L'ARACHIDE ET LE CONTRÔLE BIOLOGIQUE DES NEMATODES ...
L'ARACHIDE ET LE CONTRÔLE BIOLOGIQUE DES NEMATODES
MELOIDOGYNE spp. DANS LES CULTURES MARAÎCHERES DU
SENEGAL.
Par
C, NETSCHER
Maître de Recherche Principal
0. R, S, T. 0. M.
Juin 1974
Centre pour le Développement et
Office de la Recherche
de l'Horticulture,
Scientifique et Technique
Cambérène - Dakar,
Outre - Mer
Centre de Dakar, Bel-Air
Sénégal
Sénégal

INTRODUCTION
Dans plusieurs pays d'Afrique de l'Ouest l'urbanisation
croissante et le développement de cultures industrielles (conserve-
ries et exportation de légumes frais 8 contre-saison) entra?nent
depuis quelques années une extension progressive de cultures maralchè-
res, extension se traduisant par la présence de petites exploitations
aux abords des
villes (Dakar, Abidjan, Bobo-Dioulasso) tandis que de
grandes sociétés s'installent sur plusieurs centaines d'hectares.
En ce qui concerne le Sénégal les culture maraîchères sont
essentiellement établies, sur sols irrigués, dans la zone littorale,
entre Dakar et St-Louis. La période de culture (Novembre à Juin)
correspond 8, la saison sèche caractérisée par des températures relati-
vement basses avec des minima de 15’, ce qui est très propice au ma-
raîchage,
La production actuelle compte tenu du faible niveau technique
des cultivateurs locaux et de l'implantation récente des sociétés
maraichères peut
connaître un dgveloppement sensible,
mais il faut tenir compte de certains facteurs limitants, en parti-
culier de l"action des nématodes phytoparasites appartenant au genre
Meloidogyne qui attaquent la plupart des plantes maraîchères des zones
tropicale et tempérée chaude,
L'importance des pertes dues aux Meloidoggne, difficilement
chiffrable au Sénégal, n'est, plus à démontrer : aux USA elles s'élèvent
à 266 millions de dollars par an (Anon. 1971), bien que la majorité des
cultures maraîchères nord américaines ait lieu en zone tempérée froide
où ces parasites ont un rôle plus faible ; ainsi pour les haricots
verts les pertes sont estimées à 20% aux USA (Anon. 1971) et à 60% au
Kenya (Ngundo, 1972). Au Sénégal un traitement nématicide sur tomate a
permis une augmentation de rendement de 25% (Netscher & Mauboussin,
1973) l
Des prospections effectuées au Sénégal, en Mauritanie et en
Ga:nbie ont montré que la plus grande partie des surfaces régulière-
ment cultivées en légumes est contaminée par les Meloidogyne (Nets-
cher, 1970 ; Betscher 6% Luc, 1974 ; Merny, Luc & Fortuner, 1974).
La vaste répartition de ces nématodes en Afrique de l'Ouest rendait
indispensable la mise au point de méthodes de lutte adaptées aux
conditions locales.
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2 -
C'est ce qui a motivé la collaboration étroite entre la
F.A.O. et 1'O.R.S.T.O.M.
dans le cadre de la Station pour le DQve-
loppement de 1'Horticulture au Senégal, sise à Cambérène, où, sous
l'ggide des responsables appartenant à la F.A.O., le laboratoire de
Nématologie du Centre O.R.S.T.O.M.
de Dakar Bel-Air est chargé de la
conception et de l'interprétation des essais concernant différents
aspects des relations entre nématodes phytoparasites et plantes
maraîchères.
LA LUTTE CONTRE LES NEMATODES
Dans les pays industrialisés, la lutte contre les nématodes
est le plus fr6quemment fondée sur l'emploi de produits chimiques, les
nématicides.
Très efficaces, ces produits sont malheureusement coûteux,
et,le plus souvent, dgrivés de pétrole, risquent de le devenir de plus
en plus.
Les plus communs sont des fumigants du sol ; ils sont diffi-
ciles à répartir uniformément,
toxiques et demandent un appareillage
d'application relativement fragile, facilement attaqué par le produit
lui-même, très corrosif. Une autre catégorie de nématicides,
les
produits systémiques ne sont généralement pas autorises pour les cul-
tures maraîchères enraison de la presence Eventuelle de résidus toxi-
ques dans les parties comestibles.
Pour ces raisons une méthode de lutte fondée sur l'emploi
exclusif des n6maticides paraît difficilement applicable dans les
régions considérdes et d'autres techniques doivent être développées
afin de limiter l'emploi de ces produits. Une des méthodes de lutte
envisagge est la mise au point de rotations culturales dans lesquelles
des plantes sensibles alternent avec des plantes non hôtes. Les
Meloidoayne,
parasites obligés, dépendent en effet entièrement de la
présence de
plantes-hôtes pour se développer et se reproduire. Les
larves issues des oeufs, dans le sol, ne peuvent survivre très long-
temps (un mois environ) si elles n'infestent une plante-hôte convenable.
L'absence prolongée de telles plantes dans une rotation culturale dimi-
nuera donc le taux d'infestation du sol et la culture d'une plante
sensible pourra être envisagée.
.., /
,..

