Revue Sénégalaise des Recherches Agricoles et...
Revue Sénégalaise des Recherches Agricoles et Halieutiques - Vol. 2 - n 1 - 1989
l
UTILISATION
DE L’EUCALYPTUS CAMALDULENSIS
DANS LA LUTTE
CONTRE LA DESERTIFICATION
Par
S. SADIO, P. N. SALL et G. DIA’ITA
Chercheurs à I’ISRA
Direction des Recherches sur les Productions Forestières
RESUME
Introduit au Sénégal depuis 1863,l’Eucalyptu.s camaldulensis s’y est bien acclimaté. Cependant, les
tests de provenances ont révélé des variabilités phénotypiques d’une station à l’autre et mis en évidence
qu’àchaquezoneclimatiquecorrespondaituneprovenancequisedistinguaitparsacroissanceetson
taux
de survie.
Ses caractéristiques anatomiques et sa faculté de réguler sa transpiration en fonction de la quantité
d’eau disponible du sol lui permettent de résister à une grande sécheresse.
Au sein d’une même zone climatique, cette espèce se montre sensible aux variations des sols,
s’accomodant mal d’un sol superficiel, érodé, compact ou sableux profond. Elle souffre de la concurrence
des adventices surtout dans les zones arides.
SUMMARY
Brought in Senegal since 1863, Euca1yptu.v camaZduZen.sis seemes to be well acclimated. However,
origin tests revealed phenotypical variability from one site to an other and pointed out links between sites
and species origins which cari be distinguished by growth and survival rates.

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It’s anatomical characteristics and capacity to regulate the transpiration according to soi1 water
availability, make this especy highly drought tolerant.
In the same climatic zone, it
to be sensitive to various soi1 types, showing bad growth in
shallow, eroded, compacted and deep sandy soils. It suffers from competition by adventices, mainly in
arid zones.
ilflots clés : Eucalyptus camaldulensis, désertification, sécheresse / drougth, déficit hydrique 1
water deficiency, phénotypes /phenotypes, sols / soils, Sénégal, Sahel.
RESUMO
Introduzido no Senegal desde 1863. o Eucalyptus Camaldulensis, aclimou-se muito bem ao pais.
No entanto, os testes de origémrevelaram variabilidades fenotfpicas deum centra depesquisapara outro
e evidenciou que, a cada zona climatica correspondis uma origém que se distinguia pelo seu crescimen-
to e sua taxa de sobrevivencia.
As suas caracteristicas anatômicas e sua faculdade deregular a sua transpira&o em relaçào àquan-
tidade de agua disponivel no chZo fazem dela uma essência capaz de resis tir a uma certa carência hidrica.
Dentro duma mesma zona climatica, essa essencia manifesta sensibilidade às variaços pe-
dolagicas ; assim, ela se comporta mal num chgo superficial, corroido, compacto ou profundamente
arenoso. Também é sensivel à concurência de especies adventicias, sobretu do nas zonas defïcientes em
agua.
Palavras chaves : Eucalyptus camaldulensis - desertificaç5o - seca déficite hidrico - fen6tipos -
tipos de solos - Sahel - Senegal.

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INTRODUCTION
La lutte contre la désertification et la satisfaction en bois d’une population de plus en plus
nombreuse ont amené les forestiers sénégalais à utiliser des essences à croissance rapide.
Parmi les diverses essences utilisées,Eucalyptus camaldulensis DEHN occupe une place
assez importante grâce à sa plasticité, sa capacité de produire des rejets et aux courtes rotations
qu’on peut lui appliquer. Ceci est d’un grand intérêt surtout sous climat tropical sec où la
régénération naturelle est rendue très aléatoire par la sécheresse persistante.
Afin de disposer d’un matériel végétal sélectionne laDirection des Recherches sur les Pro-
ductions Forestières de l’ISRA a entrepris des tests de provenances et des études écophysio-
logiques, pédologiques et sylvicoles dans ses stations expérimentales.
