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REPIIBLIQUE DUSENEGAL
111 Peuplé CII But - I’IW Foi
MINISTEREDEL'AGRICULTURE
I N S T I T U T
SENEGAI;AIS DE RECHERCHTS AGRPCOLES
Par
Jean Pierre NDIAYE
Pédologue
Directeur Scientifique ISRA
Octobre 1999

Ces dernières ‘années, on a noté un regain d’intérêt pour la régénération de la fertilité
des sols. C’est ainsi qu’en Afrique, de nombreux ateliers ont été organisés pour réfléchir sur
l’élaboration de stratégies nationales pour la régénération de la fertilité des sols en Afrique
sub-saharienne. Ces stratégies incluent naturellement les phosphates naturels et d’autres
types d’amendements (fumier, compost etc). Au Sénégal, un programme de phosphatage de
fond a été initié en 1997 pour restaurer la fertilité phosphorique des sols du pays comme ce
fut d’ailleurs le cas dans les années 70. Mais ce programme comporte un certain nombre
d’incohérences.
Notre objectif en rédigeant le présent document est de réexaminer les bases théoriques de
la fumure de redressement, de fournir des idées pratiques et des sources d’informations
supplémentaires aux personnes et aux organismes qui s’efforcent, avec les agriculteurs, de
résoudre le problème de la carence en phosphore des sols du Sénégal.
Ce document s’adresse aux agents de développement agricole, aux chercheurs, aux
organisations paysannes et aux décideurs. II devrait également intéresser des professeurs et
des étudiants d’universités et d’écoles d’enseignement agricole.
1
Jpndiaye, [mi’DS.Octobre 1999


Figure 1
- L E S Z O N E S CLlblATIQUES SENEGALAISES-
Zone soudàiqienne Nord
\\
I
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\\ A
/ - - - 0
D
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-
Une zone soudanienne divisée en deux (2) sous-zones : partie Nord et partie Sud ;
-
Une zone sub-canarienne le long du littoral Saint-Louis - Dakar ;
-
Une zone sub-guinéenne au Sud-Ouest.
La pluviométrie augmente du Nord au Sud et d’Ouest en Est. Au Sud du pays., la
pluviométrie augmente d’Est en Ouest. Sur l’ensemble du territoire national on compte deux
saisons très tranchées :
-
Une saison des pluies de juin à octobre en moyenne avec un allongement du Nord
au Sud ;
-
Une saison sèche de Novembre à Juin.
1.2 Les Sols
Les éléments présentés ici sont, dans leur large majorité, extraits de Ndiaye et Sagna
(1989).
Dans la classification française les sols du Sénégal se répartissent en sept (7)
classes scindées en seize groupes (Figure 2).
1.
Sols alluviaux halomorphes et hydromorphes ;
2.
Vertisols iithomorphes sur marnes ou schistes ;
3.
Sols minéraux bruts et peu évolués ;
4.
Sols isohumiques bruns subarides ou bruns rouges sur sables colluviaux ou
alluviaux ;
5.
Sols ferrugineux tropicaux faiblement lessivés en fer sur sables siliceux à
l’Ouest et grès argilo-sableux à l’Est .
6.
a) Sols ferrugineux tropicaux lessivés, sans taches, ni concrétions
ferrugineuses au Nord, avec taches et concrétions ferrugineuses vers le
Sud, sur sables ou grès sablo-argileux, cuirasse pouvant affleurer ;
b) Sols ferrugineux tropicaux lessivés, avec taches et concrétions
ferrugineuses et parfois pseudo-gley, sur schistes gréseux ou grès,
cuirasse pouvant affleurer ;
7.
Sols ferrallitiques sur grès sablo-argileux.
La figure 2 est une adaptation de Dancette (1974) de la carte pédologique au i/, oo0
000 de Maignien (1965).
L’examen de la figure 2 montre que la répartition des sols est conforme au principe
de zonalité. En effet, on note que la zone sahélienne se caractérise par la présence des sols
sub-arides tandis que la zone soudanienne et la zone guinéenne se caractérisent
respectivement par des sols ferrugineux tropicaux et des sols ferrallitiques.
Le matériau originel provient essentiellement des formations superficielles du bassin
sédimentaire, sables quaternaires au Nord, sables argileux du Continental.
4


Terminal au Centre-Est et Sud avec des matériaux dérivant du socle cristallin et tabulaire à
l’Est (Bèye, 1977).