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UTILISATION POSSIBLE DE L'ARACHIDE
Une plante intéressante à cet égard est l'arachide, qui
constitue de plus la ressource agricole principale du Sénégal.
L'arachide n'est en effet attaquée ,ni par
Meloidogyne ltincognita"b
ni par M. javanica*(Sasser,
1954) deux espsces très frcquentes au
SEnégal (Netscher 1970). Bien que M. "arenaria"T espèce attaquant l'ara-
chide aux USA, soit présent au Sénégal, aucune attaque de Meloidogyne
sur arachide n'y a été signalée ou observke, bien que cette culture
soit très étendue et très ancienne. Il semble donc qu'aucun des
Meloidogyne pr/sents au Séndgal n'attaque l'arachide. Ceci a été con-
firmé au laboratoire
03 des arachides ont été inoculées avec des
populations de Meloidogyne provenant de différentes régions du Sénégal :
jusqu's present aucune souche testée ne s'est montrée agressive envers
l'arachide.
Un premier essai orientatif, & la Station de Cambérène, a
permis de suivre l'dvolution des populations de Meloidogyne sur un
terrain portant diffdrentes cultures. Une diminution des populations
dans les parcelles cultivées en arachide a été mesurGe, diminution si
importante et si rapide qu'elle ne pouvait être expliquée par un épui-
sement des nématodes mais plutôt par l'action même de l'arachide sur
le nématode. Quelques expériences qui ont permis de préciser cette
action sont décrites ci-dessous.
Bxp6riences au laboratoire
Des plants d'arachide d'un mois, cultiv6s en pot d'un dm 3
ont été inoculés avec 1 000 larves de Meloidogyne cf. arenaria. Un
mois après inoculation les plants gtaient déterres, les racines
soigneusement lavées, colorées & la fuschine acide en solution dans le
lactoph%nol à Gbullution,
lavées à l'eau et différenciées pendant 12
heures dans une solution de chloral hydraté saturé. Les racines ont été
ensuite écrasées entre deux lames de verre et observées sous la loupe
binoculaire.
*
La grandevariabiJ&éde& critères tant morphologiques que physio
logiques et la présence de formes intermédiaires nous amènent à n'atta-
aber, à ce jour, que peu de valeur aux déterminations spbcifiques
"classiquesw
(y compris les n9tres), en ce qui concerne les Meloidogyne
de l'Afrique de 1'Quest.
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. . . ..*

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L'examen de ces racines a montré que les larves de Meloido-
gyne p6nètrent au niveau des extrémités apicales des racines, en gran2
nambre ; une r6action d'hypersensibilit6 de la plante avait provoque
la ngcrose des cellules situées au voisinage des larves. Dans le cas
d'attaques très graves les racines sont complètement nécrosées et la
croissance de la plante est arrêtée. Lorsque les attaques sont mains
fortes, la croissance des racines n'est pas perturbée et les larves
restent englobées dans les tissus végétaux. Dans aucun cas il n'a ét6
observé de syncitia, ou cellules géantes, qui constituent chez les
plantes sensibles le lieu et l'unique source de nutrition n6cessaire au
dsveloppement du nématode.
Il n'existe pas de méthode quantitative permettant d'extraire
les larves mortes à partir de racines et la méthode de comptage direct
ne peut commodément être utilisée dans le cas de systémes radiculaircs
relativement importants. Une méthode indirecte permettant d'estimer
l'importance de la pénétration des larves de Meloidogyne dans l'arschi-
de a donc été mise au point.
Vingt quatre pots de 400 dm3 ont été remplis avec du sol
sableux stérilisé ; douze de ces pots ont reçu chacun une graine avec
1 000 larves de Meloidogyne cf. arenaria. Pendant les trois semaines
suivantes tous les pots étaient arrosgs quotidiennement. Après ces
trois semaines la terre de chacun des pots a été passé à l'élutriateur
de Seinhorst (1956) pour déterminer le nombre de larves présents dans
le sol. Les résultats des comptages (tableau 1) montrent que le nombre
deslarves dans les pots portant des arachides est très inférieur à
celui des témoins, sans arachide. La différence peut être expliquée
soit par une action toxique de l'arachide, soit par la pénétration des
larves dans les racines. Cette deuxième explication est la seule à
retenir, étant donné les observations faites concernant les fortes
pénétrations dans des racines d'arachide de
larves appartenant à cette
même population de Meloidogyne.
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. . . l . .

