porcs en particulier, sont trouvés porteurs sains de
Y.enterocolitica,
L'absence de tout pouvoir pathogène expérimental de Y.enterocoli-
tica (9) interdit la reproduction de la maladie et limite considérablement
--/
son etude épidémiologique. 11 semble cependant bien acquis, au v-u des obser-
vations faites en médecine humaine, que 19infection se fait par voie diges-
tive (7).
Le problème des relations épidémiologiques entre maladie animale
et maladie humaine est loin d'être résolu. Le rôle de l'alimentation ou celui
d'un contact avec des animaux a été très souvent invoqué mais n'a jamais
encore été démontré. H.H.MOLLARET (7) souligne d'ailleurs la prédominance
des formes gastro-entéritiques de la maladie chez des enfants dont le très
jeune âge (moins de un an et souvent moins de six mois) fait exclure, à
priori, tout contact avec des animaux.
L'étude lysotypique de Y.enterocolitica entreprise par P.NICOLLE,
H.H.MOLLARET et J.BRAULT (10) (11) a ouvert une voie épidémiologique en mon-
trant l'existence de relations lysotypiques entre souches isolées chez
l'homme et souches isolées chez le porc.
Cette parenté lysotypique vient d'être renforcée par les études
biochimiques et antigéniques de NAUTERS (15) : cet auteur a distingué parmi
les souches de Y.enterocolitica,
d'une part cinq types biochimiques distincts,
d'autre part seize groupes sérologiques individualisés par leurs antigènes 0
et H. Confrontant les caractères biochimiques et antigeniques des souches
avec leur espèce animale d'origine, il a pu établir que certains sérotypes
étaient électivement liés à une espèce animale déterminée. 'Par exemple, le
sérotype 1 n'a été rencontré que chez les chinchillas, et le sérotype 2 uni-
quement chez les lièvres. Par contre les souches d'origine humaine se répar-
tissent essentiellement dans les sérotypes 3 et 9, cependant que les souches
d'origine porcine appartiennent exclusivement au sérotype 3. Ainsi, une partie
des souches humaines et la totalité des souches porcines sont identiques au
point de vue antigénique (sérotype 3) et biochimique (biotype 4). Si lvori-
gine de la contamination humaine par le sérotype 9 reste mystérieuse, ce séro-
type n'ayant jamais encore été rencontré en dehors de l'homme, l'identité des
souches humaines et porcines du sérotype 3 permet d'envisager le porc en tant
que réservoir de ce sérotype et source de la contamination humaine.
Récemment, des particularités lysotypiques liées à la géographie
(16) sont venues renforcer ce point de vue : tandis que les souches humaines
isolées en Europe appartiennent aux lysotypes 8 et 10, les souches humaines
d'Afrique du Sud sont toutes du lysotype 9; or, les souches porcines euro-
péennes sont toutes du lysotype 8 et les souches porcines d'Afrique du Sud
du lysotype 9.
. ./ . .

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C'est donc vers le porc que doivent logiquement s'orienter les
enquêtes épidémiologiques concernant l'origine de la contamination humaine.
Il convient de souligner qu'à l'exception de deux épizooties por-
cines observées par RAMPON (16), toutes les souches provenant du porc ont
été isolées chez des animaux sains examinés au cours d'enquêtes systémati-
ques : c'est ainsi que Y'enterocolitica a été isolée dans les fécès de porcs
sains par DICKINSON et MOCQUOT (3),,lors dvune étude sur la flore gastro-in-
testinale de porcs normaux par GIORGI et coll. (8) et par WAUTERS (IF), et
dans les ganglions mésentériques par VANDEPITTE et coll. (lb), AHVONEN (16)
et RABSON (16). La proportion de ces animaux porteurs sains ne peut encore
être appréciée faute d'enquêtes suffisamment nombreuses; les seules indica-
tions sont données par VANDEPITTE et coll. (14) : 2 isolements parmi 72 porcs
examinés, et par RABSON (16) : 1 isolement parmi 200 porcs examinés. Au cours
de son enquête, RABSON a également examiné les selles et les sérums de 15 tra-
vailleurs des abattoirs de Johannesburg : le sérum de l'un d'entre eux
asrglutinait Y.enterocolitica.
LUCINESCU et coll. (4) ont relaté deux petites épidémies humaines
survenues en Roumanie, ayant frappé des travailleurs d'une usine de charcu-
terie et incriminent le porc comme source possible d'infection, sans toutefois
avoir pu en faire la preuve.
Sur le continent africain, Y.enterocolitica a été isolée chez
l'animal en Algérie, en Afrique du Sud (16), au Congo Kinshasa (5) et au
Cameroun (16).
Il nous est donc apparu intéressant de rechercher Y.enterocolitica
chez les porcs à Dakar.
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0
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On sait que l'isolement au laboratoire de Y.enterocolitica à partir
de produits pathologiques n'est possible quven respectant certaines modalités
opératoires : lecture tardive des milieux sélectifs type S.S. ou D.C.L.
(le germe pousse lentement et peut passer inaperçu au bout de 24 heures),
étude systématique de toute souche hydrolysant l'urée, même tardivement. Ces
modalités techniques sont encore trop souvent méconnues. Compte tenu de ce
fait, il nous a semblé intéressant de rechercher ce germe à Dakar. En effet,
dans de nombreuses publications, et tout particulièrement à l'occasion des
IV* Journées Médicales de Dakar en 1965, des auteurs insistent fréquemment
sur l'importance des affections intestinales chez le noir africain : SANKALE
et coll. (13), BAYLRT et coll. (l)(2)... Selon SA?XALE et BAYLET (12) "les
entéropathies se situent parmi les préoccupations essentielles des responsa-
bles de la santé publique en Afrique". Ces auteurs soulignent la morbidité
particulièrement élevée chez le nourrisson, la gravité des formes cliniques
observées chez les jeunes enfants. Si les bactéries entéro-pathogènes (sur-
tout des Shigella) sont trouvées responsables de 20 à 40 p.100 des affections
. . / . .

