Revue Sénégalaise des Recherches Agricoles et...
Revue Sénégalaise des Recherches Agricoles et Halieutiques - Vol. 2 - n” 34 - 1989
UN APPOINT D’EAU DOUCE
DANS LES ILES DU SALOUM ?
EXAMEN DES POSSIBILITES
DES DISTILIATEURS SOLAIRES
J. PAGES *
C . CIIABOUD *
1. s o w **
F . LALOE *

(*) Chercheurs ORSTOM, en poste à IXRA
(**) Techniciens, CRODT
Direction des Recherches sur les Productions Ilalieutiques
RESUME
Le problème de l’eau douce dans les îles du Saloum (Sénégal) est décrit en comparant
la structure démographique aux ressources en eau.
Le principe général des distillateurs solaires est rappelé. Nous presentons un modèle
réalisé avec des materiaux peu sophistiqués, que nous avons testés en fonctionnement réel.
Cc modèle, ou des variantes améliorées, serait réalisable par les populations concernées.
La rentabilité financière reste assurée avec un remplacement total du vitrage tous les
4 ans. Les autres facteurs de décision (approvisionnement indépendant en eau douce) ne
sont pas chiffrables.
Mots cl& : Distillateurs/ Eau douce/ Iles du Saloum/ Sénégal/ Coût/ Demande en eau
de mer.

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ABSTRACT
Several islands dot the Saloum pseudo-delta (Senegal, Wcst Africa). This “inverse es-
tuary” is hyper saline. Fresh water is becoming scarce, mostly due to a prolonged drought.
We describe the extent of this scarcity, comparing the population nceds with the avai-
lable water supply.
After a reminder of the general principles of solar stills, we describe a mode1 built
from traditional materials and wich has been run under realistic conditions. This model,
with further possible improvments, could be built and used by populations. Financial ana-
lysis shows that such a still remains competitive when the whole glass caver lasts for
more than 4 years. Availability of an independant supply of pure water is a factor which
cannot be quantified.
Key words : Solar stills/ Fresh water/ Saloum islands/ SenegaV COS~/ Demand for
water.

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INTRODUCTION
Dans les sociétés urbanisées, la distribution de l’eau douce est centralisée et organisée
par la collectivité. Pour une population moins concentrée, la satisfaction des besoins indi-
viduels peut être organisée à petite échelle, éventuellement avec une technologie (et des
investissements) relevant de l’individu ou de la cellule familiale.
Dans les îles du Saloum, au Sénégal, l’eau douce est devenue une denrée rare, non par
accroissement démographique, mais bien par suite dune diminution des ressources en
raison dune sécheresse prolongée. L’eau saumâtre ou salée, par contre, abonde ; l’énergie
solaire n’est pas limitante. La solution des distillateurs solaires de petite taille semble parti-
culièrement adéquate.
LES BESOINS ET LES RESSOURC!ES
RAPPEL DU CADRE GEOGRAPHIQUE
L’estuaire du Saloum (fïg.l), avec ses nombreux chenaux, est depuis longtemps un “es-
tuaire inverse”, où la salinité augmente vers l’amont (35% à l’embouchure, 55 % à Foun-
diougne). Cette inversion est due à une forte évaporation, très supérieure aux maigres
apports pluviaux, et à une pente nulle du cours du fleuve. L’eau de mer remonte ainsi vers
l’amont et se concentre. La secheresse, persistante depuis les années soixante, a amplifié
le processus (l) ; les nappes aquifères, insuffisamment rechargées, sont progressivement
contaminées par le sel.
LES POPULATIONS
Sur près de 1 500 km2 au total vit une population estimée à 10 000 ou 15 000 personnes
(soit moins de 10 h/km2).
Au Nord du Diomboss s’étendent les îles Nyominka. Dix sept villages abritent une eth-
nie sérère d’environ 8 OC0 résidents permanents, pour une population “de droit” de 20 000
personnes.
Cette émigration (60 à 70 %) semble liée pour une bonne part au manque d’eau douce ;
la riziculture est à peu près abandonnée.
Au Sud du Diomboss, les trois principaux villages socé (ethnie mandingue) comptent
3 000 résidents pour une population “de droit” de 3 700 personnes.
LES BESOINS ET LES RESSOURCES EN EAU
Si les besoins individuels en eau sont fixés officiellement à 25 litres par jour, nous
considérons que les besoins incompressibles (boisson et cuisine) sont d’environ 10 litres ;
la ration de survie “confortable” en climat aride est estimée à 5 litres. D’après les chiffres
de population résidente moyenne, nous pouvons estimer que les besoins “incompressibles”
totaux sont de 100 à 150 m3 par jour pour l’ensemble des villages des îles.
On constate que ces besoins relativement faibles sont fort mal couverts dans le détail.
Les puits, parfois salés, ont souvent un dCbit insuffisant et peuvent s’assécher une partie
de l’année. Les forages, encore peu nombreux, fournissent souvent une eau déjà saumâtre.
(‘) Les salins du Sine-Saloum sont install6s à Kaolack depuis 1929.

