INSTITUT D’ELEVAGE ET DE MÉDECINE VÉTÉRINAIRE DES...
INSTITUT D’ELEVAGE ET DE MÉDECINE
VÉTÉRINAIRE DES PAYS TROPICAUX
9,
. L
i
REVUE D’ÉLEVAGE
i
ET DE
MÉDECINE VÉTÉRINAIRE
DES PAYS TROPICAUX
Biométrie , morphologie et virulence
de Trypanosoma (Nannomonas) congolense
à travers 640 passages sur souris en 10 ans
par S. M. TOURE
(avec la collaboration technique de B. KEBE,
M. SEYE et N. BA)
VIGOT FRERES, EDITEURS
23, rue de I’Ecole-de-Médecine,
Paris-VI’
Rev. Elev. Méd. Vét. Pays trop., 1976, 29 (1) : 17-22
Biométrie, morphologie et virulence
de Trypanosoma (Nannomonas) congolense
à travers 640 passages sur souris en 10 ans
par S. M. TOURE (*)
(avec la collaboration technique de B. KEBE, M. SEYE et N. BA)
R É S U M É
3 souches de Trypanosoma congoltwsr ont été récoltées en 1964 dans le
sud-ouest du Sénégal et l’une d’elles passée sur souris pendant plus de 10 ans.
Les 3 souches présentent la variation Bimorphon.
Au cours des passages sur
souris, on assiste à un allongement de la longueur des Trypanosomes. Le fait
de réaliser des passages élevés sur souris, même pendant 10 ans, n’entraîne pas
une perte de virulence de T. congolense à l’égard des bovins et il semble illusoire
d’obtenir, par le procédé des passages, des souches utilisables pour vacciner.
INTRODUCTION
1. ÉTUDE BIOMÉTRIQUE DES
SOUCHES A TRAVERS LES PASSAGES
Trois souches de Trypanosomes, de l’espèce
Trypanosoma (Nannomonas) congolense, ont été
1. Premières semaines de passage
isolées en août 1964 dans deux villages du Sénégal
(Djilor et Keur Baba Diouf, Région du Sine-
La détermination spécifique des Trypanosomes
Saloum, 14” nord 16” 20’ ouest) et passées sur
est fondée sur ces premiers passages. En effet,
souris. Deux des souches, dénommées respec-
les lames faites sur le terrain à partir des bovins
tivement C, T et C, Q, proviennent de deux
et de l’âne n’avaient pas les qualités requises pour
bovins et la troisième, C, TQ, d’un âne. Les
une étude biométrique.
villages d’origine sont situés à côté d’une forêt
Les observations microscopiques, faites au
infestée de glossines (Glossina morsitans sub-
cours de ces passages, montrent des formes de
morsitans) et non loin de marigots à G. palpalis
*
grande taille en comparaison avec d’autres, de
gambiensis.
petite taille, souvent larges, ce qui pouvait faire
Au cours des passages successifs, deux des
penser a priori à une population hétérogène de
souches ont été perdues (C, Q en 1965 après
Trypanosomes. Cependant, l’analyse biomé-
4I
30 passages et C, TQ en 1970 après 367 passages)
trique ne reflète pas cette hétérogénéité car on
et la troisième a pu être maintenue jusqu’à
obtient une courbe de Gauss assez régulière.
présent sur souris (704O passage en mai 1975).
Six populations ont été mesurées, soit :
La présente note a pour objet l’étude biométrique
de Trypanosoma congolense à travers les passages
386 Trypanosomes de ler passage,
Cz T :
sur souris, la morphologie et ses variations ainsi
i 219 Trypanosomes de 3e passage.
que la virulence pour les bovins après dix années
229 Trypanosomes de le’ passage,
de passages.
C, Q :
( 166 Trypanosomes de 4e passage.
(*) 1. S. R. A., Laboratoire national de 1’Elevage et
C,TQ:
145 Trypanosomes de lerpassage,
de Recherches vétérinaires, B. P. 2057, Dakar, Sénégal.
