Revue Sénkgalaise des Recherches Agricoles et...
Revue Sénkgalaise des Recherches Agricoles et Halieutiques - Vol. 2 - nQ 2 - 1989
LE REGIME ALIMENTAISE
DES RUMINANTS DOMESTIQUES
(BOVINS-OVINS-CAPRINS)
SUR LES PATURAGES NATURELS SAHELIENS
ET SOUDANO-SAHELIENS
III - CARACTERES EPIDERMIQUES
DES PRINCIPALES ESPECES VEGETALES
CONSOMMEES AU PATURAGE :
CONSTITUTION D’UN ATLAS DE REFERENCE
(EN VUE DE L’ETUDE DU REGIME ALIMENTAlRE)
G. MANDRET
Chercheur CIRADIIEMVT
en poste d 1ïSRA
Direction des Recherches sur les Productions et la Santé Animales
RESUME
L’analyse microscopique des débris vég&aux contenus dans les fi%es ou les bols œso-
phagiens est une méthode d’ttude du r6gime alimentaire des animaux au pâturage. Ce
travail est mené dans le cadre d’une Btude du systime d’alimentation des ruminants sur
parcours sahéliens et soudano-sahéliens au Sénégal. L’auteur a décrit les caractères épi-
dermiques des principales plantes (28 espèces - non publKs) consommtks au pâturage en
vue de la constitution d’un atlas de rkférence. Il propose une clé d’identification de 19 es-
pèces végétales ZI partir de leurs caractères bpidermiques. Cette clé devra être complétée
et pourra servir ZI la reconnaissance des débris végétaux contenus dans les fèces ou les
bols œsophagiens.
Mots cl& : Ruminant - Regime alimentaire - Dicotylédone - Plante fourragère - Epi-
derme - Identification - Microscopie - Sénégal

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SUMMARY
Microscope analysis of vegetal fragment debris contained in the faeces and the
alimentary bolus is a method for studying the animals ’ diet on pastures. This work is conduc-
ted within the scope of a ruminant diet enquiry over Sahelian and Sudano-Sahelian pastures in
Senegal. The author describes the epidermic characters of the main grased plants (28 species)
SO as to constitute a reference atlas. An example of the identification key is exposed for 19
dicotyledones from their epidermic characters. This key Will have to becompleted and Will help
to recognize the plant debris contained in the faeces and in the alimentary bolus.
Key words : Ruminant/ Dieu Dicotyledone/ Fodder plant/ Epidermis/ Microscopy/
‘Senegal.

