155 LE POINT SUR... synthèses, notes...
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LE POINT SUR...
synthèses, notes techniques et actualités
Cette rubrique est consacrée à des articles qui offrent au lecteur
des mises au point, des notes techniques, des travaux de synthèse,
dans le domaine de l’agronomie tropicale, s’ajoutant aux travaux
originaux de recherche publiés par la revue.
La mise en valeur des bas-fonds de la zone soudano-sahélienne
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.-
~JZ “rostratalest-elle
possible ?
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C N.R.A. - BAiWEV c S.D.1.
’ Date
F. GANRY (1), F. GUEYE (2)
RÉÇUMÉ - La mise en valeur des bas-fonds inutilisés de la zone soudano-sahélienne par la culture de Sesbanfm5
est étudiée en conditions réelles à Bambey (Sénégal). La production de semences ainsi que celle d’inoculum, suivie de son
inoculation, sont possibles à la ferme sans recours extérieur, permettant une production de cinq tonnes de matière sèche
à l’hectare, soit 120 kilos d’azote à l’hectare, pour une pluviométrie de 400 mm, sans engrais. Mais les parties aériennes
de Sesbania sont difficilement fermentescibles en fosse compostière in situ. Dans ces conditions, on est amené à envisager
son utilisation comme fourrage et litière. Pour extrapoler cette méthode, il sera nécessaire d’estimer les superficies des bas-
fonde afin d’en évaluer les potentialités d’exploitation pour une région donnée. Cette estimation est en cours à Bambey.
Mote clés : bas-fond, zone soudano-sahélienne, Sesbania rostrata, fixation de N,, inoculation, fumier.
Les potentialités agronomiques de Sesbania rostrata,
intéressé à l’utilisation de cette légumineuse au Sahel
légumineuse à nodules caulinaires, dans les sols
dans les sols des bas-fonds où l’eau s’accumule
irrigués ont été mises en évidence par DREYFUS et
pendant la saison des pluies et où l’on ne pratique
DOMME:RGUES (1980), puis, son rôle d’engrais vert en
aucune culture.
riziculture inondée a été étudié par RINAUDO et a/.
(1982, 1983). Mais, jusqu’à présent, on ne s’était pas
Dans le but de favoriser la valorisation de ces bas-fonds
e t l a p r o d u c t i o n d e l a b i o m a s s e e n z o n e
soudano-sahélienne - d’isohyète 500 mm, plus ou
moins 100 mm -, nous avons réalisé deux années de
culture pluviale de Sesbania rostrata (figure 1) à
Bambey, Sénégal. Sous cette isohyète, seuls ces bas-
fonds, inondés ou partiellement inondés (figure 2),
(1) CIRAD-IRAT,
BP 5035, 34032 Montpellier Cedex 1, France.
peuvent permettre la culture de cette plante, d’où notre
(2) CNRA, B a m b e y , S é n é g a l .
tentative de l’y introduire.
L’AGRONOMIE TROPICALE 1992,46 - 2
A-----....
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. 7
F. Ganry et F. Gueye
I
tard, à la fin de la première année, les graines et les
nodules ont été récoltés. Les graines, destinées à être
utilisées en seconde année, ont été traitées au moyen
d’un mélange fongicide et insebticide. Les nodules ont
été séchés au soleil et Conse;rvés dans un flacon à
la température ambiante du Ilaboratoire, en vue de
l’inoculation en seconde année.,
Seconde année de culture
Les graines de Sesbania rostrata récoltées à la fin de la
première année ont permis de réaliser la culture en
seconde année. Les graines ont été semées à raison
Figure 1. Culture de Sesbania rostrata.
de 18 g m-*. Les plantes ont eté inoculées avec les
nodules récoltés la première année selon un mode
-
préparatoire élaboré en concejtation avec I’ORSTOM
(Institut français de recherche scientifique pour le
développement en coopération) : les nodules secs
Matériel et m&hode
sont broyés et le broyat mis en suspension dans
l’eau ; une partie de la parcelle de Sesbania rostrata est
inoculée ; quinze jours après, les nodules frais produits
Les sols de bas-fonds, << deck-ban » et << ban >) en
sont récoltés - inoculées avec des nodules secs, les
langue vernaculaire, sont des sols hydromorphes,
tiges ne sont nodulées qu’à 20 à 30 % de leur surface
intergrades des sols ferrugineux tropicaux et des sols
- et écrasés au mortier ; le jus est récupéré, dilué dans
vertiques. Les sols << ban >>, plus proches de ces
de l’eau ; I’inoculum est alors prêt. Vingt grammes de
derniers, sont dénommés généralement <( sols d’argile
nodules frais fournissent environ six litres d’inoculum,
noire » (MAIGNIEN, 1965).
qui suffisent pour 40 m* de surface cultivée. Cette faSon
de fabriquer I’inoculum à partir des nodules s’avère
La culture de Sesbania rostrata en bas-fond a été
plus accessible, moins onéreuse et aussi efficace que
pratiquée pendant deux années (1984 et 1985).
la fabrication d’inoculum en ferimenteur à partir d’une
L’objectif de la première année de culture était
souche bactérienne. Cette technique présente
d’observer le comportement de Sesbania rostrafa et
cependant le risque de tratwmettre des germes
d’obtenir des semences et des nodules pour l’année
pathogènes, et surtout de multiplier des souches non
suivante. La pluviométrie a été de 460 mm.
ou mauvaises fixatrices d’azote (DOMMERGUES, 1985,
Comm. pers.). Les tiges de Sekbania rostrata ont été
L’objectif de la seconde année de culture était de
récoltées après deux mois de qulture.
produire suffisamment de matériel végétal pour le
compostage en fosse in situ. La pluviométrie a été de
390 mm.
Compostage
La technique de compostage appliquée est celle que
nous avions mise en œuvre pour les pailles de céréales
Première année de culture
afin de limiter les pertes en eau et en azote (GUEYE et
Les techniques culturales ont été réduites au mini-
GANRY, 1983).
mum : labour avant semis ; binage avant et après
semis ; démariage. Les graines, semées à la volée, ont
germé au bout d’une vingtaine de jours. Les herbes
apparues avant la levée des plantules de Sesbania
rostrata ont été détruites par binage.
Résultats et conclusion
Les tiges de Sesbania rostrata ont été inoculées en
deux fois avec la souche de rhizobium ORS 571
En première année, à maturité, ous avons obtenu 985
(DREYFUS, 1982), trois semaines et cinq semaines
après la levée. Aucune fertilisation chimique ni
grammes de nodules à 5 % d’
organique n’a été appliquée : la richesse en matière
graines sur une surface de 200
organique des bas-fonds et la fixation symbiotique de
N, par Sesbania rostrata sont supposées assurer une
nutrition minérale correcte de la plante. Trois mois plus