VARIABILITE GENETIQUE ET POSSIBILITES DE SELECTION
DE PROVENANCES RESISTANT A LA SECHERESSE
L’utilisation d’une essence à très large distribution naturelle dans son pays d’origine sup-
pose d’abord son adaptation aux conditions écologiques du milieu d’introduction. C’est dans
ce cadre que le DRPF a testé plus d’une centaine de provenances à travers le pays, depuis l’iso-
hyète 400 mm jusqu’à 1500 mm.
Les études menées à la Station de Keur-Mactar (Sine-Saloum) ont permis de montrer
l’existence d’une variabilité inter et intra-provenance, donc des possibilités de sélection (2).
Les differences entre provenances semblent surtout s’expliquer par leur comportement inter-
annuel. L’étude de lastabilitéphénotypiquearévélé qu’un certain nombre de provenances était
très stables et peu sensibles aux variations climatiques inter-annuelles. Il s’agit des provenan-
cesFTB (8298,8411,6948,8035)
et CTFT(10558et 10517) quiont donnélesmeilleursrésul-
tats. Certains caractères phénotypiques s’expriment par la largeur, la longueur, la couleur des
feuilles ou par la densité des glandes à essence (3).
Les possibilités de sélectionner les provenances résistant àla sécheresse existent et peuvent
être orientées sur les provenances les plus stables.
ASPECTSECOPHYSIOLOGIQUES
Possibilités photosynthétiques et mécanisme de résistance à la sécheresse
Des prélèvements d’épiderme ont permis de déceler le caractère amphistomatique de la
feuille et des coupes transversales ont mis en évidence l’existence d’un parenchyme palissa-
dique sur les deux faces foliaires.
L’aptitude de 1’EucaZyptus cumuldulensis à supporter de fortes déshydratations est confir-
mée par les valeurs de seuil Iéthal, comprises entre 75 et 85 % DSH* et par sa teneur maximale
en humidité qui ne dépasse pas 120 % par rapport au poids sec.
Il faudra donc que la feuille perde plus des 3/4 de sa teneur en eau pour chûter ; or sa teneur
en matière sèche par rapport au poids frais est en moyenne de 44 à 45 % (7).
Toutes ces données montrent les nombreuses dispositions photosynthetiques de cette es-
sence dont la fanaison est réversible en conditions contrôlées jusqu’à pF 4,8 (1).
Le déficit hydrique, principal facteur de mortalité des arbres sous nos climats, va donc con-
ditionner en grande partie la réponse de 1’Euculyptus cumuldulensis aux conditions du milieu.
* Déficit de Saturation Hydrique

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Consommation en eau
Les résultats de bilan hydrique obtenus sous des climats divers par de nombreux auteurs (4,
5,7) ont montré que 1’Eucalyptus était capable d’adapter sa transpiration à la quantité d’eau
disponible, fut-ce au détriment de sacroissance. Par conséquent, laquantitéet la répartition des
pluies deviennent des paramètres décisifs dans la mesure où ils contribuent à la recharge des
réserves hydriques du sol. A Bandia, les faibles précipitations enregistrées ces dernières années
(250 mm en 1983 et 330 mm en 1984) n’ont, à aucun moment, permis la recharge complète de
l’eau disponibledu sol. Ce déficit hydrique du sol se traduit par un arrêt decroissance en circon-
férence dès la fin des pluies. La faible quantité d’eau encore disponible permet, cependant, une
légère croissance en hauteur jusqu’en décembre. A ce moment, la régulation stomatique est au
maximum et 1’Evapotranspiration (ETR) égale à la pluviométie enregistrée. Le potentiel de
base est alors de - 1,5 MPa. Les arbres parviennent néanmoins à se maintenir en vie jusqu’à la
prochaine saison des pluies.
INFLUENCE DES FACTEURS EDAPHIQUES SUR LA CROISSANCE
Lacomparaison des différents sols montre que les facteurs affectant de manière très sensible
la croissance sont, en régle générale, plutôt d’ordre physique (6). Il s’agit essentiellement de
la texture, de la structure, de la profondeur et des réserves hydriques. Les facteurs chimiques
peuvent être prépondérants dans le cas particulier de sols salés ou alcalins. La croissance en
hauteur et en circonférence n’est différente d’un sol à l’autre qu’à partir de la troisième année.
Elle est meilleure sur sols à texture équilibréeetriches en éléments colloïdaux argilo-humiques.