On rencontre dans la presqu’île du Cap-Vert des formations plus anciennes du
Crétacé, du Paléocène et de I’Eocène avec des grès et grès calcaires, marnes,
marnocalcaires et calcaires. Sur ces formations se sont développés des Vertisols et sols
bruns calcaires. Par contre, le long du littoral atlantique, on rencontre des dépôts fluviatiles
ou fluvio-deltaïques, mis en place lors des transgressions et qui correspondent aux sols de
mangroves.
II y a donc une assez grande diversité de sols au Sénégal. Cependant la production
agricole du pays provient essentiellement des sols ferrugineux tropicaux peu ou pas
lessivés, des sols ferrugineux tropicaux lessivés sans taches ou à taches et concrétions et
des sols faiblement ferrallitiques. Malgré leur potentiel de fertilité relativement élevé, les
Vertisols, les sols bruns calcaires, les sols alluviaux et de mangroves sont encore
relativement peu cultivés.
Cette diversité de sols aux propriétés physiques, chimiques et biologiques si variées
devrait inciter à plus de prudence dans les recommandations souvent formulées sous forme
de recettes, que ce soit en matière de fertilisation minérale ou d’apport d’amendements
minéraux.
1.2.1 Caractéristiques de quelques sols du Sénéqal
Dans le tableau 1 sont consignées des données essentielles de quelques sols types
du Sénégal. Les études pédologiques qui ont été réalisées montrent que, mise à part la zone
du fleuve Sénégal, les sols sont très voisins et se caractérisent par un très faible
pourcentage d’argile qui croît vers l’Est et le Sud du pays (Tourte et al, 1968). Les
informations contenues dans le tableau 1 confirment d’une part la prépondérance des sables
dans la majorité des sols, et d’autre part, la très faible teneur en phosphore total.
II convient de rappeler que les sols ferrugineux tropicaux ont un comportement
agronomique inerte pour deux raisons essentielles (Piéri, 1989) :
+ ils sont pauvres en colloïdes organo-minéraux et sont peu gonflants ;
+ leur activité physico-chimique de surface est faible en raison notamment de
quatre faits :
.
La surface spécifique colloïdale d’adsorption est très limitée à cause
de leur texture grossière sableuse et de leur teneur peu élevée en
éléments fins ;
.
la structure de la kaolinite ne permet pas une forte rétention ionique ;
.
les sols sont constitués de colloïdes minéraux à (< charge variable )>
(sesquioxydes, kaolinite, silice colloïdale à faible activité physico-
chimique de surface).
Jpadiayc, Isra/DS.Octobrc ! 999

Tableau 1 : Caractéristiques de quelques SOIS du Sénégal
-
P total
N
P H
Site
Type de sol
Granulométrie
wm P
total
eau
C%Q I
A %
L %
S %
o/oo
Bambey
Ferrugineux
5
3.8
91.2
146
0.2
6.5
3.2
Tropical
i
Missirah
Ferrugineux
5.7
15.5
78.6
7 5
0.3
6.0
5.0 i
Tropical lessivé
[
Sinthiou-
Ferrugineux
5.6
22.7
70.0
6 2
0.4
5.9
5.5 -j
Malème
Tropical lessivé
Sédhiou
Ferralitique
6
12.6
81.0
8 3
0.3
5.6
3.2
désaturé
Séfa
Hydromorphe
12.2
14.0
73.8
222
0.8
6.9
6.0
Fanaye
Hydromorphe
41
40
2 0
220
0.6
5.9
4.7
(Source : Fardeau et al, 1983)
7

Ces sols ont un très faible pouvoir fixateur vis-à-vis des anions phosphates. En effet, en raison de la
?
surface spécifique réduite et des sites d’adsorption peu nombreux, ces anions n’ont pas la possibilité
d’etre massivement retenus dans ces sols ferrugineux tropicaux ;
Sur le plan agronomique, cela implique que dans ces sols, très fréquemment carencés en
phosphore, les cultures réagissent très favorablement à des doses d’engrais phosphatés, que ceux-ci
soient apportés sous forme très soluble (superphosphate simple, triple, phosphate d’ammoniaque) ou
sous forme de phosphates naturels relativement solubles (Piéri, 1989).