236 Trypanosomes de 3e passage.
- 17 -
La longueur moyenne pour les six populations
L’étude critique des résultats de la biométrie
oscille entre 13,34 + 0,16 um et 14,26 ) 0,14 um.
dans ces premiers passages montre que ces sou-
Les moyennes observées sont, dans l’ordre crois-
ches de Trypanosoma congolense présentent une
sant : 13,34 -t 0,16 um ; 13,38 rt 0,ll um ;
variation de type Dimorphon. 11 apparaît
13,86 f 0,ll ym ; 13,90 + 0,13 um ;
toutefois que les moyennes réelles que nous avons
14,03 ) 0,21 um e t 14,26 & 0,14 um.
obtenues (13,34 à 14,26 um) ainsi que les valeurs
Par commodité d’appréciation qualitative, il
adoptées à un intervalle de classe de ces moyennes,
est convenu ici de considérer comme Trypano-
soit de 13 à 14,60 um, caractérisent une variation
somes de taille moyenne tous ceux dont la lon-
de type intermédiaire, si l’on compare les
gueur est comprise entre 13,00 um et 14,60 um,
données avec celles indiquées par HOARE, 1972
c’est-à-dire un intervalle de classe en deçà de la
(10) se référant à GODFREY, 1960 (5) et FAIR-
moyenne la plus faible et à un intervalle de classe
BAIRN, 1962 (3). Notre adhésion à une variation
au-delà de la moyenne la plus élevée. Ainsi, les
de type Dimorphon tient au pourcentage parti-
Trypanosomes considérés comme courts ne
culièrement élevé de formes longues, 29 à 46 p.
dépassent pas 13,00 um tandis que les formes
100, de très loin supérieur aux 11 p. 100 indiqués
longues commencent à partir de 14,60 um. Le
pour la variation de type intermédiaire et cela
tableau qui suit (tableau no 1) résume les données
même en adoptant comme point de départ des
numériques de l’analyse selon cette convention.
formes longues 14,60 um au lieu de 14,26 um.
11 y a lieu d’insister sur le fait que cette division
en trois séries n’a pas du tout la même significa-
2 . Sixième mois de passage et années suivantes
tion que pour les Trypanosomes du sous-genre
Trypanozoon et que nous ne l’avons adoptée que
Au sixième mois, la biométrie des 22” et
pour illustrer la tendance à l’allongement à
24” passages conduit aux résultats indiqués dans
travers les passages.
le tableau no II.
T A B L E A U No I - A n a l y s e biométrique
d a n s l e s premiers p a s s a g e s
-
Souches
5 T
C2 Q
C3 TQ
5 T
5 Q
C3 TQ
l e r p a s s a g e
Ier p a s s a g e
l e r p a s s a g e
3e passage
4e passage
3e passage
Nombre de trypanosomes
3 8 6
229
145
219
1 6 6
2 3 6
mesurés
A m p l i t u d e d e l a
v a r i a t i o n
( e n um)
8
-19,lO
9,60-18,70
10
-18,70
10,40-17,90
9,20-18,70
8,80-18,30
Longueur moyenne
(en Prn)
13,34
14,03
14,26
13,86
13,90
13,38
E r r e u r sur l a m o y e n n e
( e n pm)
+ 0,16
+ 0,21
+ 0,14
+ 0,ll
+ 0,13
+ 0,ll
I n t e r v a l l e S
Formes de
-13,OO
9,60-13,OO 10
-13,oo
10,40-13,oo
9,20-13,00
8,80-13,00
(bd
petite
Îcml>r~ de
98
43
20
4 0
29
54
I
tryr.
~-
t a i l l e
P o u r c e n t a g e
2 5
18
14
19
17
23
intervalle
Formes de
km)
13,00-14,60
13,00-14,60
13,00-14,hO
13,00-14,60
13,00-14,60
13,00-14,60
ti
t a i l l e
Nombre de
inter-
178
87
58
89
73
114
trYP.
médiaire
P o u r c e n t a g e
4 6
3 8
4 0
41
4 4
4 8
Formes de
Interval le
bd
14,60-19,lO
14,60-18,7O
14,60-18,70
14,60-17,YO
14,60-18,i0
14,60-18,30
grande
Nombre de
110
101
67
88
64
68
t a i l l e
trYP_
P o u r c e n t a g e
29
4 4
4 6
4 0
39
29
- 18 -
Variation morphologique de T. congolense :
de a à z : premiers passages sur souris ;
de bb A pp : passages consécutifs.