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INTRODUCTION
L’étude du régime alimentaire des animaux peut être abordCe par plusieurs méthodes.
Les plus fréquentes sont l’observation sur le terrain des pn5férences alimentaires des ani-
maux et l’analyse microscopique des débris vegétaux recueillis a différents niveaux du
tube digestif ou dans les fèces.
L’analyse microscopique des débris végétaux est basée sur l’observation des carac-
téristiques anatomiques de leurs cellules Cpidermiques. La constitution d’un atlas de refé-
rente décrivant les caractères épidermiques des principales espkes fourragères présentes
est indispensable pour cette analyse.
Pour r&&er un atlas, il est nécessaire d’étudier des fragments d’épidermes provenant
de différentes parties de la plante (feuilles, tige...) car les caractéristiques de l’épiderme
peuvent varier entre les organes. Des clés d’identification de certaines espèces ont été éta-
blies en tenant compte de ces différences (10 ; 9 ; 6).
Un catalogue photographique de réference sur les caractères épidermiques de 28 es-
pèces fourragères a Cte constitue. Ce travail rentre dans le cadre d’un programme d’études
sur l’alimentation des ruminants des régions sahélienne et soudano-sahelienne du SCnCgal
(programme conjoint franco-senégalais : IEMVT-CIRAD/LNERV-ISRA*).
Des echantillons de plantes fournis par le service d’agropastoralisme et d’alimentation
du LNERV de Dakar et le service de botanique de 1’lEMVT ont permis de constituer cet
atlas,
Nous exposons ici le principe, la méthode et les limites de ce travail.
PRiNCIPE ET METHODE
PRINCIPE
Le principe de l’étude des caractères Cpidermiques repose sur l’hypothèse que l’on re-
trouve ces caractéres sur les épidermes des dCbris préleves pendant ou apr&s le transit
digestif. On suppose également que ces caractbres sont stables et spécifiques. Les caractères
les plus variables indiquent plutôt les voies Cvolutives de la famille ou la r6ponse à des
conditions kologiques particulibres.
On tient compte par ailleurs des variations intra-individuelles dues à la manifestation
du dCveloppement hetéroblastique des taxons. De la germination à la floraison, les es-
péces heteroblastiques produisent des feuilles juvtniles puis des feuilles adultes accom-
pagnées de modifications morphologiques plus ou moins brusques qui rendent quelquefois
l’individu méconnaissable (4).
L’idéal serait de prélever les Cchantillons de plantes de réference destinés à l’atlas au
même stade de développement que celui auquel elles sont consommees par l’animal.
Les caracteres épidermiques n’ayant pas tous la même importance, nous avons étudié
plus particulierement la forme et la position des trichomes (poils) (fig. l), des stomates
(fig. 2) et des phytolithes (corps silicieux) (fig. 3). La forme des cellules épidermiques,
des nervures et l’aspect du bord du limbe sont des caractbres secondaires qui peuvent
éventuellement permettre de différencier deux espkes entres elles.
* Laboratoire. National d’Elevage et de Recherches V6tCrinaires
- B.P. 2057 - Dakar-Hans (Sént6gal)

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METHODE
Les techniques d’obtention des épidermes sont nombreuses (3) et nous avons dû faire
une synthèse de plusieurs méthodes.
Lorsque la plante est fraîchement récoltée, le prélèvement des épidermes peut être aisé.
Les échantillons secs doive.nt d’abord être ramollis. Pour cela, ils sont portes à ebul-
lition dans l’eau pendant 5 mn puis laissés durant 48 heures dans une solution “alcool a
90” + eau” (à parties égales) et enfin reportes à ébullition pendant 15 mn.
La feuille étant maintenue entre le pouce et l’index, on décolle l’épiderme en le grat-
tant à l’aide d’une lame de rasoir, de bistouri ou de scalpel.
Le contenu cellulaire est ensuite détruit (a l’exception des phytolithes) en plongeant
l’épiderme décollé dans un verre de montre contenant de l’eau de Javel additionnée de
3 gouttes d’alcool a 90”. L’alcool, utilise en faible quantité, ne fait pas précipiter l’eau de
Javel et permet une meilleure destruction du contenu cellulaire.
Figure 1 : Principaux type de poils observés
.._.
.’
0
2
Y
Lisse m
Echint en forme de navette
crochets
Arborescents, unis&it pour chacune des branches
.y._._‘x:: ::j:: ‘...
A
. . . ..::
0
0
En aiguillons
Vumifomws. en crypte pilifère
Crochu
b)poils sccrrircurs
@
Q
4
At&e en doigt de gant
Amas de cellules
A pédoncule
A p&hw&
et ptdonculc plurisdrid
dcr&rices
umsdrid cf
court et t&e
ttte unis&i&e
globuleuse
ti bis&ite
A&
-L@L
A base sphérique
En champignon