1.2.1 .l
Le Phosphore dans les sols du Sénéqal
Le phosphore dans les sols se répartit en différents pools :
-
le phosphore immédiatement disponible pour les plantes (phosphore biodisponible) c’est-à-dire
le phosphore de la solution du sol et une portion du phosphore labile ;
-
le phosphore organique ;
-
le phosphore minéral sous forme de phosphate d’alumine, phosphate de fer, phosphate
de calcium.
A titre d’exemple, voici la répartition des formes du phosphore déterminé par la
méthode Chang et Jackson dans les sols Hollalde de la vallée du fleuve Sénégal
(Ndiaye, 1987).
Formes du phosphore
Teneurs en P& (pom)
Phosphate d’alumine
42.7
Phosphate de fer
92.4
Phosphate de calcium
50.6
Phosphate de fer d’inclusion
267.7
Phosphate d’alumine d’inclusion
49.4
On remarquera que le phosphore actuellement existant se trouve en majeure
partie bloqué sous des formes minérales incluses dans des revêtements ferrugineux
donc inaccessibles aux racines des plantes.
Enfin notons que le pouvoir fixateur en phosphore des sols Hollaldé est très élevé (814 ppm
P205).
2. QU’ENTEND-ON PAR RECAPITALISATION DES RESERVES
PHOSPHATEES
Le phosphore organique et le phosphore lié au fer, à l’aluminium et au calcium constituent ce
qu’on peut par analogie appeler le « capital phosphore )) (capital P). La quantité de phosphore dans le
pool (< capital P >) reflète l’aptitude du sol à fournir à long terme du phosphore au pool de phosphore
immédiatement disponible pour les plantes. Cette aptitude du sol est désignée par le terme « pouvoir
tampon >’ à l’égard du phosphore. Ce c< capital P >’ peut être comparé à de l’argent déposé dans un
compte d’épargne à la banque. Plus ce compte est fourni, plus élevé est le montant de l’intérêt qu’il
génère. Le phosphore immédiatement disponible pour les plantes et le « capital P >> sont tous deux
sensibles aux pratiques culturales et modes de gestion de la fertilité phosphorique des sols.
Le c< capital P a), conçu comme un capital productif, produit des intérêts s’il est employé
correctement, mais s’amenuise irrémédiablement s’il est soumis à une utilisation abusive. II y a donc lieu
de distinguer entre les mesures de régénération du (< capital P >> et celles qui visent à entretenir la
fertilité phosphorique à un niveau élevé (Piéri et Steiner, 1997).
8
Jpndiaye, Isra/DS.Octobre 1999

La première catégorie de mesures concerne, par exemple, l’application de phosphates naturels.
Ce sont des investissements ponctuels qui profitent le plus souvent non seulement aux exploitations
concernées, mais aussi à la société dans son ensemble dans la mesure où ils contribuent à
l’amélioration notamment de la sécurité alimentaire (Piéri et Steiner, 1997). Les coûts de ces opérations
doivent être répartis sur tous les bénéficiaires au sein de la société.
La seconde catégorie de mesures concerne la protection et/ou le maintien d’un (< capital P )) de
qualité : application d’engrais et dosages adaptés à l’alimentation des plantes, rotation appropriée des
cultures. Ces mesures doivent être entièrement financées par les exploitations.
3. CORRECTION DE LA CARENCE EN PHOSPHORE DES SOLS
Le concept de « recapitalisation )) implique la reconstitution du stock (des réserves) de
phosphore dans le pool (c capital P >) dont dépend en partie une production agricole élevée et durable.
La notion de <( réserves >> est bien connue et couramment employée en terminologie minière (Syers,
1997). Une réserve désigne un dépôt pour lequel il existe des données concernant son épaisseur et son
importance (obtenues par exemple au moyen d’un forage) et dont le tonnage a été évalué avec une
précision suffisante.
Par analogie avec la terminologie minière et dans le contexte de l’approvisionnement des plantes
en phosphore, l’expression « réserves du sol )> désigne des formes minérales de phosphore qui
proviennent des minéraux d’origine du sol et dont on possède une connaissance adéquate. Ces
substances minérales sont généralement d’origine primaire quand elles proviennent d’une roche-mère,
mais peuvent être également d’origine secondaire quand elles sont issues de dépôts altérés ou de
dépôts Boliens.