- 2 0 -
Les passages successifs chez la souris ont
l’inoculation égale à 9, 18 jours * 0,12 (ampli-
entraîné une diminution du nombre des formes
tude de 2 à 14 jours).
massives. De plus, les individus chez lesquels
Le fait le plus important est la constatation
apparaît une membrane ondulante sous forme
que les passages élevés ne semblent pas atténuer
d’l ou 2 festons sont plus nombreux que dans le
le pouvoir infectant à l’égard du bovin, hôte
premier passage. Enfin, on note un léger change-
d’origine de la souche C, T. Deux bovins, ino-
ment au niveau de l’extrémité antérieure du
culés avec cette souche au 581” passage sur sou-
Trypanosome dont le flagelle se trouve bordé
ris, soit plus de dix ans après la récolte, sont
par une coulée pelliculaire de plus grande netteté
devenus positifs en 5 jours et la parasitémie a
que dans les premiers passages, réalisant ainsi
persisté pendant un mois, délai au bout duquel
une extrémité antérieure palmée (fig. : ee, gg,
les animaux ont été traités par I’Isométamidium.
pp, rr...).
:
Un autre bovin inoculé a une forte parasi-
Pour ce qui est des passages très élevés, les
témie au 8’ jour. Enfin deux Zébus, provenant
Trypanosomes, quoique devenus beaucoup plus
d’une région indemne de trypanosomiase, sont
longs, gardent cependant la morphologie spéci-
.
positifs 5 jours après inoculation de Trypano-
fique de T. congolense. On constate seulement
somes au 684” passage. Tous ces animaux ont
une augmentation du nombre des organites
présenté, au cours des épreuves, une parasitémie
intracytoplasmiques, à coloration métachroma-
tique. Des études faites au microscope électro-
élevée et des signes morbides qui attestent la
persistance de la virulence de cette souche pour le
nique sur la couche C, TQ au 157” passage et
bovin et confirment le type Dimorphon de
au-delà font ressortir la présence de plages de
l’espèce.
sécrétions élaborées par des formations lamel-
laires ou recticulum sécrétoire (2, 14) et ce sont
Une autre souche de T. congolense, non consi-
sans doute ces formations qui prennent une colo-
dérée dans ce rapport, Z 117, a conduit à des
ration métachromatique en microscopie pho-
observations similaires après inoculation à des
tonique.
bovins au 323’ passage. Les mêmes constatations
se rapportent aussi aux souches de Trypanosoma
III. OBSERVATIONS SUR LA VIRULENCE
brucei brucei après plus de 600 passages.
Les analyses faites sur les souris inoculées
montrent dans les premiers passages des diffé-
IV. DISCUSSION ET CONCLUSIONS
rences de comportement d’une souris à l’autre.
1. L’analyse biométrique et l’étude morpho-
Ces différences portent sur la durée de l’incuba-
logique de la variation autorisent à considérer
tion et celle de la survie après l’apparition des
les souches récoltées comme étant Trypanosoma
premiers Trypanosomes dans le sang. L’incu-
(Nannomonas) congolense BRODEN, 1904. La
bation est de 8 à 12 jours pour le 1”’ passage et
elle diminue au cours des passages consécutifs ;
longueur moyenne des populations mesurées
oscille entre 13,34 um et 14,26 pm. Ces valeurs
la durée de survie est de 15 à 30 jours et elle
sont conformes à celles retenues pour T. congo-
diminue aussi lors des passages. Chez quelques
lense par plusieurs auteurs : LAVERAN et
souris inoculées, l’acmé de l’infection est suivie
MESNIL (Il), BAKER (J), HOARE (7, X,9, lO),
d’une diminution considérable du nombre de
GODFREY (4, 5, 6), FAIRBAIRN (3), MAC-
Trypanosomes, voire de leur disparition totale.
KENZIE et BOYT (12).
Dans un de ces cas, les Trypanosomes restants
présentaient une grosse vacuole juxtanucléaire.