C’est le cas de certaines parcelles de Mbao et de Djibélor. Sur sables profonds, la croissance
est très médiocre ; cela s’explique par la texture trés grossière qui favorise des pertes par infil-
tration profonde de l’eau de pluie, d’où une faible réserve hydrique qui s’épuise dès la fin de
l’hivernage (Kébémer et Keur-Mactar).
La structure compacte des sols lourds argileux hydromorphes ralentit le développement de
la partie aérienne et du système racinaire limité aux horizons superficiels (Bandia et Keur-
Mactar). Lamauvaiseaération de ces sols, en entraînant des conditions d’anoxieracinaire, crée
des troubles métaboliques au sein de la plante.
Les résultats obtenus à la Station de Keur-Mactar illustrent assez bien les différences de
croissance liées au type de sol. C’est que, sur sol sablo-limoneux perméable et bien aéré, on
obtient, au bout de 7 ans de croissance avec la provenance 8298, une hauteur moyenne de 1070
cm pour une circonférence de 27 cm contre, respectivement, 890 cm et 22,5 cm sur sol argilo-
sableux et mal draîné.
SYLVICULTURE ET REBOISEMENT
Choix des terrains
Dans unezoneclimatiquedonnée, le choix du terrain àreboiser doit principalement reposer
sur des facteurs pédologiques dans la mesure où la croissance des arbres dépend des réserves
hydriques et minérales du sol.
L’étudepédologique aura pour but essentiel de cerner les contraintes au bon développement
de la plante. Plus le milieu est sec, plus les exigences édaphiques sont importantes dans la
mesure où les arbres devront s’alimenter essentiellement sur les réserves hydriques du sol
pendant la saison sèche. Le sol doit donc être capable d’emmagasiner suffisamment d’eau
pendant l’hivernage. L’attention doit, de ce fait, être portée sur la texture (richesse en éléments
colloïdaux), la structure et la profondeur utile du sol.

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Les meilleurs sols qui permettent à 1’Eucalyptus camaldulensis de prospérer sont ceux à
texture plus ou moins équilibrée, contenant des proportions a peu près égales de sables, limons
et argiles et riches en matière organique. Une telle texture permet de retenir suffisamment
d’eau. Les sols lourds sont à éviter de préférence car, même si l’espèce parvient à S'y maintenir,
elle donne une faible production. Cependant, ils peuvent être utilisés dans le cadre d’un bois
villageois ou de reboisement de protection. Il en est de même pour les sols sableux profonds
ou la texture grossière entraîne un déficit hydrique qui s’installe dès la fin des pluies et qui se
traduit par une forte mortalité des arbres.
Les sols superficiels et dégradés (cuirassés, érodés, etc.. .) sont inaptes à l’introduction de
1’Eucalyptus camaldulensis car leur faible profondeur utile ne permet pas une prospection
racinaire importante pour satisfaire les besoins hydriques et minéraux de la plante.
Choix des provenances
Dans une étude récente, S. SADIO (1984) a montré que les provenances du Nord
Queensland donnaient de meilleurs résultats dans les stations humides (Djibélor), alors que
celles de l’Ouest se révèlent plus performantes dans les stations plus sèches (Bandia, Bambey).
L’étude a également montré que les provenances étaient sensibles à la latitude et à la continen-
talité. C’est ainsi que nous retenons pour :
zone côtière : provenance HANN (194 1) dans les stations sèches et 8298 ou 8038 dans les
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stations humides ;
centre-ouest : provenance 8035 (Bandia et Bambey) ;
l
centre-sud (Kaolack) et zone orientale (Keur-Samba) : provenance 8298 ;
l
Casamance : provenance KATHERINE et 6948.
l
Techniques de plantation
a - Préparation du sol
Les travaux de préparation du sol (labour, sous-solage, pote& etc...) menés dans les
différentes stations n’ont pas donné de différences significatives. Les potets de plantation
peuvent être recommandés, compte tenu des avantages qu’ils présentent : simplicité des
moyens utilisés (pelles et creusoirs), intervention localisée à l’emplacement du plant et
stockage de l’eau de pluie. Ils doivent être ouverts avant les premières pluies en prenant soin
de ne pas mélanger la terre de surface avec celle de profondeur. Cette technique ne dégrade pas
le sol et s’avère bien adaptée aux terrains en pente ou pierreux. Les dimensions conseillées sont
de60x60x60cm.