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Figure 2 : Principaux types de stomates observ&
rype anisocytique
Type anomocytique
Type diacytique
Type paracytique
Type anisocy tique
= 3 cellules compagnes dont une plus petite que les autres.
Type anomocytique = les cellules voisines des stomates ne se distinguent pas
des cellules épidermiques.
Type diacytique
= les deux cellules compagnes qui entourent le stomate
ont leur paroi commune perpendiculaire
à l’ostiole.
Une cellule compagne est plus petite et “incluse” dans
cellule épidermique.
Type paracytique
= Le stomate est entoure de deux cellules compagnes
disposées parallèlement à l’ostiole.
En bâtonnets
En petits
En gros
En gros mâcles
prismes
prismes
Ï7n plaque de raphides
En couples silicosubéreux
- a
Devenu transparent, l’épiderme est rincé dans de l’eau additionru% de saponine ou de
teepol.
Le montage de la préparation s’effectue entre lame et lamelle, dans une goutte d’eau
glycérinée (50-50).
Les préparations sont alors observées au microscope photonique à faible grossis-
sement en lumibre directe (x 64) ou en contraste dc phase si l’épiderme est très clair. Les
phytolithes s’observent de la meme façon mais la lumiere polaris6e permet, en cas de
doutes, de repérer facilement les cristaux qui sont réfringents.
Cette méthode est simple et ne fait appel à aucune coloration.

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On notera que chez la plupart des dicotylédones, le maximum d’informations est obtenu
à partir de l’épiderme inférieur de la feuillle. Pour les graminées, il est nécessaire de pré-
lever les épidermes inférieur et supérieur du limbe.
Bien que STAGE (1965) pense que l’épiderme situé sur la partie centrale du limbe
offre le maximum de renseignements, il est preférable d’observer le bord du limbe également.
RESULTATS ET DISCUSSION
Le mode de description des monocotylédones, et plus particulièrement des graminées,
diffère de celui des dicotylédones. La distinction entre ces deux groupes s’effectue selon
plusieurs types de critères que l’on peut hiérarchiser de la manière suivante :
0 l’organisation des cellules épidermiques;
fB l’orientation des nervures;
@ les types de stomates, de trichomes et de phytolithes.
En suivant cette hiérarchie, on s’aperçoit que chez les monocotylédones (graminées*),
il est nécessaire, pour le premier point, d’associer aux critères de differenciation, des
criteres d’organisation des cellulles épidermiques :
l en “files” (succession linéaire de cellules) homogènes (cellules identiques entre
elles) ou mixtes (éléments de catégories différentes : stomates, poil) ;
l en “colonnes” (files mixtes ou homogènes contiguës et présentant une certaine
répétition).
Les cellules épidermiques des graminées sont géneralemcnt allongees et disposées en
files parallèles aux nervures (paralléles entre elles) comme en témoigne la figure 4.
Figure 4 : Distinction monocotylédone* - dicotylédones.
Ex : une graminée (cellules épidermiques allongées en files
parallèles aux nervures)
* GraminCes dans le cas de notre étude.

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Les cellules épidermiques des dicotylédones ont des contours irréguliers et sont,
dans la majorité des cas, disposées en puzzle (figure 5).
Figure 5 :
Dicotylédone (cellules épider-
miques auxcontours irréguliers,
nervures non parallèles)
En ce qui concerne l’orientation des nervures des monocotylédones, on constate que,
contrairement aux dicotylkloncs, elles sont généralement parallèles.
La distinction entre les stomates des deux groupes est aisbe :
0 les stomates de dicotylédones sont de 4 types principaux (cf figure 2) alors que
chez les monocotyl6dones, on distingue un seul type unique aux lèvres de l’ostiole
subérifiées (cf figure 4).
Il est difficile de différencier les espèces ou mCmc les genres de graminées en fonction
de leurs trichomes. Cette difficulté se rencontre rarement chez une dicotylkdone où certains
types de poils peuvent caractériser un genre comme nous le montrons dans la cl6 de
détermination au tableau 1.
L’observation des phytolithes est très utile car ils sont généralement abondants, surtout
chez les graminées. Très fréquemment une cellule subéreuse, se distinguant par l’absence
de prolongement saillant et par des contours 1Cgèrcment parallélépipédiques, est assoc&
à une cellule siliceuse ou & des poils tecteurs dans un épiderme de graminée (7). Elle est
située du côté basa1 de l’organe et s’étend davantage par rapport à la cellule siliceuse.
Cette association cellule subéreuse-cellule siliceuse ne se rencontre pas sur les dico-
tylédones observks. Les principaux types de phylolithcs que nous avons reconnus sur
ces dernières sont sous forme de bâtonnets, de prismes, de mâcles ou de raphides
(cf figure 3).
Chaque partie de la plante possède une distribution épidermique qui lui est propre.
Chez les graminées, l’épiderme foliaire est d’autant plus diffkrencié que la feuille est située
plus près de l’inflorescence (9).
L’utilisation des caractères épidermiques permet d’établir une clé d’identification.
Nous avons, à titre d’exemple, reproduit au tableau 1 une clé de determination des dicoty-
lédones étudiées à partir des caractères qui leur sont propres.