Les populations comportent des individus de
Après diminution, les Trypanosomes se multi-
forme massive, semblables à ceux désignés sous
plient à nouveau au bout de 24 à 72 h.
le nom de Trypanosoma montgomeryi, cité par
Dans les passages élevés, il a été constaté
LAVERAN et MESNTL dans leur ouvrage de
concernant la souche C, T une stabilisation de la
1912, mais nous n’en reconnaissons pas l’indé-
virulence à l’égard des souris : du 472” au
pendance spécifique tout comme STEPHEN,
572’ passage, sur 200 observations de souris, on
1963 (13).
note une durée moyenne de la période d’incuba-
2. Au cours des passages, on assiste à un
tion égale à 3,31 jours f 0,08 (amplitude de
allongement de la longueur des Trypanosomes
2 à 8 jours) et une durée moyenne de survie après
dans une même souche. Ce fait plaide en faveur
- 21 .-
de l’invalidation de Trypanosoma dimorphon en
térisant les formes observées par les qualitatifs :
tant que taxon spécifique pour ne l’admettre que
pachymorphes, leptomorphes, isomorphes ou
comme variation de T. congolense.
nannomorphes pour désigner respectivement la
3. Il apparaît que les Trypanosomes d’une
variation montgomeryi, la variation Dijnorphon
même souche peuvent se présenter, à un moment
et les formes caractéristiques normales de T.
donné et à travers le temps, sous des aspects
congolense.
variables. Nous pensons qu’il convient d’éviter
4 . Le fait de réaliser des passages élevés sur
l’emploi d’expressions telles que : variétés, races,
souris, même pendant dix ans, n’entraîne pas
types, etc..., pouvant faire penser à des entités
une perte de virulence de T. congolense à l’égard
infraspécifiques immuables. S’agissant plus parti-
des bovins et il semble dès lors illusoire d’obtenir,
culièrement de Trypanosoma congolense, nous
par le procédé des passages, des souches utilisa-
estimons pouvoir éviter ces expressions en carac-
bles pour vacciner.
*
S U M M A R Y
Biometry, morphology and virulence of Trypanosoma (Nannomonas)
Congolense during 640 passages into mice during 10 years
Three strains of Trypanosoma congolense were isolated in 1964 in thc
south-western Senegal and one of them passaged on mice as long as 10 years.
The strains presented Dimorphon variation. During the passages, it was observed
a lengthening of the Trypanosomes. High passages into mice, even practiced
beyond 10 years, did not induce the lack of virulence of T. congolense for cattle
and it seems illusory to obtain by the practice of passages, strains which cari be
used for vaccine.
RESUMEN
Biometria, morfologia y virulencia de Trypunosoma (Nannomonas)
congolense durante 640 pasajes sobre ratones durante diez aiios
En 1964, se recogieron tres cepas de T/*~~panosorrtu congolense en el sur-
œste de Senegal y se ha pasado una de ellas sobre ratones durante mas de diez
aiïos. Las tres cepas presentan la variation Dimorphon. Durante 10s pasajes
sobre ratones, la largura de 10s tripanosomos aumenta.
Efectuar numerosos pasajes sobre ratones, ademas durante diez afios, no
tiene por consecuencia una pérdida de virulencia de T. congolrnse para con ‘os
bovinos y parece ilusorio obtener, mediante pasajes, cepas utilizables para
vacunar.
BIBLIOGRAPHIE
1. BAKER (J. R.). Measurement of trypanosomes of
8. HOARE (C. A.). Morphological and taxonomie
the T. congolense group. E. Afv. vet. Res. Org.,
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Report, 1956-1957, p. 28.
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2. BOISSON (M. E.), BOISSON (C.) et MATTEI (X.).
210-23’.
Présence d’un appareil élaboiateur singulier chez
9. HOARE (C. A . ) . Morpholoaical a n d taxonomie
Trypanosoma connolense. C. R. Soc. Biol.. Paris.
studies 011. mammalian irypaiosomes. X. Revision
1967, 161 (8-9) : i772-1774.
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3. FAIRBAIRN (H.). Measurements of strains of
10. HOARE (C. A.). The Trypanosomes of mamma’s.
Trypanosoma congolense. Ann. trop. Med. Parasit.,
Oxford and Edinburnh,
- Ba:kwell Scientific Publ..
‘962. 56 (2) : 2’8-221.
1972, 749 p.
4 . GObFRÈY (D. G.). Cyc’ical transmission of “. LAVERAN (A.) et MESNIL (F.). Trypanosomes
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Afr. Inst. Tryp. Res., Report 1957, p. 21.