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--------_---_---
Y-Rie DE c4P?BlE
FIG. 1 : CARTE DE SITUATION

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C’est ainsi que bien des villages dépendent de l’eau douce transportée par pirogue à partir
des rares points d’eau permanents (Sokone, Simal, parfois Ndangane, Kaolack). Ces longs
trajets entraînent des frais même si l’accès au puits est souvent libre : le litre d’eau revient
ainsi, en moyenne, à 4 F CFA (1) (2). Le temps et la dépense d’énergie musculaire ne
sont pas pris en compte.
LES DISTILLATEURS SOLAIRES
PRINCIPES GENERAUX
La distillation de l’eau par chauffage est ancienne et bien connue. Les distillateurs so-
laires de tous modèles sont largement répandus. Dans le cas présent, nous avons posé pour
principe de départ que les populations devraient être directement impliquées ; de cet a priori
découlent :
l La recherche de technologies simples : la mise en œuvre de matériaux “de pointe”
(fibre de verre, plastiques...) est délicate en milieu rural, et risque d’amener
une centralisation que nous voulons éviter. Inversement, le recours à des maté-
riaux bien connus, et simples (ciment, bois) permet aux populations d’être indé-
pendantes, à tous points de vue, des ressources C~/OU de l’aide extérieure.
0 La recherche d’un prix réduit : les dons doivent être évités, pour des raisons de
morale publique autant que de motivation. Idéalement, seule la motivation de
l’individu devrait décider.
Ces deux principes complémentaires n’excluent pas une recherche de la production,
mais celle-ci doit rester secondaire en cas de conflit. Nous rappellerons que dans les
conditions du Sénégal, la production théorique maximum possible est d’environ 4,5 litres
par mz par jour (3).
REALISATIONS AU CRODT
Après quelques essais sur un modCle expérimental, nous avons réalisé deux modEles
apparentés successifs. Le modèle “MKI” est le plus simple ; le “MKII” en est la modifi-
cation par adjonction de gradins. Dans les deux cas, nous avons utilisé le ciment.
Modéle ‘KIKI” (fig. 2)
Ce modèle de 1,25 m2 en eau a fonctionné à partir de novembre 1986. Alimenté en
eau de mer, il a produit 2,5 1 d’eau douce par jour sous ensoleillement moyen (vent de
sable) ; par “grand beau temps”, nous avons atteint 3,0 1 (soit 2,4 1. m3) (4).
(1) Des prix exceptionnels de 50 FCFA au litre nous ont été mcntionnQ.
(2) La SONEES facture, à Dakar, l’eau douce potable à environ 250 FCFA lc m3, soit 16 fois moins
cher. La qualité de l’eau de certains puits semble discutable, en dehors de sa salinité.
(3) En admettant une insolation journalière de 3 kWh.m* = l/m’(ce qui n’est pas le maximum), et une
chaleur de vaporisation de 550 cal. par gramme d’eau (H*O).
(4) Un colorant noir dissous dans l’eau amène la production à 3.6 1 par jour, sous fort ensoleillement.