Tableau 1 - Caractéristiques épidermiques de quelques espèces végétales appétées

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LIMITES
Certaines particularités de l’épiderme peuvent être caractéristiques d’une famille,
comme le type anomocytique des stomates de la famille des Tiliaceae, ou encore per-
mettre de differencier le genre et l’espèce comme c’est le cas pour les phytolithes dans
la famille des Rubiaceue (8). Mais un caractère isole ne peut suffir à déterminer un taxon,
ce caractère pouvant être commun a plusieurs genres.
Il faut donc dégager des groupes de caractères.
Au niveau de la détermination des graminées, CHAPUIS (1979) fait remarquer que
certains epidermes ont une structure très proche, empêchant une identification sûre.
Il est clair que les caracteres épidermiques dune espèce végétale peuvent varier avec
sa descendance ; la variation pouvant être attribuée à des facteurs génétiques ou écolo-
giques. Il est donc souhaitable, dans l’tventualité dune utilisation prolongée de l’atlas,
d’étudier l’effet de ces facteurs.
Il serait imprudent de ne pas considérer, par exemple, que des variations lentes puissent
intervenir sous l’action prolongée d’un milieu très différent du milieu normal de la plante.
Ce point est important a noter lorsqu’on étudie des parcours naturels qui ont été ense-
mencés par des espèces fourragères étrangères au lieu (apparition soudaine d’une espèce).
Pour l’étude des débris végétaux, il faut aussi être prudent dans l’identification, car des
erreurs peuvent être induites par des variations de l’épiderme qui sont dues aux maladies
bactériennes. De plus, la qualité de l’information dépend de la taille du fragment observe.
CONCLUSION
L’analyse microscopique des caractères épidermiques permet dans la plupart des cas
de différencier des espèces entre elles.
Lorsque l’étude porte sur une zone très étendue, un ou plusieurs pays, il faut tenir
compte des variations possibles dune même espèce. Les caractères epiderrniqlt~~~ seront
vérifiés sur l’aire de répartition.
D’apres ces observations, on peut dire qu’aucun type d’épiderme n’est lié à un milieu
détermine.
Cependant, la richesse en eau du milieu de culture, par exemple, peut modifier le
régime de l’élongation et de la maturation des épidermes, mais non le type de leur dif-
férenciation. Les variations dues au milieu exterieur portent surtout sur les caractères quan-
titatifs (exception faite des caractères quantitatifs dépendant de leur situation sur l’organe
considéré).
L’analyse microscopique des feces ou des bols cesophagiens presente certains avan-
tages, confirmés par CHAPUIS( 1979) à propos d’un autre herbivore, le lapin de garenne :
l l’animal n’est pas influencé dans son choix alimentaire par l’observateur ;
l la determination des débris végetaux r6coltés peut être assez precise car elle
s’appuie sur plusieurs criteres d’identification ;
l cette méthode permet d’étudier les variations du régime alimentaire des animaux
dans le temps et dans l’espace.

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Il est important que l’observateur soit toujours la même personne, car la reconnaissance
des caractères épidermiques requiert une certaine accoutumance.
Les échantillons de référence, nous le répétons, doivent être prelevés au même stade
de développement que celui de la plante au moment de sa consommation par l’animal. Il
faut donc prévoir des prélevements aux différentes saisons et aux différents stades de
développement de la plante.
+
BIBLIOGRAPHIE
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