La principale technique de correction des déficits en phosphore dans les sols consiste à utiliser
les fertilisants chimiques phosphorés (Harmsen, 1997). L’intensification de la production agricole exige
avant tout une action déterminée visant à assurer la nutrition des plantes par Yes moyens suivants
(Dudal, 1997) :
-
reconstitution des éléments fertilisants prélevés dans le sol par les récoltes ;
-
compensation des pertes dues à l’érosion et au lessivage ;
-
amélioration de l’état de fertilité des sols naturellement pauvres en éléments fertilisants ;
-
réhabilitation des sols épuisés du fait d’une exploitation intensive.
Au Sénégal, la mise au point d’un schéma de fertilisation phosphatée adaptée a suivi les
étapes suivantes :
-
détection de la carence phosphatée ;
- détermination des fumures de correction ou de redressement permettant de corriger cette
carence et d’atteindre le potentiel de production ;
-
détermination des fumures d’entretien permettant de compenser les exportations par les plantes
et les pertes par lessivage, de façon à maintenir intacte la richesse chimique du sol, tout en
assurant de hauts niveaux de production.
3.1 Correction de la carence en phosphore des sols à faible pouvoir fixateur
Comme indiqué précédemment, les sols ferrugineux tropicaux à de rares exceptions près
peuvent être considérés comme carencés à l’origine en phosphore. Depuis longtemps, il a été conseille
de corriger cette carence originelle par des apports de phosphate naturel tricalcique produit au Sénégal.
La dose préconisée était de 500 kgiha de phosphate tricalcique, soit environ 200 kg P2CQhar quantité
largement calculée pour la correction de la carence. D’autres études réalisées ont montré que cette dose
était suffisante et qu’il était inutile de l’augmenter.

Par ailleurs, l’on a également étudié l’efficacité comparée de diverses formes de phosphates
naturels, l’intérêt d’associer phosphatage de fond et labour d’enfouissement et les époques possibles
d’application du phosphate au cours de la rotation.
Le phosphate de Taïba broyé s’est révélé, à Bambey, la forme de phosphate la plus intéressante
du point de vue économique. L’action du phosphate naturel apparaît nettement renforcée en présence
d’un labour d’enfouissement.
Une fois la carence initiale en phosphore corrigée par une fumure de redressement
(phosphatage de fond) la fumure phosphatée d’entretien peut atteindre son maximum d’efficacité
(coefficient d’utilisation apparent voisin de 1). Les doses de cet élément dans les fumures d’entretien
correspondent à peu près aux quantités exportées par les cultures, compte tenu des restitutions
partielles par les résidus de récolte.
Après la création de la Société Industrielle pour les Engrais du Sénégal (SIES), il a été décidé de
n’employer le phosphate tricalcique que pour la correction de la carence initiale des terres en
phosphore. La dose de correction proposée était de 400 kg/ha de phosphate tricalcique pour l’ensemble
des terres exondées du Sénégal. Compte tenu du fait que la corde (1 corde = N d’hectare) est une unité
de surface bien connue des agriculteurs, il était plus facile de vulgariser la nouvelle dose de 400 kg/ha
car cela représentait deux sacs de 50 kg par corde. Cette dose devait être apportée tous les quatre ans
3.2 Correction de la carence en phosphore des sols à fort pouvoir fixateur
II a été indiqué précédemment que les sols de la vallée alluviale du fleuve Sénégal (sols Hollalde
et Fonde) ont un pouvoir fixateur en phosphore très élevé (814 ppm de P205) en raison des
caractéristiques minéralogiques de leurs argiles. En effet, les argiles sont composées de
60 % de minéraux gonflants, essentiellement des smectites et des interstratifiés, de 30 % de kaolinite, 5
% d’illite et 5 % de chlorite (Boivin et al., 1995). II semble que cette répartition soit à peu près constante,
bien que le taux d’argile lui-même varie dans le paysage.
Ces sols étant carencés en phosphore et possédant un fort pouvoir fixateur l’on pensait dans les
années 60 qu’il convenait de saturer les sites de fixation du sol en phosphore par un apport massif de
P205 (phosphatage de fond) puis d’apporter un supplément de phosphate annuel sous forme soluble
(apport de supertriple) pour compenser les exportations. L’on s’est vite aperçu que pour saturer les sites
de fixation du sol en phosphore, il fallait apporter de très fortes doses (jusqu’à 1000 kg P20dha.