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Le coût initial de ce modèle a éd grevé de frais annexes, correspondant autant aux
inévitables tâtonnements qu’aux impératifs d”‘esthétique” (dont recours à un maçon, fini-
tion extérieure avec peinture, etc...). Son coût réel peut être estimé à 17 000 F CFA, dont
le vitrage (5) représente Ia majeure part (10 000 F CFA).
Modèle ‘1MKII” (fig. no 3)
Le rendement d’un condenseur dépend (toutes choses égales par ailleurs) de la dis-
tance entre source chaude (l’eau de mer) et source froide (la vitre). Des gradins, rapprochant
les deux par un artifice géométrique, devraient améliorer la production (6). Nos calculs
montraient que 3 ou 4 marches représentaient un optimum ; nous avons donc modifié le
“MKI” en construisant à l’intérieur 2 gradins supplémentaires.
En septembre 1987, malgré des conditions peu favorables (nébulosité forte et tem-
pérature de l’air élevk) la production a oscillé enue 2,6 et 3,9 litres par 24 h (2.2 a
3.2 l.m-2. L’amélioration par rapport au “MKI” est donc de 1/3, tandis que le coût reste
identique.
ESSAIS SUR LE TERRAIN
Avec la collaboration de CARITAS-Sénégal, nous avons construit un distillateur de
type “MKI” à Fambine (fig. 4), dans les îles du Saloum. La “main d’œuvre” n’était pas
spécialement qualifiée ; dans des conditions de travail réalistes, la construction du bassin
a pris deux jours.
Le détail marquant a été l’isolement thermique du fond, au moyen de 10 cm de son
de mil et 10 cm de coquillages damés.
Ce distillateur, d’une surface de 1,9 m2. a été mis en service en juillet 1987 (période
defavorable), la production a atteint 6 1, soit 3,l l.m-2. L’isolement thermique, bien que
rudimentaire, est donc efficace.
Le coût de ce distillateur s’élève à 21 380 F CFA : là encore, inévitablement, le vitrage
rcpréscnte le poste principal de dépense.
(5) Vitre de 3 mm, en une seule épaisseur. Nos essais ont montré que le coût et la complexité de
montage d’un double vitrage ne se justifient pas au niveau du rendement dans les conditions
présentes.
(6) Une solution alternative serait des bassins plus étroits, mais la fabrication de la gouttière de collecte
est délicate.

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DISTILLATEUR SOLAIRE CROM
CONSlRUCllON
BP2241
Figure nQ 2
1
ModLk de démonshllon
Ddlr
C.4RACTFRlSTlQUES
- Pupainpr WCC ChaFçc cimnt
- Oimnaims cxhnc~ 1.9 x 1,0 m
-Fond titi py ‘Rutson
liquid tubhi noir, 2 couches
-Surfiocc”c.u0,79x1,6=1~m~
. Vitre 3 mq lut& pst km& fondm j o i n t mhiim, mustic silicone
- Surface vitre utile 0.75 x 1.59 = 1.19 mz
- Etandtciti
trappe rhunbc i air d6wupk. 1 Cpiracur
_ Praductim
2,6 limr /jour
- Trappe béton and
- Mir on scrvico novcmhc 1986

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R e m p l i s s a g e
\\
Figure np 3
D I S T I L L A T E U R S O L A I R E
M O D E L E A G R A D I N S
Dimensions externes : 1.90 x 1.00 m
surface CD eau
: 1,22m
Parpaings u ciment
Etanchbit6
par “Rubson liquid ntbber” noir. 2 couches
Vitrage
: 3 mm
Mise en service : Septembre 1987
Production : 3.7 1 /jour
Figure n* 4
Cmtslruit 1 Fambine fllr du Sabum)

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RENTABILITE
Nous avons tenté d’estimer la rentabilit6 de notre “modele de démonstration” MKI, en
utilisant la méthode du “cash-flow actualise”.
Les él&ments du calcul sont :
0 investissement
20 000 F CFA
l production
1 400 litres par an
l coût d’entretien
:
12 000 F CFA (remplacement du vitrage com-
plet, en cas de bris)
0 taux d’actualisation :
12 % par an.
Pour une durée de vie de 10 ans du dispositif, le “prix critique” du litre d’eau (c’est-
à-dire celui pour lequel est atteint le seuil de rentabilité) produit est très sensible à la fré-
quence de remplacement de la vitre :
Puisque le litre d’eau amené de l’extérieur coûte environ 4 F CFA, un distillateur ne
sera compétitif que si le vitrage entier dure plus de 4 ans. Deux conséquences sont à
tirer :
0 un enclos, pouvant être rudimentaire et de coût nul sera rentable, en excluant
le bétail divaguant, et améliorera la sécurité pour les enfants ;
l plusieurs vitres de petite largeur seront préférables à un seul panneau de
grandes dimensions.
DISCUSSION
Dans l’état actuel, nos distillateurs peuvent être compétitifs. Des améliorations semblent
cependant possibles sur la production, sur le coût et sur la conception globale.
PRODUCTION
Un isolement thermique plus pousse augmentera le gradient (1). Mais la mise au point
d’un colorant peu coûteux, soluble (2) dans l’eau de mer accroîtrait la production, nous
l’avons vu, en diminuant l’importance de l’isolement thermique.
(1) La production, D (en litres par heure), est fonction linéaire de la différence de température T (en “C)
entre l’intérieur et l’extérieur : D = 0.13. T + 0.12 (mesures faites sur le “MKI”).
(2) L’encre de seiche, qui est une émulsion, se dépose rapidement, puis se décompose (attaque bacté-
rienne ?).