Bas-fonds inondés et culture de Sesbania rostrata
157
/
F i g u r e 2 . Carte d’identification des principales dépressions recensées. (Les blocs matérialisés sur l a carte représentent l e s zones étudiées.)

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F. Ganry et F. Gueye
essai de compostage, avec ou sans phosphate
d’évaluer les superficies inond$es ou partiellement
tricalcique incorporé, a été mis en route in situ. Son but
inondées d’une région donné/e. C’est dans cette
était de produire un compost riche en phosphore et en
optique qu’une cartographie sur la région de Bambey
azote. Sesbania rostrata, non fixatrice, renferme
(figure 2) a été réalisée pa 1 interprétation de
environ 1,6 % d’azote, fixatrice, environ 2,3 %. La
photographies aériennes (Gou rEL et BADIANE, 1991,
réussite de ce compost a été compromise, d’une part,
Comm. pers.). Ce type d’étude peut également
en raison du caractère ligneux de Sesbania, d’autre
bénéficier de l’apport de I’imager e satellitaire.
1
part, par le manque d’eau. En effet, le compost, de
structure ligneuse, n’est pas suffisamment dense et ne
Reçu le 11 mai 1991.
permet pas à l’effet de masse de jouer en faveur de
Accepté le 20 juin 1991.
l’épargne de l’eau. Cet effet de masse peut se définir de
la façon suivante : c’est la masse critique au-delà de
laquelle la fermentation et I’humification peuvent
évoluer, sans apport d’eau exogène, pendant environ
trois mois, après un démarrage sous l’action d’une
humidification par un ou deux arrosages et/ou les
pluies d’hivernage.
Sesbania rostrafa serait donc plus efficace en compost
mélangé à d’autres matières végétales ou à du fumier,
ou bien en litière. La valorisation la plus sûre
consisterait en une utilisation fourragère pour des
bovins en stabulation, les résidus non consommés
passant dans la litière.
Nos premiers essais montrent donc que la production
de semences et d’inoculum est réalisable dans
l’exploitation sans appui extérieur. Ce résultat confirme
Références bibliographique
celui obtenu par I’ORSTOM en parcelles expé-
I:
rimentales (MOUDIONGUI, 1987). On peut penser que
le rhizobium spécifique de Sesbania rostrata survit
DOMMERGUES Y., MANGENbT F., 1970. Ec:ologie
après quelques inoculations et qu’il ne sera pas
microbienne du sol, Paris, Masson, 795 p.
nécessaire de renouveler l’inoculation chaque année,
/
ce qu’attestent les peuplements spontanés de
DREYFUS B., 1982. La symbilse entre Rhizobium et
Sesbania nodulé constatés dans certains bas-fonds
Sesbania rostrata, Iégumineus$ à nodules caulinaires.
(rares, cependant), par nous-mêmes au Sénégal, et par
Thèse de doctorat d’Etat, sciencek naturelles, université de
Paris-VII, 298 p.
WEY (1991, Comm. pers.) au Burkina Faso.
DREYFUS B., DOMMERGUES Y., 1980. Non-inhibition de la
Le rendement en matière sèche (5,2 t ms. ha-l) obtenu
fixation d’azote atmosphérique pa$ l’azote combiné chez une
avec une pluviométrie de 400 mm, sans engrais,
légumineuse à nodules caulinaireb, Sesbania rostrata. C.R.
pourrait vraisemblablement être accru en recherchant
Hebd. Séances Acad. Sci., Sér. D, 291 (9) : 767-770.
la densité optimale de semis et en apportant du
GUEYE F., GANRY F., 1983. Cdmpostage des pailles de
phosphate naturel (phosphate de Taïba au Sénégal),
céréales et essai de valorisdtion agronomique des
dont la solubilisation serait favorisée par I’hydromorphie
phosphates naturels au Sénégal /par le moyen du compos-
(DOMMERGUES et MANGEN~T, 1970). Le Sesbania produit
tage. Programme IFS. Bambey, C$IRA, 19 p.
serait
alors
e n r i c h i e n
azote,
grâce
à la fixation de N, induite par l’inoculation, et en
MAIGNIEN R., 1965. Notice expl/cative. Carte pédologique
du Sénégal au l/l 000 000, Dakai, ORSTOM, 63 p., 1 carte.
phosphore, grâce à l’apport de phosphate naturel, qui
ne peut qu’accroître cette fixation dans des sols
MOUDIONGUI A., 1987. S e s b a
généralement carencés en phosphore.
nodules caulinaires : fixation sym
comme engrais vert. Thèse de
Les résultats de ces deux années d’essais conduisent ) Bernard, Lyon-l. 227
I
I).
à penser que, en zone soudano-sahélienne, la ! RINAUDO G., DREYFUS B.,
valorisation des bas-fonds par Sesbania rostrafa est 1 Sesbania rostrata as
réaliste et qu’elle réside dans son utilisation comme 1 In : BNF Technology
fourrage et comme litière dans les étables, en vue l Harris S.C. Eds, Cali,
d’accroître la production de fumier.