Quelques années plus tard Fardeau et al. (1983) ont confirmé cette observation puisqu’ils
arrivent à la conclusion que des apports même au niveau de 286 kg P205/har ne modifient pas la fertilité
phosphorique de ces sols à très fort pouvoir fixateur. Ces sols ne pouvant donc voir leur réserve de
phosphore assimilable accrue par des apports de phosphate économiquement supportables, il ne peut
être donc question de chercher à accroître leurs réserves : l’apport de phosphore doit être limité à la
compensation des exportations.
Dans de tels cas, l’agronome doit avoir pour objectifs simultanés, l’entretien des réserves
assimilables à leur niveau actuel et la recherche d’une méthode de fertilisation phosphatée procurant,
dès l’année qui suit l’épandage, les rendements maximaux (Fardeau et al., 1983).
Bien que l’efficacité des engrais phosphatés non chimiquement traités, tels que le phosphate
tricalcique de Taïba et le phospal, soit faible, il est légitime de les utiliser dans ces sols de rizières avec
comme seul objectif l‘entretien du niveau présent de fertilité phosphorique. Par exemple, pour des
rendements de 5 à 6 t/ha de riz-paddy les doses à apporter seraient de 150 kg/ha de phosphate
tricalcique de Taïba et de 175 kg/ha de phospal (Diatta et Cissé, 1985).
1 0
Jpndiaye, Isra/DS.Ocmbre 1999

4. PERSPECTIVES STRATEGIQUES POUR LA RESTAURATION DE LA
FERTILITE PHOSPHORIQUE DES SOLS
Depuis 1972, et sur la base des travaux de recherche, une politique d’intensification a été menée
qui visait, entre autres, à restaurer puis à préserver la fertilité des sols. Ce fut la vulgarisation des
thèmes dits c< lourds >B dont le phosphatage de fond et la fumure minérale forte (concentrée). Ceci
nécessitait un dessouchage préalable et des labours. Dans cette opération le phosphate était offert
gratuitement aux agriculteurs comme prime au dessouchage. Différents problèmes se sont posés dont :
-
le prix élevé des engrais concentrés ternaires ;
-
l’absence fréquente d’essouchement donc de labour et d’enfouissement du phosphate naturel
- etc...
Cette expérience s’arrêta cependant en 1980 avec l’arrêt du Programme Agricole.
Cependant, quoiqu’il en soit, il n’y a pas d’alternative à la poursuite des efforts d’intensification, si l’on
veut à la fois améliorer la sécurité alimentaire et accroître les recettes d’exportation.
Toute politique d’intensification nécessite un ensemble complet de facteurs de production :
semences, engrais, matériel agricole, produits phytosanitaires. Elle doit en outre être mise à jour en
permanence. Si l’on désire améliorer la fertilité des sols du Sénégal, on dispose de moyens
d’intervention, allant d’une politique des prix départ exploitation familiale, de la sécurité des régimes
fonciers, de l’accès au crédit, de l’accès aux marchés, du rapport prix des intrants/prix des produits, de
l’approvisionnement en engrais et de la distribution, à l’accès à l’information sur les méthodes de
gestion améliorée de la fertilité des sols (gestion de I’humus, lutte contre les pertes de phosphore dues
au lessivage). Ces objectifs nécessitent une stratégie cohérente pour l’amélioration de la fertilité des
sols et pour la gestion durable des ressources pédologiques.
En ce qui concerne la fertilité phosphorique, le programme de phosphatage de fond qui a été
initié en 1997 est une tentative de réponse au problème de carence presque généralisée des sols du
Sénégal en phosphore. Ce programme comporte les recommandations suivantes :
-
apport de 400 kg/ha de phospal ;
-
apport de 400 kg/ha d’un mélange de phosphate tricalcique et de phosphogypse ;
-
apport d’une (1) tonne de phosphogypse à l’hectare.
Les produits utilisés varient en fonction des sites.
Comme nous l’avons vu précédemment l’apport de 400 kg/ha de phospal en fumure de
fond tous les 4 ans est conforme aux résultats expérimentaux disponibles pour les sols exondés,
notamment les sols ferrugineux tropicaux et les sols ferrallitiques. Cette dose qui correspond à un apport
d’environ 140 kg P205/ha permet en effet de corriger la carence initiale des sols en cet élément. Le
concept de phosphatage de fond prend toute sa signification dans de telles conditions.