-cj-
Tableau No 1. Moyenne et dispersion du nombre de larves récupérges
dans le sol trois semaines après inoculation avec 1 000
larves de Meloidogyne cf. arenaria (12 répétitions).
IPots avec arachide)Pots sans arachide
Moyenne
l
13
1
365
Dispersion
I
294
1
114,4
Essais au champ.
Dans un essai mis en place sur la Station de Cambérène
l'effet de la culture d'arachides et de tomates sur l'évolution des
populations de Meloidoayne dans le sol a été mesuré.
Le terrain avait préalablement été infesté artificiellement
de façon homogène ; des parcelles 3 x 1 m y ont 6té ensuite dGlimit6es
et soit repiquées avec des arachides (var. 55. 437) soit ensemencées
avec des tomates (var. casaque rouge). Chacun des deux traitements était
rép6té quinze fois.
Au moment de la plantation et 2 des intervalles dvun mois
un Echantillon multiple de sol a ét6 prélevé dans chaque parcelle et
le nombre de larves de Meloidogyne déterminé selon la méthode de
Demeure et Netscher (1973). Pendant toute la durée de la vjgétation,
les parcelles ont étk soigneusement desherbées pour Eviter que les
Meloidowne ne se reproduisent sur une plante adventice dont un grand
nombre est sensible aux Meloidogyne.
Les résultats de l'essai sont donnés dans le graphique 1.
On y observe qu'un mois après la mise en place de lVessai le taux moyen
de ngmatodes a baissé aussi bien dans les parcelles de tomates que
d'arachides.
Ceci est dû à la pénétration massive des larves dans les
racines. Deux mois après, la reproduction de Meloidogyne dans les ra-
cines de tomates provoque une augmentation de ce taux qui devient
supérieur à celui mesur au début de l'expérience, tandis qu'il reste
très bas dans les parcelles d'arachide. Après trois mois le taux de
Meloidogyne est multiplié par 6 dans les parcelles de tomate tandis
que dans les parcelles d'arachide il se trouve réduit de 95 %.
DfSCUSSION
Ces résultats pourraient servir de base à une technique de
lutte contre les Meloidogyne incorporant une culture d'arachide dans
I--r-r‘.s-rrrt*UIUUR-~-ur..ll---.--~-~-,----~'
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les rotations comportant des plantes sensibles. Ceci ne devrait tech-
niquement poser aucun problème, l'arachide 6tant une culture courante
au Sénégal, mais une certaine prudence s'impose cependant dans l'appli-
cation pour les raisons suivantes :
Les Meloidogyne de l'Afrique de l'Ouest montrent une certaine
variabilité dans leur réaction envers différentes plantes. Comme exem-
ple de cette variabilité on peut citer l'accoutumance des Meloidogync
aux variétés résistantes. Nous avons pu créer de telles races agres-
sives en partant de populations qui n'attaquent pas normalement les
variétés résistantes de tomate. Par suite de cette adaptabilité le
risque existe de sélectionner des souches capables de se reproduire
sur arachide. L'apparition de telles races agressives constituerait
un grave danger pour la culture d'arachide et doit être à tout prix
évité.
Un certain nombre de précautions sont donc nécessaires : il
conyiendrici de considérer la rotation avec l'arachide comme une mesure
préventive,
c'est-à-dire de ne
l'utiliser qu'après des cultures
maraîchères non ou peu attaquées par Meloidogyne ; on peut concevoir
d'autre part de cultiver des arachides dans des sols très infestés
après un traitement nématicide destiné 8. réduire très fortement le
taux de nématodes, l'arachide servant de piège pour les Meloidogyne
qui ont échappé au traitement.
Une autre raison qui nous amène à déconseiller la culture
d'arachide dans des terrains très infestés est le fait qu'une attaque
très importante empêche le système radiculaire de se développer norma-
lement et peut même arrêter complètement la croissance. Dans un tel
cas, le "nettoyage" du terrain qui dépend de la densité des racines
d'arachide ne peut être que très incomplet.
Un autre point très important dans la lutte contre les
Meloidogyne par rotation culturale est le contrôle parfait des mauvai-
ses herbes. L'effet bénéfique d'une rotation avec l'arachide peut être
complètement annulé si on laisse se développer de telles plantes dont
bon nombre favorise la multiplication des Meloidogyne. Or dans un
champ tr8s infesté ~3. la croissance des pieds d'arachide est faible,
il est beaucoup plus difficile d'éliminer la végétation adventice.
Les points soulevés ici ne nous semblent pas poser de pro-
blèmes insurmontables mais une expérimentation plus fine doit être
mise en place avant que l'on puisse incorporer l'arachide dans des
J
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Fig.1 (,en haut, à gauche) : Larves de Meloidogyne ayant incomplètement p&étré dans
l'extrémité d'une racine d'arachide, Fige2 (en bas, à gauche) : Larves de 14eloidogyne
à l"intérieur de l'extrémité apicale d'une racine d'arachide (noter les cellules
nécrosées). Kg.3 (à droite) : Plant d'arachide âgé de deux mois venant d'un champ
très infesté par Meloidogyne : les racine5 sont complètement nécrosées.


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des rotations destinées à contrôler les Meloidogyne en culture
marafchère.
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