L’utilisation des moyens lourds (tracteurs, bulldozers, etc.. .) mal adaptes aux conditions
de terrain a entraîné, par endroits, des dégradations très marquées. Cependant, les travaux de
défonçage, de sous-solage ou labour profond peuvent être préconises sur sols lourds et
compacts afin de les ameublir et de favoriser l’infiltration des eaux de pluie.
b - Ecartement
L’écartement optimum, donnant la meilleure production, est a la fois fonction du type de
sol et du climat. Ainsi, dans le secteur de Bandia, sur sol argilo-sableux compact et peu profond,
l’écartement optimum est de 6 x 6 m, tandis qu’il est de 4,s x 4,5 m sur sol plus profond. Dans
les secteurs centre-sud (Kaolack) et sud (Casamance), le meilleur écartement semble être de 4
x4m.
Dans le cas de bois de village ou lorsqu’on prévoit des éclaircies, la plantation peut être faite
avec une forte densité initiale (1 600 plants/ha, soit 2,5 x 2,5 m) quand la fertilite de la station
le permet.

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Entretiens
L’Eucalyptus se développe bien lorsqu’il n’est soumis à aucune contrainte édaphique,
climatique ou concurrentielle des adventices ; il est particulièrement sensible à cette dernière,
surtout au cours des deux premières années de plantation. Cette opération peut se faire, de
préférence, avec des outils manuels autour des plants et complétée par un hersage ou disquage
lorsqu’il n’y a pas de danger de dégrader les sols.
Deux entretiens par an sont indispensables pendant les deux premières années de plantation:
le premier doit être fait au milieu de la saison des pluies, avant la montée en graines des herbes
au cours de la première quinzaine d’août ; le second dès la fin de l’hivernage, avant la fin
d’octobre.
CONCLUSION
Les résultats obtenus dans les différentes stations montrent que Eucalyptus camaldulensis
est une essence capable de s’adapter à diverses situations climatiques et édaphiques. Toutefois,
sa réussite dans un milieu donné semble être fortement conditionnée par la nature du sol,
compte tenu du fait que son alimentation hydrique et sa nutrition minérale en dépendent.
Il apparaît donc indispensable que soient menées, avant toute opération d’afforestation, des
études pédologiques qui devront déterminer les terrains à reboiser. Lorsque le milieu ne répond
pas à ses exigences édaphoclimatiques, il donne de mauvais résultats qui peuvent se traduire
par une forte mortalité et une très faible croissance. Ses qualités sylvicoles (rejets de souches
et courtes rotations) font que cette essence peut jouer un grand rôle dans la lutte contre la
désertification.
BIBLIOGRAPHIE
1
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Colloque sur la sécheresse, Dakar, Septembre 1984,6 p.
2 DIATTA G., 1985 .- Etude de la variation phénotypique et du comportement de
diverses provenances d’Eucalyptus camaldulensis DEHN et d’Eucalyptus microtheca
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3 KARSCHON R., 1967 .- Ecotypic variation in Eucalyptus camaldulensis DEHN. In :
Eucalyptus camaldulensis - CFI-CSIRO, Tropical papers n 8,59 p.
4 KARSCHON R. et HETH D., 1967 .- The water balance of plantation of Eucalyptus. In:
Contributions on Eucalyptus in Israël III, pp. 7 - 34.
5 PAWLA LIMA et FREIRE, D., 1976 .- Evapotranspiraçao em plantaçoes de Eucalypro
e de Pinheiro, e em vegetaçao herbacea natural. I.P.E.F, Piracicaba, (12): 103 - 117.
6 SADIO S., 1984 .- Comportement de quelques provenances d’EucaZyptus camaldulensis
sur différents types de sol et zones climatiques du SCnégal. Mémoire de confirmation
chercheur à l’ISRA, 137 p.
7 SALL P.N., 1983 .- Première contribution à l’écophysiologie de I’Eucalyptus camaldu-
lensis DEHN. Mémoire de confirmation chercheur à l’ISRA, 57 p.