Il en va autrement des sols alluviaux de la vallée du fleuve Sénégal. Un apport de 140 kg Pz05/ha ne
modifie pas la fertilité phosphorique de ces sols à très fort pouvoir fixateur (Fardeau et al., 1983). II
faudrait en effet une dose de P205 sept fois plus élevée pour saturer les sites de fixation du phosphore
(phosphatage de fond). Les recommandations de la recherche pour les conditions pédoclimatiques de la
vallée alluviale du fleuve Sénégal vont dans le sens d’une compensation des exportations de phosphore
(environ 60 kg P*O,/ha) par les cultures.
Qu’en est-il de l’apport de mélange phosphogypse + phosphate tricalcique à raison de 400 kg à
l’hectare ?
Les résultats d’analyses de mélange phosphate tricalcique + phosphogypse effectuées par le CIRAD
indiquent les teneurs suivantes (Ndiaye, 1999) :
Ca0 = 40.6 %
P205 = 19.12 %
11
Jpndiayc, Isra/DS.Octobrc 1 WI>

S
= 6.79 %
Ainsi un apport de 400 kg/ha de ce mélange correspond à une dose de 76 kg P205/ha, 162 kg
CaO/ha et 27 kg S/ha. Dans le cas des sols exondés (sols ferrugineux tropicaux, sols ferrallitiques etc...)
une dose de 76 kg P*Odha ne constitue pas un phosphatage de fond. II faudrait deux fois plus de
phosphore pour corriger la carence initiale de ces sols en cet élément. Par ailleurs, dans le cas des sols
alluviaux de la vallée du fleuve Sénégal un apport de 76 kg P205/ha ne compense que les exportations
des cultures.
Une question légitime que l’on peut se poser est de savoir sur quoi repose la recommandation
qui consiste à apporter un mélange de phosphate tricalcique et de phosphogypse à raison de 400
kglha ?
Pourquoi ne pas apporter le phosphate tricalcique de Taïba seul à la dose de 400 kg/ha
conformément aux résultats expérimentaux disponibles et comme le recommande la Recherche pour
corriger la carence initiale des sols exondés ? En effet un apport de 400 kg/ha de phosphate tricalcique
de Taïba correspond à peu près à une dose de 150 kg P205/ha, quantité nécessaire pour redresser la
fertilité phosphorique de ces sols et donc pour se conformer à la philosophie de phosphatage de fond.
II semble que l’apport du mélange phosphate tricalcique + phosphogypse repose plutôt sur un
raisonnement « agronomique » simple : le phosphate tricalcique apporte le phosphore à ces sols
carencés en cet élément et le phosphogypse grâce à l’apport de Ca0 permet de lutter contre
I’acidification des sols (Kane, 1999).
II convient de noter que sur la base des résultats des travaux de recherche (Cissé, 1981) l’on a
recommandé sans enfouissement de pailles de céréales la dose de 200 kg/ha de Ca(OHj2, soit 152 kg
CaOlha, tous les 2 ans dans la zone Centre (Thiès, Diourbel) et en Haute Casamance et celle de 100
kg/ha de Ca(OH)z, soit 76 kg CaO/ha tous les deux ans dans la Moyenne Casamance. Pour le Sine
Saloum, la dose d’application est d’environ 200 kg/ha de Ca(OH)*, soit 152 kg CaOlha.
Ainsi la dose de Ca0 à l’hectare recommandée par la recherche pour une période de 4 ans est
de 304 kg pour la zone centre (Thiès, Diourbel), la Haute Casamance et le Sine-Saloum. Cette dose est
presque le double de celle qu’apporte une quantité de 400 kg/ha de mélange phosphate tricalcique +
phosphogypse (soit 162 kg CaO/ha tous les 4 ans).
Par contre pour la Moyenne Casamance et pour une période de 4 ans, la dose de Ca0 apportée
par ce mélange est à peu près conforme aux recommandations de la recherche.
Comme dans le cas de la fumure minérale, il semble qu’il y ait dérive en partie dans l’application des
recommandations de la Recherche.
II y a un certain nombre d’options stratégiques pour améliorer les réserves et gérer les flux de
nutriments :
- la recapitalisation d’éléments nutritifs, spécialement le phosphore, grâce à l’utilisation des
phosphates naturels ;
-
l’utilisation de ressources organiques disponibles localement ;
-
l’utilisation de fortes doses d’engrais minéraux ;
-
une gestion intégrée de la fertilité du sol qui combine l’utilisation de technologies à faibles
intrants externes et de technologies consommatrices de beaucoup d’intrants externes.