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Une circulation forcée en circuit fermé, bien qu’améliorant la production (30 % de gain
avec un ventilateur de 5 W), ne semble guère réalisable dans les conditions rustiques prévues.
COUT
Le vitrage, poste le plus important, semble incompressible (3). Pour diminuer la quantité
de ciment utilisé, l’emploi du banco serait à développer ; des briques en terre, cuites de
préférence, pourraient recevoir une simple chappe de mortier blanc (4). Une solution de
remplacement pour le mastic reste à trouver (5).
CONCEPTION GLOBALE
L’évacuation des saumures est une nkcessité (6). Une trappe de visite sémblc utile
(sinon indispensable) pour le nettoyage, mais la disposition en gradins en complique
sérieusement la réalisation.
Il est probable qu’une fabrication à assez grande échelle par “éléments modulaires”
permettrait quelques économies, sans pourtant modifier nettement la rentabilité finale.
Il semble peu probable que l’obtention de sel à partir des saumures résiduelles soit.
une perspective réellement intéressante, il est de toute façon exclu de laisser les croûtes
de sel se former dans le distillateur, cc qui impliquerait des installations supplémentaires.
CONCLUSION
Nous avons vu qu’un distillateur solaire relativement rudimentaire peut être compétitif
dans les conditions qui règnent dans les îles du Saloum. Trois remarques découlent de cela :
a - Arndioration
Le CRODT n’a pas les moyens, ni statutaires, ni humains, ni financiers (sauf dekision
officielle), de poursuivre les ntkessaires expérimentations et de proc&ler à la vulgarisation.
Il est probable que seule une O.N.G. pourrait efficacement poursuivre l’action entamée.
(3) Toutes les matières plastiques essayées laissent mal ruisseler l’eau de condensation, sauf àdcspentes
prohibitives (distance accrue entre eau et paroi froide). Leur résistance aux UV est variable, la tenue
à l’abrasion (sable) est faible.
(4) Les premiers essais de fabrication de briques, à partir de terre argileuse (sols bruns de Joal)
étaient prometteurs.
(5) Les mastics industriels (vinyl, butyl ou silicone) sont chers, bien que très performants. IR mastic de
vitrier ne resiste pas à l’humidité saturante permanente. La bougie fondue, qui semblait adCquate, a
une mauvaise tenue mécanique aux températures élevées de milieu de journée. Un moulage soi-
gneux du ciment, en utilisant les vitres elles-mêmes comme coffrage, peut être une solution si on
Evite l’adhérence.
(6) L’évaporation diminue quand la salinité augmente : nous avons mesuré une baisse de 35 %, par
rapport à l’eau douce, pour une eau à 150 g/l.

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b - Compétitivité du procédé
Ce n’est que dans les zones souffrant dune pénurie modérée d’eau douce potable qu’un
distillateur solaire pourra s’implanter. L’eau produite restera un appoint, sinon un produit
de luxe (thé des adultes, boisson des enfants...).
c - Extension possible
Les commentaires spontanés des populations dans les îles du Saloum indiquent que,
maigre la nouveauté du dispositif installé à Fambine :
0 le principe de base est bien compris, à la fois quant au fonctionnement et surtout,
quant aux possibilitcs et aux limitations d’un tel montage volontairement rustique,
l la réalisation locale ne poserait pas de problème majeur,
l les populations sont très intéressées, et prêtes à participer,
0 le problème majeur est la démonstration, l’explication, donc finalement le “trans-
fert de technologie” souvent mentionné, mais rarement possible.
Des zones analogues aux îles du Saloum existent sans doute ailleurs au Sénégal, et
pourraient profiter de distillateurs solaires. Cependant, l’exemple inverse des Imraghen, en
Mauritanie, montre qu’une telle technique n’est pas obligatoirement comprise et acceptée,
surtout si la population n’est pas directement impliquée et ne se sent pas concernée.
En résumé, les distillateurs solaires pourraient amener une aide ponctuelle, au prix de
quelques améliorations, à condition de privilégier des technologies simples. Ils ne
sauraient pourtant, évidemment, résoudre l’ensemble du problème de la sécheresse au
Sahel. Le support des populations est nécessaire. Mais surtout, la condition sine qua non
est une action concrète, et non des projets.

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