‘9’2, ‘000 p.
5. GODFREY (D. G.). Types of Trypanosoma congo-
12. MACKENZIE
(P. K. 1.) et BOYT (W. P.). Notes
lense. 1 - Morpholonical differences. Ann. trou.
upon a trypanosome strain ressembling T. conaoknse
Med. Parasit., 1960, 54 : 428-438.
a~pare.~tÏy~completely
adapted to the porcine ipecies.
Brit. vet. J., 1969, 125 (8) : 414-421.
6. GODFREY (D. G.). Types of Trypanosoma Congo-
13. STEPHEN (L. E.). On the validity of Trypanosoma
lense. ‘1 - Differences in the courses of infection.
montgomeryi, LAVERAN 1909. A~L trop. Med.
Ann. trop. Med. Parasit., 1961, 55 : 154.
Parasit., 1963, 57 (4) : 397-403.
7. HOARE (C. A.). (Révision de la classification des
14. T’OIJRE (S. M.). Etude ultrastructurale des effets
Trypanosomes pathogènes africains). Comité scient.
produits par diverses drogues trypano ides sur les
int. Rech. Trypanosomiases, 6c réunion, Salisbury,
Trypanosomes. Rev. Kiev. Méd. vét. Pa)>s trop. 1971,
‘956, 67-80.
24 (3) : 381-392.
VÉTÉRINAIRE DES PAYS TROPICAUX
9,
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REVUE D’ÉLEVAGE
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ET DE
MÉDECINE VÉTÉRINAIRE
DES PAYS TROPICAUX
Biométrie , morphologie et virulence
de Trypanosoma (Nannomonas) congolense
à travers 640 passages sur souris en 10 ans
par S. M. TOURE
(avec la collaboration technique de B. KEBE,
M. SEYE et N. BA)
VIGOT FRERES, EDITEURS
23, rue de I’Ecole-de-Médecine,
Paris-VI’
Rev. Elev. Méd. Vét. Pays trop., 1976, 29 (1) : 17-22
Biométrie, morphologie et virulence
de Trypanosoma (Nannomonas) congolense
à travers 640 passages sur souris en 10 ans
par S. M. TOURE (*)
(avec la collaboration technique de B. KEBE, M. SEYE et N. BA)
R É S U M É
3 souches de Trypanosoma congoltwsr ont été récoltées en 1964 dans le
sud-ouest du Sénégal et l’une d’elles passée sur souris pendant plus de 10 ans.
Les 3 souches présentent la variation Bimorphon.
Au cours des passages sur
souris, on assiste à un allongement de la longueur des Trypanosomes. Le fait
de réaliser des passages élevés sur souris, même pendant 10 ans, n’entraîne pas
une perte de virulence de T. congolense à l’égard des bovins et il semble illusoire
d’obtenir, par le procédé des passages, des souches utilisables pour vacciner.
INTRODUCTION
1. ÉTUDE BIOMÉTRIQUE DES
SOUCHES A TRAVERS LES PASSAGES
Trois souches de Trypanosomes, de l’espèce
Trypanosoma (Nannomonas) congolense, ont été
1. Premières semaines de passage
isolées en août 1964 dans deux villages du Sénégal
(Djilor et Keur Baba Diouf, Région du Sine-
La détermination spécifique des Trypanosomes
Saloum, 14” nord 16” 20’ ouest) et passées sur
est fondée sur ces premiers passages. En effet,
souris. Deux des souches, dénommées respec-
les lames faites sur le terrain à partir des bovins
tivement C, T et C, Q, proviennent de deux
et de l’âne n’avaient pas les qualités requises pour
bovins et la troisième, C, TQ, d’un âne. Les
une étude biométrique.
villages d’origine sont situés à côté d’une forêt
Les observations microscopiques, faites au
infestée de glossines (Glossina morsitans sub-
cours de ces passages, montrent des formes de
morsitans) et non loin de marigots à G. palpalis
*
grande taille en comparaison avec d’autres, de
gambiensis.
petite taille, souvent larges, ce qui pouvait faire
Au cours des passages successifs, deux des
penser a priori à une population hétérogène de
souches ont été perdues (C, Q en 1965 après
Trypanosomes. Cependant, l’analyse biomé-
4I
30 passages et C, TQ en 1970 après 367 passages)
trique ne reflète pas cette hétérogénéité car on
et la troisième a pu être maintenue jusqu’à
obtient une courbe de Gauss assez régulière.
présent sur souris (704O passage en mai 1975).