Du fait de la complexité des relations entre réserves nutritives et productivité des cultures, la
recapitalisation des réserves phosphatées n’est indiquée que dans certaines conditions. En effet, la
viabilité de l’opération phosphatage de fond dépend d’un certain nombre de facteurs. La disponibilité de
sources de phosphore bon marché et faciles à transporter constitue un facteur déterminant. La qualité
du phosphate naturel (solubilité etc..) est également un facteur important de même que la nature du sol
et ses caractéristiques physiques et chimiques.

Cependant, malgré son attrait, la recapitalisation a fait l’objet d’un certain nombre de critiques. En
effet certains auteurs contestent le raisonnement technique qui sous-tend l’application en une seule fois
de doses massives de phosphate naturel, leur préférant des apports répétitifs qui augmentent
progressivement et qui, selon eux, se justifieraient mieux sur le plan agronomique et économique
(Janssen, 1997 cité par Scoones et Toulmin, 1999). Par ailleurs, pour certains auteurs la viabilité
économique d’un tel investissement n’est pas toujours évidente surtout si le phosphate naturel a une
faible réactivité ou si les coûts de transport sont très élevés. De plus, la recapitalisation est une
opération qui nécessite des subventions comme mesures d’accompagnement. II faut également noter
qu’il peut y avoir des risques environnementaux et sanitaires liés à une utilisation massive de
phosphates naturels surtout si leur application s’accompagne d’une production de quantités importantes
de poussière. Enfin, une opération de recapitalisation à grande échelle exige des moyens logistiques
(transport) énormes et une bonne organisation et si la recapitalisation doit s’accompagner de l’apport de
matière organique, alors d’importantes quantités de biomasse doivent être disponibles.
Si la finalité de l’amélioration de la gestion de la fertilité du sol est de contribuer au bien être du
monde rural, alors il est possible d’identifier un certain nombre d’axes d’intervention plus ou moins liés
aux différentes formes de capital (Carney, 1998) :
+ le capital naturel : certaines interventions sont destinées à améliorer l’état biophysique des
sols (e.g. phosp.hatage de fond, utilisation d’intrants chimiques, enrichissement en matière
organique) ;
+ le capital financier : le crédit et l’épargne sont susceptibles de faciliter l’importation de
nutriments et l’investissement dans l’élevage pour la production de fumier ;
+ le capital physique : la construction de routes et autres moyens de communication permet
d’améliorer l’accès au marché et inciter ainsi les agriculteurs à une bonne gestion de la fertilité du
sol ;
+ le capital humain : la prise en compte des savoirs et savoir-faire des agriculteurs permet de
développer de solides partenariats entre agriculteurs, chercheurs, agents de vulgarisation
(conseil agricole) ;
3 le capital social : amélioration des capacités organisationnelles des agriculteurs, leurs
aptitudes à expérimenter d’autres technologies alternatives, à évaluer les différentes options et à
identifier les besoins en matière d’appui par les agences de conseil agricole.
CONCLUSION
La recapitalisation des réserves phosphatées du sol est une condition préalable à une
utilisation plus efficace des engrais, à une meilleure productivité et à une plus grande
compétitivité. Elle implique des investissements dans la fertilité des sols par le biais de l’utilisation
des phosphates naturels comme amendements du sol, plutôt que comme source primaire de
phosphore immédiatement disponible. Le phosphatage de fond comme moyen de recapitalisation
de la fertilité phosphorique du sol n’est pas une solution c< passe-partout >). II doit tenir compte de
la nature du sol, de ses caractéristiques minéralogiques etc. L’amélioration de la productivité
dans le cadre d’une agriculture intensive ne peut être optimisée que par le raisonnement
agronomique auquel l’augmentation des connaissances scientifiques a donné une existence
réelle et un contenu opérationnel. On doit malheureusement reconnaître que trop souvent, on
ignore ce raisonnement ou on n’en utilise qu’une partie. Recapitaliser la fertilité du sol, c’est en
définitive créer les conditions pour <( cultiver en bon père de famille )’ c’est-à-dire avec la plus
grande préoccupation pour ce que les auteurs anglo-saxons appellent c< sustainability )),
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