RINAUDO G.. DREYFUS B..
Pour estimer l’importance de cette production de
Sesbania rostr&a as green rnak
and i:he nitrogen content
biomasse dans les bas-fonds, il importe d’abord
of rice and soil. Soi1 Biol. Bioche ., 15 (1) : 111-l 13.

Bas-fonds inondés et culture de Sesbania rostrata
159
Summary
F. GANRY, F. GUEYE - The development of Iowlands in the Sudano-Sahelian zone through Sesbania rostrata
cultivation: Is this development possible?
The development of the unexploited lowlands in the Sudano-Sahelian zone by cultivating Sesbania rostrata has been
studied on the farm at Bambey, Senegal. The production of seed and inoculum as well as inoculation are possible on the
farm without external aid. Production cari be up to 5 t d.m. ha-‘, i.e. 120 kg N ha-’ with 400 mm rainfall and no fertilizer. But
the aerial parts of Sesbania are not easily fermentable in situ in compost pits. These conditions lead to consider Sesbania
use as forage and litter. Extrapolating the methodology Will require to estimate lowland area SO as to evaluate their
potentialities in a given area (estimation is in progress for Bambey).
Key words: lowlands, Sudano-Sahelian zone, Sesbania rostrata, N, fixation, inoculation, manure.
Resumen
F. GANRY, F. GUEYE - L Pueden aprovecharse 10s bajios de la zona sudano-sahélica cultivando Sesbania fos-
tfafa ?

Se ha estudiado en condiciones reales, en Bambey (Senegal), el aprovechamiento de 10s bajios inutilizados de la zona
sudano-sahélica mediante el cultiva de Sesbania rostrata. La producci6n de semillas e in6culo asi como la inoculation
pueden realizarse en explotaci6n misma, sin necesidad de recurrir al exterior, y permiten producir 5 t ms. ha-‘, o sea 120
kg de N ha-’ bajo 400 mm de Iluvia y sin abono. Pero las partes aéreas de Sesbania fermentan dificilmente en las fosas
de abono compuesto in situ. En esas condiciones, hay que prever su utilizaci6n para forraje y cama. Para extrapolar esta
metodologia sera necesario calcular las superficies de bajios a fin de evaluar las posibilidades de producci6n de una regi6n
determinada (se est& calculando actualmente las de Bambey).
Palabras-clave : bajio, zona sudano-sahélica, Sesbania rosfrata, fijaci6n de N,, inoculaci6n, estiércol.
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