Six populations ont été mesurées, soit :
La présente note a pour objet l’étude biométrique
de Trypanosoma congolense à travers les passages
386 Trypanosomes de ler passage,
Cz T :
sur souris, la morphologie et ses variations ainsi
i 219 Trypanosomes de 3e passage.
que la virulence pour les bovins après dix années
229 Trypanosomes de le’ passage,
de passages.
C, Q :
( 166 Trypanosomes de 4e passage.
(*) 1. S. R. A., Laboratoire national de 1’Elevage et
C,TQ:
145 Trypanosomes de lerpassage,
de Recherches vétérinaires, B. P. 2057, Dakar, Sénégal.
236 Trypanosomes de 3e passage.
- 17 -
La longueur moyenne pour les six populations
L’étude critique des résultats de la biométrie
oscille entre 13,34 + 0,16 um et 14,26 ) 0,14 um.
dans ces premiers passages montre que ces sou-
Les moyennes observées sont, dans l’ordre crois-
ches de Trypanosoma congolense présentent une
sant : 13,34 -t 0,16 um ; 13,38 rt 0,ll um ;
variation de type Dimorphon. 11 apparaît
13,86 f 0,ll ym ; 13,90 + 0,13 um ;
toutefois que les moyennes réelles que nous avons
14,03 ) 0,21 um e t 14,26 & 0,14 um.
obtenues (13,34 à 14,26 um) ainsi que les valeurs
Par commodité d’appréciation qualitative, il
adoptées à un intervalle de classe de ces moyennes,
est convenu ici de considérer comme Trypano-
soit de 13 à 14,60 um, caractérisent une variation
somes de taille moyenne tous ceux dont la lon-
de type intermédiaire, si l’on compare les
gueur est comprise entre 13,00 um et 14,60 um,
données avec celles indiquées par HOARE, 1972
c’est-à-dire un intervalle de classe en deçà de la
(10) se référant à GODFREY, 1960 (5) et FAIR-
moyenne la plus faible et à un intervalle de classe
BAIRN, 1962 (3). Notre adhésion à une variation
au-delà de la moyenne la plus élevée. Ainsi, les
de type Dimorphon tient au pourcentage parti-
Trypanosomes considérés comme courts ne
culièrement élevé de formes longues, 29 à 46 p.
dépassent pas 13,00 um tandis que les formes
100, de très loin supérieur aux 11 p. 100 indiqués
longues commencent à partir de 14,60 um. Le
pour la variation de type intermédiaire et cela
tableau qui suit (tableau no 1) résume les données
même en adoptant comme point de départ des
numériques de l’analyse selon cette convention.
formes longues 14,60 um au lieu de 14,26 um.
11 y a lieu d’insister sur le fait que cette division
en trois séries n’a pas du tout la même significa-
2 . Sixième mois de passage et années suivantes
tion que pour les Trypanosomes du sous-genre
Trypanozoon et que nous ne l’avons adoptée que
Au sixième mois, la biométrie des 22” et
pour illustrer la tendance à l’allongement à
24” passages conduit aux résultats indiqués dans
travers les passages.
le tableau no II.
T A B L E A U No I - A n a l y s e biométrique
d a n s l e s premiers p a s s a g e s
-
Souches
5 T
C2 Q
C3 TQ
5 T
5 Q
C3 TQ
l e r p a s s a g e
Ier p a s s a g e
l e r p a s s a g e
3e passage
4e passage
3e passage
Nombre de trypanosomes
3 8 6
229
145
219
1 6 6
2 3 6
mesurés
A m p l i t u d e d e l a
v a r i a t i o n
( e n um)
8
-19,lO
9,60-18,70
10
-18,70
10,40-17,90
9,20-18,70
8,80-18,30
Longueur moyenne
(en Prn)
13,34
14,03
14,26
13,86
13,90
13,38
E r r e u r sur l a m o y e n n e
( e n pm)
+ 0,16
+ 0,21
+ 0,14
+ 0,ll
+ 0,13
+ 0,ll
I n t e r v a l l e S
Formes de
-13,OO
9,60-13,OO 10
-13,oo
10,40-13,oo
9,20-13,00
8,80-13,00
(bd
petite
Îcml>r~ de
98
43
20
4 0
29
54
I
tryr.