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intestinales à étiologie connue, il npen reste pas moins que l!agcnt causal
reste indéterminé dans plus de 70 p.100 des syndromes diarrhéiques constatés.
Cet agent causal ne serait-il pas parfois Y.enterocolitica, non encore mise
en évidence à ce jour pour les raisons rappelées ci-dessus ?
MATERIEL - METHODES
Cette enquête préliminaire porte sur 137 porcs de race métissée
large white. Elle est conduite à lsabattoir de Dakar (400 a 500 abattages
mensuels, selon les saisons), et se prolonge pendant une période de quatre
mois. D'une façon générale, la plupart des porcs abattus à Dakar proviennent
de trois élevages privés, situés dans la presqu'île du Cap-Vert. Un tr&s
petit nombre d'animaux viennent également dvé.levages installés dans les envi-
rons de Kaolack, MBour et Bambey, pays où les catholiques sont très nombreux.
Les porcs faisant l'objet de cette enquête proviennent tous des élevages
dakarois.
Plusieurs ganglions mésentériques sont prélevés (instruments stéri-
les, gants, lampe à gaz) sur un même animal juste après l'abattage, dès
l'ouverture de la cavité abdominale; ils sont tous réunis dans une boîte de
Pétri stérile, transportés sous froid au laboratoire et mis en culture
le jour même.
Ils sont broyés en présence de sérum physiologique et de sable
stérile. Le liquide de broyage constitue 19inoculum qui est ensemencé selon
deux modalités :
- directement sur gélose S.S. (produit Difco)
- en milieu d'enrichissement au sélénite de Na (produit Difco).
Les milieux sont tous incubés 8 37°C.
Le milieu au sélénite de Na est repiqué,après agitation soignée,sur
gélose S.S. au bout de 24 heures et de 72 heures dqincubation.
Compte tenu de la lenteur d'apparition des colonies de Yersinia
sur les géloses S.S., ces dernières sont conservées pendant 5 jours à l'étuve,
et observées chaque jour.
. .
Les colonies suspectes sont repiquées sur milieu urée-indole de
l'Institut Pasteur; tous les germes hydrolysant l'urée, même lentement, sont
conservés et font l'objet de recherches complémentaires : mobilité différen-
tielle à 22OC et 37'C, caractères biochimiques, etc...
e. /. .

En début d'expérimentation, les milieux de culture fabriqués à
partir de produits Difco déshydrat%s ont été reconnus aptes à la culture de
Yersinia enterocolitica par ensemencement de deux souches isolées de Chin-
chilla (souche Haagsma et souche Ye 43). Ces deux souches nous ont été aima-
blement fournies par le Professeur H.H.MOLLARET, que nous remercions vivement,
RESULTATS
Si les cultures ont permis la mise en évidence de 27 souches de
Salmonella
(dont deux nouveaux sérotypes et deux souches isolées pour la
première fois au Sénégal), aucune souche de Yersinia enterocolitica n'a pu
être isolée.
**
CONCLUSION
On peut donc penser que la yersiniose du porc est encore inconnue
au Sénégal. Il serait cependant intéressant de reprendre cette expérience sur
un nombre plus élevé d'animaux, en modifiant le protocole de recherche, à la
lumière des travaux les plus récents concernant les techniques d'isolement
du germe, avant de pouvoir conclure définitivement à l'absence de la maladie
au Sénégal,
Quoiquqil en soit, le caractère négatif de cette enquête ne permet
x
pas de présager de l'avenir. La maladie, qui a épargné apparemment jusqu'à ce
jour le territoire sénégalais, peut y faire son apparition ultérieurement,
comme ce fut le cas au Congo Kinshasa et en Afrique du Sud.
Nous avons surtout, dans cette courte note, souhaité attirarlvatten-
tien des médecins et vétérinaires sur un germe dont l'importance et la zone
de répartition sqaccroissent d'année en année. En l'état actuel de nos connais-
sances, c'est par le dépistage de Y.enterocolitica chez le porc que parait
devoir être possible la prévention de l'infection dans les territoires encore
indemnes.
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+ Ce travail fera l'objet d'une publication spéciale par CHAMBRON, MARTEL et
SARRAT.

6
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16 - Résultats non publiés, communiqués par H.H.MOLI&?ET.
Y,*