~-
t a i l l e
P o u r c e n t a g e
2 5
18
14
19
17
23
intervalle
Formes de
km)
13,00-14,60
13,00-14,60
13,00-14,hO
13,00-14,60
13,00-14,60
13,00-14,60
ti
t a i l l e
Nombre de
inter-
178
87
58
89
73
114
trYP.
médiaire
P o u r c e n t a g e
4 6
3 8
4 0
41
4 4
4 8
Formes de
Interval le
bd
14,60-19,lO
14,60-18,7O
14,60-18,70
14,60-17,YO
14,60-18,i0
14,60-18,30
grande
Nombre de
110
101
67
88
64
68
t a i l l e
trYP_
P o u r c e n t a g e
29
4 4
4 6
4 0
39
29
- 18 -
Variation morphologique de T. congolense :
de a à z : premiers passages sur souris ;
de bb A pp : passages consécutifs.
- 2 0 -
Les passages successifs chez la souris ont
l’inoculation égale à 9, 18 jours * 0,12 (ampli-
entraîné une diminution du nombre des formes
tude de 2 à 14 jours).
massives. De plus, les individus chez lesquels
Le fait le plus important est la constatation
apparaît une membrane ondulante sous forme
que les passages élevés ne semblent pas atténuer
d’l ou 2 festons sont plus nombreux que dans le
le pouvoir infectant à l’égard du bovin, hôte
premier passage. Enfin, on note un léger change-
d’origine de la souche C, T. Deux bovins, ino-
ment au niveau de l’extrémité antérieure du
culés avec cette souche au 581” passage sur sou-
Trypanosome dont le flagelle se trouve bordé
ris, soit plus de dix ans après la récolte, sont
par une coulée pelliculaire de plus grande netteté
devenus positifs en 5 jours et la parasitémie a
que dans les premiers passages, réalisant ainsi
persisté pendant un mois, délai au bout duquel
une extrémité antérieure palmée (fig. : ee, gg,
les animaux ont été traités par I’Isométamidium.
pp, rr...).
:
Un autre bovin inoculé a une forte parasi-
Pour ce qui est des passages très élevés, les
témie au 8’ jour. Enfin deux Zébus, provenant
Trypanosomes, quoique devenus beaucoup plus
d’une région indemne de trypanosomiase, sont
longs, gardent cependant la morphologie spéci-
.
positifs 5 jours après inoculation de Trypano-
fique de T. congolense. On constate seulement
somes au 684” passage. Tous ces animaux ont
une augmentation du nombre des organites
présenté, au cours des épreuves, une parasitémie
intracytoplasmiques, à coloration métachroma-
tique. Des études faites au microscope électro-
élevée et des signes morbides qui attestent la
persistance de la virulence de cette souche pour le
nique sur la couche C, TQ au 157” passage et
bovin et confirment le type Dimorphon de
au-delà font ressortir la présence de plages de
l’espèce.
sécrétions élaborées par des formations lamel-
laires ou recticulum sécrétoire (2, 14) et ce sont
Une autre souche de T. congolense, non consi-
sans doute ces formations qui prennent une colo-
dérée dans ce rapport, Z 117, a conduit à des
ration métachromatique en microscopie pho-
observations similaires après inoculation à des
tonique.
bovins au 323’ passage. Les mêmes constatations
se rapportent aussi aux souches de Trypanosoma
III. OBSERVATIONS SUR LA VIRULENCE
brucei brucei après plus de 600 passages.
Les analyses faites sur les souris inoculées
montrent dans les premiers passages des diffé-
IV. DISCUSSION ET CONCLUSIONS
rences de comportement d’une souris à l’autre.
1. L’analyse biométrique et l’étude morpho-
Ces différences portent sur la durée de l’incuba-
logique de la variation autorisent à considérer
tion et celle de la survie après l’apparition des
les souches récoltées comme étant Trypanosoma
premiers Trypanosomes dans le sang. L’incu-
(Nannomonas) congolense BRODEN, 1904. La
bation est de 8 à 12 jours pour le 1”’ passage et
elle diminue au cours des passages consécutifs ;
longueur moyenne des populations mesurées
oscille entre 13,34 um et 14,26 pm. Ces valeurs
la durée de survie est de 15 à 30 jours et elle
sont conformes à celles retenues pour T. congo-
diminue aussi lors des passages. Chez quelques
lense par plusieurs auteurs : LAVERAN et
souris inoculées, l’acmé de l’infection est suivie
MESNIL (Il), BAKER (J), HOARE (7, X,9, lO),
d’une diminution considérable du nombre de
GODFREY (4, 5, 6), FAIRBAIRN (3), MAC-
Trypanosomes, voire de leur disparition totale.
KENZIE et BOYT (12).
Dans un de ces cas, les Trypanosomes restants
présentaient une grosse vacuole juxtanucléaire.
Les populations comportent des individus de
Après diminution, les Trypanosomes se multi-
forme massive, semblables à ceux désignés sous
plient à nouveau au bout de 24 à 72 h.
le nom de Trypanosoma montgomeryi, cité par
Dans les passages élevés, il a été constaté
LAVERAN et MESNTL dans leur ouvrage de
concernant la souche C, T une stabilisation de la
1912, mais nous n’en reconnaissons pas l’indé-
virulence à l’égard des souris : du 472” au
pendance spécifique tout comme STEPHEN,
572’ passage, sur 200 observations de souris, on
1963 (13).
note une durée moyenne de la période d’incuba-
2. Au cours des passages, on assiste à un
tion égale à 3,31 jours f 0,08 (amplitude de
allongement de la longueur des Trypanosomes
2 à 8 jours) et une durée moyenne de survie après
dans une même souche. Ce fait plaide en faveur
- 21 .-
de l’invalidation de Trypanosoma dimorphon en
térisant les formes observées par les qualitatifs :
tant que taxon spécifique pour ne l’admettre que
pachymorphes, leptomorphes, isomorphes ou
comme variation de T. congolense.
nannomorphes pour désigner respectivement la
3. Il apparaît que les Trypanosomes d’une
variation montgomeryi, la variation Dijnorphon
même souche peuvent se présenter, à un moment
et les formes caractéristiques normales de T.
donné et à travers le temps, sous des aspects
congolense.
variables. Nous pensons qu’il convient d’éviter
4 . Le fait de réaliser des passages élevés sur
l’emploi d’expressions telles que : variétés, races,
souris, même pendant dix ans, n’entraîne pas
types, etc..., pouvant faire penser à des entités
une perte de virulence de T. congolense à l’égard
infraspécifiques immuables. S’agissant plus parti-
des bovins et il semble dès lors illusoire d’obtenir,
culièrement de Trypanosoma congolense, nous
par le procédé des passages, des souches utilisa-
estimons pouvoir éviter ces expressions en carac-
bles pour vacciner.
*
S U M M A R Y
Biometry, morphology and virulence of Trypanosoma (Nannomonas)
Congolense during 640 passages into mice during 10 years
Three strains of Trypanosoma congolense were isolated in 1964 in thc
south-western Senegal and one of them passaged on mice as long as 10 years.
The strains presented Dimorphon variation. During the passages, it was observed
a lengthening of the Trypanosomes. High passages into mice, even practiced
beyond 10 years, did not induce the lack of virulence of T. congolense for cattle
and it seems illusory to obtain by the practice of passages, strains which cari be
used for vaccine.
RESUMEN
Biometria, morfologia y virulencia de Trypunosoma (Nannomonas)
congolense durante 640 pasajes sobre ratones durante diez aiios
En 1964, se recogieron tres cepas de T/*~~panosorrtu congolense en el sur-
œste de Senegal y se ha pasado una de ellas sobre ratones durante mas de diez
aiïos. Las tres cepas presentan la variation Dimorphon. Durante 10s pasajes
sobre ratones, la largura de 10s tripanosomos aumenta.
Efectuar numerosos pasajes sobre ratones, ademas durante diez afios, no
tiene por consecuencia una pérdida de virulencia de T. congolrnse para con ‘os
bovinos y parece ilusorio obtener, mediante pasajes, cepas utilizables para
vacunar.
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‘956, 67-80.
24 (3) : 381-392.